André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L’Harmattan. 2010. Volume I. 236 pages


Chapitre 38. — 27 Octobre 1959
Sékou Touré est reçu par le président Eisenhower
et le 1er novembre visite Disneyland avec le futur président Kennedy

Pour beaucoup d’observateurs — surtout français — hostiles à sa personne et à son régime, Sékou Touré était — et depuis longtemps — le fourrier du communisme en Afrique 177, et avait permis, après l’indépendance de la Guinée, à l’Union soviétique et aux pays de l’Est de s’implanter fortement dans la région.
Pour le général de Gaulle, au contraire, Sékou Touré était manoeuvré — peut-être inconsciemment — par les Américains, sans doute même avant l’indépendance guinéenne 178
L’ancien ministre des affaires étrangères de de Gaulle, Maurice Couve de Murville déclarera au lendemain de la mort, dans une clinique américaine, du leader guinéen : “Vingt-six ans (après le “non” à de Gaulle), le temps a fait son oeuvre. Sékou Touré n’est pas mort à Moscou, mais aux États-Unis où il était venu pour se faire soigner après avoir, il y a déjà longtemps, rétabli avec la France des relations normales.”
Et si l’on s’en tient aux seuls faits, il n’y a pas de doute : Sékou Touré s’est rendu cinq fois aux États-Unis (sans compter son ultime voyage médical qui se termina par son décès) en 1959, 1960 et 1962, puis après une longue éclipse en 1979 et 1982, a été reçu par quatre présidents à la Maison Blanche (Eisenhower, Kennedy, Carter et Reagan), a rencontré deux vice-présidents (Nixon et Bush père) et s’est déplacé dans plusieurs régions du pays.

En 1982, il a personnellement participé à un séminaire organisé à New York par David Rockefeller, avec qui il s’était lié d’amitié et qu’il avait reçu avec beaucoup d’honneurs en Guinée.

Les quelques crises entre Washington et Conakry se sont assez vite résorbées, les tirades contre l’impérialisme américain sonnaient comme des slogans de routine, et le rôle prêté à la CIA dans le “complot permanent” contre la Révolution guinéenne a toujours été considéré comme marginal à côté de celui des services français. Finalement, si l’on en reste aux statistiques, les États-Unis sont non seulement le pays occidental qu’il a le plus souvent visité 179, mais ils se situent au 13ème rang, après sept pays africains, quatre pays du Moyen-Orient, et la Yougoslavie, seul pays communiste — mais dissident et non-aligné — où il a fait six voyages. Avec cinq voyages, les USA se situent au même rang que la Côte-d’Ivoire, l’Éthiopie, l’Inde et la Libye. Il ne s’est rendu que quatre fois en Union soviétique et en Roumanie, deux fois en Bulgarie, à Cuba, en Chine et en Corée du Nord, une fois en Mongolie extérieure, en République démocratique allemande (Allemagne de l’Est), en Hongrie et en Tchécoslovaquie 180

Dès l’indépendance, le 2 octobre, Sékou Touré envoie un télégramme au président Eisenhower et exprime le souhait de voir Washington reconnaître la Guinée ; il envoie un nouveau télégramme le 13 ; Hervé Alphand, ambassadeur de France aux États-Unis, en informe Paris le 15. Washington voudrait se déterminer vite, pour ne pas être pris de vitesse par d’autres pays occidentaux (Royaume-Uni, Allemagne fédérale), ni surtout par l’Union soviétique et les pays communistes; de son côté, William Tubman, président du Liberia et fidèle allié des Américains, insiste pour qu’une reconnaissance intervienne très vite, dans l’intérêt même des intérêts occidentaux. Le consul général des États-Unis à Dakar, Donald Dumont, se rend à Conakry à la mi-octobre et précise à Sékou Touré que la réponse courtoise d’Eisenhower en forme d’accusé de réception ne valait pas reconnaissance officielle (mais Paris s’en agace quand même, car on ne savait pas que le président américain avait répondu à Sékou Touré). Sans doute pour rassurer Washington, Sékou Touré déclare alors à un journaliste américain : I have never been North or East of Brussels. (New York Times du 19 octobre 1958) (“Je n’ai jamais été au Nord ou à l’Est de Bruxelles”, ce qui est manifestement faux, si l’on songe notamment à ses déplacements à Vienne et à Varsovie pour le Conseil mondial de la Paix).
Parallèlement, il répond au journaliste suisse Peter Sager, membre de l’OstInstitut de Berne : “Je n’ai jamais séjourné ni en URSS, ni en Tchécoslovaquie.” (interview parue le 13 juillet 1960), ce qui n’est pas exact non plus, puisqu’en novembre 1950, il s’est rendu à Prague, sans y “séjourner” longtemps, il est vrai).
Le 22 octobre, le Département d’État tente une formule qui selon lui permettrait à la fois de satisfaire Conakry et Paris : on dissocierait la reconnaissance de jure de la Guinée, qui pourrait intervenir rapidement, de son admission à l’ONU, qui pourrait attendre. Paris réagit immédiatement et négativement : que les “pays amis” de la France reconnaissent à la rigueur le “fait accompli” (comme Paris l’a fait de son côté) mais sans procéder à une reconnaissance formelle, et encore moins à l’envoi d’un représentant officiel sur place.
Le 24 octobre, Joseph C. Satterthwaite, secrétaire d’État adjoint aux affaires africaines, indique à l’ambassade de France à Washington que les États-Unis n’avaient dans l’immédiat ni l’intention, ni les moyens d’établir des relations diplomatiques directes avec la Guinée, mais que le consul général américain à Dakar pourrait être à plus ou moins brève échéance investi des fonctions de chargé d’affaires en Guinée ; le diplomate français répond que cette mesure allait déjà au delà de ce que préconisait Paris et qu’il semblait préférable que M. Donald Dumont ait des contacts “épisodiques” avec Conakry sans porter aucun titre officiel.
Mais le 1er novembre, le président Eisenhower envoie un télégramme à Sékou Touré, qui va bien au-delà du simple accusé de réception adressé antérieurement :

“Cher monsieur le Premier Ministre ; me référant aux aimables messages que vous m’avez adressés le 2 octobre et le 13 octobre j’ai le grand plaisir de vous renouveler les voeux très sincères que je formule pour l’avenir de la Guinée et qui vous ont déjà été transmis par notre consul général à Dakar, et de vous faire savoir que le gouvernement des États-Unis reconnaît formellement votre gouvernement.
Sincèrement.
Signé : Dwight Eisenhower”.

Entre temps, Diallo Telli, nommé le 15 octobre ambassadeur extraordinaire par Sékou Touré, est arrivé aux États-Unis fin novembre (il est passé entre-temps au Liberia, au Ghana et au Royaume-Uni), avec comme tâche prioritaire d’obtenir l’admission de la Guinée aux Nations Unies. Il se rend d’emblée à Washington sans même s’arrêter à New York.
L’ambassade de France, sur instructions de Paris, refuse de le voir 181. Le 1er décembre, il est reçu par le sous-secrétaire d’État adjoint, Robert Murphy, puis par Christian Herter, le secrétaire d’État adjoint (le secrétaire d’État John Foster Dulles est absent de la capitale). Conformément au désir de Sékou Touré, Diallo Telli exprime le souhait de voir les États-Unis parrainer la candidature de la Guinée à l’ONU. En fait, cette décision-là n’est pas prise, et même la position américaine sur l’admission fait l’objet de discussions : finalement, l’argument suivant lequel les États-Unis, avec leur forte population noire, ne pouvaient pas voter contre l’admission d’un pays africain, l’emporte : le 8 décembre, Washington informe Paris que les États-Unis voteront au Conseil de sécurité en faveur de l’admission (Paris espérait au moins une abstention). Le 12 décembre, la Guinée deviendra le 82ème pays membre des Nations Unies; la France, qui avait songé à utiliser son droit de veto, s’est finalement abstenue ; les quatorze autres membres du Conseil ont voté pour.
Au cours de ses entretiens au Département d’État, Diallo Telli a laissé entendre qu’il pourrait devenir ambassadeur de Guinée aux États-Unis en même temps que représentant permanent auprès de l’ONU. C’est effectivement ce qui se passe, mais il a fallu qu’il retourne à Conakry afin de convaincre Sékou Touré, dont Ismaël Touré tente d’obtenir que Telli ne soit nommé ni à New York ni à Washington : il souhaite diriger lui-même la délégation guinéenne. Finalement, c’est seulement en avril que Diallo Telli reçoit ses lettres de créances signées de Sékou Touré ; le 16 avril, il les présente à Dag Hammarsjköld à New York et le 27 avril, à Washington au président américain Dwight Eisenhower. Il lui remet en même temps un message personnel de Sékou Touré, qui lui demande de faire preuve de “compréhension” vis-à-vis de la Guinée, car l’indifférence — pour le moins — de la France ne lui permet pas de démarrer le développement du pays et de faire face aux menaces de subversion intérieure et extérieure. Du côté américain, les choses ont été plus vite. L’ambassade américaine à Conakry démarre ses activités en février 1959 avec comme chargé d’affaires Donald Dumont, qui reste également consul général à Dakar. Mais un autre chargé d’affaires, Robert Watland Rinden, arrive quelques jours plus tard pour le relayer à Conakry, et prend ses fonctions le 13 février 182. Peu de temps après, l’ambassade installe ses bureaux dans les bâtiments de l’ancien hôtel Dubot, près du port 183, et ouvre officiellement ses portes le 13 mars.
Des deux côtés, on s’active. Bien qu’il ne soit pas encore officiellement accrédité, Diallo Telli veut aller vite, et en accord avec le chargé d’affaires américain, il s’arrange pour faire inviter Sékou Touré à se rendre à Washington ; Diallo Telli (il est si rapide et habile que certains l’appellent “Diablo Telli”) a même réussi semble-t-il à obtenir pour Sékou Touré une audience auprès d’Eisenhower pour le 6 mars ; mais il ne peut garantir qu’il sera reçu en qualité de chef d’État. A Conakry, le 2 mars, le conseil des ministres annonce que le voyage aux États-Unis est “reporté” et qu’il coïncidera avec une visite à l’ONU à l’automne. Sékou Touré avait également décidé de ne pas se rendre à New York en février-mars pour y participer aux débats de l’Assemblée générale sur le Cameroun, territoire sous tutelle administré par la France, perspective que Paris redoutait par dessus tout 184
Entre temps, la Guinée est quand même présente culturellement à New York, où les Ballets africains de Keita Fodéba donnent une série de 48 représentations qui obtiennent un immense succès 185
Même si quelques organisations puritaines protestent contre la nudité de la poitrine des vendeuses et obtiennent qu’elles soient recouvertes.
En mars puis en avril arrivent au port de Conakry, transportées par des cargo polonais, des équipements militaires et des armes en provenance de Tchécoslovaquie, ce qui, selon nombre d’observateurs, constitue une avancée importante pour les pays communistes. Le 27 avril, le jour même où, à Washington, Diallo Telli présente ses lettres de créance au président D. Eisenhower, Sékou Touré se trouve à Boffa, au cours d’une longue tournée à travers la Guinée en compagnie de Nkrumah. Il y déclare à un journaliste américain qu’il avait écrit au mois de novembre 1958 au président Eisenhower afin de lui demander des armes pour les 2.000 bommes de la jeune armée guinéenne, “bien avant qu’il ne soit question d’en obtenir de pays communistes”. Comme il n’y avait pas encore de représentation diplomatique américaine à Conakry, il avait profité d’un voyage au Liberia pour prier le président Tubman de transmettre ce courrier à Washington. Il n’avait jamais reçu de réponse ; quelque temps après, il avait fait un rappel, qui n’avait pas suscité non plus de réaction. Il précise cependant que “les relations arec les États-Unis sont bonnes, de même qu’elles le sont avec un certain nombre d’autres pays … Mais il y a comme un hiatus dans nos rapports, conditionnés selon moi par du côté américain par les relations franco-américaines … Nous avons le sentiment que nos relations avec les États-Unis dépendent étroitement de l’évolution des relations entre la France et la Guinée. Il y a une sorte de subordination des rapports avec la Guinée.” 186
En mai arrive enfin l’invitation officielle de Washington. Dès le mois de juin, on prépare le voyage. Diallo Telli et Nabi Youla poussent Sékou Touré à faire une escale à Paris sur le chemin de New York et de Washington.
Cette idée ne sera pas retenue : le moment venu, le président quittera Conakry par Ghana Airways pour Accra, d’où il prendra un vol Panam pour Lisbonne et New York (il veut donc éviter Dakar et Paris). A l’escale de Lisbonne, il a prié l’ambassadeur de Guinée en France Nabi Youla (qui n’est pas accrédité au Portugal, pays avec lequel la Guinée n’a évidemment pas de relations à l’époque), de venir apporter des tenues vestimentaires pour son épouse Madame Andrée, afin qu’elle soit “bien habillée et élégante” lors des réceptions officielles à venir ; Sékou Touré lui-même a emporté les costumes qu’il se faisait faire, à l’époque où il était député à l’Assemblée nationale, chez un tailleur des Champs-Élysées 187
Le 16 juin, avant même la signature de tout accord d’aide, 1.500 tonnes de riz américain arrivent à Conakry ; le débarquement se termine le 21 juin. Cette livraison entraîne des commentaires extrêmement élogieux sur les États-Unis et leur politique exemplaire.
Les 23 et 24 juin, le secrétaire d’État adjoint pour les affaires africaines, Satterthwaite, séjourne à Conakry, accompagné de Diallo Telli. Il est évidemment reçu par Sékou Touré. Pendant son passage est signé un accord d’aide alimentaire d’un montant de deux millions de dollars, consistant en 5.000 tonnes de riz et 3.000 tonnes de farine. L’envoi d’une institutrice américaine est également prévue au titre de l’accord. Le 30 juin, c’est l’ambassadeur américain en Guinée qui présente ses lettres de créances à Sékou Touré ; il s’agit de John Howard Morrow, un universitaire noir choisi notamment à cause de sa bonne pratique du français ; titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en littérature française de l’université de Pennsylvanie et de la Sorbonne, il enseigne à l’université (noire) de Caroline du Nord.
Ce n’est pas le premier ambassadeur noir de la diplomatie américaine 188, mais Washington le laisse entendre ; Conakry affecte d’y voir un geste et publie même un communiqué pour s’en féliciter. On n’insiste pas sur le fait que Morrow a un frère qui travaille depuis quelques années comme conseiller dans l’équipe présidentielle de la Maison Blanche 189
Du 14 au 17 septembre se tient à Conakry le 5ème Congrès du PDG, qui confirme la prééminence de ce parti sur tous les services de l’État. Le Département d’État envoie un message de félicitations. Le 26 septembre, le Quai d’Orsay adresse à Washington le télégramme suivant : “Parmi les messages de sympathie qui ont été lus à la tribune du récent Congrès du Parti démocratique guinéen, on a particulièrement remarqué, à côté de ceux qui provenaient des pays du rideau de fer et des partis et organisations communistes de l’Est et de l’Ouest, les voeux adressés par le Département d’État “au nom du gouvernement et du peuple des États-Unis”. Vous pourrez à la prochaine occasion témoigner au Département d’État de la surprise que vous avez éprouvée de voir les États-Unis en pareil voisinage.” 190
Les 23 et 24 septembre, c’est le sous-secrétaire d’État chargé des affaires africaines, Penfield, qui visite la capitale guinéenne, dans le cadre de la préparation du voyage de Sékou. Ce déplacement doit en effet durer deux semaines, ce qui est inhabituellement long pour une visite officielle.
Avant l’arrivée de Sékou Touré à Washington, l’ambassade de France aux États-Unis interroge le département d’État. L’administration américaine affirme ne disposer d’aucune demande précise. Elle n’en étudie pas moins une série de projets possibles : distribution de vivres aux enfants des écoles, construction d’une usine frigorifique, livraison de produits pharmaceutiques, envoi de véhicules (de type Jeep en particulier), offre de bourses à cinq instituteurs, détachement de quatre professeurs d’anglais (ces deux derniers projets ont été inspirés par la décision guinéenne d’étendre dans le pays l’enseignement de la langue anglaise). Le département d’État pense que ces opérations, dont le total ne dépassent guère le demi million de dollars, seront décevants pour Sékou Touré, compte tenu de ce que l’Union soviétique a déjà promis 191. L’ambassade américaine à Conakry laisse entendre que les entretiens porteront aussi sur le Konkouré 192 et sur d’autres vastes projets de développement.
Le gouvernement français se méfie de la visite dont l’échéance approche et, dans un télégramme du 17 octobre, demande à l’ambassadeur de France à Washington de communiquer au Département d’État des “renseignements sur la personnalité du chef de l’État guinéen et sur notre appréciation de la politique qu’il suit.” Il poursuit en précisant : “Nous n’avons pas à approuver ces projets, ni non plus à les condamner. Au cas où le gouvernement des États-Unis paraîtrait au cours des discussions vouloir s’orienter vers une aide plus substantielle, il serait utile de rappeler qu’en ce domaine, nous demandons à être consultés sur l’opportunité d’un tel geste et sur l’étendue de tels crédits.”
Sékou Touré, accompagné notamment par sa femme Andrée Touré, le président de l’Assemblée nationale Saïfoulaye Diallo et son épouse, Keita Fodéba et Louis Lansana Béavogui, arrive aux États-Unis le 26 octobre. Le lendemain, le New York Times publie un éditorial qui doit faire froncer les sourcils à Paris :

Un visiteur venu de Guinée

La visite de Sékou Touré, le Président de la Guinée, amène aux ÉtatsUnis l’un des produits remarquables de cette récolte de jeunes Africains dynamiques qui ont au cours des quelques années passées mené leurs peuples le long de la route difficile qui va du statut colonial à l’indépendance.
Son pays est le seul des territoires français qui, au référendum tenu il y a treize mois, n’a pas voulu de la Communauté. Cette décision, adoptée par un vote massif qui était tout autant un vote de confiance en Sékou Touré qu’un vote pour l’indépendance, a naturellement embarrassé les Français, qui ont de ce fait laissé tomber la Guinée comme une patate chaude. Les liens qui auraient pu être maintenus entre la nouvelle nation et la France ont été brisés ; et les alliés de la France, à sa demande instante, se sont tenus à distance. Le monde Soviétique a saisi l’occasion de cette porte qui leur était ainsi offerte grande ouverte, et sy est engouffré avec des bouquets diplomatiques, avec des missions commerciales et culturelles, avec des armes en cadeau, avec un prêt important à des conditions libérales. Si la Guinée subit maintenant plus d’influence soviétique que nous le voulons, nous devons faire face au fait que la faute est en partie la nôtre.
La Guinée est un État à parti unique, qui n’est pas construit selon les lignes traditionnelles des démocraties Occidentales, mais plutôt selon le modèle politique qui se développe beaucoup en Afrique. Beaucoup de ses leaders sont fortement imprégnés de doctrine marxiste, mais cela ne signifie pas que la Guinée est communiste ou contrôlée par les communistes. Elle s’efforce désespérément de se forger comme un pays indépendant, libre d’obligations du côté de l’Ouest comme de l’Est. Nous espérons que la visite du Président Touré renforcera sa conviction que l’Occident, les États-Unis particulièrement, a beaucoup à offrir à son pays en matière l’aide morale et matérielle. C’est pour nous un visiteur bienvenu tout autant qu’important.

A son arrivée à Washington, où il loge à l’hôtel Mayflower, Sékou Touré est accueilli à l’aéroport par le vice-président Richard Nixon, le chef d’état-major de l’armée américaine, le doyen du corps diplomatique, le secrétaire d’État adjoint pour les affaires africaines, et l’ambassadeur Morrow (Diallo Telli est là lui aussi, bien entendu). Richard Nixon vient ensuite le prendre à son hôtel pour le conduire à la Maison Blanche. Voici le souvenir qu’il garde de cette rencontre : “La Guinée était un pays jouissant d’énormes ressources naturelles, y compris l’or et le diamant. L’homme fort de la Guinée, Sékou Touré, vint en visite officielle à Washington en 1960 (Nixon se trompe d’année, c’était en 1959. Ndla) et je l’accompagnai à cette occasion jusqu’à la Maison-Blanche. C’était un homme chaleureux et charmant. Mais Sékou Touré était aussi un marxiste convaincu, et il avait essayé d’appliquer à la Guinée les principes de son idéologie, avec les résultats qui étaient à prévoir. Ainsi, malgré la richesse de ses ressources naturelles, la Guinée était encore plus mal en point que le Ghana. Mais alors que Nkrumah, comme Sukarno en Indonésie et Nasser en Égypte, était incapable de régler les problèmes auxquels il se trouvait confronté dans son propre pays, il commença à montrer un appétit insatiable pour les aventures extérieures. Il tenta ainsi sans succès d’unir le Ghana et la Guinée.” 193
Le 27 octobre 1959 194, Sékou Touré et le président Eisenhower ont un entretien qui dure près de trois heures ; c’est semble-t-il le général Vernon Walters qui sert d’interprète. Le communiqué commun publié à l’issue de l’entrevue parle de “l’importance croissante du continent africain dans le monde moderne ; ses besoins et ses espoirs devraient sérieusement retenir l’attention du reste du monde et en particulier des grandes puissances”. A la presse, Sékou Touré déclare que cet entretien revêt une grande signification, en raison de son objet qui dépasse les seuls intérêts guinéens ; il se félicite de la récente déclaration d’Eisenhower se prononçant en faveur d’une politique active d’assistance technique, culturelle et économique à tous les peuples des pays sous développés, pour leur permettre d’évoluer dans la liberté vers un avenir meilleur ; il a précisé qu’il s’était entretenu avec Eisenhower d’une politique dynamique et réaliste pour l’évolution de l’Afrique, qui permette dans la liberté de coeur et d’action d’établir les bases d’une coopération entre les États-Unis et les peuples africains ; seul un appui politique peut favoriser l’émancipation des peuples en Afrique, cependant que l’assistance économique des États-Unis pourrait servir à bâtir le monde sur des bases plus solides ; cet entretien, selon lui, aura de grandes conséquences pour l’ensemble de tous peuples africains et de tous les pays sous-développés.
La question de l’aide économique à la Guinée n’a été selon lui évoquée qu’en termes très généraux. “L’aide que nous espérons est plus morale et diplomatique que matérielle”, a-t-il dit à Christian Herter, le secrétaire d’État. Mais Eisenhower a évoqué la négociation ultérieure d’un accord commercial ainsi que d’un accord garantissant les investissements américains en Guinée 195
Le soir, Eisenhower offre un dîner à la Maison Blanche. Sékou Touré, qui pour l’entretien était en costume sombre gris avec de fines rayures, a revêtu un grand boubou rayé bleu clair et porte un calot de fourrure ; Madame Andrée, qui était vêtue d’un manteau blanc et d’une robe claire, a elle aussi mis une tenue guinéenne bleue rayée. La secrétaire particulière de Sékou Touré a été pour l’occasion qualifiée de “secrétaire d’État” afin de lui permettre de participer au dîner. C’est Nixon qui prononce une brève allocution où il souligne que “les États-Unis n’ignorent rien des aspirations du peuple africain”. En réponse, Sékou Touré, qui se présente comme le porte-parole de “l’Afrique tout entière”, dont “les aspirations ne sont pas encore tout à fait comprises”; les États-Unis poursuit Sékou, “doivent adapter leur politique aux conditions qui sont celles de l’Afrique d’aujourd’hui” et pratiquer une politique de “coopération directe“ avec les peuples eux-mêmes, sans passer par l’intermédiaire des “puissances coloniales”.
Le 28 est signé un accord-cadre de coopération culturelle, qui prévoit des échanges de professeurs et de spécialistes, ainsi que 150 bourses de coopération technique. Dans ses discours, Sékou Touré affirme qu’il n’est pas venu demander d’aide financière, mais qu’il est là pour expliquer sa position et établir des contacts pour de futures coopérations : “nous voulons la fraternité, pas la charité”.
Paris s’émeut dès le premier jour de cet accueil chaleureux et du programme substantiel préparé pour le président et sa suite : “L’accueil réservé à M. Sékou Touré par le gouvernement américain revêt un caractère de solennité et de cordialité difficilement compatible avec la position réelle de la Guinée vis-à-vis de l’Occident et de la France en particulier. Une telle réception risque non seulement de donner au Président guinéen une idée disproportionnée de l’importance de son État, mais de lui faire croire que sa politique bénéficie de l’approbation des États-Unis. Vous voudrez bien attirer l’attention du Département d’État sur les conséquences qui peuvent en résulter pour l’attitude des autres États africains et aussi de la communauté”. 196
Avant de quitter la capitale fédérale, Sékou Touré visite le Centre des Syndicats, où l’accueille George Meany, président de l’AFL (American Federation of Labour).
Sékou Touré, qui a demandé à visiter le Sud des États-Unis, se rend ensuite (dans un avion militaire américain mis à sa disposition) à Raleigh, où le gouverneur Luther H. Hodges offre le 28 octobre à l’université de la Caroline du Nord (où enseignait l’ambassadeur Morrow du temps qu’il était universitaire) un dîner auquel sont conviés “des blancs et des gens de couleur”, “événement unique” dans les annales de cet État “sudiste”, selon le directeur d’Afrique du département d’État : y participent neuf personnalités noires et vingt blanches, sans que cela soulève “de protestations publiques contre cet effort interracial”, précise le New York Times du lendemain.
Un diplôme Honoris Causa de l’Université lui est décerné à cette occasion. Après le dîner, et avant de regagner son hôtel, le Carolina Inn (qui accueille ainsi son premier client “de couleur”), Sékou visite le Planétarium Morehead. Le lendemain, il se rend dans la petite ville de Durham, où vit la famille de l’ambassadeur Morrow, où se trouvent Duke University (établissement fréquenté par des blancs) et North Carolina College (fréquenté par des noirs), ainsi qu’une compagnie d’assurances créée par des Noirs. Dans une allocution, il déclare qu’à l’école, il a appris qu’il existait quatre points cardinaux, que par conséquent il ne veut pas choisir entre l’Est et l’Ouest car son pays était du Sud, ni entre l’Occident et le monde communiste, car les Africains sont davantage enclins à diviser le monde entre pays libres et pays colonisés.

Le 30 octobre 1959, Sékou Touré arrive à Chicago, où il est logé à l’hôtel Drake. A l’aéroport, il passe en revue des détachements des trois armes aux côtés de Richard Daley, maire de Chicago, qui offre pour lui un banquet de 300 couverts dans la salle de bal de l’hôtel Sheraton-Blackstone ; une préparation de bananes de Guinée est servie au dessert. Dans sa réponse à l’allocution de Daley, Sékou Touré lance des formules comme :

“Hier, j’étais esclave; aujourd’hui, je suis un homme libre … sur 180 millions d’Africains, 20 seulement sont libres. Bientôt, ils seront tous représentés à l’ONU et constitueront un seul bloc présidé par un seul homme … Mon premier soin après avoir arraché l’indépendance à la France fut de constituer l’union avec le Ghana, de laquelle sortira l’unité totale de l’Afrique … La liberté est contagieuse et les pays esclaves qui m’entourent peu à peu gagneront l’indépendance. Il est de l’intérêt des États-Unis d’avoir des contacts confiants et directs avec les Africains, car ils représentent l’avenir.”

Adlai Stevenson, conseiller juridique de Reynold Aluminium Co., futur ambassadeur américain auprès de l’ONU et candidat (malheureux) du parti démocrate aux élections présidentielles de 1952 et de 1956, prend également la parole à ce banquet. A l’université d’Evanston qu’il visite l’après-midi, Sékou peut discuter avec plusieurs étudiants africains. Le soir, le couple Touré dîne dans la maison des Stevenson à Libertyville.
Le 31 octobre, Sékou Touré et sa délégation se rendent à Los Angeles, où ils sont logés à l’Ambassador Hotel. La municipalité et le World Affairs Council de Los Angeles offrent un dîner en son honneur dans la grande salle de bal de l’hôtel Biltmore. Le lendemain, Paul A. Dodd lui fait visiter l’université de Californie, dont il est vice-chancelier, et donne un déjeuner en son honneur au Bel Air Country Club.
En tout début d’après-midi, le sénateur John Fitzgerald Kennedy, alors au début d’une longue campagne qui se terminera un an plus tard par son élection comme président, vient le chercher à son hôtel. L’auteur ignore qui a pris l’initiative de cette rencontre, très significative pour les deux parties.
Kennedy semble en tous cas avoir entendu parler tout à la fois du souhait de Sékou Touré de le rencontrer 197 et de son désir de visiter Disneyland. Il affrète donc un hélicoptère qui les amène dans ce nouveau parc d’attractions ouvert à Anaheim quatre années auparavant, en 1955. Ils passent ensuite la soirée ensemble. Ce premier contact crée entre les deux hommes une amitié qui ne se départira pas jusqu’à la disparition de Kennedy; les deux hommes se reverront en 1962. Le lendemain 2 novembre, Sékou Touré revient visiter le campus de l’université, puis parcourt les studios de cinéma de la Metro-Goldwyn Meyer.
Ensuite, il s’envole (7 heures 45 minutes de vol) vers Wheeling, en Virginie, où il est l’hôte de la compagnie aluminière Olin-Mathieson, dont il visite le lendemain l’usine de Omal (Ohio).
La fin du séjour américain se passe à New York, où il loge à l’hôtel Waldorf-Astoria. Sékou Touré doit s’adresser le 5 novembre à l’Assemblée générale des Nations Unies (voir le chapitre sur la Guinée et l’ONU). Mais le reste de son programme n’est pas moins chargé.
Le 3 novembre, juste après son arrivée, il participe au Waldorf-Astoria à un dîner organisé par l’American Association of African Culture ; dans son allocution, il dit que le problème atomique est devenu aussi émotionnel parce que la bombe atomique américaine a été employée contre des jaunes, de même que la bombe française est testée au Sahara sur le continent des noirs.
Le 4 novembre dans la matinée, Sékou Touré est l’hôte d’honneur d’une ticker tape parade, où 200.000 personnes (de race noire, mais pas seulement) l’acclament avec curiosité et sympathie depuis Battery Park, face à la statue de la Liberté, jusqu’à la mairie. On s’est aperçu à la dernière minute que les drapeaux mis en place sur le parcours étaient … ceux du Ghana. Résultat : on n’a pas eu le temps de changer les drapeaux sur le parcours, et la voiture où se trouve Sékou Touré n’a pas de drapeau !
Abraham Stark, maire par intérim, offre ensuite un déjeuner en son honneur à l’hôtel Commodore, cependant que madame Stark en fait de même pour madame Andrée à l’hôtel Waldorf-Astoria. Le couple présidentiel se retrouve ensuite pour être conduit par l’assistant spécial du gouverneur de New York, Berent Friele, jusqu’à la 54ème rue, où se trouve le Museum of Primitive Arts, riche notamment d’oeuvres d’art africain ; il y est accueilli par le gouverneur de New York, en même temps président du musée, Nelson A. Rockefeller.
En fin d’après-midi, Sékou Touré s’adresse au Council of Foreign Relations (Harold Pratt House), puis assiste à un dîner qui lui est offert par la Municipalité de New York et l’Institut africain-américain au WaldorfAstoria. Sont invités en son honneur par le maire de la ville Krishna Menon (ministre indien de la défense, mais très souvent présent à l’ONU où il représenta longtemps son pays ; il a été invité à la demande personnelle de Sékou) ; le conseiller — noir américain — du Secrétaire général de l’ONU et prix Nobel de la paix en 1950 Ralph Bunche ; Averell Harriman, ancien gouverneur de New York ; George Meany (président de l’American Federation of Labour AFL) et Adlai Stevenson 198.
Le 5 novembre au matin, Sékou visite quelques sites historiques de la ville, en particulier l’Empire State Building ; sur la terrasse de ce building, d’où l’on contemple un admirable panorama de tout Manhattan, Sékou Touré s’enchante longuement à le regarder à travers les lunettes télescopiques mises à la disposition des touristes.
Comme nous le verrons dans le chapitre sur l’ONU, il rencontre à midi le Secrétaire général des Nations Unies Dag Hammarskjöld, qui offre ensuite un déjeuner en son honneur au foyer du Conseil de sécurité, puis il prononce son intervention devant 1′ Assemblée générale, reçoit les représentants des pays africains et asiatiques, puis tient une conférence de presse. Il se rend ensuite à la Mission pennanente de la Guinée auprès des Nations unies (elle est installée à cette époque 17 East 73ème rue). Le soir, les représentants permanents des pays du groupe afro-asiatique offrent un dîner en son honneur dans le grand salon des délégués.
Le 6 novembre, Sékou Touré visite les studios de radio et de télévision de la NBC à Rockefeller Plaza. Puis il reçoit à son hôtel le président de la société Olin-Mathieson Chemical Corporation, Stanley de Jongh Osborne, qui offre ensuite un déjeuner en son honneur. En fin d’après-midi, c’est le Conseil d’administration de l’International House qui le reçoit dans son auditorium pour une allocution et une réception. Le soir, l’American Committee on Africa et la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP, association nationale pour le progrès des gens de couleur) organisent autour de lui un dîner à l’Hôtel Roosevelt.
Le 7 novembre, Sékou Touré a demandé à visiter Harlem. Il remonte cette partie de la ville en voiture sur la 7ème avenue, de la 110ème à la 145ème rue, et s’arrête dans la grande salle l’Armory du 364ème Régiment, immense salle de 4.000 places, où sont prévues des allocutions. La visite se passe très bien, au point que Sékou souhaitera loger à Harlem lors de son prochain passage en 1960 ; mais il devra y renoncer pour des raisons de sécurité. Seul incident: Joseph Overton, le président de la NAACP, organisation plutôt modérée, a du renoncer sous les huées à prononcer son discours, et doit quitter la salle sous la protection de la police ; les militants très radicaux du Temple of Islam (ou Nation of Islam) d’Eliyah Muhamad ont été plus actifs.
A l’origine, il avait été prévu que le voyage de Sékou Touré se poursuivrait au Canada ; ALCAN (Aluminium Canada), dont une filiale, la Société des Bauxites de Guinée exploite depuis des années le gisement de l’île de Kassa, en face de Conakry, l’avait déjà invité avant l’indépendance, et a renouvelé son invitation 199
Sékou Touré annule ce déplacement — l’auteur n’en connaît pas la raison 200 — et décide de rester un jour de plus à New York ; il ne fera qu’un seul voyage au Canada, en 1982. C’est donc de New York qu’il poursuit son premier grand périple hors d’Afrique, qui le mènera en Grande Bretagne (9-15 novembre) 201, en Allemagne fédérale (15-17 novembre), en Union soviétique (19-26 novembre), en Tchécoslovaquie (27-30 novembre) et au Maroc (1-4 décembre), d’où il retournera directement en Guinée, après avoir annulé une étape attendue en Tunisie. Il n’a pas été prévu qu’il fasse un arrêt à Paris, comme certains l’avaient envisagé ou même souhaité, mais, le 30 novembre, alors que Sékou s’apprête à quitter Prague pour Rabat (ce qui impose pratiquement de traverser l’espace aérien français), une note de Jacques Foccart au Quai d’Orsay prévient que “Je ne pense pas que Sékou Touré à son retour de l’Est fasse escale à Paris. Il faudrait pourtant suivre ses évolutions et envisager cette éventualité.” 202
Du 27 au 29 août 1960, Averell Harriman séjourne à Conakry. Ambassadeur des États-Unis à Moscou puis à Londres tout de suite après la guerre, puis chargé de missions importantes y compris dans le domaine de la sécurité, il est en la circonstance l’envoyé personnel du sénateur John F. Kennedy, toujours en campagne électorale, mais depuis un mois le candidat officiel du parti démocrate. Sékou Touré offre un dîner en son honneur le 28. Dans la perspective de son éventuelle élection, Kennedy a souhaité faire passer un certain nombre de messages sur sa future politique africaine, et recueillir les réactions d’Africains qu’il connaît. Harriman continue sa tournée africaine par Monrovia.
Une mission de l’ICA (International Cooperation Administration) séjourne en Guinée tout le mois de septembre. Le 30 septembre, après ce que le New York Times appelle “douze mois de négociations difficiles”, est signé à Conakry un accord d’assistance économique et technique, mais il n’est pas rendu public à la demande des guinéens. C’est Washington qui l’annoncera le 30 octobre. La Guinée a mis en tête de ses demandes l’apprentissage de l’anglais, et bénéficie pour cela de 150 bourses ; ses autres priorités ont été les petites industries et l’aide alimentaire (ICA vend pour un million de dollars de lait en poudre et autres, à payer en monnaie locale).
Début octobre 1960, Sékou Touré part de nouveau à New York, afin de participer le 10 à l’impmtante session de l’Assemblée générale largement dominée par le début de la crise du Congo ex-belge (voir chapitre spécifique sur ce sujet) et un débat sur la décolonisation (voir le chapitre sur la Guinée et l’ONU). Les débats se prolongent et l’atmosphère se tend ; Sékou Touré prend la parole une deuxième fois le 13. Il n’a pas guère le temps ni l’envie d’aller à Washington revoir Eisenhower, dont le mandat se termine de toute manière dans quelques semaines. Et Kennedy n’aurait guère le loisir de le voir, car il est obligé de s’impliquer totalement dans une campagne électorale acharnée qui se terminera le 8 novembre par une courte victoire sur son adversaire Richard Nixon 203. Aussi quitte-t-il New York, où les Ballets Africains de la République de Guinée (ceux de Keita Fodéba) font leur seconde tournée triomphale (leur agent est Harry Belafonte) 204, pour aller du 14 au 17 octobre passer trois jours à Cuba, où Fidel Castro est en train de consolider son pouvoir.

L’année 1961 est une année de changements de personnes. Diallo Telli est remplacé en juin comme ambassadeur à Washington par Seydou Conté ; en revanche, il revient à la tête de la mission permanente de la Guinée auprès de l’ONU.
Et avec Kennedy, qui a pris ses fonctions en janvier, les États-Unis accordent un intérêt plus marqué à l’Afrique, notamment à la Guinée ; ils changent à la fois leur secrétaire d’État adjoint pour les affaires africaines (Joseph P. Satterthwaite est remplacé en février par Mennen Williams) et leur représentant à Conakry. L’ambassadeur Morrow, qui vient d’y passer près de deux ans, a essuyé les plâtres et n’a pas eu la tâche facile, à un moment où les pays de l’Est accentuaient fortement leur présence. Lors de son audience de départ, Sékou Touré n’a pas été très aimable pour lui : il a exprimé l’espoir que la prochaine fois, ce n’est pas un de leurs nègres que les États-Unis choisiraient pour les représenter en Guinée !

Note. Sékou Touré fit évidemment cette remarque en l’absence de John Morrow. Elle est déplorable de la part d’un chef d’Etat africain. Curieusement il proposa à l’ambassadeur Morrow de s’installer à Conakry en qualité de consultant du président !
Morrow indique que sa mission connut des temps forts, des moments de tension et … des suprises. Telle cette rencontre où des femmes du parti demandèrent au président qui est son nouveau ministre inconnu. Le président leur dit : “Qui ?” Indiquant John Morrow ses interlocutrices répondirent : “ce Peul-là” ! Amusé, il leur dit qu’il s’agissait en fait de l’ambassadeur américain en Guinée. Curieusement, écrivant sept ans après son départ de Guinée, Morrow n’appréciait toujours pas d’être associé aux Foulas, parce qu’ils avaient voté “massivement” Oui en 1958. Il ne lui est pas venu à l’idée que ce fut l’option des 12 autres colonies françaises ! — T.S. Bah

L’ambassadeur William Attwood arrive à Conakry

De fait, à la place de l’universitaire noir peu familiarisé avec la diplomatie et dont la nomination par Eisenhower avait été une “fausse bonne idée”, Kennedy jette son dévolu sur un membre du parti démocrate aux idées assez libérales, William Attwood, un journaliste — il a été rédacteur en chef de Look Magazine205 — qui a fait partie de son équipe, notamment pour lui préparer des discours. Attwood raconte dans son livre de souvenirs qu’un journaliste de ses amis lui avait demandé combien de mauvais discours il avait donnés à Kennedy pour que celui-ci l’envoie dans un trou pareil ; en fait, Attwood s’était vu proposer d’autres postes, dont certains plus prestigieux, mais il les avait refusés pour aller à Conakry, sans doute parce que Kennedy lui avait parlé de Sékou Touré en termes intéressants.
Cependant, à Conakry, l’ambassade américaine est priée en mars de fermer sa bibliothèque publique ; ce n’est pas une mesure qui lui est propre ; elle frappe toutes les ambassades, même — et surtout — celles des pays de l’Est, qui commencent à distribuer trop de matériel de propagande, notamment aux étudiants et aux enseignants. Ceci débouchera en fin d’année sur la mise en cause de l’ambassadeur d’Union soviétique dans le cadre du “complot des enseignants”.
Fin mars, Attwood est reçu par Kennedy en compagnie de quelques autres diplomates ; tous s’accordent à dire que jamais aucun homme politique américain n’avait montré autant d’intérêt pour le continent africain, ni posé des questions aussi intelligentes.
Le 9 avril, William Attwood rencontre pour la première fois Diallo Telli, qu’il devait revoir à maintes reprises par la suite, jusqu’au moment où il sera nommé ambassadeur des États-Unis au Kenya lors de la délicate affaire des mercenaires européens au Congo, en 1964. Attwood ne connaît encore rien d’autre de la Guinée que les propos de Kennedy lui-même et les dossiers du Département d’État ; sa conversation avec Diallo Telli (elle a lieu en français) lui ouvre des perspectives nouvelles et commence à l’éclairer sur les problèmes qui l’attendent. Il trouve les propos de Telli précis et intéressants, mais aussi candides et naïfs. “Soyez franc, et même d’une brutale franchise avec Sékou Touré”, lui conseille Telli, “et souvenez-vous qu’il considère l’éducation comme la priorité essentielle de la Guinée.”

Attwood lui répond que Washington a beaucoup de sympathie pour les problèmes de son pays, mais n’a pas non plus l’intention de l’aider à se transformer en colonie soviétique. Diallo Telli répond avec emphase qu’il est bien du même avis, mais qu’il s’agit de faire comprendre au leader guinéen que les États-Unis sont prêts à sortir du cycle de la guerre froide et qu’ils manifestent de la “compréhension” pour les aspirations de la Guinée.
Au passage, Attwood lui fait part d’une remarque d’Adlai Stevenson, rival malheureux de Kennedy pour l’investiture du parti démocrate à la présidence et maintenant à la tête de la délégation américaine aux Nations Unies ; Stevenson trouve que Telli emploie son remarquable talent d’orateur à attaquer l’impérialisme sur le même ton que les Soviétiques et avec une telle violence que les Américains ont parfois l’impression que Telli les considère comme des sons of a bitch, (ce qui signifie sensiblement la même chose que “salopards”) pires encore que les Russes. Telli se borne à sourire.
Avant de quitter Washington pour Conakry (il y présentera ses lettres de créance le 26 avril 1961), William Attwood voit encore une fois Kennedy seul à seul ; celui-ci lui confirme son intérêt pour l’expérience guinéenne, lui donne quelques instructions précises, mais lui demande également de dire à Sékou Touré que s’il comprenait fort bien sa réaction émotionnelle à la suite de l’assassinat de Lumumba (qui a eu lieu au moment même où Kennedy s’installait à la Maison Blanche), il avait été choqué, en tant que président des États-Unis, lorsqu’il avait reçu le télégramme très virulent que Sékou lui avait alors envoyé.
Du 15 au 18 avril 1961, Mennen Williams, sous-secrétaire d’État américain chargé de l’Afrique, vient en visite en Guinée. Il se rend à Labé et à Fria. Le 17, il a des entretiens avec Sékou Touré.
Les 16 et 17 mai 1961, le beau-frère de Kennedy (il a épousé sa soeur Eunice), Sargent Shriver, nommé directeur deux mois auparavant du Peace Corps que Kennedy vient de créer le 1er mars, séjourne à Conakry pour proposer un programme d’opérations. Sékou formule ses desiderata (il souhaite des volontaires qui enseignent l’anglais dans les zones rurales).
Sargent Shriver reviendra en mai 1963 pour inaugurer une exposition sur les États-Unis. Le 12 octobre 1963, les 24 premiers volontaires du Peace Corps américain arrivent en Guinée pour y enseigner l’anglais. Leur nombre augmentera régulièrement, et ils seront 64 lorsque le 8 novembre 1966, ils seront tous expulsés dans le cadre de la grave crise entre Conakry et Washington (dont nous reparlerons ci-dessous) 206
Le 10 mai 1962, le président Kennedy reçoit à la Maison Blanche une délégation guinéenne conduite par Moussa Diakité, ministre-gouverneur de la Banque de la République de Guinée, et qui comprend Alassane Diop, ministre des PTT, Alpha Abdoulaye Diallo, directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères, Mamadou Bah, directeur du Crédit national et l’ambassadeur Seydou Conté. Au cours de l’entretien, il fut notamment question de l’admission de la Guinée à la Banque mondiale et au FMI, de la situation fmancière et économique de la Guinée, de l’aide (notamment alimentaire), des relations de la Guinée avec la France 207. Kennedy affirme qu’il apprécie la politique guinéenne, et espère qu’elle se tiendra en dehors du conflit Est-Ouest. En conclusion, Kennedy assure la délégation que les États-Unis considèrent la Guinée comme “un grand petit pays” (a big small country). L’entretien se termine par une séance de photos sur la véranda et dans le jardin, où joue la petite Caroline Kennedy 208
Avant de partir en vacances en juillet 1962, l’ambassadeur Attwood a un entretien avec Sékou Touré à propos des problèmes économiques et financiers de la Guinée. Sékou avait cru découvrir dans une prochaine adhésion au FMI le remède à une partie des difficultés de son pays ; malheureusement, les propositions du FMI s’étaient révélées particulièrement décevantes. Le quota de 15 millions de dollars était “ridiculement bas”, sans rapport avec le potentiel économique de la Guinée, d’autant que le Sénégal voisin s’était vu proposer 25 millions et que la Guinée serait traitée comme le Togo, ce qu’il se refusait à admettre. Dans ces conditions, dit Sékou à son interlocuteur. La Guinée a décidé de renoncer à adhérer au FMI. Il s’adressera ailleurs, chez de pays amis. ll demande en particulier si l’aide américaine peut être accrue, tout en critiquant au passage les tracasseries administratives de l’USAID, notamment la longueur et la minutie des questionnaires, qui relèvent de l’“espionnage au grand jour”.
Attwood cherche à lui expliquer les règles du FMI, et en profite au passage pour s’étonner de deux émissions récentes de la radio guinéenne, les 17 et 18 juillet 1962, qui étaient des réquisitoires très violents contre le régime du Vietnam du Sud, allié des États-Unis. Sékou Touré feint une surprise complète et demande une enquête au ministère de l’information (qui compterait, selon les diplomates occidentaux, une “importante faction de sympathisants au bloc communiste.”) 209
A Washington, l’ambassadeur Attwood et le département d’État interviennent auprès de la Banque mondiale et du FMI pour que la candidature de la Guinée soit acceptée 210. En fait, le problème de l’adhésion de la Guinée à ces deux organismes — très fortement influencés par les autorités américaines — mettra encore une année à être réglé. La France, d’ailleurs, y contribuera, en aidant Conakry à mobiliser les fonds nécessaires à sa souscription au capital.
Le 27 juillet 1962, Sékou Touré reçoit à Conakry l’écrivain américain noir James Baldwin. A l’automne 1962, New York et les États-Unis accueillent une fois de plus Sékou Touré, qui ne veut pas manquer l’entrée officielle de l’Algérie aux Nations Unies ; ce pays est en effet devenu indépendant le 1er juillet, et son ami Ahmed Ben Bella a l’intention de venir lui-même prendre la parole devant l’Assemblée générale.
Le 6 septembre, alors qu’il se trouve encore à Conakry pour y préparer la session de l’Assemblée générale des Nations Unies, Diallo Telli a un nouvel entretien avec William Attwood ; il lui fait part du souhait de Sékou Touré de rencontrer le président Kennedy, avec lequel il s’est borné depuis son élection à échanger des télégrammes et des communications écrites ; le leader guinéen voudrait en particulier l’informer des difficultés économiques dans lesquelles se débat son pays et lui demander d’accroître son aide, alors que les relations avec la France restent mauvaises (l’embellie due à la fin de la guerre d’Algérie ne dure guère) et que les rapports avec l’Union soviétique se sont dégradés subitement à la suite du “complot des enseignants”, où Conakry a vu la main des soviétiques, ce qui entraîna l’expulsion, en décembre 1961, de l’ambassadeur d’URSS.

Telli en profite pour montrer à son homologue Attwood une lettre que lui-même et plusieurs autres délégués africains à New York ont reçue d’un groupe fascisant américain nommé les “Amis du sénateur Ellender”, les traitant sans ambages de “sales nègres, de cannibales, de communistes” ; le sénateur américain Ellender était considéré comme un spécialiste des questions africaines et avait fait plusieurs voyages d’inspection en Afrique ; il s’était à cette occasion rendu en Guinée. Telli demande que le gouvernement américain mette fin à de telles pratiques injurieuses.
Sur un télégramme diplomatique de l’ambassadeur Pons faisant état de ses conversations avec son collègue américain Attwood avant le voyage de Sékou Touré à New York et proposant que l’on fasse connaître au président Kennedy notre point de vue sur les chances de relance des relations franco-guinéennes, de Gaulle annote de sa main : “Au nom et en vertu de quoi M. Pons propose-t-il que la France associe les États-Unis à l’avenir de sa politique en Guinée !” 211

Durant son séjour aux États-Unis, Sékou Touré se rendra effectivement à Washington le 10 octobre ; ses entretiens avec Kennedy montreront la spectaculaire amélioration des relations américano-guinéennes au cours des 18 mois écoulés depuis la prise de fonctions du plus jeune président américain jamais élu (il est né en 1917, donc plus ou moins de la même génération que Sékou). Kennedy, qui a mis à sa disposition un avion officiel américain, vient lui-même accueillir ce dernier à l’aéroport au pied de la passerelle, ensemble, ils écoutent les hymnes nationaux, passent la revue des troupes et prononcent des allocutions. Le président fait à son hôte les honneurs de la partie privée de la Maison Blanche et lui présente son épouse Jackie Kennedy, avec laquelle ils échangent quelques mots en français.
Sékou Touré est toujours en costume sombre (lors de ses rencontres avec les présidents Carter et Reagan, quelque quinze ans plus tard, il sera en grand boubou blanc).
A New York, Sékou Touré décline une invitation à se rendre à Cuba que lui a adressée Fidel Castro en même temps qu’à Ben Bella (ce dernier au contraire s’y rendra). D’ailleurs, au moment de la crise des missiles soviétiques à Cuba (qui a débuté en octobre 1962 et se dénoue progressivement courant novembre), l’interdiction faite par Sékou aux avions militaires soviétiques d’utiliser l’aéroport de Conakry paraît une nouvelle preuve de l’évolution de la Guinée vers un “non-alignement authentique” ; on sait que cela ne durera guère et que la politique intérieure et extérieure du régime ne tardera pas à se radicaliser de nouveau.
Le 28 octobre, Kennedy envoie un message personnel à Sékou Touré, lui rappelant leurs “chaleureuses et amicales discussions au début du mois”, et poursuivant : “Je souhaite vous exprimer directement mon appréciation personnelle, ainsi que celle du peuple américain, pour la position constructive que votre gouvernement a adoptée à l’égard de nos efforts pour mettre fin à une menace soviétique contre notre hémisphère et contre la paix mondiale. Cette position, que votre secrétaire d’État aux affaires étrangères, Diallo Alpha, a exprimée à l’ambassadeur Attwood, montre clairement que la Guinée ne souhaite pas être impliquée dans la crise cubaine en aidant l’Union soviétique dans la mise en place à Cuba d’un potentiel offensif dangereux par l’autorisation qui serait donnée aux soviétiques d’utiliser les aéroports ou l’espace aérien de la République de Guinée pour effectuer des vols vers Cuba. Puisque nous avons eu la possibilité de rétablir de chaleureuses relations personnelles ainsi que nos sentiments de confiance et de compréhension mutuelle, j’ai estimé qu’il était opportun que je fasse part de mes vues sur cette grave crise. John F. Kennedy” 212
Peu après, le 7 novembre 1962, Chester Bowles, un haut responsable américain qui doit prochainement prendre la tête de l’USAID, passe à Conakry dans le cadre d’une tournée en Afrique. Il explique à Sékou Touré les règles de fonctionnement de cet organisme (il a certainement été alerté par Attwood à propos des critiques formulées par le leader guinéen). Mais il expose aussi et surtout à Sékou Touré la position américaine sur Fidel Castro et sur Cuba, et demande à Sékou Touré de continuer à soutenir Washington dans sa demande de démanteler les bases soviétiques sur l’île. Sékou répond qu’il acceptera de plaider le démantèlement des installations soviétiques à Cuba à la condition que les Américains se retirent de Guantanamo. Il rappelle aussi que la révolution cubaine est un problème interne de ce pays, mais que Castro ne devait pas chercher à exporter cette révolution vers d’autres pays, notamment en Amérique latine ; ce sont ces efforts pour exporter la révolution qui rendent le régime cubain suspect ; de même la Guinée avait-elle été suspectée — à tort — par Paris de vouloir étendre son expérience vers d’autres pays d’Afrique qui avaient causé tant d’incompréhension avec la France. Il convient que le président cubain avait, par inexpérience et naïveté, été le jouet des Soviets. Lui même devait à seize années de vie syndicale une connaissance approfondie des méthodes de noyautage des partis communistes ; c’est grâce à elles qu’il avait pu déjouer les tentatives de subversion dont il avait été l’objet de la part des Russes, notamment dans le domaine de l’éducation. Sékou Touré termine en conseillant à Washington de bien séparer son action pour obtenir le démantèlement des bases soviétiques, qui bénéficierait d’un large soutien, d’activités contre le régime cubain lui-même, qui ne seraient pas comprises ni approuvées ; si un modus vivendi pouvait être trouvé entre La Havane et Washington, Fidel Castro pratiquerait plus facilement un réel neutralisme et un véritable non alignement. Chester Bowles quitte Conakry avec une opinion favorable sur l’expérience guinéenne, et estime avoir trouvé en la personne de Sékou Touré un interlocuteur compréhensif 213

En février 1963, Alpha Diallo (surnommé “M’en parler”), directeur de l’information à Conakry et président de l’URTNA (Union des radiotélévisions nationales africaines), se rend à New York (U Thant le reçoit à l’ONU), mais il a également été reçu à Washington par Kennedy. Son propos est d’obtenir de l’aide financière et technique pour le développement des radios africaines. L’ambassade de France à Washington fait son habituel commentaire négatif 214

Erratum. Confusion ici entre deux personnes : Alpha Amadou Diallo “M’en-parler” (vétérinaire, ministre) et Alpha Ibrahima Diallo “Mongo” (instituteur, journaliste, président de l’URTNA) ; voir ma note précédente. — T.S. Bah

Le 6 juillet 1963, William H. Brubeck, conseiller du président Kennedy pour les questions africaines, vient à Conakry pour protester contre l’autorisation donnée par la Guinée d’ouvrir à Conakry une escale sur une ligne Aeroflot desservant Moscou et La Havane. Mais Sékou Touré ne revient pas sur cette décision.
En 1963, l’aide américaine dépasse 30 millions de dollars (USAID pour 11 millions, Peace Corps, Food for Peace, etc.). Ce dernier programme livre 10.000 tonnes de blé, 10.000 tonnes de maïs, 1.900 tonnes d’huile. Sékou Touré dans un discours budgétaire à l’Assemblée en juin 1963 déclare que Kennedy lui a promis récemment 31 millions de dollars et fait un bilan de l’aide américaine que même le chargé d’affaires américain trouve exagéré. Sékou lui répond qu’il a forcé la vérité pour améliorer le moral de ses troupes.
L’année 1963 voit également un changement d’ambassadeurs. Karim Bangoura devient au début de l’année le représentant de la Guinée aux États-Unis, où il restera jusqu’en 1968 ; il a laissé le souvenir d’un des ambassadeurs les plus populaires à Washington 215. Attwood, qui part au Kenya, est remplacé en septembre par James I. Loeb
A l’automne de cette année 1963, un incident en apparence mineur montre que la méfiance des autorités françaises vis-à-vis des relations guinéo-américaines n’a en rien diminué au fil du temps. L’ambassadeur Pons rend compte d’une démarche effectuée auprès de lui par Pierre Sales, directeur du département guinéen de l’USAID, accompagnant le nouvel ambassadeur américain et deux membres de son ambassade. Selon Pons, “ils voulaient harmoniser leur assistance avec la nôtre et favoriser la reprise d’une coopération technique de la France”, marquant ainsi leur “désir d’une étroite collaboration“, et font allusion à des contacts positifs qu’ils auraient eus à Paris 216. Le 28 octobre, le Quai d’Orsay, sous la signature du secrétaire d’État Michel Habib-Deloncle, envoie à l’ambassadeur Pons l’énergique mise au point suivante 217 :
“Contrairement à ce que vous a dit votre collègue américain, il est inexact que des contacts aient été pris par le Département avec l’ambassade des États-Unis au sujet de l’aide à la Guinée. C’est un fonctionnaire, dont le ministère de tutelle n’est pas qualifié pour faire connaître notre politique africaine à des missions diplomatiques étrangères, qui a cru pouvoir prendre sur lui de s’entretenir avec des diplomates américains de nos intentions à l’égard de la Guinée. Il y a lieu de faire preuve de la plus grande circonspection dans vos conversations avec vos collègues américains. L’étroite collaboration qui vous est proposée risquerait de rester unilatérale et de jouer à notre détriment.” 218
A la fin de l’année, la brutale disparition de Kennedy affectera terriblement Sékou Touré ; la Guinée fut d’ailleurs le premier pays au monde à émettre un timbre-poste à l’effigie du Président assassiné. James I. Loeb a bien gardé le souvenir des relations personnelles entre les deux hommes.
“Kennedy, pendant sa campagne pour la présidence en 1959, a rencontré Sékou Touré, président de la Guinée ; ils ont ensemble visité Disneyland et ils sont vite devenus de fidèles amis. Sékou Touré avait désormais ce rapport avec Kennedy, il lui écrivait toujours, il lui écrivait fréquemment et je suis sûr qu’à la Maison Blanche, on disait : “Oh mon Dieu, encore une lettre de Sékou Touré”. Sékou considérait qu’il était le représentant personnel de Kennedy en Afrique et je suis certain qu’il y avait une douzaine d’autres chefs d’État africains qui ressentaient la même chose, ce qui est le but de la diplomatie. Je dois dire que pendant les 23 mois que j’ai passés à représenter Lyndon Johnson (après la mort de Kennedy), pas une seul fois Johnson n’a signé une lettre en réponse à une lettre de Sékou Touré. Il y avait des circonstances comme la crise du Congo (ex-belge) où Sékou n’était pas d’accord avec nous, mais il avait une attitude tout à fait convenable et écrivait des lettres très bien pensées au Président des États-Unis.
C’est mon ami Averell Harriman qui répondait — et j’aime bien Averell Harriman, mais il n’était pas le Président des États-Unis. Et quand un chef d’État écrit à un chef d’État, il attend une réponse du chef de l’État, pas d’Averell Harriman. En toute honnêteté, je pense vraiment que c’était bien plus que le style. Lyndon Johnson ne portait aucun intérêt réel à l’Afrique. Kennedy au contraire l’a fait et il a été compris”. 219
“Pendant toute sa présidence, Kennedy a continué cette politique qui consistait à faire la cour au nationalisme africain. Avant qu’il ne devienne président, l’administration Eisenhower avait déjà considéré comme perdus des pays comme la Guinée, l’Égypte et le Ghana, analysés comme totalement englobés dans l’orbite soviétique. Pourtant, à la fin de 1962, Kwame Nkrumah et Gamal Abdul Nasser estimaient que Kennedy était le seul leader occidental en qui ils pourraient avoir confiance. Et le Guinéen Sékou Touré proclamait Kennedy comme son “meilleur ami dans le monde extérieur” et disait que les Guinéens considéraient maintenant l’Amérique comme leur meilleur ami.
En Algérie, un pays dont Eisenhower avait tenté d’empêcher l’indépendance d’avec la France, Kennedy avait atteint presque une stature de héros populaire par la manière dont il avait soutenu l’autodétermination des Algériens. Ben Bella et le gouvernement algérien ne pouvaient pas s’empêcher d’être éternellement reconnaissants à la position prise en 1957 par le sénateur Kennedy pour appuyer leur cause.
Il ne s’agit pas là de faits isolés, car de telles réussites sont à mettre à son actif à travers tout le continent africain, au grand bénéfice de la politique étrangère des États-Unis. John F. Kennedy considérait l’Afrique comme une arène dans la formidable rivalité de la guerre froide, arène dans laquelle un engagement vigoureux des Américains était essentiel. L’ambassadeur de Kennedy en Guinée a écrit : “Quant à la politique africaine de l’administration Kennedy, le principal changement était que nous avons commencé à parler de l’Afrique aux Africains comme des Américains, et non pas comme les partenaires juniors de la France et de l’Angleterre. Nous sommes devenus aussi moins soupçonneux face au nonalignement.
Du point de vue des Africains, ces changements signifiaient une nouvelle politique. Des rues, des écoles et des parcs à travers toute l’Afrique ont été rebaptisés en l’honneur du Président américain assassiné, et son effigie se retrouva bientôt sur la monnaie et les timbres-poste de plusieurs pays.
Comme l’écrivait encore l’ambassadeur de Kennedy en Guinée : “le Président, comme je l’ai dit, était excellent dans la diplomatie personnelle, et je suis certain que s’il avait eu la chance de se rendre finalement en Afrique, il aurait pu accomplir beaucoup. J’ai découvert cela en revenant en Afrique après sa mort. La légende de Kennedy est très forte et ce qu’il a dit et fait au cours de ces quelques années nous a valu beaucoup de bienveillance pour notre politique. Ainsi il y a beaucoup de personnes au Kenya auxquelles on a donné son nom, bien qu’il ne soit jamais venu au Kenya ; beaucoup de personnes estiment qu’il était le premier leader américain qui n’ait jamais vraiment compris l’Afrique.” 220
La mort du président Kennedy, n’empêche pas la coopération guinéo-américaine de continuer, mais l’esprit a changé. Du 9 au 16 décembre 1963, une délégation comprenant Ismaël Touré, ministre du développement économique, Fodéba Keita, ministre de la défense nationale, Alassane Diop, ministre des communications et de l’information, et bien sûr l’ambassadeur de Guinée à Washington, Karim Bangoura, a des entretiens avec le président Johnson (le 12 décembre), au Département d’État (et notamment le secrétaire d’État Dean Rusk), à l’AID, ainsi qu’à la Banque mondiale. M. Heller, chef du bureau Guinée au Département d’État, pense qu’il faudra attribuer à la Guinée une aide américaine plutôt supérieure à celle des années précédentes, puisqu’en dépit des accords franco-guinéens signés en mai 1963, l’aide française ne semble pas avoir réellement augmenté. L’aide américaine se sera montée en 1963 à environ 30 millions de dollars, mais jusqu’en décembre, 11 millions seulement ont été dépensés par les autorités de Conakry (il est vrai que l’année budgétaire américaine n’est pas l’année calendaire). L’accent sera mis désormais (en partie pour des raisons linguistiques) sur les prêts aux projets économiques plutôt que sur l’assistance technique 221
L’année 1964 voit du 15 au 17 novembre la visite de M. Hutchinson, directeur Afrique-Asie de l’USAID. Pendant son séjour, il rencontre Sékou Touré qui offre un déjeuner en son honneur.
Lors d’une réunion ministérielle des non-alignés qui se tient à Belgrade les 14 et 15 mars 1965, une déclaration commune “des 17” sur le Vietnam est adoptée, appelant notamment à la cessation des hostilités. Cuba et le Mali la trouvent trop modérée, mais Sékou Touré accepte d’y faire figurer sa signature. Le 1er avril, cette déclaration est remise au président américain Johnson, ainsi qu’à un certain nombre de responsables des pays occidentaux, communistes ou du Tiers-monde. Ce ne sera pas la seule fois, loin de là, que Sékou Touré condamne la guerre que mènent les Américains au Vietnam jusqu’en 1973.
Deux mois après, en mai, Mennen Williams est de nouveau à Conakry. Il tente d’expliquer à Sékou Touré quelle est la politique américaine au Vietnam. Il revient une seconde fois la même année, cette fois-ci du 6 au 8 octobre; le 7, il se rend avec Sékou Touré à Labé. A Conakry, il inaugure cinq génératrices données au titre de l’aide américaine à la Société nationale d’électricité. Quelques entreprises américaines s’implantent en Guinée : Harvey Aluminium avec une usine d’ustensiles et d’équipements ménagers en aluminium, Mack Trucks avec une chaîne de montage de ses camions.
Sékou Touré inaugure lui-même cette dernière, le 28 septembre 1964, en même temps que l’entreprise de tabac et allumettes construite par les Chinois, l’usine de meubles de Sonfonia installée par les Yougoslaves et l’abattoir de la capitale reconstruit par l’Allemagne fédérale.
De la fin de 1964 et jusqu’à l’été 1965, le navire-hôpital américain Hope est ancré au port de Conakry, reçoit de nombreux malades, procède à des vaccinations et distribue des denrées alimentaires. En décembre 1964 (pendant la visite du ministre de la défense de la République fédérale allemande Kai-Uwe von Hassel), il se produit d’ailleurs un incident : une quantité très importante de lait en poudre dont la Guinée a un besoin urgent pour l’alimentation des nouveau-nés et des jeunes enfants ne peut être débarquée parce que Sékou Touré refuse qu’un médecin américain soit présent pour aider à superviser l’opération.
Quelques mois plus tard, Mennen Williams est de nouveau là. Le secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique, nommé en 1961 par Kennedy, effectue une dernière tournée en Afrique début janvier 1966 (il quittera ses fonctions deux mois plus tard) ; son objectif est toujours d’expliquer la politique de son pays au Vietnam ; il visite le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Éthiopie, le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda, le Nigeria, le Ghana, la Côted’Ivoire, la Guinée, le Sénégal et le Mali.
A-t-il été convaincant ? Rien n’est moins certain. En 1968, Sékou Touré déclare à des journalistes :

“Vous me demandez pourquoi nous avons des relations diplomatiques avec les États-Unis et pourquoi nous bénéficions de leur aide alors que nous condamnons la guerre du Vietnam ? Je vous répondrai ceci : d’abord, nous n’avons jamais caché notre condamnation de la politique américaine au Vietnam, ou à Cuba, ou ailleurs. Si, malgré cela, les Américains veulent continuer à nous aider, nous n’avons pas à avoir mauvaise conscience. D’autre part, si un petit pays comme la Guinée n’a pas de moyens d’intervention dans le conflit, une puissance comme la France pourrait, elle, faire beaucoup plus. Vous nous reprochez de ne prononcer qu’une condamnation verbale de la politique américaine au Vietnam, mais vous, que faites-vous ? Ah ! si la Guinée était à la place de la France au Conseil de sécurité et disposait du droit de veto, vous verriez l’usage que nous saurions en faire”.

Paris estime toujours que Washington soutient fondamentalement Sékou Touré. Le général de Gaulle, du moins, en est convaincu. Les services secrets français abondent dans le même sens. Sékou Touré, agent des États-Unis ? Une note des services de renseignements français de Dakar en date du 6 mai 1966 (de “source généralement bonne”) croit savoir que “le président Sékou Touré aurait envoyé récemment un émissaire personnel à M. Djim Djibril N’Diaye, président du conseil d’administration de la BICIS — Banque Internationale pour le commerce et l’industrie du Sénégal—, à qui le lierait une amitié fort ancienne. L’envoyé du président guinéen aurait eu pour mission, extrêmement confidentielle, de prendre contact par l’intermédiaire de Djim Djibril N’Diaye, avec M. Amadou Sow, directeur de l’USBCI — Union Sénégalaise pour le commerce et l’industrie — afin qu’un compte personnel soit ouvert dans cet établissement bancaire au nom du gouvernement guinéen, ce compte devant être alimenté par un premier versement de 24 millions de francs CFA. C’est à ce compte que seraient à l’avenir virées toutes les sommes versées par les États-Unis au président Sékou Touré“. Un délai inhabituellement long (près d’un an) — mais sans doute pas fortuit — s’écoule entre le départ de Loeb et l’arrivée de son successeur, Robinson Mcllvaine, un diplomate de carrière. Quelques jours à peine après qu’il ait présenté ses lettres de créances éclate l’incident le plus grave qui ait jamais affecté les relations entre Washington et Conakry ; la coopération bilatérale entre les deux pays n’y est pour rien, mais elle en sera durement et durablement touchée. Il s’agit de l’arrestation en octobre 1966 par les nouvelles autorités ghanéennes (Nkrumah a été renversé au début de l’année et séjourne à Conakry d’où sont lancées par l’ancien président et par Sékou Touré de violentes menaces contre le Ghana) d’une délégation ministérielle guinéenne qui avait fait escale à Accra à bord d’un avion de la PANAM. On trouvera le déroulement de cette affaire et son dénouement dans le chapitre 61 consacré à la chute de Nkrumah, ainsi que dans la rubrique nécrologique de l’ambassadeur Mcllvaine, reproduite en annexe.
Les années qui suivent correspondent à une période de repli. Les présidents Johnson, Nixon et Ford ne portent pas trop d’intérêt à l’Afrique. Seuls se poursuivent sans interruption les programmes d’aide alimentaire : distribuées par l’intermédiaire des comités locaux du Parti, les rations contribuent largement à l’alimentation de la capitale ; les fonds de contrepartie servent à financer les dépenses locales de divers projets, y compris dans le domaine minier.
En mai 1967, le secrétaire d’État adjoint américain, Nicholas Katzenbach, effectue une tournée de deux semaines en Afrique. Au cours de sa visite en Guinée, où il se rend également à Labé, il est reçu le 12 mai par Sékou Touré, de manière “courtoise, aimable même”. Les sujets qui pourraient fâcher (Vietnam, expulsion des cadres ecclésiastiques étrangers — parmi lesquels plusieurs pasteurs américains — décidée par Sékou le 1er mai) n’ont pas été discutés ; il a surtout été question de la poursuite de l’aide américaine : les programmes en cours seront menés à leur terme ; les nouveaux seront remplacés, sauf pour l’aide alimentaire, par des projets multilatéraux, formule nouvelle — qui ne sera pas spécifique à la Guinée — qui a déplu à Sékou Touré, qui la considère — bizarrement — comme “néocolonialiste”. Quant au Peace Corps, Sékou Touré n’a pas voulu donner l’impression qu’il regrettait d’en avoir ordonné l’expulsion, mais a reconnu qu’une aide américaine serait nécessaire précisément dans les secteurs où ces volontaires étaient naguère employés. Washington attendra une démarche formelle de la Guinée, et ne fera pas le premier pas. “Le meilleur moyen, actuellement, d’avoir des relations normales avec la Guinée est de ne pas prendre d’initiative, de limiter ses ambitions, et surtout, de laisser au gouvernement de ce pays le rôle du demandeur tout en lui laissant quelque chose à espérer.” 222
Par ailleurs, le 19 septembre 1968, le gouvernement guinéen signe à Washington l’accord sur l’exploitation de la bauxite de Boké-Sangarédi et sur son financement avec la Banque mondiale, l’AID et la société HALCO (une compagnie américaine fondée par les sociétés canadienne ALCAN et américaine ALCOA), Harvey Aluminium (une firme de Californie qui avait entamé les négociations en 1963), le Français Pechiney, la firme allemande VAW et l’italien Montecatini-Edison. Dans le montage financier, la Bank of America est le chef de file d’une série de banques privées américaines, canadiennes et européennes, et en dehors de la Banque mondiale (qui avec un prêt de 64.500.000 dollars à 6,5 % sur 24 ans effectue l’un de ses plus important prêts en Afrique), une série d’organismes publics américains sont également présents, notamment l’EXIM-Bank et l’Agence américaine pour le développement international USAID 223
Washington continue à nommer des ambassadeurs de qualité à Conakry. Parmi eux, Terence Todman (1972-1975), un diplomate de carrière noir originaire des Îles Vierges dans les Caraïbes, qui établit avec Sékou Touré des relations de réelle confiance. Il sera un appui utile pour l’auteur au moment de ses négociations entre Conakry, Bonn et Paris.
Washington a essentiellement trois sujets de préoccupation au cours de ces années :

  • le renforcement de l’implantation militaire soviétique dans le pays
  • les accusations récurrentes impliquant la CIA dans les divers complots réprimés par le régime
  • la situation des droits de l’homme en Guinée

Les liens noués entre l’armée guinéenne et certaines armées de pays communistes (Union soviétique, Allemagne de l’Est), la présence de formateurs cubains pour entraîner la milice populaire guinéenne 224, la fourniture (commencée dès 1959 par la Tchécoslovaquie) de munitions et d’équipements militaires (y compris des avions de chasse et des chars), inquiètent Washington. Dans les années 70, des bâtiments présentés comme d’inoffensifs chalutiers mais visiblement surmontés d’une électronique sophistiquée mouillent presque en permanence dans les eaux guinéennes 225 ; un amiral de la Flotte soviétique est souvent présent à Conakry, mais s’éclipse discrètement hors du pays chaque fois qu’il y a des réceptions ou des manifestations où les militaires étrangers sont conviés ; des avions d’observation Tupolev 95 à long rayon d’action utilisent l’aéroport de Conakry, et peuvent à partir de là quadriller tout l’Atlantique Sud 226 ; la rumeur court avec beaucoup d’insistance (également à Paris, d’ailleurs) selon laquelle les soviétiques auraient installé une base de sous-marins derrière les îles de Loos, juste en face de Conakry (bien que les fonds marins y soient notoirement insuffisants) 227 ; à partir de la Révolution des Oeillets au Portugal et de l’indépendance de l’Angola, des avions cubains (de gros porteurs de construction soviétique marqués de la Cubana de Aviacion) transitent par Conakry pour amener des renforts cubains au régime progressiste d’Agostinho Neto, qui lutte contre les partisans de Jonas Savimbi et ceux de Roberto Holden 228. Les services américains analysent régulièrement cette présence, sans pour autant la surestimer 229
L’impérialisme (parfois qualifié d’américain), les forces de l’OTAN (le Portugal en est membre), et la CIA, font partie des épouvantails utilisés par le régime, vitupérés par le président, voués “à bas” par les militants, et régulièrement cités dans les confessions des personnalités impliquées dans les complots ou les activités contre-révolutionnaires ; le dollar est le plus souvent la monnaie dans laquelle sont versés aux traîtres de la fameuse 5ème Colonne des sommes mirobolantes et totalement invraisemblables pour qui connaît un peu les pratiques budgétaires des services secrets.
Le nom de la CIA est d’ailleurs fréquemment mêlé à celui des services d’autres pays occidentaux : le SDECE français (avec les réseaux Foccart en prime), la PIDE portugaise, les services fédéraux allemands (réseaux Gehlen, ou même survivance des réseaux SS-Nazis !) ou sud-africains. Seuls les services anglais, italiens et belges échappent à l’attention des comités révolutionnaires, probablement parce qu’ils sont moins bien connus.
Si le nom de la CIA apparaît régulièrement dans les dépositions recueillies, par les méthodes que l’on devine, de la bouche de quelques uns des détenus, surtout après le complot des militaires en 1969 et la tentative de débarquement à Conakry de 1970, certains noms émergent de la liste : ce sont ceux de quelques anciens ambassadeurs de Guinée aux États-Unis, suspectés d’autant plus qu’ils ont pu être “au contact” des services américains. Il s’agit des premiers ambassadeurs à Washington (Telli Boubacar Diallo, Karim Bangoura, Fadiala Keita) ainsi que de représentants permanents auprès des Nations Unies (de nouveau Diallo Telli, Achkar Marof). La confession obtenue de Diallo Telli en juillet/août 1976 —après un second interrogatoire plus musclé, le premier n’ayant, selon Sékou Touré, pas donné les résultats escomptés — et diffusée le 22 août, est de ce point de vue un modèle du genre (on en trouvera le texte intégral en annexe du chapitre consacré à l’arrestation de Telli). Tout y est, y compris les premières approches faites directement par Henry Kissinger pour le recruter, à un moment — en 1971 — où ce dernier n’était d’ailleurs pas encore secrétaire d’État !
A ces accusations, la réaction officielle américaine ne s’est pas fait attendre. Dès le 23 août 1976, à Washington, le sous-secrétaire d’État aux Affaires africaines, Talcot Seeley, convoque l’ambassadeur de Guinée aux États-Unis, Habib Bah. Il qualifie les affirmations attribuées à Diallo Telli de mensonges et assure que le gouvernement de Washington n’a rien entrepris contre le régime guinéen ou contre son président. On apprend d’ailleurs qu’une semaine plus tôt, Henry Kissinger, devenu entre temps secrétaire d’État, avait adressé à Sékou Touré un message personnel très cordial, pour lui faire part des efforts américains concernant l’Afrique australe et exprimer son appréciation de la politique de non-alignement menée par la Guinée. L’ambassadeur des États-Unis William Harrop venait également d’annoncer la décision de Washington d’ajouter 10.000 tonnes aux 17.500 tonnes de riz, farine et huile déjà antérieurement accordées pour l’année 1976.
Quelques jours plus tard, un communiqué officiel publié à Washington déclare: “En piégeant le gouvernement de la Guinée et en l’amenant à diffuser des mensonges aussi éclatants, les ennemis de la Guinée ont réussi, même après l’arrestation des comploteurs impliqués, à continuer à empoisonner encore les relations de la Guinée avec des gouvernement amis.”
On voit d’ailleurs mal pourquoi Washington, qui enregistre à cette époque quelques nettes avancées par rapport aux Soviétiques, se montrerait hostile à Sékou Touré. Celui-ci interdit l’utilisation de l’aéroport de Conakry par les Tupolev 95 à long rayon d’action et dotés d’un équipement électronique très puissant, qui pouvaient ainsi surveiller les évolutions de la flotte américaine dans l’Atlantique Sud (ils l’utilisaient depuis cinq ans) ; un peu plus tard, il refuse aux avions cubains de faire escale à Conakry pour acheminer les troupes et équipements militaires de Cuba vers l’Angola (les Cubains seront obligés de passer par Alger); un peu plus tard encore, il en fait de même pour les renforts et fournitures cubains à destination de l’Éthiopie (pourtant déjà dirigée par son ami Mengistu), engagée dans des opérations militaires importantes contre la sécession érythréenne.
L’ambassadeur américain William Harrop affirmera plus tard qu’il a fait “un peu de chantage” sur la fourniture de l’aide alimentaire, mais les Soviétiques, de leur côté, ne se sont pas privés de faire pression en sens inverse. Ainsi, Moscou arrête les livraisons de pétrole brut que faisait régulièrement à Conakry l’un de leurs pétroliers ; Sékou demande aux ÉtatsUnis, — qui acceptent — de détourner vers Conakry un pétrolier américain faisant route vers Monrovia. Moscou marque son dépit en ralentissant l’arrivée de pièces détachées pour les avions d’Air Guinée et en restreignant l’usage du Centre culturel soviétique pour les jeunes étudiants guinéens. En revanche, pour la première fois depuis quinze ans, un bâtiment de l’US Navy fait escale à Conakry en juin-juillet 1976 : c’est le Capodanno, un porte-hélicoptères équipé de missiles ; ce navire venu à l’occasion des manifestations organisées par l’ambassade pour le Bicentenaire des ÉtatsUnis, reste quatre jours à quai ; il y a de multiples visites et réceptions à bord ; mais y assistent seulement deux ministres et relativement peu de guinéens.
En novembre 1977, le chargé d’affaires américain Mainland rappelle à l’occasion d’une exposition agricole américaine que l’aide alimentaire des États-Unis à la Guinée avait été de 11.000 tonnes de riz en 1976, cependant que dans le cadre de la Loi PL 480 Food for Peace, la Guinée avait de 1958 à 1968 reçu 40, 6 millions de dollars d’aide alimentaire (sur une aide totale américaine de 88,2 millions de dollars).
L’un des dossiers difficiles est celui des droits de l’homme, d’autant que le nouveau président américain Jimmy Carter, installé en 1977, s’en fait le champion. Paradoxalement, c’est alors que la situation des droits de l’homme en Guinée commence lentement à s’améliorer, après le dernier soubresaut de l’arrestation de Diallo Telli et la mise en cause collective des Peuls en 1976, que la campagne internationale sur les violations des droits de l’homme prend de l’ampleur. Amnesty International, la Commission internationale des juristes et la Ligue internationale des droits de l’homme multiplient les communiqués ; un rapport très documenté de la Ligue est remis au Secrétaire général de l’ONU ; il comporte notamment la signature de quatre anciens ambassadeurs américains en Guinée 230
De son côté, l’hebdomadaire Jeune Afrique consacre en octobre 1977 un dossier de 24 pages à la Guinée, intitulé Le mythe et les réalités, qui dresse la liste de quinze camps de détenus politiques, recense les victimes des dizaines de purges et de répression de complots, publie des témoignages d’anciens prisonniers, et écrit dans l’éditorial que En petit, donc en concentré, Sékou a fait de la Guinée ce que Staline a fait de l’URSS : sa chose, l’instrument de sa folie
En novembre 1978, le même hebdomadaire fait des révélations sur la mort en détention de Diallo Telli ; c’est un mois avant le voyage en Guinée du président Giscard d’Estaing. Sékou Touré sait que le thème des droits de l’homme sera abordé au cours de cette visite, à laquelle il attache une très grande importance.
L’arrivée au pouvoir à Washington, début 1977, du président Jimmy Carter, qui se veut un champion des droits de l’homme dans le monde, va également jouer un rôle : Sékou Touré sait — et depuis longtemps — que le développement de son pays dépend largement des investissements dans le secteur minier par priorité, mais aussi dans d’autres domaines. L’appui des grands groupes internationaux est pour cela indispensable, en particulier celui des firmes américaines. Il s’apprête à lancer aux États-Unis une campagne de relations publiques pour attirer l’attention sur le potentiel de la Guinée et cultive pour cela son amitié naissante avec David Rockefeller.
Mais il a évidemment besoin d’un rapport renouvelé avec l’exécutif américain. Pour cela, il lui faut faire d’autres voyages aux États-Unis. Il souhaite être reçu par le président Carter comme il l’a été déjà dans le passé par Eisenhower et par Kennedy. Un nouvel ambassadeur, très ouvert et dynamique, “Mike” Oliver Crosby, a été nommé et a pris ses fonctions à Conakry à la fin de l’année 1977. En août 1978, une mission dirigée par Richard Moose, le sous-secrétaire d’État chargé des affaires africaines, séjourne en Guinée. Le 22 novembre 1978, c’est Andrew Young, représentant des États-Unis à l’ONU, qui visite Conakry (en même temps qu’Edgar Faure et le vice-président de la Roumanie). Sékou Touré sait qu’Andrew Young est proche du président Carter ; il donne une soirée en son honneur et lui remet une décoration guinéenne ; Andrew Young y porte calot et costume blanc à la guinéenne, et danse avec Miriam Makeba 231
L’un des cas difficiles à régler est celui de Mgr Raymond-Marie Tchidimbo, détenu au camp Boiro depuis la veille de la fête de Noël 1970. Les diverses négociations engagées directement ou indirectement avec le Vatican n’ont produit aucun résultat, les efforts du président libérien Tolbert ont échoué, la visite en Guinée du président français Giscard d’Estaing n’a pas entraîné la libération pourtant escomptée. Sékou Touré s’est évidemment rendu compte qu’il ne lui serait pas possible de rencontrer un président américain très axé sur la défense des droits de l’homme sans que le sort de Mgr Tchidimbo soit réglé ; d’ailleurs, Tolbert lui a clairement laissé entendre qu’il n’obtiendrait aucune aide américaine sans un geste de sa part ; bien que contrarié, Sékou a compris. La veille de son départ pour les ÉtatsUnis, il signe le décret de libération ; et le lendemain 7 août, veille de l’entrevue entre les deux présidents, Mgr Tchidimbo est libéré. Du coup, la visite de Sékou Touré aux États-Unis, où il ne s’était pas rendu depuis 17 ans et qui dure du 8 au 13 août 1979, se déroule dans d’excellentes conditions. A Washington, le président est logé à Blair House, la résidence des hôtes officiels du Président. Il est accompagné de son épouse et d’une suite nombreuse qui comprend plusieurs ministres et officiels (Ismaël Touré, Moussa Diakité, Damatang Camara, Guy Guichard — chargé de la sécurité—), ainsi que l’ambassadeur Mamadi Lamine Condé.
Au matin du 8 août, Sékou est reçu pendant une heure et demie à la Maison Blanche par Jimmy Carter. Celui-ci déclare qu’il se réjouit vivement “à la perspective de la nouvelle amitié qui se noue entre la Guinée et les États-Unis.” Quant à Sékou Touré, il déclare à la presse à l’issue de l’entretien : “Nous avons procédé à un examen général des problèmes qui préoccupent nos deux gouvernements. Nous avons eu un échange de vues sur l’Afrique australe, plus précisément sur la situation au Zimbabwe-Rhodésie et en Namibie, ainsi que sur les problèmes du Sahara occidental”. Il a ajouté qu’au cours de son voyage, il s’emploierait également à accroître la coopération qui existe déjà entre la Guinée et différentes sociétés privées américaines, “de façon à garantir un développement plus important du vaste potentiel de la Guinée”.
Le même jour, il participe à une séance de travail au Département d’État, où le secrétaire d’État Cyrus Vance a réuni tous les responsables de son administration chargés des questions africaines. Il a également l’occasion de s’entretenir avec Douglas Bennet, nouveau directeur de l’Agence américaine pour le développement international (USAID) ; cette entrevue a porté sur les moyens permettant de s’assurer que l’aide financière américaine soit judicieusement utilisée pour faire face aux besoins du pays.
Le président guinéen s’est également entretenu avec le président de la Banque mondiale, Robert McNamara, qui est venu lui rendre visite à Blair House. A Bethesda, près de Washington, il rencontre des dirigeants de la société Martin-Marietta, qui utilise la bauxite de Guinée pour ses fabrications d’aluminium, et qui est le principal investisseur d’un Consortium international avec la Guinée. En fin d’après-midi, le maire — noir — de Washington, Marion Barry, qui l’avait déjà reçu à déjeuner au River Club (sur les rives du fleuve Potomac), offre en son honneur une réception à Harambee House, un nouvel hôtel de prestige, propriété de noirs américains.
Parmi les invités, Sékou Touré peut saluer (et embrasser) de nombreux artistes noirs, parmi lesquels la chanteuse Ella Fitzgerald. Puis le même soir, le président Sékou Touré se rend à l’Université Howard, qui est toute proche, où il prononce une conférence sur sa conception de l’avenir de l’Afrique.
Le lendemain 9 août, Sékou Touré va à Pittsburgh (Pennsylvanie), où il rencontre au siège d’ALCOA (Aluminium of America) les principaux responsables de cette entreprise minière très présente en Guinée : William Renner, président d’ALCOA, Pedro-Pable Kiczynski, président de HALCO Mining Corporation, Fred Petterolf et Charles Perry. Il visite également le centre de recherches d’ALCOA, et on lui présente une exposition sur les divers usages de l’aluminium.
Le 11 août, il se rend à Los Angeles pour visiter des programmes agricoles et des pêcheries. Au cours d’un dîner offert par le maire de cette ville, M. Thomas Bradley, Sékou Touré déclare que l’opinion que le monde se fait des États-Unis a énormément changé depuis vingt ans ; la révolution sociale qui a eu lieu aux États-Unis revêt “la plus grande importance aux yeux de l’Afrique et des peuples du globe épris de justice. Cette nouvelle image que vous projetez d’une société unie ne peut qu’accroître le prestige de votre pays dans le monde, et plus particulièrement en Afrique… Le prestige des États-Unis ne découle pas de leur force militaire ou économique, mais de leur force morale.” Toujours en Californie, le 12 août, on lui fait visiter des centres de recherches agronomiques dans le Ventura County. Puis, après une escale touristique à Denver (Colorado), il se rend à Imperial, dans l’État du Nebraska, visiter la ferme modèle de Karl Schakel.
Le 14 août, Sékou Touré arrive à New York, où Andrew Young, ambassadeur américain auprès des Nations unies 232, donne un dîner en son honneur. Il assiste ensuite à une soirée artistique au Lycée Harriett Tubman à Harlem.
A partir de là, les relations entre la Guinée et les États-Unis continuent de se développer de manière très positive. Le 9 mai 1981, c’est la signature d’un accord commercial entre les deux pays.
En 1982, Sékou Touré invite David Rockefeller, l’un des hommes d’affaires américains les plus prestigieux et les plus influents, à se rendre en Guinée. Les deux hommes se sont rencontrés une première fois au Liberia, près de vingt années auparavant ; ils se sont revus à Washington en 1979, lors d’un déjeuner organisé par le maire de la capitale américaine. Ils ont sympathisé ; le séjour que David Rockefeller fait en Guinée du 17 au 19 février 1982 est une visite privée, mais qui leur permet de raffermir leurs contacts. Ensemble, les deux hommes se rendent à Boké, Kamsar et Faranah. Dans la capitale, Rockefeller assiste à une manifestation au stade du 28 septembre, et s’adresse même (en français) à la foule des militants.
C’est au cours de leurs entretiens que Rockefeller propose à Sékou de rencontrer, d’un prochain voyage qu’il ferait aux États-Unis, les plus importants hommes d’affaires américains. L’occasion ne tarde pas : en juin s’ouvre aux Nations Unies une session extraordinaire sur le désarmement, à laquelle il souhaite prendre la parole ; Sékou Touré va en profiter pour rendre visite aux nouveaux dirigeants américains à Washington et pour participer à un séminaire organisé par son ami Rockefeller et la Chase Manhattan Bank pour une centaine de représentants de grandes firmes et banques américaines.
Les 27 et 28 juin, il fait une présentation du potentiel guinéen et répond à des questions lors de cette réunion, tenue au 107 ème étage de l’hôtel Vista, qui fait partie du complexe des deux tours jumelles du World Trade Center. Le soir du 27, il se rend dans la propriété personnelle des Rockefeller à Tarrytown et y passe la nuit, après avoir fait dans un cabriolet attelé de chevaux le tour de cette magnifique et luxueuse propriété. “La présente visite essentiellement privée est entourée de plus de considération, de plus de compréhension que les visites d’État ou officielles précédentes. La compréhension ne tombe pas du ciel comme la pluie. C’est parce que des hommes de haute qualité comme mon ami M. Rockefeller y ont contribué que je mentionne son rôle, ma reconnaissance et ma volonté de lui donner raison.”, déclare-t-il au lendemain de ce séjour.
Le 29 juin, il s’adresse à l’Assemblée générale sur le thème du désarmement (comme nous le verrons dans le chapitre sur l’ONU). Le 30 juin, il se rend à Washington où il a un entretien avec le président Reagan et le vice-président William Bush (père) [Erratum. — Le 41è président des Etats-Unis s’appelle George Herbert Walker Bush. — T.S. Bah], ainsi qu’une réunion avec la commission sénatoriale des affaires étrangères (présidée par madame Nancy Kassebaum). Le 1er juillet, Sékou reçoit le directeur général de l’Agence pour le développement international (USAID), prononce une conférence au Centre d’Études Stratégiques et Internationales, fait une conférence de presse, confère avec Alden W. Clausen, président de la Banque mondiale et Jacques de La Rosière, directeur général du Fonds Monétaire international, reçoit le sous-secrétaire d’État aux affaires africaines du Département d’État Chester Crocker. Il rencontre également le groupe des ambassadeurs africains accrédités à Washington. Chester Crocker séjourne en Guinée quelques mois plus tard, du 18 au 23 janvier 1983. Il passe une journée dans la capitale, puis Sékou Touré l’amène avec lui à Faranah, où ils visitent le centre de recyclage des agents forestiers de Tindo, puis à Boké. Quelques mois plus tard, le 4 juin 1983, Marcel Cros, ministre de la coopération internationale, signe un accord d’aide alimentaire avec la chargée d’affaires américaine, Mme Clarke-Bourne ; à ce titre, la Guinée recevra 16.000 tonnes de riz au titre de la loi PL 480.
Il n’y aura plus d’événement marquant dans les relations entre les deux pays avant ce qui sera réellement le “dernier voyage” de Sékou, lorsqu’il sera transporté dans la clinique cardiaque de Cleveland où il mourra au cours d’une opération en mars 1984 (voir le chapitre sur “la mort américaine de Sékou Touré”). C’est le vice-président George Bush (père) qui représente les États-Unis lors des obsèques de Sékou Touré à Conakry.

Notes
177. A l’époque où il était — comme nous l’avons vu — un jeune syndicaliste proche de la CGT et des positions du parti communiste, et où il participait aux réunions du Conseil mondial de la paix, Sékou prenait des positions ouvertement anti-américaines. Ainsi déclarait-il au Congrès de la CGT tenu à Paris en octobre 1948 : “Bientôt, avec le Plan Marshall, les territoires d’Outre-mer deviendront des sous-colonies, la France devenant elle-même une colonie américaine. Ce sera une régression pour nous, qui aspirons à une autonomie relative. Nous ne voulons donc pas devenir des sous-colonies, cela représentant pour nous une forme accrue de notre oppression et de notre étranglement.” Mais quelques années plus tard, lorsqu’il approuve le désapparentement de la RDA d’avec le parti communiste et qu’il se lance dans la création d’un syndicat africain indépendant de la CGT, il bénéficie de fonds importants apportés par les syndicats américains AFLI/CIO, qui sont en cheville avec l’administration américaine ; l’un de leurs leaders, Irving Brown, dont les liens avec la CIA seront ultérieurement dévoilés, devient son ami et sera l’un de ses premiers visiteurs après l’indépendance, en décembre 1958.
178. “Le Général a séjourné jusqu’à ce lundi 11 avril 1966 à Colombey. On lui a envoyé les télégrammes. Le plus important traitait de la politique des États-Unis à l’égard de la Guinée, à laquelle ils ont encore versé des fonds (il s’agit d’un télégramme de Washington du 31 mars 1966, signé de l’ambassadeur Lucet NDLA). Le Général a écrit en marge : “Les Américains ont soutenu Sékou depuis le jour même (et sans doute avant) où il a marqué sa sécession par rapport à la France. C’est là la raison de leur attitude et celle-ci sera poursuivie quoi qu’il arrive.” (Jacques Foccart, Tous les soirs avec de Gaulle, Journal de l’Élysée 1. 1965-1967, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1997). Le général a dû être frappé aussi par la démarche faite à Paris par l’ambassadeur des États-Unis la veille même du référendum, déclarant son inquiétude devant l’évolution possible de la Guinée et disant que “les États-Unis veulent en Guinée précéder l’URSS” si la France devait s’en aller. Il est vrai aussi que les États-Unis et la Banque mondiale avaient investi des fonds importants dans le projet minier d’alumine de Fria, comme ils le feront plus tard dans le projet de bauxite de Boké.
179. Pour être objectif, on ne peut oublier que New York est le siège des Nations Unies, et qu’à chacun de ses voyages aux États-Unis, Sékou Touré a également visité l’ONU, rencontré le secrétaire général et qu’il s’est adressé à l’Assemblée générale lorsque celle-ci était en session. (voir le chapitre consacré à “la Guinée et l’ONU”). En 1960, il est resté à l’ONU plus longtemps que prévu, en raison de la crise congolaise et des débats sur la décolonisation, et ne s’est donc pas déplacé à travers les États-Unis.
180. L’auteur ne revient pas ici sur la rumeur concernant sa formation idéologique et syndicale en Tchécoslovaquie, bien avant l’indépendance. En revanche, il s’est rendu en Pologne dans le cadre du Mouvement pour la paix. Il ne semble pas s’y être rendu après 1958.
181. D’autres mesures mesquines et vexatoires suivront ; ainsi, le Lycée français de New York refusera d’inscrire ses enfants.
182. Fin mars, il se plaindra à ses collègues diplomates américains au Ghana qu’il n’a pratiquement jamais été invité par Sékou Touré, qui n’aurait d’attention que pour les ambassadeurs, considérant les chargés d’affaires comme des diplomates de second rang. (Selon une note de conversation avec M. David Ramin, secrétaire de l’ambassade d’Israël à Accra, établie en mars 1959 par l’ambassade de France au Ghana. Archives Quai d’Orsay, GU-7-4 Israël). L’ambassadeur Morrow n’arrivera à Conakry que fin juin.
183. Elle y restera plus d’un demi-siècle. Après les événements du 11 septembre 2001, les États-Unis décideront de mettre en oeuvre un projet qu’ils avaient déjà envisagé antérieurement, et mettront en chantier une nouvelle ambassade dans le quartier de Kipé, autrefois tout à fait extérieur à la capitale, mais devenu maintenant un quartier résidentiel plus facile à surveiller et à protéger. Le chantier devait être terminé en 2006.
184. “Sékou Touré ne semble pas pressé de se rendre à Washington”, concluent les services français de renseignements (Archives privées Foccart, carton 226, dossier 642).
185. Du 16 février au 28 mars 1959, ils donnent 48 représentations au Théâtre Martin Beek et au Théâtre Lunt-Fontanne l’un et l’autre à Broadway. Le régisseur est Coca Camara, le chorégraphe est Marof Achkar, qui deviendra conseiller culturel auprès de l’ambassade de Guinée à Washington et auprès de la délégation à New York. Il sera ambassadeur représentant permanent en 1967, avant d’être rappelé par Sékou Touré en 1968, emprisonné au camp Boiro et exécuté en 1971. Nous le retrouverons dans le chapitre sur la Guinée et l’Onu. Achkar Marof est assisté de Kanté Facelli et de Raphaël Wigbert.
186. Ces informations sont extraites d’un article paru dans le New York Times du 30 avril 1959, rédigé par Thomas F. Brady, envoyé spécial du quotidien en Guinée.
187. Conversation de Nabi Youla avec l’auteur, Paris, 24 mai 2009).
188. Le premier ambassadeur noir nommé par les États-Unis fut Lester Aglar Walton, envoyé en 1935 par Franklin D. Roosevelt au Liberia, où il resta pendant onze années, jusqu’au lendemain de la guerre. Monrovia fut d’ailleurs longtemps appelée the negro post. En 1943, Roosevelt passa deux jours au Liberia et invita le président Baxter et son successeur déjà désigné, Tubman, à Washington, ce qui montre bien l’importance à cette époque du Liberia, pays d’où il était facile de contrôler l’Atlantique-Sud, qui avait choisi au début de la guerre de rester neutre, et dont la production de caoutchouc naturel (largement assurée par la société américaine Firestone) était primordiale pour l’approvisionnement des Alliés.
189. Après la Guinée, John Morrow représentera son pays auprès de l’UNESCO à Paris et terminera sa carrière comme Professeur et Chef de la chaire des langues étrangères dans une université américaine jusqu’à sa retraite en 1978. Après son départ de Guinée en 1963, il écrira un livre intitulé First American Ambassador to Guinea (éditions Rutgers University Press, 1968). Atteint de la maladie d’Alzheimer, il est décédé le 13 janvier 2000 à Fountain Valley, à l’âge de 89 ans.
190. Télégramme diplomatique de la Direction d’Afrique-Levant n° 10510 du 26 septembre 1959, signé Sébilleau, chargé des affaires d’Afrique et du Moyen-Orient (Archives du Quai d’Orsay, GU-7-445A)
191. Informations communiquées au Quai d’Orsay par le télégramme diplomatique de Washington no 4768/70 du 15 octobre 1959, signé Alphand (Archives de la mission permanente de la France auprès de l’ONU. dossier H3B 2-1).
192. Voir en Annexe la note adressée quelques mois plus tard au sujet du barrage du Konkouré par le général de Gaulle au Premier ministre Michel Debré. Entre temps, Sékou Touré pense avoir obtenu des assurances des soviétiques quant à la réalisation du barrage, ce qui s’avérera inexact.
193. Richard Nixon, Leaders, Plon, 1984
194. Les archives photographiques donnent la date du 26 octobre.
195. Ceux-ci sont à l’époque limités à 49% du capital de la société aluminière FRIA (société Olin-Mathieson) ; un quart de la production d’alumine doit aller vers la zone dollar. C’est en 1960 que la production démarre effectivement.
196. Télégramme diplomatique “Réservé-Secret” du 27 octobre 1959, signé du Secrétaire général Eric de Carbonnel et adressé à l’ambassade de France à Washington sous le numéro 11994/95. (dossier GU-7-4 USA).
197. Sékou Touré a évidemment entendu parler de la position que Kennedy a prise le 2 juillet 1957 au Sénat américain afin de soutenir la lutte des Algériens pour l’autodétermination, et de sa déclaration de 1959 : “Nous ne pouvons plus envisager l’Afrique en termes d’Europe”.
198. Au discours de M. Stark, président du Conseil municipal de New York, Sékou Touré répond, selon le Consul général de France, par “une longue harangue, curieux mélange de tribun Montagnard et d’homélie quarante-hui tarde … où les tendances totalitaires de l’orateur percèrent cependant lorsqu’il mit en garde les Américains contre tout autre Africain ayant une opinion différente de la sienne ; il ne pourrait s’agir là que d’un traître ou d’un homme vendu au colonialisme. Le discours était truffé de tant d’exigences et d’avertissements qu’il a souvent frisé l’impertinence ; il passa cependant, car M. Touré affirma qu’il parlait non pas au nom de la petite Guinée, mais d’un continent tout entier. L’auditoire ne paraît pas avoir un seul instant mis en doute la véracité de cette prétention.” (Dépêche n° 524/ AL du 13 novembre 1959 adressée au Quai d’Orsay par Raymond La porte, Consul général de France à New York. Archives Quai d’Orsay, carton GU-7-4 USA).
199. La première expédition de bauxite depuis Kassa a eu lieu en 1952. Le groupe Alcan est également titulaire d’un permis de recherche dans la région de Sangarédi à 80 km au nord-est de Boké, ville située dans le nord de la Guinée sur l’estuaire du Rio Nunez). Ce gisement apparraissait comme l’un des meilleurs du monde par a capacité et par sa teneur (65% d’oxyde d’aluminium). Le projet de Boké fut élaboré dan les années 1957-1960 par le groupe Alcan avec la collaboration d’une société d’ingénierie française, la Sogei (devenue par la suite Sogeleg). Alcan ayant renoncé à entreprendre seul la réalisation du projet, ce projet fut repris en 1960 par Harvey Aluminium qui, après quelques mois de négociations, signait avec la République de Guinée une convention dont l’objet était la création de la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG), dont ALCAN reste l’un de partenaires.
200. ll n’est pas impossible que des rivalités entre sociétés minières américaine et canadiennes aient joué un rôle.
201. Selon Emile Tompapa (qui l’a affirmé à l’auteur en mai 2003, alors qu’il était président du Conseil guinéen de l’Audiovisuel) [Conseil national de la Communication — T.S. Bah] et qui comme joumaliste accompagnait la délégation présidentielle, l’avion prêté par Eisenhower à Sékou Touré pour quitter les États-Unis aurait été trafiqué (par la CIA ?) et a dû rebrousser chemin alors qu’il e trouvait au-dessus de l’Atlantique. L’auteur n’a trouvé aucune autre source pour corroborer les dires à propo de cet incident, qui au demeurant n’a guère de motivation logique.

Nota bene. Lire la narration complète par l’ambassadeur John H. Morrow de cette visite de Sékou Touré en 1959 aux Etats-Unis. Il faisait partie du voyage aller-retour de la délégation guinéenne. Son livre ne mentionne pas E. Tompapa comme membre de la mission présidentielle. — T.S. Bah]

202. Note Paul-Marc Henry, à la direction des affaires africaines et malgaches du Quai d’Orsay (archives privées de Foccart, dossier 202).
203. Kennedy prend quand même le temps de faire écho au débat de l’ONU en déclarant le 14 octobre à La Libre Belgique : “Nous devons nous allier à la vague montante du nationalisme en Afrique. Le désir d’être libre de toute tutelle étrangère, le désir d’autodétermination sont la force la plus puissante du monde moderne…”
204. Les représentations ont lieu du 26 septembre au 22 octobre 1960 à l’Alwin Theatre.
205. Il a été le premier journaliste américain à obtenir de Fidel Castro une interview et s’est toujours fait l’avocat du dialogue avec le leader cubain. Autre sujet de convergence avec Sékou Touré …
206. La Guinée recevra de nouveau des volontaires du Peace Corps en 1966, mais le programme s’interrompra encore en 1971 pour ne reprendre qu’en 1985, donc après la mort de Sékou Touré. En 2006, ils sont 105 ; au total, 1.600 volontaires américains auront servi en Guinée, essentiellement comme enseignants (anglais, mathématiques) ou comme conseillers (santé publique, agro-foresterie, environnement, petites entreprises). Suite à un tragique accident dans lequel avaient péri deux jeunes volontaires du Corps de la Paix, le 7 janvier 2000 à Pita, Susan Barkley a fait ériger un mémorial pour les victimes, Justin Bhansali et Jesse Thyne, et a organisé une marche de 52 kilomètres de Labé à Pita pour sensibiliser les conducteurs sur la prudence à la circulation. Avant de quitter Pita au lycée de Oustoyah où elle enseignait la langue anglaise, Miss Barkley (qui avait pris le nom de Maïmouna) a mis à la disposition du lycée une bibliothèque en rénovant un vieux bâtiment abandonné et a écrit un article sur la vie communautaire.
207. Le président Kennedy précise qu’il doit voir le lendemain l’ambassadeur de France Hervé Alphand, et qu’il l’informerait de son entretien avec la délégation guinéenne. Il insisterait sur le désir de voir la Guinée associée au Marché commun, afin qu’elle ne soit pas le seul pays africain exclu de accord d’association.
208. Source: Memorandum of Conversation. Kennedy Library National Securily Files, Countries Series, Guinea. Confidential.
209. Dépêche diplomatique de Conakry n° 400/ AL du 20 juillet 1962 signée du chargé d’affaires André Arnaud (dossier archives politiques Quai d’Orsay GU 9 2). Selon Arnaud, Sékou Touré redouterait surtout de révéler aux experts internationaux l’état réel de son pays.
210. Télégramme diplomatique de Washington n° 4302 (Réservé) du 3 août 1962 signé de l’ambassadeur Hervé Alphand (dossier archives politiques Quai d’Orsay GU 9 2).
211. Télégramme diplomatique n° 4 78/480 du 29 septembre 1962, figurant avec cette annotation dans les archives privées de Jacques Foccart (carton 425).
212. Correspondance transmise à Conakry par le télégramme du département d’État n° 206 du 28 octobre 1962, signé du secrétaire d’État Dean Rusk, et disponible sur le site Digital National Security Archive (DNSA) (géré par l’Université George Washington de Washington, DC.)
213. Télégramme diplomatique n° 514/517 de Conakry en date du 8 novembre 1962, signé de l’ambassadeur Pons (dossier archives politiques Quai d’Orsay GU 9 2) ; télégramme diplomatique américain n° 237 du 7 novembre 1962, signé Attwood et disponible sur le site Digital National Security Archive (DNSA). Les comptes-rendus français et américain de cet entretien sont sensiblement identiques, mais la référence au démantèlement de la base de Guantanamo manque dans le télégramme américain !
214. Télégramme diplomatique N° 368-69 du 19 février 1963 : “M. Alpha Diallo … a été fort actif. M. Diallo, dont le Département sait qu’il a été reçu par le président Kennedy, s’est efforcé d’obtenir à New York que les Nations Unies apportent leur concours au développement de l’organisme qu’il dirige en Afrique. Il a été reçu par le secrétaire général dont il a obtenu une lettre d’encouragement. Il ne semble pas dans l’immédiat que le secrétariat soit disposé à fournir à l’URTNA l’aide technique que souhaiterait obtenir M. Alpha Diallo. Il a tenu au siège des Nations Unies une conférence de presse qui en raison de la grève des quotidiens new-yorkais n’a pas eu d’échos.” (archives de la mission permanente française à New York, dossier H 3 B 2).
215. William Attwood écrit dans une lettre à l’auteur en date du 9 août 1988 (il décède l’année suivante) : “Mon ami Karim Bangoura, ancien ministre de l’information, a succombé à la diète noire après avoir signé une fantastique confession dans laquelle il m’accusait de l’avoir recruté pour la CIA et de lui avoir donné une Ford ainsi que 400.000 dollars par mois ! Bangoura, en réalité, était l’un des très rares hommes politiques africains que j’ai rencontrés et qui ne m’aient jamais demandé la plus petite faveur. Attwood a consigné son expérience d’ambassadeur de John Kennedy auprès de Sékou Touré dans son livre, The Reds and the Blacks (Harper and Row, New York, 1967).
216. Télégramme diplomatique n° 431/433 en date du 19 octobre 1963 signé de l’ambassadeur Pons (Archives politiques Quai d’Orsay dossier GU 9 2).
217. Télégramme diplomatique n° 580 adressé le 28 octobre 1963 à Conakry et signé du secrétaire d’État aux affaires étrangères Michel Habib-Deloncle (Archives politiques Quai d’Orsay dossier GU 9 2).
218. Le fonctionnaire en question est Jean Audibert (futur collaborateur de François Mitterrand et de Jean-Pierre Cot, futur ambassadeur en Autriche, en Algérie et en Belgique). Audibert, dont la rumeur affirme qu’il aurait été nommé chef de mission de coopération en Guinée s’il en avait existé une, et qui travaille alors au ministère de la coopération à Paris, “reconnaît qu’il a eu un entretien avec M. Rodgers, de l’ambassade des États-Unis à Paris”. Audibert dit “qu’il a écouté l’Américain et n’a donné aucune indication à son interlocuteur sur la politique française”, rapporte après enquête une note du 31 octobre 1963 qui émane de la Direction des affaires africaines du Quai d’Orsay (elle porte les initiales JFP — soit probablement Jean François-Poncet, qui y était alors sous-directeur). Cette note conclut avec une pointe de perfidie : “Il est naturellement impossible de vérifier l’exactitude de cette affirmation.” (Archives politiques Quai d’Orsay dossier GU 9 2).
219. Interview de James I. Loeb pour les archives orales du Département d’État, réalisée le 27 juin 1970 par Jerry N. Hess sur le lac Saranac (État de New York). James I. Loeb a été directeur national de l’Union pour l’Action Démocratique (1945-47) et des Américains pour l’Action Démocratique (1947-51 ) ; consultant spécial du président Harry S. Truman (1951-52) ; assistant de direction du gouverneur W. Averell Harriman (1952) ; ambassadeur des États-Unis au Pérou ( 1961-62) ; ambassadeur des États-Unis en Guinée (1963-65).
220. Extraits du livre déjà cité de William Attwood, qui semble parler de lui-même comme “l’ambassadeur de Kennedy en Afrique”.
221. Télégramme diplomatique n° 6936/39 de Washington en date du 5 décembre 1963 signé Hervé Alphand (archives de la mission permanente de la France auprès de l’ONU, dossier H3B21).
222. Télégramme diplomatique de Washington n° 2561-2564 du 17 mai 1967, signé de l’ambassadeur de France Lucet (Archives Afrique-Levant, Guinée, Politique extérieure, Relations avec les États-Unis, 1967), cité dans Documents diplomatiques français 1967 Tome 1, Peter Lang éditeur, 2008).
223. Une autre société américaine importante, Olin-Mathieson Chemical Corporation, est de son côté fortement engagée dans l’exploitation de la bauxite et la production d’alumine à Fria.
224. Leur nombre varie de 300 à 500 selon les époques. Ils sont logés dans les jardins de l’ambassade de Cuba située dans le quartier de la Minière, ancienne résidence de l’Archevêché, propriété de la famille de Saïfoulaye Diallo.
225. L’ambassadeur soviétique Leonid Moussatov eut un jour l’occasion de demander à l’auteur, après le rétablissement des relations diplomatiques avec la France, ce que faisaient dans le port de Conakry deux chalutiers français venus pêcher dans les eaux guinéennes. L’auteur lui répondit : “Nos chalutiers font la même chose que les vôtres, mon cher collègue”, réponse qui eut le don de l’inquiéter visiblement…
226. Au début des années 60, les soviétiques ont porté la longueur de la piste de Conakry de 1.800 à 3.500 mètres, ce qui permet son utilisation par les longs courriers et le gros porteurs.
227. Cette même rumeur courait depuis longtemps, puisque les Fiches du poste pour 1963 de l’ambassade de France en Guinée en font déjà état.
228. Voir à ce sujet le livre de l’ambassadeur bolivien Carlos Antonio Carrasco Los Cubanos en Angola (1975-1990), La Paz, 1997, Centre des Hautes Études Internationales, Université des Andes. Le nombre des militaires cubains présents en Angola début 1976 serait selon lui de 4.000 conseillers et de 19.000 militaires.
229. Par exemple cette évaluation du 9 janvier 1976 : “The USSR has been accorded certain military privileges in Guinea in retum for its assistance. Since the summer of 1973, the Soviets have made repeated deployments of TU-95/BEAR D naval reconnaissance aircraft, consisting of two aircraft each, to the Conakry airfield. This has provided tenuous naval presence near the port of Conakry.” (Foreign Relations, 1969-1976, Volume E-6, Documents on Africa, 1973-1976, DIA INTELLIGENCE APPRAISAL). (L’URSS s’est vu accorder certains privilèges militaires en Guinée en échange de son assistance. Depuis l’été 1973, les Soviets ont déployé à plusieurs reprises sur l’aéroport de Conakry des appareils TU95/BEAR D, en unités de deux avions de reconnaissance navale chacune. Ceci a provoqué une faible présence navale près du port de Conakry”. Traduction de l’auteur).
230. Deux de ces derniers, James Loeb et Richard Attwood ont rédigé une préface pour la version américaine [à paraître sur webGuinée — T.S. Bah] du livre de Jean-Paul Alata Prison d’Afrique, saisi en France l’année précédente.
231. La Sud-Africaine Miriam Makeba séjourne régulièrement en Guinée et en profite pour se produire de temps en temps lors des soirées artistiques données en l’honneur de personnalités de passage. En 1963, Sékou Touré, qui l’avait entendue chanter un air éthiopien lors de la création à Addis Abeba de l’OUA, lui attribue un passeport diplomatique guinéen. Elle a en juillet 1963 parlé à New York devant le comité de décolonisation et à deux reprises, en octobre 1975 et en octobre 1976, prononcé devant l’Assemblée générale de l’ONU le discours de la Guinée. De 1968 à 1978, elle vit une grande histoire d’amour avec Stokeley (également écrit Stokely) Carmichael, leader des Panthères noires et théoricien du Black Power, qui sera son troisième mari. Lorsqu’il parvient à quitter les États-Unis en 1967 (il avait été arrêté 27 fois), elle le suit et ils sont invités à résider en Guinée par Sékou Touré. Elle y perd sa fille unique Bongi, avec laquelle elle chantait parfois (l’auteur les a vues et entendues sur la scène du Palais du Peuple). Stokeley Carmichael (qui se fait appeler aussi Kwame Touré), entre temps divorcé de Miriam Makeba, est décédé à Conakry le 15 novembre 1998. Sa présence, pourtant connue de tous, ne semble avoir en rien gêné l’ambassade des États-Unis. En octobre 1967, il avait assisté au 8ème Congrès du PDG, mais on l’avait empêché de prendre la parole ; Tibou Tounkara, ministre de l’information, l’avait même menacé de prison s’il se manifestait encore. Miriam Makeba est décédée en novembre 2008 dix ans après son ex-époux.
232. Andrew Young démissionne de son poste le lendemain 15 août, à la suite de la divulgation par la presse d’un entretien non autorisé qu’il a eu avec un représentant de l’OLP, ce qui était contraire à la position américaine de n’avoir de contacts avec l’organisation palestinienne qu’après que celle-ci ait accepté la résolution 242 du Conseil de sécurité. Andrew Young est remplacé par son adjoint, noir lui aussi, Donald McHenry.