Chapitre 16. — 2 août 1953 Sékou Touré est élu Conseiller territorial de Beyla

André Lewin.
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L’Harmattan. 2010. Volume I. 236 pages


Chapitre 16. — 2 août 1953
Sékou Touré est élu Conseiller territorial de Beyla


Aux élections à l’Assemblée territoriale 361 tenues le 30 mars 1952, le PDG présente plusieurs candidats au 2ème collège :

  • à Conakry, Amara Soumah, déjà élu une première fois en 1946 et secrétaire général du Parti depuis la mutation de Madeira Keita
  • à Nzérékoré Sékou Touré
  • à Kankan Moussa Diakité
  • à [Macenta] Beyla, un instituteur, Camara Kaman, le seul élu RDA des élections de 1946-47

Le premier est brillamment élu dans la capitale contre Louis David Soumah (6.106 voix contre 334), mais démissionne dix jours plus tard du PDG, ce qui, après le bref intermède d’un ouvrier cheminot, Fodé Traoré dit Kotigui, permettra à Sékou Touré d’être choisi encore en juillet de cette année-là comme secrétaire général du PDG.

[Note — Voir la composition du premier et du deuxième comité directeur du Parti. — Tierno S. Bah]

Camara Kaman est également élu, mais mourra peu après ; en revanche, Sékou Touré est battu en Guinée forestière, remportant 4.852 voix, alors que son adversaire Koly Kourouma, chef de canton, candidat de l’Union forestière, en obtient 5.725 352. Gnan Félix Mathos reste finalement le seul élu RDA de ce scrutin. De nouveau, on parle de truquages. Le 2 avril, Sékou Touré rend visite à la mission catholique et demande l’aide du nouvel élu du 1er collège, le père François de la Martinière, “pour faire casser les élections du 2ème collège, vu les trop nombreuses irrégularités et la mauvaise foi de l’administration.” 353.
Mais Sékou fait preuve d’optimisme : “Quoi qu’il en soit, le peuple est de coeur avec le RDA”, déclare-t-il lors d’une réunion publique à Kankan le 3 avril. La veille, le comité directeur du PDG a décidé de “protester avec la dernière énergie contre les trucages électoraux et contre le gouverneur Siriex qui cherche à briser la volonté des démocrates” et de “passer à l’action” le 1er mai prochain.
De son côté, l’administration fait la même analyse. Le directeur de la sûreté Espitalier écrit : “Soyons sans crainte, le RDA ne va pas tarder à remonter en flèche parmi les masses guinéennes” 354. Il a même été jusqu’à proposer au gouverneur Paul-Henri Siriex l’élimination physique des dirigeants du parti ; il faut “les abattre comme savent le faire les gens de la NKVD ou de la MDV : d’une balle dans la nuque ; c’est résoudre la question, du moins pour un certain temps. Je suis orfèvre en la matière et sais ce que parler veut dire” 355. Le gouverneur a fort heureusement écarté cette stupéfiante proposition.
Du 9 au 17 avril 1953, c’est une longue visite en Guinée de Louis Jacquinot, ministre de la France d’Outre-mer du gouvernement René Mayer (il occupe ce poste depuis août 1951 dans le gouvernement René Pleven, le conserve au début de l’année suivante dans le gouvernement Edgar Faure, le perd ensuite au profit de Pierre Pflimlin alors qu’Antoine Pinay est président du conseil, mais le retrouve début 1953 grâce à René Mayer, et le gardera dans le gouvernement de Joseph Laniel jusqu’à la nomination en juin 1954 de Robert Buron dans le gouvernement dirigé par Pierre Mendès-France).
Le ministre inaugure à Conakry la nouvelle Chambre d’agriculture. Il visite l’usine de bauxite de Kassa, alors l’une des plus modernes du monde, ainsi que les installations de la Compagnie minière. Il exprime le 11 avril, devant l’Assemblée territoriale, sa satisfaction de l’essor minier de la Guinée et souligne la nécessité de voir “les produits des mines transformés sur place le plus rapidement possible pour le plus grand bien du territoire”.
Cependant, précise Louis Jacquinot, l’amélioration de la production agricole reste tout aussi nécessaire. Le ministre met également l’accent sur la maturité politique de la Guinée et déclare notamment :

“Un demi-siècle de labeur, fondé sur une compréhension mutuelle et un profond respect de la personne humaine, a réalisé cette étonnante révolution pacifique qui a transformé les “Rivières du Sud” en ce magnifique territoire de la Guinée. Vous en êtes le plus valable témoignage. Votre Assemblée est la représentation librement choisie de la population guinéenne dont chaque année voit croître le nombre des citoyens majeurs. A tous, cependant, la République française a déjà conféré le droit de citoyenneté. Et cela sans restriction, ne voulant pas qu’un statut civil différent, des moeurs et des coutumes particulières, soient encore un obstacle à cette accession à la plénitude des droits de cité, à la totalité des libertés que garantit notre Constitution. Toutes les fonctions de la République, des plus modestes au plus hautes, sont ouvertes aux citoyens de la Guinée comme à ceux de la Métropole… Le statut de votre territoire reconnaît à votre Assemblée des pouvoirs exceptionnellement étendus, une liberté de décider des affaires locales qu’un Conseil général d’un département métropolitain ne connaît pas — permettez au président de Conseil général de la Meuse que je suis, de vous en donner l’assurance… Ces pouvoirs, le gouvernement est prêt à demander au Parlement de les mieux ajuster aux besoins propres des territoires, de les compléter, comme il se propose de réviser simultanément l’organisation administrative locale, fédérale et centrale. Pas d’allégement ni d’accélération de la vie administrative sans réforme de l’appareil central et fédéral. Pas d’accomplissement de la formation civique à l’échelon de base sans développement et organisation de la vie communale. Pas de progrès enfin, qui n’envisage les transitions, et ainsi le statut des chefs coutumiers sera-t-il prochainement et loyalement établi… Ainsi, une sage évolution des coutumes ancestrales, une prudente introduction des institutions nouvelles, doteront la Guinée de ses cadres politiques et administratifs et, du même coup, elle poursuivra avec tout le dynamisme dont elle fait preuve aujourd’hui, l’essor économique sans lequel sa promotion politique serait vaine.” 356

Ensuite, Louis Jacquinot ouvre le 13 avril, à Dalaba, la réunion du Comité de défense de l’Afrique centrale, qui rassemble les hauts fonctionnaires civils et militaires de l’Afrique noire française. Puis il se rend en Haute Guinée, où il visite le secteur coopératif agricole de Niene et les placers d’orpaillage de Siguiri.
Pour Sékou Touré, qui a suivi cette visite avec attention et qui a entendu le ministre célébrer l’intérêt de l’Assemblée territoriale, la volonté d’entrer formellement en politique n’a pas été entamée par sa défaite de 1952. La tentative suivante, lors d’une élection partielle tenue le 2 août 1953 à Beyla à la suite du décès survenu le 11 mai 1953 du conseiller territorial Paul Tétau 357, sera la bonne. Située à la limite de la Guinée forestière et donc éloignée des bases traditionnelles du Parti, la circonscription de Beyla est un test : Sékou y remporte sa première élection. Il s’en faut de peu cependant, car il obtient 729 voix contre 703 et 198 respectivement à ses adversaires, l’infirmier Camara Dougoutigui, soutenu par l’administration et les chefs de canton, et le député Mamba Sano 358. C’est dans la petite localité de Foumbadougou qu’il recueille le plus de voix, ce qui fait pencher la balance en sa faveur à la dernière minute.
Certains prétendront que le nouveau conseiller territorial (ou conseiller général comme on le dit de plus en plus) doit l’idée et le siège à son nouvel ami, Bernard Cornut-Gentille, dit “BCG”, haut-commissaire à Dakar depuisquelques mois 359.
De son côté, depuis la Côte-d’Ivoire proche de la Guinée forestière, Houphouët-Boigny a envoyé pour aider à la campagne de Sékou un véhicule et quatre militants chevronnés. Les marges des résultats sont si étroites qu’il faudra plusieurs mois avant que l’élection soit validée. Mais dès le soir du scrutin, l’enthousiasme des partisans de Sékou déferle sur toute la Guinée, et comme le notent certains observateurs, “après Beyla, le PDG prend d’assaut le pays”.
Les militants en liesse amènent Sékou près d’une grosse pierre fichée dans la terre en pleine bourgade, et lui font jurer solennellement qu’il respectera sa promesse de toujours s’occuper du sort du peuple guinéen ; sinon, selon les traditions locales, il n’arrivera jamais à rien dans sa vie 360.

C’est donc le 3 décembre 1953 au matin que Sékou Touré fait sa première apparition officielle à l’Assemblée Territoriale de la Guinée Française, qui tient à Conakry sa session budgétaire, en présence du gouverneur Parisot, du secrétaire général Léglise et du chef adjoint de cabinet Macé. Le président habituel de l’Assemblée, Éric Allégret, par ailleurs président de la Fédération bananière et fruitière 361, a été depuis quelque temps remplacé provisoirement, pour cause de maladie, par Louis Delmas. C’est ce dernier qui, en termes ambigus, accueille Sékou Touré, après avoir fait l’éloge des deux disparus, Paul Tétau — que Sékou a remplacé — et le sénateur Marcou, ancien président de l’Assemblée :

“Je me dois d’adresser des félicitations et des souhaits de bienvenue à Monsieur Sékou Touré, élu Conseiller à notre Assemblée par le Cercle de Beyla. M. Sékou Touré était déjà connu de notre Assemblée, son dynamisme et son activité syndicale ne se cantonnant d’ailleurs pas en Guinée mais débordant dans toute l’AOF. Je suis sûr que nos travaux ne pourront que bénéficier de ses connaissances et qu’il apportera son activité pour nous aider à résoudre les problèmes qui se posent à nous et qui sont parfois différents et quelque peu dissemblables de ceux pour lesquels il s’était dévoué jusqu’ici. Qu’il sache que l’Assemblée territoriale tout entière se préoccupe comme lui du sort des travailleurs, qui ne saurait cependant être dissocié du développement et de l’équilibre économique du Territoire.” 362

Au cours de la séance de l’après-midi, où Éric Allégret retrouve ses fonctions de président, Sékou Touré intervient une fois avant la suspension, pour demander s’il remplacera Paul Tétau dans les commissions dont ce dernier était membre. A l’unanimité et sur proposition du président, l’Assemblée décide en effet que Sékou deviendra membre de la commission des transports et des travaux publics.
Dès la séance suivante, le 7 décembre, Sékou Touré intervient dans le débat sur le réajustement des tarifs d’hospitalisation de l’hôpital Ballay de Conakry, en proposant que des mesures spéciales soient prises pour que la catégorie des “indigents” — permettant à ceux-ci d’être soignés même sans couverture de sécurité sociale ou sans prise en charge par l’employeur (pour les maladies professionnelles) — soit automatiquement étendue à ceux qui gagnent moins de 50% du salaire minimal en vigueur en Guinée (au lieu de 25% jusque-là), et aussi aux malades, aux infirmes, aux femmes en couches, sans que ceux-ci soient obligés d’attendre la délivrance par l’administration d’un certificat d’indigence qui n’était donné qu’à l’issue d’une enquête de police. Mais l’amendement qu’il a préparé est renvoyé en commission.
La deuxième partie de cette même séance est consacrée à la taxe sur les alcools (instituée pour la Guinée en 1951), que certains souhaitaient éliminer ou diminuer mais dont les commissions de l’Assemblée proposent le maintien, ainsi que l’augmentation du taux des licences, leur extension au vin et à la bière, et enfin une réglementation stricte des débits de boisson et de la circulation du vin et de la bière. Certains élus affirment que ces augmentations de taxes sont avant tout motivées par le besoin de disposer de recettes fiscales plus importantes, et pas du tout par la volonté de lutter contre l’alcoolisme ; en effet, lorsque les taxes — et donc les prix — augmentent, l’importation frauduleuse d’alcools (il s’agit surtout de whisky, de cognac, d’anis et de bière) devient massive, et l’on aboutit au résultat inverse de celui que l’on veut atteindre : l’alcoolisme (chez les Européens comme chez les Africains) ne diminue pas, mais les recettes fiscales oui.
Sékou Touré intervient dans le débat en faveur de l’augmentation de la taxe. Il commence d’ailleurs son intervention en constatant que le prix du paquet de Gauloises est en France de 90 francs, alors qu’il n’est que de 35 francs à Conakry ; la raison en est, selon lui, que les taxes sont plus élevées en France. Si l’on veut lutter efficacement contre l’alcoolisme et l’usage du tabac 363 qui progressent dans les milieux africains, il faut augmenter les taxes locales.
“Dans toutes les villes, dans tous les centres du Territoire, dans les plus petits villages de brousse, les plus petites boutiques, vous ne trouverez peut-être pas un couteau, pas une chemise, mais vous trouverez toutes les quantités d’alcool que vous désirez. J’habite près d’un débit de boissons et mes collègues pourraient se rendre compte en passant que plus de 10.000 bouteilles de vin par semaine sont consommées par les habitants du quartier… Actuellement, si le vin est considéré comme une boisson de table par nos frères métropolitains, l’Africain, lui, le boit par goût et jusqu’à six litres par jour.”
Finalement, l’Assemblée territoriale vote en faveur du maintien de la taxe sur les alcools (38 voix contre 1), pour l’augmentation du prix des licences (unanimité), pour la réglementation de la circulation du vin et de la bière (unanimité) et pour l’extension de la taxe sur les alcools au vin et à la bière (32 voix pour, 6 contre et l’abstention).
Le 11 décembre, Sékou Touré intervient à propos du statut des gradés et gardes des cercles administratifs et de la création d’un service public de transports en commun ; le 16 décembre à propos du projet de création d’un service social, puis de nouveau à propos des tarifs d’hospitalisation del’hôpital Ballay.
Mais ce jour là, il se consacre surtout au retard — qui n’est discuté par personne 364 — de la Guinée en matière d’enseignement, et son intervention est applaudie par ses collègues lorsqu’il demande l’ouverture de l’école normale de Kindia pour novembre 1955, la mise en fonctionnement de plusieurs cours normaux, ainsi que la création d’un lycée. Il fait aussi allusion au collège de jeunes filles de Conakry, dont le rendement scolaire est médiocre, et demande que l’Assemblée soit représentée au sein de son conseil d’administration 365. Il a manifestement pris goût à la discussion de type parlementaire à laquelle il participe depuis une semaine à peine, et ne se laisse pas démonter par les objections et interruptions de la présidence.
— “C’est hors du sujet, monsieur Sékou Touré, nous avons dit que le débat était clos.”
— “Ce n’est pas hors du sujet, monsieur le Président, je n’ai que quelques mots à dire pour éclairer l’assemblée.” Un peu plus tard, il réplique :
— “C’est pourquoi je maintiens mon voeu.”
Et quand l’inspecteur d’Académie Monnier, “un peu affolé” (sic) par l’ampleur du débat, va “donner un petit cours sur l’art et la manière dont fonctionne l’enseignement dans ce Territoire.” Sékou répond à l’inspecteur :
— “Je m’excuse, mais c’est l’organisation du service qui laisse à désirer.” A la fin, Sékou Touré dépose encore un voeu tendant à exempter les instituteurs de service militaire ; il sera examiné ultérieurement.
Le 21 décembre, l’Assemblée se réunit de nouveau. Elle examine tout d’abord l’emploi de la main d’oeuvre pénale : “Tout en étant d’accord sur l’emploi qui doit être fait de la main d’oeuvre pénale, je crains que comme par le passé, on ne s’en serve pour créer quelques abus… Dans les Cercles paralysés par le manque de crédits devant servir à payer une main d’oeuvre régulière, on a arrêté pour vagabondage ou tout autre motif des hommes adultes qu’on envoyait travailler comme prisonniers… Il est regrettable qu’ici où nous avons des entreprises sur pied qui peuvent exécuter les travaux de l’Administration, nous donnions à l’Administration un moyen de se passer de ces entreprises ou de l’obligation de recruter une main d’oeuvre normale pour faire exécuter ces travaux par les prisonniers.” 366
La discussion en vient ensuite au problème du riz (Sékou Touré se prononce pour l’instauration d’un prix minimum tant à l’achat qu’à la revente, pour ne pas léser les paysans, car il n’oublie pas qu’il est l’élu d’une région rizicole), puis à celui de l’exode rural (Sékou demande que soit organisée une session spécialement consacrée à cette question).
La séance du 23 décembre lui permet d’intervenir à propos de la taxe locale sur le chiffre d’affaires pour l’exportation des bananes, agrumes et ananas, puis sur l’aval du Territoire à un prêt de la Caisse centrale de France d’Outre-mer à la Société immobilière de Guinée pour réaliser cinquante logements pour des fonctionnaires africains (il parle à plusieurs reprises pour demander une vraie politique du logement des fonctionnaires africains, et aussi pour dénoncer un certain favoritisme qui consiste à attribuer des logements à des célibataires alors que des agents mariés en attendent aussi).
Le débat concerne ensuite la “réorganisation complète du service de l’information” du Territoire, et Sékou Touré décoche ses flèches en direction de “La Guinée Francaise”, la publication officielle de l’administration, qui paraît trois fois par semaine, et dont il affirme que “les lecteurs l’achètent uniquement pour savoir le titre des films qui seront projetés au cinéma…
Pendant 70 jours qu’ont duré les grèves en Guinée, ce journal n’a pas publié une seule colonne d’article sur ce sujet, alors qu’en France et dans tous les autres Territoires, la question était suivie de près… Dans ces conditions, “La Guinée Francaise” n’apparaît plus comme une nécessité publique, comme étant d’importance collective, et ce journal, à mon avis, doit être supprimé… Je demande à l’Assemblée Territoriale de ne pas même accorder un an de sursis à ce journal qui ne nous est plus utile et qui coûte cher.” 367
Le 23 décembre encore, Sékou Touré intervient dans le débat sur la distribution électrique dans la commune mixte de Kankan, pose de nouveau des questions sur le régime de la bière et du vin, s’exprime longuement sur le nouveau règlement intérieur de l’Assemblée et sur les indemnités versées aux Conseillers selon qu’ils résident à Conakry ou ailleurs, et présente un voeu (qui sera transmis à la commission des affaires sociales) sur “l’institution d’un système d’allocations familiales en faveur des salariés en Guinée Française”.
Dans la discussion en détail du budget pour l’année 1954, qui a lieu le 29 décembre 1953, Sékou Touré propose que les 500.000 francs de l’article 12 du chapitre 41 consacrés au rapatriement d’indigents en France (c’est-à-dire d’Européens indigents désirant revenir de Guinée en France) puissent être utilisés également pour le rapatriement d’indigents guinéens établis en France et désirant revenir en Guinée ; ce qui lui est refusé, car il existe un autre crédit, de 3.500.000 francs au chapitre 55, qui prévoit l’allocation de secours et le financement du retour en Guinée de Guinéens se trouvant n’importe où en Union Française, crédit qui n’a d’ailleurs pas été utilisé complètement en 1953, bien qu’il y ait eu semble-t-il beaucoup de retours en 1953 (“Dieu sait qu’ils ont été nombreux en 1953”, précise le secrétaire général du Territoire, M. Léglise).
Sékou Touré entame ensuite une polémique avec le secrétaire général, car il demande une subvention pour la Bourse du Travail de Conakry, qui est un organisme privé installé avec le Bureau des Syndicats (y compris celui des syndicats patronaux) dans un bâtiment que l’Administration a mis gratuitement à leur disposition (“ce n’est pas parce qu’on vous a rendu un service qu’on va vous accorder tous les services”, affirme M. Léglise), et interroge l’administration sur l’octroi de subventions qui ont été accordées à la Croix Rouge ou à la Maison des anciens combattants, ou sur l’utilisation pendant trois ans de crédits de ce chapitre pour refaire le Palais du Gouverneur.
Échange de propos entre Sékou Touré et le secrétaire général :
— “Si dans les subventions la Bourse du Travail n’est pas prévue, comment voulez-vous que l’Administration…”
— “Vous n’en savez rien, puisqu’elles sont prévues en bloc.”
— “C’est le moment d’en discuter”.
— “Non”.
Sékou en profite aussi pour se plaindre du mauvais emplacement de ce bâtiment, qui n’est pas clôturé et se trouve à côté du cimetière dans un bas-fond inondé pendant la saison des pluies. En fin de réunion, il obtient satisfaction et remercie l’Administration et l’Assemblée “d’avoir prévu un crédit qui nous permettra de mettre en fonctionnement la nouvelle Bourse du Travail”. Quelques années plus tard, le 2 janvier 1959, il aura la satisfaction d’inaugurer les nouvelles salles de la Bourse du Travail.
Bien entendu, l’élu de Beyla s’intéresse aussi aux crédits prévus dans cette circonscription pour des classes, un camp de gardes-cercle ou un pavillon hospitalier.
Conscient d’avoir vexé certains collègues et l’Administration par ses propos un peu vifs, Sékou Touré revient sur ses déclarations précédentes :
— “Je voudrais tout d’abord en mon nom personnel m’excuser auprès de l’Assemblée territoriale pour le retard provoqué par mon intervention, puisque la commission des finances a été obligée de se réunir à nouveau, et par ailleurs présenter mes excuses à M. le Secrétaire général au sujet d’une partie de mon intervention dans laquelle il a cru voir attaquer l’Administration actuelle du Territoire. Je rectifie en disant que le passé dont je parlais intéressait les années 1947 et 48, et qu’il n’était pas du tout dans mon esprit de faire une opposition à l’Administration actuelle, étant donné que c’est grâce à elle que le Code du Travail a été appliqué.”
Au cours de cette même séance toujours, Sékou Touré intervient pour qu’une subvention soit accordée à l’enseignement privé musulman et que soit construite une grande médersa à Kankan (l’Administration en a déjà décidé deux, à Boffa et à Boké).
— “Vous avez tous constaté que la majorité des membres de cette Assemblée est musulmane, et que chaque fois qu’il s’est agi de voter des subventions pour les écoles privées ou confessionnelles, cette majorité s’est toujours affirmée en faveur de ces écoles. Il ne faut pas perdre de vue la nécessité de faire bénéficier l’Islam des mêmes avantages.”
Sékou Touré obtient satisfaction, puisque est adopté un texte “rappelant que la plus grande bienveillance a toujours été réservée aux demandes de subvention de l’enseignement privé catholique… et considérant la nécessité de mettre à la disposition des Guinéens une Médersa les dispensant d’aller chercher l’enseignement dans les territoires étrangers où l’état d’esprit n’est pas toujours francophile… émet le voeu qu’une Médersa soit construite en Guinée le plus rapidement possible.”
Avant la clôture de la session de l’année 1953, Sékou Touré intervient encore sur le prix de l’eau à Conakry,sur l’aménagement d’une route reliant la Guinée forestière au Liberia, sur la création d’un nouveau lotissement à Madina et enfin — longuement — sur les problèmes du conditionnement des fruits — notamment les bananes — exportés vers la France, qui nécessitent une marque et un conditionnement spécifiques que près de 600 planteurs guinéens ne peuvent obtenir, en raison de la taille trop petite de leur exploitation et de la modicité de leur plantation, ce qui fait qu’ils ne peuvent que les vendre sur le marché local ou les exporter vers le Sénégal 368.
Au conseiller Henri Bourbonnais, qui voudrait que la rédaction des voeux de Sékou Touré “soit faite dans un style plus sobre et non empreint de syndicalisme” et qui se plaint de l’intervention commerciale des petits vendeurs dioulas, il lance :
— “Je voudrais donner des apaisements à M. Bourbonnais ; il ne comprend certainement pas tout ce qui se passe en Guinée et principalement aux abords de Conakry, et s’il le comprend, il se fait alors le défenseur d’une cause indéfendable. M. Bourbonnais est un entrepreneur (c’est d’ailleurs lui qui sera chargé des premiers aménagements du stade qui deviendra plus tard celui du 28 septembre NDLA), nous avons tous besoin de lui quand nous voulons construire une maison. Pourquoi ne dirait-il pas à tous ces planteurs de s’occuper eux-mêmes de la construction de leur maison sans avoir à confier de travaux aux entrepreneurs ? Non, M. Bourbonnais le sait parfaitement bien, et le riz que nous exportons vers le Sénégal, c’est la maison FAO qui l’achète, et la FAO n’est pas producteur…
Je dis donc que les conditions d’emballage qui sont soulevées par le service de conditionnement ces derniers temps, tendent justement à évincer tous les petits commerçants blancs et noirs. Le conditionnement se fait de manière complaisante… Si je ne suis pas d’accord avec le chef du service de l’agriculture, c’est parce que je vais tous les deux ou trois mois à Dakar et que je loge chez un planteur, je sais ce qu’il fait… Quand on prétend que les bananes guinéennes sont de mauvaise qualité, je ne vois pas sur quelle base cette présomption est fondée. Je vous prie de croire que tout a été manigancé par un homme, il a fait des démarches, des réunions, j’en connais la date, à Conakry même ; il serait pénible de donner raison à un seul homme qui a déjà signé un contrat alors qu’il n’a pas la possibilité de le satisfaire en évinçant les petits planteurs africains; pour satisfaire cet homme, on veut créer des difficultés à l’ensemble des planteurs européens et africains.” (On ne saura pas quel est le nom de cet homme. NDLA)

Dans sa première intervention lors de la réouverture de la session, le 29 mars 1954, Sékou Touré exprime le souhait que les élus de la Guinée qui sont choisis avec le concours de l’Assemblée territoriale (sénateurs, membres du Grand Conseil, conseillers de l’Union française), soient invités à faire à l’Assemblée un compte-rendu de leur mandat ; proposition qui est adoptée. Il est réélu comme membre de la commission des travaux publics, pose sa candidature au Comité consultatif des transports (l’un des deux titulaires, Framoï Bérété, se retire en faveur d’Ouremba Keita ; celui-ci est finalement élu à main levée, par 23 voix contre 21 à Sékou Touré), est également candidat (avec cinq autres Conseillers) à un poste au Comité consultatif de la production agricole (il n’y est pas élu, n’ayant obtenu que 10 voix, et venant en dernière position), et pose enfin sa candidature au Comité territorial des bourses (il y a sept candidats pour cinq postes ; Sékou Touré n’est pas élu ; il obtient 16 voix et arrive en dernière position — derrière le Père François de La Martinière, qui en obtient 29 et n’est pas élu lui non plus).
Cette élection conclut un long et virulent débat sur le problème des bourses allouées aux étudiants guinéens. Le rapporteur Barry Diawadou (il avait été chargé par l’Assemblée de faire une enquête à ce sujet ; après l’indépendance, il sera le premier ministre de l’éducation nationale) signale que le budget de l’année 1954 a prévu 29 millions de francs pour les bourses des jeunes Guinéens partis étudier en dehors de la Guinée, soit en France, soit ailleurs en Afrique (essentiellement à Dakar, Saint-Louis du Sénégal et Abidjan) ; en fait, 27 millions, (à quoi s’ajoutent d’autres crédits — par exemple pour passer les vacances dans des colonies de vacances ou dans des familles françaises qui recevraient une petite aide, ou alors, pour ceux qui souhaitent revenir en vacances en Guinée, attribution d’un billet aller-retour en 3ème classe par bateau, etc, soit au total41 millions) sont consacrés aux 18 Guinéens séjournant en France comme boursiers de la Guinée (à ce chiffre s’ajoutent 33 Guinéens bénéficiant de bourses de l’AOF, et à peu près 140 Guinéens non boursiers, soit 200 au total); en 1946, il n’y avait que 4 boursiers guinéens. Barry Diawadou termine son intervention en signalant qu’à cette date, ce crédit, délégué à Paris, n’a pas encore été réparti aux 18 bénéficiaires pourtant nominativement désignés, et que de nombreux boursiers connaissent donc des difficultés financières sérieuses.

Le député Yacine Diallo, délégué de l’Assemblée territoriale auprès des étudiants guinéens en France, intervient alors pour expliquer que la répartition n’a pu se faire parce qu’un nouvel inspecteur des Colonies avait constaté que la composition de la commission chargée de répartir les secours n’était pas conforme aux textes législatifs, et que ses réunions étaient donc interdites ; des réunions informelles ont pourtant eu lieu. Alors que le président s’apprête à clore le débat en remerciant les deux orateurs, Sékou Touré, qui a demandé la parole depuis longtemps déjà, relance le débat qui prend alors très vite une tournure virulente 369. Il signale que la Côte-d’Ivoire compte 535 étudiants et le Dahomey 435 (il ne précise pas s’ils sont boursiers ou non). Il affirme qu’“il faut que cela cesse, autrement, la Guinée se déshonorerait”, et continue en disant :
— “J’ai assisté (à Paris) au Congrès des étudiants et j’ai vu quelle figure faisaient les étudiants guinéens parmi ceux des autres territoires !” Il met en cause la gestion des crédits disponibles, réclame l’amélioration du taux des bourses et l’accroissement du nombre des boursiers, et dénonce le versement d’indemnités aux membres de la commission des bourses alors que les boursiers ne perçoivent pas les sommes qui leur sont dues. Le conseiller Paul Dechambenoît dénonce un discours fait dans “un but de propagande”, à quoi Sékou répond que son collègue “n’a tout simplement pas compris”.
Yacine Diallo s’insurge :
— “Je serai bref. Je m’étonne même qu’un compte-rendu puisse susciter autant de passion et que Monsieur Sékou Touré prétende connaître mieux que moi-même la question des étudiants ; je les reçois une fois par semaine (à Paris), et suis donc au courant de leurs doléances. C’est une contre-vérité de prétendre que les membres de la commission chargée de la répartition des secours perçoivent des indemnités… Je puis vous affirmer que je ne touche pas un sou pour cela. Je tiens à ce que cela figure au procès-verbal. (applaudissements).”
Sékou réplique qu’il est “informé par des étudiants de ce que les membres de la Commission des étudiants étaient indemnisés. Vous me permettrez à une séance ultérieure de vous donner la preuve de ce que j’avance.”
M. Jacques Martineau :
— “On vous l’a dit, mais cela ne veut pas dire que c’est vrai.”
M. Sékou Touré :
— “On vous l’a dit également, c’est la même chose”…
Le secrétaire général :
— “Je m’étonne de l’intervention de Monsieur Sékou Touré, étant donné que toutes les explications lui ont déjà été données en Commission des finances.” (mais les séances des commissions ne sont pas publiques, peu de monde y assiste, ce qui n’assure pas à Sékou la même audience NDLA)
M. Barry Diawadou :
— “Je commencerai par regretter que Monsieur Sékou Touré ait fait une intervention ni exacte, ni impartiale… Je lui demande dans cette affaire de mieux se renseigner ; quand on parle, il faut avoir la preuve de ce qu’on dit, il ne faut pas avancer des choses à la légère, c’est très ennuyeux et cela attire des désagréments.”
Contrairement à ce qu’il souhaitait, Sékou Touré n’est pas élu à la commission des bourses, mais ses interventions sont vigoureusement applaudies par le public ; des bagarres éclatent même aux abords de l’Assemblée, ce qui provoque l’intervention de la gendarmerie ! Ainsi se rend-il populaire auprès des étudiants, jusque-là plutôt proches des formations politiques classiques.
Lors de la séance de l’après-midi du 7 avril 1954, Sékou Touré, qui est rapporteur sur cette question de la commission des transports et des travaux publics, fait un bref exposé sur l’exploitation de la ligne électrique du barrage des Grands Chutes (qui été inauguré le 8 février de la même année), comme il le fera un peu plus tard sur l’aérodrome de Conakry (où il insiste en particulier sur la nécessité de réaliser rapidement le balisage de la piste pour les atterrissages de nuit). Au passage, il provoque une petite controverse parce que le nombre insuffisant de photocopieurs ne permet pas à tous les Conseillers de disposer d’une copie des documents à examiner ; quelques jours plus tard, il consacrera une intervention à l’amélioration du service de mécanographie.
Dans la matinée du 9 avril, c’est sur le classement des routes que Sékou intervient. Il demande à l’administration des travaux publics de faire un effort particulier sur trois liaisons routières qui ne sont pas classées parmi les routes d’intérêt général, et dont l’une, la route Beyla-Odiénné, l’intéresse comme élu ; il fait une longue description, très étayée, de l’importance de cette voie pour le développement économique, commercial, financier et social de la région, et pour ses relations avec les autres régions de la Guinée et même avec les territoires voisins. Il insiste en particulier sur la construction de ponts au dessus des rivières très nombreuses en Guinée forestière et qui feraient gagner un temps considérable aux routiers et aux commerçants dioulas, et il ajoute :
— “L’Administration a bien dû étudier ce dossier avant de nous le présenter, mais notre rôle n’est pas de voter à l’unanimité tout ce qui nous est présenté, nous avons le droit de faire des observations qui sont valables.” Évidemment, chacun des conseillers défend un point de vue qui avantage sa circonscription, ce qui attire à Sékou cette réflexion de Framoï Bérété :
— “Monsieur Sékou Touré a bien le droit de précipiter la mort de Kankan, mais les élus de la région ont le devoir d’attirer l’attention sur sa situation difficile.”
Dans la suite du débat — un peu obscur —, qui porte sur le développement de la culture du ricin, Sékou Touré se déclare “favorable à encourager toute culture qui puisse avoir une incidence heureuse sur le développement du pays”, mais il ne veut pas que l’on “exige” des paysans qu’ils en plantent, d’autant que le seul débouché nouveau semble être une entreprises privée, l’usine de plastiques du groupe Constantin. A partir de là (et en particulier du terme “exiger”), Sékou Touré s’interroge sur l’extension obligatoire de ce que l’on appelle dans certaines régions de Guinée la “dot du bébé”, qui consiste, lors de chaque naissance, à planter un certain nombre d’arbres fruitiers. Le secrétaire général répond que cette pratique, qui doit être encouragée, “est conditionnée par l’action personnelle et persuasive des chefs coutumiers en contact permanent avec la population, et l’intérêt que ceux-ci attacheront à la question.” Il est d’autant plus intéressant de noter que dans la Guinée d’après l’indépendance, Sékou Touré fera adopter la “Loi Fria”, qui impose de planter un arbre à chaque cérémonie festive, familiale ou non, et qu’il la citera en exemple comme moyen de lutter de manière militante contre le déboisement.

Le samedi 10 avril au matin, c’est l’examen de la demande de subvention aux Ballets Africains de Keita Fodéba, relatée en détail au chapitre sur ce dernier ; retenons simplement ici qu’elle donne lieu à une nouvelle joute oratoire le député Yacine Diallo et Sékou Touré. A ce dernier, qui fait quelques critiques à Fodéba sur le plan de sa ligne politique mais le soutient globalement, Yacine Diallo s’en prend à Sékou Touré plus qu’à Fodéba, en disant :
— “Je dois déplorer que l’intervention de notre collègue Sékou Touré ait porté sur des idées politiques. Nous sommes une Assemblée essentiellement économique et sociale. Nous connaissons les idées de M. Sékou Touré comme celles de M. Keita Fodéba, alors qu’il nous fasse grâce de ce passage de son intervention. Il ne s’agit pas du tout de se placer sur le terrain politique pour savoir si l’on doit donner satisfaction à une demande de subvention, plaçons-nous sur le terrain artistique… Ceci dit, je ne serais pas hostile à ce que l’Assemblée lui accorde une subvention.”
Puis on en vient au point “Importation d’armes de traite”. Le rapporteur Keita Ouremba rappelle qu’un très grand nombre d’accidents de chasse par armes à feu provoquent décès et infirmités, parce que “les Africains transforment en fusil tout tube qu’ils peuvent modifier, tel que le tuyau d’échappement de véhicule, qui résiste peu à la poudre”, parce que l’importation en AOF (et donc en Guinée) d’armes perfectionnées et de fusils dits “de traite” (c’est-à-dire fusils à pierre ou à piston) est interdite par un décret du 19 novembre 1947, avec un petit nombre de dérogations.
L’importation de la poudre à fusil est elle aussi contingentée (225 grammes par an et par fusil). Ces dernières armes, souvent bricolées et non déclarées, sont au nombre estimé de plus de 50.000 en Guinée (et peut-être 90.000, contre 20.000 répertoriées et soumises à une taxe), mais l’augmentation est continuelle, car les éleveurs s’en servent pour protéger leurs troupeaux des prédateurs, leurs récoltes de voleurs, leurs domiciles des pillards, et les accidents sont fréquents. Sékou Touré, comme la plupart des autres Conseillers, se prononce pour rétablir la légalisation de l’importation d’armes de traite perfectionnées, et pour augmenter le nombre des permis de port d’arme.
L’après-midi de ce même samedi 10 avril, Sékou Touré commence, en tant que rapporteur de la commission des transports et travaux publics, à présenter un projet d’électrification des plantations de Guinée à partir du nouveau barrage des Grandes Chutes, dans les zones de la Kolente et des agglomérations de Kindia, Coyah, Dubréka, Friguiagbé et peut-être Forécariah. Ensuite, il présente un rapport sur la construction d’un nouvel immeuble pour l’Assemblée territoriale, qui reçoit un accueil favorable.

Indemnités parlementaires

Mais c’est à propos du point de l’ordre du jour sur les indemnités de charges pour les parlementaires (députés et sénateurs) que la discussion s’envenime et finira par avoir une issue tragique. Keita Ouremba et Koly Kourouma, rapporteurs respectivement de la Commission des affaires diverses et de celle des finances, proposent de porter cette indemnité à 50.000 francs par mois (elle avait déjà été portée l’année précédente de 35.000 à 40.000 francs, et Sékou Touré s’y était rallié). Mais cette fois-ci, Sékou Touré parle en premier et fait une intervention virulente, compare notamment le sort des parlementaires à celui des étudiants (dont les parlementaires également membres de l’Assemblée territoriale avaient justement peu auparavant estimé que les bourses étaient suffisantes), déclare qu’il faut éviter le gaspillage, que les parlementaires guinéens sont plus souvent en Guinée qu’en France, que ce serait donc “un cadeau injustifiable”, et il demande le rejet du rapport et le maintien de l’indemnité à 40.000 francs. Se sentant évidemment visé, Yacine Diallo réagit mal à “cette intervention un peu pathétique” de Sékou Touré et demande à l’Assemblée de “faire oeuvre d’humanité” en votant cette augmentation à l’unanimité. Ce à quoi Sékou Touré repart dans une deuxième intervention, et affirme que “sans vouloir en faire une question de personne… ceux qui sont en train d’essayer de prouver qu’ils sont gênés ont une vie matérielle qui ne le prouve pas ; pour les uns, des maisons se construisent avec des millions, pour les autres, des voitures neuves s’achètent, et leur train de vie, qui n’est pas minime, est constaté par chacun de nous.”
Certains conseillers répliquent en déclarant que des Territoires moins riches que la Guinée accordent des indemnités plus élevées.
— “J’en prends acte”, dit Sékou Touré, après avoir un temps affirmé : “C’est faux”.
Yacine Diallo reprend lui aussi la parole, dit que Sékou Touré a avancé un chiffre erroné et lui conseille :
— “N’exagérez pas, monsieur Sékou Touré, restez dans le vrai.”
Finalement, la proposition de Sékou Touré (maintien de l’indemnité à 40.000 francs) est rejetée avec une seule voix pour, la sienne évidemment ; la fixation à 50.000 francs en revanche est adoptée à la majorité.

Echange de propos acerbes

Cet échange de propos acerbes, venant après bien d’autres, alors que le public (qui n’est pas admis dans la salle — en dehors de quelques malins qui se glissent — mais reste debout sur le perron à l’orée de la salle) applaudit frénétiquement les propos de Sékou Touré, est-il la cause — directe ou indirecte — de l’accident cardiaque qui frappe Yacine Diallo ? Dans la nuit du mardi 13 au mercredi 14 avril, à 4 heures du matin, le député de la Guinée meurt d’une foudroyante hémorragie cérébrale, en dépit des soins que lui apportent les docteurs Farah Touré (lui-même membre de l’Assemblée), Marx et Leroux. Certains en tous cas n’hésiteront pas à affirmer : “C’est Sékou qui l’a tué !” 370

L’Assemblée territoriale, réunie le 14 avril dans l’après-midi, rend l’hommage à Yacine Diallo, alors que les télégrammes de condoléances affluent de tous les cercles de la Guinée, de Paris, de Dakar et des territoiresnvoisins. Puis tous les membres se joignent à 17 heures au cortège funèbre, devant la maison mortuaire.Le 15 avril, on revient à l’ordre du jour : demande de crédits supplémentaires ; Sékou Touré signale une erreur de calcul, que le secrétaire général qualifie “d’apparente” en lui donnant une explication, mais Sékou Touré, qui aime avoir le dernier mot, conclut en disant :
— “Je vous remercie, mais je crois que la Commission des finances aurait bien fait de porter sur son rapport l’explication qui vient d’être donnée.”
Puis on débat longuement de la fermeture de la chasse (Sékou reste silencieux sur ce point).
Une longue discussion s’élève alors à propos d’une subvention de 2.750.000 francs, en fait déjà votée au titre des crédits supplémentaires sans que la question ait semblé soulever débat : elle a été demandée par le cinéaste Claude Vermorel pour un film de fiction dramatique dont la Guinée serait le cadre. Un interminable échange de vues s’engage entre le secrétaire général Léglise, le président Eric Allégret, et divers conseillers, pour déterminer si c’était à la commission pennanente (qui a donné avant même le vote et par délégation, l’autorisation de débloquer les crédits en escomptant un accord ultérieur de l’Assemblée), ou à la commission des finances, ou à celle des affaires diverses, de faire un rapport, dont on s’aperçoit finalement que s’il n’a pas été produit, c’est que personne n’a eu en mains le scénario. On s’aperçoit aussi que si le budget du Territoire n’a pas encore versé la subvention, le FIDES (Fonds d’intervention pour le développement économique et social) a versé dix millions, le gouvernement général à Dakar “trois ou quatre millions” (sic), et divers ministères la même somme (celui de la France d’Outre-mer, celui de l’Education nationale et celui des affaires étrangères — ce dernier pour 2.500.000 francs).
Finalement, la Commission des finances prend en mains le dossier, étudie la demande, et fait son rapport : il s’agit d’un projet d’un film intitulé “La Dame au beau sourire”, dont les principales scènes doivent être tournées dans la région de Labé, au pont de Forécariah et à Camayenne-Plage dans le courant de l’année 1954. Le manuscrit, selon une lettre de Claude Vermorel du 7 février, “a été établi en collaboration avec des Guinéens (MM. Nabi Youla de Conakry 371, MM Vidaline et Geffroy de Labé), et sa réalisation offrira toutes les garanties de vérité puisque M. Nabi Youla, M Vidaline et un Conseiller Peulh assistent à toutes ces prises de vues.”
Le président Eric Allégret (dont l’auteur rappelle au passage qu’il est le frère du cinéaste français Yves Allégret) est réservé : il a lu un script, pas encore un scénario, et n’a pas dépassé la page 50. Keita Ouremba en revanche l’a lu entièrement, Framoï Bérété jusqu’à la page 60 (et il a feuilleté le reste !).
Pour Eric Allégret, “ce qui a été présenté est simplement un fatras de production, de recettes et dépenses, et en quelques lignes, il indiquait seulement qu’il devait s’agir d’un instituteur et de sa famille arrivant de bonne foi en Guinée ; ils s’installent par malheur dans un chantier de routes ; la femme s’en va avec un ingénieur parce qu’elle voit l’oeuvre de son mari (pour l’éducation) du pays et estime que cela vaut le sacrifice d’un amant.”
M. Bourbonnais proteste, parce qu’il craint que la Commission, qui a “reconnu elle-même que des scènes sont anormales, comme celle qui tend à présenter l’ensemble des Africains comme des gens inadaptés et les Européens comme des gens perpétuellement ivres, ne se soit pas rendu compte que si on supprime ces passages, il ne reste rien, puisque c’est un film immoral, basé sur le cocuage de l’instituteur par un ingénieur des Travaux Publics. Nous qui avons une mission à remplir, nous ne pouvons admettre qu’un scénario qui risque d’aller à travers le monde nous présente sous un aspect grotesque.”
Au passage, le secrétaire général, M. Léglise, l’un des rares qui aient lu le scénario en entier, note de son côté “des sentiments très beaux qui y sont exprimés, le dévouement notamment de l’instituteur en faveur de l’éducation de base à laquelle il se donne tout entier, au risque de compromettre sa santé, délaissant même sa femme pour son travail qu’il trouve passionnant.
C’est un des drames courants dans les Territoires d’outre-mer où beaucoup d’Européens sont trop sollicités par la mission qui leur est confiée. Nous assistons à une scène pleine de tristesse, la mort du bébé du jeune ménage, victime de déshydratation. La maman reproche à son mari de l’avoir amenée sous un mauvais climat. Elle se demande si son mari, lorsqu’il s’est fait affecter Outre-mer, connaissait les risques que sa famille aurait à courir. Son quasi-abandon, la mort de son bébé, font perdre la tête à la jeune femme ; dans son égarement, elle se laisse faire la cour par un ingénieur des Travaux Publics. Il ne ressort cependant pas du scénario qu’un ”cocuage” avéré, comme l’a dit M. Bourbonnais, ait caractérisé cette intrigue, mais une simple tentative de la femme de l’instituteur à suivre l’ingénieur qui part en congé. La conclusion est très émouvante: cette femme qui va quitter son mari revoit ce dernier en pensée, au moment où elle attend le bac ; elle se rappelle sa foi dans son métier, sa fatigue, sa lassitude. Elle décide enfin de revenir vers lui et laisse l’ingénieur poursuivre seul sa route.”
Et il conclut qu’il vaut mieux subventionner ce film que de faire un documentaire sur la Guinée, opération qui serait déficitaire et coûterait beaucoup plus cher. Il dit aussi que M. Vermorel est prêt à couper certaines scènes, “mais on peut ne supprimer tout ce qui correspond à la réalité, un Européen qui boit, par exemple, on en rencontre dans ce pays, ou alors ce serait un film pour pensionnat de jeunes filles.”
Sékou Touré a attendu que le débat touche presque à sa fin pour exprimer son point de vue. Pour lui, un film est un moyen efficace de faire connaître, apprécier et aimer la Guinée et les Guinéens, et la forme qui lui est donnée est donc essentielle. Les scènes critiquables, “qui pourraient avoir des conséquences politiques très graves pour les Africains”, figureraient dans le film s’il n’était pas aidé. Le fait de subventionner la production donne par conséquent “à l’Assemblée la possibilité d’intervenir auprès de monsieur Vermorel pour ces passages soient censurés.”
A la fin de ce débat, l’Assemblée vote le principe de la subvention sous certaines réserves, se prononce pour que des coupures soient effectuées (le mot “censure” proposé par Eric Allégret est récusé) et crée une commission de trois membres chargée de proposer ces coupures.
Avant la fin de la séance, Sékou Touré intervient comme rapporteur de la commission des Transports et des Travaux Publics à propos de huit permis de recherche demandés par Pechiney ; comme le dossier présenté par la société est incomplet (il manque un croquis et certaines pièces ne sont ni signées ni datées), il propose de donner délégation à la Commission permanente afin que celle-ci se prononce lorsque le dossier sera complet.
Barry Diawadou n’est pas d’accord et le dit avec vigueur : l’intérêt de la Guinée est davantage encore en jeu que celui de la société Pechiney. De plus, les études sur le coût de l’électricité produite en Guinée sont en cours, d’autant que la centrale qui en produira assez pour assurer la production d’aluminium est encore en projet. On apprend au passage que “des décisions importantes viennent d’être prises en France : au lieu de construire l’usine de Kaleta en Guinée, Pechiney et le groupe métropolitain se sont repliés sur le Cameroun et ont préféré y transporter leur affaire”. 372
Sékou Touré reprend la parole pour dire qu’“on ne peut en vouloir à un membre de la Commission des TP de ne pas s’être prononcé sur le fond, les arguments avancés par notre collègue Barry Diawadou ne figurent pas dans le dossier ; il a certainement eu la chance d’obtenir ces renseignements par des gens bien placés!” Et il préconise d’attendre que le dossier soit complet. En fait, l’Assemblée quasi unanime (seule sa propre voix fait défaut) préfère adopter sans réserve le dossier de demandes de permis de recherches pour Pechiney.
Avant la fin de cette session ordinaire, le 16 avril, Sékou Touré regrette que le temps ne permette pas de discuter de deux questions importantes, la lutte anti-alcoolique et les mesures à prendre contre la projection de certains spectacles à Conakry. Mais auparavant, il a prononcé une assez longue intervention sur la commercialisation de la prochaine récolte de riz, bien que sa circonscription de Beyla n’en soit pas l’un des plus importants producteurs. On peut relever sa vive critique de la ristourne accordée au commerce de gros pour le riz importé d’Indochine (6 francs) contre 3 francs seulement pour le riz local, ce qui incite le connnerce à traiter plutôt du riz indochinois que du riz local; ce qui fait que “le riz du Foutah va vers le Sénégal, le riz de la Haute Guinée vers le Soudan (Mali), le riz de la région forestière et de la Basse Guinée vers la Sierra Leone, le Liberia et la Côte d’Ivoire. Nous avons été dupes dans cette affaire.” 373
Sur ces quelques exemples concrets, on voit que la participation active de Sékou Touré aux travaux de l’Assemblée Territoriale lui donne l’occasion d’affiner ses thèses, de développer son talent oratoire, de vérifier son ascendant sur ses auditeurs et d’accroître encore sa popularité en montrant sa connaissance des dossiers et son intérêt pour les préoccupations quotidiennes de la population. Un témoignage nous renseigne sur ses talents oratoires :
— “Le combat s’est rapidement engagé à l’Assemblée Territoriale de Conakry. Du fond de la salle, une voix sombre, savamment modulée, s’élevait, parfois tonitruante, parfois murmurante, surprenante, s’exprimant brillamment avec une langue peu commune, dans un français impeccable, détaillant longuement les revendications et les espoirs des plus défavorisés.
Chaque intervention de Sékou Touré était attendue ou redoutée, aussi bien dans la salle que du public qui assistait debout derrière les barrières dressées à l’extrémité de la salle et certains jours jusque sur le perron ; habilement formulée, elle suscitait la jubilation des uns, l’agacement ou la colère des autres.
Ce tribun né avait pourtant le caractère d’une personnalité ambiguë, changeante, qui pouvait aussi bien manier le verbe avec une froide détermination en martelant les mots, l’oeil étincelant, calculant ses effets, puis dans les coulisses de l’Assemblée, hors du champ de bataille, à l’occasion d’une rectification de texte, d’une retouche à apporter à son intervention, l’impérieux orateur se transformait soudain, souriant, aimable, charmant et même charmeur avec ceux qui s’en étonnaient. C’était aussi un acteur né. Il avait conscience du pouvoir de son talent, qu’il mettait entièrement au service de son ambition à défendre, même l’indéfendable. Il était évident que cet homme-là ne resterait pas dans l’ombre.” 374
En 1956, Sékou Touré est élu député français et se rend bien plus souvent à Paris, ce qui fait qu’il délaisse un peu les travaux de l’Assemblée territoriale. Lors des élections au Conseil Territorial du 31 mars 1957, il abandonne la circonscription de Beyla et se fait élire à Conakry. Quelques semaines plus tard, le 9 mai, alors que la Loi-cadre Defferre entre en application, c’est le Conseil Territorial qui investit Sékou Touré en tant que vice-président du Conseil de gouvernement de la Guinée française.
Comme Conseiller Territorial de même que dans les autres fonctions qu’il occupe, Sékou Touré cristallise autour de lui attachements inconditionnels ou inimitiés profondes.
Parmi les opposants les plus farouches à Sékou, on trouve les chefs de canton, souvent proches de l’administration française et nommés par les commandants d’arrondissement, et aussi les adhérents des autres syndicats.
Sans cesse, ce sont des batailles rangées contre les militants du PDG et les partisans de la chefferie ou des mouvements rivaux.
“La haine de Sékou contre la France et tous ceux qui éprouvent des sentiments français commença de se manifester contre les chefs de cantons, dont il faisait attaquer et tuer les partisans et aussi contre mon clerc, son rival direct, Louis David Soumah, roi de la tribu baga de la Basse-Côte, catholique et secrétaire général de la CATC (Confédération Africaine des Travailleurs Croyants, car le “C” du “Chrétiens” de la centrale syndicale française CFTC était devenu “Croyants” en Guinée, afin de pouvoir recueillir des adhésions chez les Musulmans), dont il fit ravager la maison en dur de Conakry et notamment casser les W-C. Ces attaques devinrent si préoccupantes, fréquentes et dangereuses que les chefs de canton, dont j’étais l’avocat du Syndicat, organisèrent une réunion secrète pour solliciter mon conseil. Après que chacun d’entre eux eût exprimé ses alarmes et raconté les agressions dont il avait été l’objet, je leur ai dit en conclusion : “C’est la guerre entre vous et Sékou : si vous ne le tuez pas, il vous tuera tous.” Seuls le chef soussou David Soumah et le chef Foulah de Popodara [Labé] furent de cet avis. Les autres ont préféré attendre ; ils ont tous disparu.”
Sékou Touré bénéfice cependant de la sympathie de certains administrateurs et en particulier, après octobre 1951 et jusqu’à son départ en 1956, de celle du nouveau haut-commissaire en Afrique Occidentale Française, Bernard Cornut-Gentille, que ses collaborateurs appellent BCG ; celui-ci a succédé à Paul Béchart, un socialiste, ancien secrétaire d’Etat à la France d’Outre-Mer, connu toutefois pour son esprit conservateur et son penchant pour la politique de force. Rapidement, on affirmera que Sékou Touré est devenu la “création” de BCG, certains disent même sa “créature” 376.
Un soir de fin de saison des pluies en 1953 (Sékou est déjà Conseiller territorial de Beyla et a lancé la fameuse grève de 72 jours), le haut-commissaire Bernard Cornut-Gentille, accompagné de son chef de cabinet Yvon Bourges, arrive à Conakry en grand secret par avion depuis Dakar. Un rendez-vous confidentiel a été arrangé à leur demande, par l’intermédiaire de Bois, à l’époque le directeur de cabinet du gouverneur Parisot et du directeur de la sûreté, Maurice Espitalier 377. Sékou Tour tient à ce que la rencontre ait lieu de nuit à son domicile privé ; elle est fixée à 11 heures du soir. Les six hommes (BCG, Bourges, Parisot, Bois et Espitalier face à Sékou Touré) s’isolent immédiatement.
Le haut-comnùssaire ne cache pas son jeu :
— “Vous êtes déjà conseiller territorial de Beyla et votre influence est réelle en Guinée ; elle s’étend même en AOF. Vous êtes jeune ; votre avenir est encore devant vous ; vous pouvez être député, peut-être ministre, qui sait ? Des dispositions nouvelles seront prises pour l’évolution des territoires d’Afrique. Mais pour cela, il faut savoir jouer avec ceux qui peuvent favoriser ou bien contrarier ces perspectives ; on peut vous aider si vous ne nous gênez pas ; on peut vous gêner si vous ne nous aidez pas!”, lance-t-il à Sékou en substance.
Sékou reste impassible. La discussion sera longue. Mais au bout de quatre heures de discussions, on débouche une bouteille de champagne et on trinque au succès de l’accord intervenu. Rien ne filtrera jamais sur l’appui que BCG donne à Sékou, soutien et conseils politiques, renseignements confidentiels, aide financière sur ses fonds secrets… Sur le chemin du retour au Palais du gouverneur, alors que l’aube se lève sur Conakry, BCG confie à Bois :
— “Vous avez vu comment on peut manoeuvrer un jeune syndicaliste africain ?”.
Et à son tour, Bois affime qu’il murmura, au moins in petto :
— “J’ai surtout vu comment un jeune syndicaliste africain peut manoeuvrer un haut-commissaire !” 378

Notes
351. Les Assemblées Territoriales élues (dénommées également Conseils Généraux — comme en métropole — et plus tard Conseils Territoriaux) ont été créées par un décret du 25 octobre 1946. En Guinée, où il y a deux collèges (nommés sections), on trouve 16 conseillers dans la Ière section (ils représentent 3.000 électeurs français et assimilés) et 24 conseillers dans la 2ème section (qui représentent les Africains).
352. A Nzérékoré un religieux, le père François de la Martinière, qui se présente au titre du 1er collège, est élu, contre une liste Cellier et Koali (chef de canton). Le journal paroissial note : “A Nzérékoré, beaucoup d’Européens sont vexés de ce qu’un Père se présente aux élections, et ne se cachent pas pour manifester leur mécontentement. Mais la Mission a des intérêts capitaux à défendre au sein du Conseil général, ce qu’ils ne veulent pas comprendre.”
353. Journal paroissial de Nzérékoré, avril 1952.
354. Rapport hebdomadaire des services de police, 21 /27 avril 1952
355. Rapport hebdomadaire des services de police, 31 mars/4 avril 1952. On sait que NKVD et MVD sont les noms des services secrets soviétiques dépendant (avant et après la guerre) du ministère de l’intérieur.
356. D’après “L’Année Politique 1953”
357. Paul Tétau, ancien administrateur des Colonies (et chargé au cabinet du ministre des Colonies de suivre — c’est-à-dire d’influencer — les élus africains) était Conseiller territorial de Beyla, mais avait été élu également Conseiller de l’Union française en 1947 ; il sera remplacé dans cette dernière fonction par Raymond Susse, jusqu’aux nouvelles élections à cette Assemblée, qui se tiendront le 10 octobre 1953.
358. A l’origine, il y avait onze candidats ; il n’en reste plus que trois à quelques jours du scrutin. Sékou a bénéficié de l’action intelligente menée par le responsable de la section locale du PDG, Siro Kanté, commis de justice, plus tard maire de Beyla. De plus, par un heureux hasard, l’inspecteur de police envoyé par René Caulier, directeur de la sûreté de Guinée, pour recueillir des informations sur l’état d’esprit de la population avant le scrutin, est un jeune policier dont le père a été le maître d’école de Sékou à Faranah ; au cours d’un rendez-vous nocturne et discret organisé par Siro Kanté, ce policier informe Sékou de tous les éléments et instructions qu’il a reçus, lui montre des documents administratifs détaillés et lui explique qu’il est impératif que Mamba Sano se maintienne, car en cas de retrait, ses électeurs se porteraient plutôt sur son rival Camara Dougoutigui. Tous les amis de Sékou s’efforceront donc discrètement au cours des derniers jours d’encourager Mamba Sano à se maintenir. L’administrateur de Beyla était à l’époque Yves Person (le futur biographe de Samory). (une partie de ces informations a été fournie à l’auteur par Siro Kanté lui-même, lors d’une rencontre à Conakry le 4 mai 2003, au domicile de Nounkoumba, la soeur puînée de Sékou Touré. Siro Kanté est considéré comme le “Doyen du PDG”, ce qui englobe aujourd’hui à la fois l’ancienne formation politique fondée en 1947 et le nouveau parti PDG-RDA, fondé dans le souci de la continuité avec l’action de Sékou Touré, et qui dispose d’une demi-douzaine d’élus à l’Assemblée nationale guinéenne).
359. Le cercle de Beyla a depuis peu un nouvel administrateur, récemment sorti de l’École nationale de la France d’Outre-mer, Gaston Boyer, qui aura de bons rapports avec Sékou Touré, d’autant qu’ils ont le même âge, ce qui facilite les relations. Boyer sera ensuite, en 1956-58, administrateur du cercle de Gaoual et s’efforcera d’y contrarier les menées locales du PDG, dont il désapprouvait les méthodes. Les deux hommes se retrouvent en août 1958, lorsque Boyer sera pendant quelques semaines conseiller technique au cabinet de Sékou Touré, et ensuite, du lendemain du référendum jusqu’en janvier 1959, membre puis chef intérimaire de la Mission française restée à Conakry pour assurer les transferts et le départ de l’administration française. Il sera, avec Nabi Youla, futur ambassadeur de Guinée en France le seul lien jusqu’à l’établissement de relations diplomatiques (conversation téléphonique avec l’auteur, 26 juillet 2004). Voir aussi le témoignage de Gaston Boyer dans “La France d’outre-mer (1930-1960)”, Paris, Karthala, 2004, largement reproduit — avec l’autorisation de son auteur qui en avait enoyé l’esquisse — en annexe au chapitre.
360. Les enfants qui montaient sur cette pierre, affirme la légende, y restaient collés et étaient frappés par la foudre. Les électeurs et électrices de Beyla semblent avoir eu en fin de compte le sentiment que leur nouvel élu ne faisait pas grand chose pour sa circonscription. Revenant en 1962 à Beyla en visite officielle de président de la République, Sékou Touré fut accueilli par une manifestation de femmes hostiles à sa venue. Il fut obligé d’attendre une journée en dehors de la localité et d’y arriver par un chemin détourné, pendant que l’on attirait les manifestants vers une voie fictivement parée de drapeaux et gardée en apparence par des forces de l’ordre (souvenirs racontés à l’auteur par madame Niamoyé Kandé, née à Beyla en 1948, et qui assista — adolescente — à ces manifestations. Entretiens à Paris le 8 avril 2005 et à Montreuil-sous-Bois le 19 avril 2006). Notons que le cercle (future région) de Beyla a eu des administrateurs éminents : Yves Person, Gaston Boyer (que nous retrouverons), et après 1958 et donc nommé par Sékou Touré, Émile Condé, un talentueux écrivain

[Erratum. — André Lewin confond deux différents Emile en un seul. Emile Condé était aide-ingénieur et n’eut pas d’activité littéraire. Par contre, Emile Cissé, instituteur, fut un romancier (FaralakoAssiatou de Septembre …), dramaturge (Et la nuit s’illumine), choréographe (troupes artistiques de Mamou, Labé). Durant leur séjour à Labé ils se marièrent à deux soeurs de Popodara, des petites-filles de Alfa Mamadou Yaya (le 5e du nom, ancien chef du canton). Condé épouse Aissatou Dioumou, l’aînée, Cissé convola avec Jiwun Kale, la cadette. — T.S Bah]

[Emile Condé] fut l’inspirateur du premier orchestre guinéen d’après l’indépendance, le très fameux Bembeya Jazz, créé en 1961 et qui y resta installé jusqu’en 1966 (Bembeya est le nom de la rivière qui traverse la ville).

[Erratum. Le premier orchestre de “l’après l’indépendance” fut le Syli Orchestre National, fondé en 1959 sous la direction de Balla Onivogui (1938-2009?), diplômé du Conservatoire de Dakar. Les autorités divisèrent le Syli Orchestre en deux formations différentes : (a) Balla et ses Balladins, qui élut domicile au nightclub Jardin de Guinée, (b) Keletigui & ses Tambourinis, domicilié à La Paillotte.
Bembeya Jazz n’arriva sur la scène nationale qu’à partir de 1963-64. — T.S. Bah]

Émile Condé, devenu par la suite ministre, fut impliqué dans les “Complots de la 5ème colonne” en 1970 et fut l’une des victimes du Camp Boiro.

[Annotation. Sékou Touré fit fusiller les deux Emiles pour régler de vieux comptes politiques et pour assouvir sa vengeance sanguinaire. Les deux victimes avaient publiquement pris position contre la boulimie du pouvoir manifestée par Sékou Touré à travers le cumul de nombreuses fonctions. Ainsi, en 1957, Emile Cissé faisait partie de l’aile gauche du PDG, notamment active à Mamou, Pita et Labé. Ces cadres reprochaient à Sékou Touré de nombreuses déviations de la ligne du parti. Voir notamment l’étude de R.W. Jonston sur la sous-section de Mamou. Pis, comme l’indique Lt.-colonel Kaba 41 Camara, Emile Cissé crut que Sékou Touré l’appuierait face à son demi-frère, Ismael, et les autres clans Malinké du régime : Lansana Diané, Siaka Touré, Moussa Diakité, Toumany Sangaré, Mamadi Keita, etc. Ce fut une funeste erreur de calcul. Ses adversaires au sein du sérail présidentiel, formèrent une alliance décisive, qui entraîna la perte d’Emile Cissé. Sékou Touré le laissa mourir de faim et de soif au Camp Boiro. Mais, ce faisant, Emile Cissé expiait ici-bas d’innombrables forfaitures commises au nom de son “Papa” Sékou Touré et pour son propre gain.
Quant à Emile Condé, il est vrai que Lt.-colonel Kaba 41 réduit son exécution primairement à histoire de femmes. En effet, il rapporte ce passage :

A l’interrogatoire, Ismaël devait nous le dire et le cracher au visage de Condé Emile menotté :
— Dans toute la Guinée, tu n’as trouvé pour épouse qu’une femme Peule ? Tous ceux qui ont épousé des femmes Peules le regretteront amèrement ici. »

En réalité, pour Sékou Touré, Emile Condé était un mort en sursis depuis le séminaire politique de Foulaya (Kindia), en décembre 1962. Emile Condé fut l’un des vétérans du PDG qui confrontèrent Sékou Touré sur des points cruciaux de l’ordre du jour de cette instance du PDG, notamment au sujet de l’élection de nouveaux membres du BPN et de la séparation de la fonction de président de la république de celle de secrétaire général du parti. Une majorité simple du leadership se dégagea en faveur de Saifoulaye Diallo pour diriger le parti, laissant à Sékou Touré les responsabilités de chef d’Etat. On peut notamment lire Ibrahima Baba Kaké sur ce point.
Toutefois, à Kindia Saifoulaye Diallo se désista en faveur de son “ami”, croyant pouvoir continuer à exercer la puisante charge de secrétaire politique…
Mais, jaloux de la popularité de Saifoulaye, Sékou Touré supprima le secrétariat politique du BPN dès janvier 1963. Pis, il dégomma Saifoulaye de la présidence de l’Assemblée nationale en le nommant ministre d’Etat…
Quelque 8 ans plus tard, Sékou Touré n’avait évidemment pas oublié sa défaite de Foulaya. Profitant de la vaste purge consécutive à l’attaque du 22 novembre 1970, il fit assassiner les deux Emile, respectivement en 1971 (Condé) et en 1972 (Cissé). Leur crime avait été d’avoir, à un moment donné, librement pensé et pris position dans un parti soi-disant démocratique. — T.S. Bah]

361. La Fédération Bananière et Fruitière de la Guinée Française, qui regroupe les principaux planteurs européens, africains et libanais de bananes, d’ananas, d’agrumes et d’autres fruits divers, a son siège à Conakry, mais aussi un bureau à Paris, 123 rue de Lille.
362. Il est évident que par ses origines comme par son passé, Sékou Touré détonne au sein de cette Assemblée. Il est intéressant de savoir quelle est à l’époque la composition sociologique des assemblées territoriales des deux fédérations d’AOF et d’AEF (chiffres cités par J C. Froelich, directeur des études du CHEAM, dans une conférence prononcée au CMISOM le 26 mai 1959 sur “Psychologie des leaders africains”, d’après “un document établi par un étudiant de l’École des sciences politiques sur les assemblées territoriales”).
363. Sékou ne précise pas qu’il fume lui-même abondamment, et qu’il fumera jusqu’à son dernier jour, ou presque, des cigarettes guinéennes assez fortes (de marque Nimba).
364. Il s’est tenu à Labé, du 11 au 15 août 1953, un Congrès du personnel enseignant de la Guinée française, qui a beaucoup insisté sur ce point.
365. Il sera donné suite à ce souhait, et c’est lui-même qui sera élu à ce poste ! Ne glosons pas sur le fait qu’il se soit spécialement intéressé à un collège de jeunes filles, mais retenons le fait que c’est dans cet établissement que sa future épouse, Andrée Touré, fut scolarisée pendant quelques années et obtint le Brevet.
366. Vingt cinq ans plus tard, alors que la Guinée était devenue indépendante et que l’auteur y était ambassadeur de France, l’agronome Serge Vemiau, l’un des jeunes coopérants français envoyés au centre de recherches sur la quinine et à l’usine d’extraction d’écorces de quinquina de Sérédou en Guinée forestière, fut très étonné et traumatisé… par l’emploi qu’on lui demandait de faire de la main d’oeuvre pénitentiaire !
367. Ce titre a succédé en 1940 à “La Presse de la Chambre de Commerce”, et a été repris par l’Administration. Sékou Touré, comme d’autres conseillers territoriaux, est surtout sensible au sort de Julien Maigret, à la fois directeur de ce journal et chef du service de l’information ; arrivé en Guinée en 1949, Maigret était marié à un Peule ; il s’agit (probablement) de l’auteur du livre “Tam-Tam”, publié en 1927, et compagnon de la Croisière Noire de Citroën à travers l’Afrique en 1924-25. Le déficit annuel du journal étant de 2 millions de francs, Sékou Touré propose qu’on les donne à monsieur Maigret, avec la possibilité de faire un nouveau journal portant le même titre, mais entièrement privé… et donc plus intéressant.
368. Au passage, il nous apprend qu’il a participé en 1948 à une réunion de la Chambre de commerce de Bordeaux qui traitait de la location de bateaux, à laquelle les petits commerçants et planteurs guinéens étaient opposés (il ne dit pas pourquoi). Rappelons ici que le président de l’Assemblée territoriale Éric Allégret est également président de la Fédération bananière de fruitière de la Guinée Française. Ce sont aussi les années où l’écrivain Alain Robbe-Grillet, de l’Académie française, ingénieur agronome de formation, travaille à Kindia à l’Institut des Fruits et Agrumes Coloniaux (IFAC, créé en 1942, devenu IFAT dans les années 1960 lorsque le terme “Coloniaux” a été remplacé par “Tropicaux”, et transformé en 1975 en Institut de recherches sur les fruits et agrumes Irfa). Le futur écrivain se spécialise… dans la culture, le conditionnement et le transport de la banane, et supervise en particulier les 5 bananiers qui quittent chaque semaine les ports de Benty et de Boffa pour la France (plusieurs entretiens avec l’auteur dans les années 2000 et suivantes, à Paris et à Saumur).
369. Les parties intéressantes des interventions les plus significatives figurent en annexe.
370. La seule allusion que fait publiquement Sékou Touré à ce décès, c’est lorsque au cours de la séance du 15 avril il évoque une réunion de commission à laquelle il assisté le lundi 12, à laquelle Yacine Diallo a participé, et dont il n’existe pas de compte-rendu… “La réunion s’est tenue le lundi dans l’après-midi, le mardi nous avons eu à regretter la disparution de monsieur le Député Yacine Diallo.”
Y a-t-il eu un nouvel échange virulent entre les deux hommes? La sténographe des débats Raymonde Léoz, qui a assisté à toutes ces séances, estime que même les propos les plus vifs ne dépassaient pas un certain niveau, et que des débats même tumultueux n’avaient probablement pas provoqué — du moins directement — le décès du député (conversation téléphonique avec l’auteur, 28 mars 2006).

[Annotation. Ci-dessus sont exposées une opinion d’André Lewin et les réminiscences tardives et confuses d’un témoin d’époque. A mon avis, elles sont subjectives. Il leur manque notamment la preuve — et peut-être la validité — d’un certificat de décès, d’une autopsie et du rapport d’un médecin-légiste. D’où la rumeur publique et l’accusation persistante — mais non prouvées — que Sékou Touré et Mafory Bangoura empoisonnèrent Yacine Diallo… — T.S. Bah]

371. Eh oui, il s’agit bien du futur ambassadeur de Guinée en France, puis en Allemagne fédérale. Le film s’appellera finalement “La plus belle des vies”. Voir également l’article de Frédéric Delmeule, “Remarques sur le financement du film colonial en France : l’exemple de La plus belle des vies (Revue, 1895, n° 15, décembre 1993).
372. Ces décisions datent par conséquent de 1954 et ont été prises pour des raisons économiques et techniques, et ne datent donc pas de 1958 avec des motivations politiques pour “punir” la Guinée de son vote au référendum, comme la quasi-totalité des observateurs — et l’auteur avec eux — l’ont cru depuis cette époque.
373. Il n’en est que plus paradoxal de constater que jusqu’à la période actuelle, la Guinée, qui pourrait être une grosse productrice et forte exportatrice d’un riz d’excellente qualité, dépend largement du riz importé, et que pendant la 1ère République, sous Sékou Touré, au moins Conakry et les principaux centres urbains dépendaient largement de l’aide alimentaire américaine, notamment en riz.
374. Témoignage de Raymonde Léoz, arrivée en Guinée à la fin de 1949 au secrétariat du gouverneur Roland Pré, puis en 1953-54 auprès de l’Assemblée territoriale (comme sténographe des débats), puis de nouveau auprès des gouverneurs Bonfils, Ramadier et Mauberna jusqu’à l’indépendance en 1958 (plusieurs conversations téléphoniques et rencontres à Paris avec l’auteur entre 2002 et 2006, et lettre non datée écrite en 2002). C’est elle qui tapa à la machine le premier contrat signé entre Pechiney et la Guinée, projet apporté au gouverneur Roland Pré par Jacques Marchandise, l’un des directeurs et futur président de Pechiney. Madame Léoz retourna en France et fut pendant 25 ans la collaboratrice de Robert Vergnaud, directeur général d’Air Inter, qui avait été le directeur de cabinet de Robert Buron, ministre de la France d’Outre-mer. Le reste de ce témoignage écrit figure en annexe.
375. Jean-Marie Cadoré (déjà cité), lettre à l’auteur (20 septembre 1986).
376. L’expression est d’Alpha Condé, in Guinée : Albanie d’Afrique ou néo-colonie américaine. Paris, Ed. Gît-le-Coeur, 1972.

[Erratum. En fait, Alpha Condé n’emploie pas ce terme, cela sur la base d’une recherche exécutée sur la version électronique du document que j’ai publiée. Ironiquement, l’expression “créature” s’applique bien, à son tour, au président Alpha Condé, considéré par de nombreux observateurs comme un pion de Bernard Kouchner, ministre français des affaires étrangères (2007-2010). — T.S. Bah]

377. Celui-ci sera muté peu après et deviendra responsable de la sûreté des chemins de fer. Il sera remplacé par Heude, puis par Paul Humbert, un Français d’origine vietnamienne, que Sékou Touré choisira comme directeur de cabinet lorsqu’il deviendra vice-président (puis président) du Conseil de gouvernement tncnt en 1957-58, qu’il gardera quelque temps comme chef de cabinet après l’indépendance, et qu’en avril 1959 il mettra à la disposition de son collègue et ami malien, Modibo Keita comme conseiller technique.
378. Conversation avec l’auteur (mars 1988). Quelques personnes avancent une explication homosexuelle à la fascination que la personnalité de Sékou Touré semble avoir exercée sur Bernard Cornut-Gentille.

L’ancien président du Conseil du Sénégal Mamadou Dia, interrogé à propos des rumeurs d’homosexualité concernant l’ancien haut-commissaire, répond : “ce n’était pas un secret, tout Dakar en parlait, le Palais était plein de la rumeur, mais on l’expliquait en disant qu’il était un intellectuel ! Et qu’il s’était entouré d’intellectuels.” Son épouse précise : “En Afrique, on sent tout de suite ces choses là !” (conversation avec l’auteur, Paris, 23 février 1999). Dans le même esprit, Koumandian Keita, le leader du BAG, affinne que Cornut-Gentille “avait des sentiments pour Sékou” (son témoignage à Valéry Gaillard pour le film “Le Jour où la Guinée a dit non” (déjà cité). Pierre Messmer, ancien Premier ministre, qui fut l’un de ses successeurs comme haut-commissaire à Dakar, le qualifiait de “Coco Bel-Oeil” (conversation avec l’auteur. Chantilly. 13 juin 2004). Enfin, sans vouloir faire une fixation sur cette question, l’auteur note que Bernard Cornut-Gentille a été nommé haut-commissaire à Dakar en septembre 1951, moins d’un mois après que Louis Jacquinot — dont la réputation sur ce plan était de notoriété publique — fut devenu ministre de la France d’Outre-mer. C’est également à la suite de ce séjour de BCG à Conakry qu’Yvon Bourges aurait amené Sékou Touré à se rapprocher — temporairement — de la franc-maçonnerie, en lui faisant valoir que cela pourrait être utile à sa carrière (témoignage téléphonique à l’auteur de Maître Guy Fleury, ancien avocat à Conakry, 9 mars 2009).

[Note. Ce passage répète des informations contenues dans le chapitre précédent. — T.S. Bah]

Fonction / profession / métier Pourcentage (%)
Fonctionnaires 27,5
Enseignants 22
Médecins 14
Commerçants 13,7
Chefs traditionnels 6,5
Juristes-avocats 5
Planteurs 3,3
Syndicalistes -1

Parmi les élus africains de l’Assemblée territoriale de Guinée, 12 sur 16 seraient des notables traditionnels. Ceci explique, tout autant que l’idéologie, la volonté affichée par le PDG de supprimer la chefferie dès que ce parti aura à la fois le pouvoir (grâce à la Loi-cadre Defferre) et la majorité dans l’Assemblée élue en 1957.