Un acte ignominieux de Damantang Camara

Un visiteur de BlogGuinée a soumis une question écrite sur le rôle de Damantang Camara dans la dictature de Sékou Touré (1958-1984). Il est difficile de répondre à ce type d’interrogation étant donné le vide de mémoire et l’amnésie entretenus par les régimes guinéens successifs. Toutefois, un acte, gratuit et ignominieux, de Damantang Camara a survécu au silence complice sur les crimes des dirigeants et de nombreux militants du PDG. En effet lors d’une mission à Prague, il se permit une démarche choquante à l’encontre de Milena, l’épouse Tchèque de Thierno Mouctar Bah, qui était détenu alors depuis 1971, successivement au Camp Boiro et à la Prison civile de Kindia. Lire le texte plus bas.

Notes. (1) Il est de notoriété publique que Damantang Camara était un petit-fils de Lankama N’Valy Kamara,  kèlètigi (chef de guerre ou général) de l’empereur Samori Touré. N’Valy mourut en 1888 devant le siège de Sikasso, où périt aussi Kèmè Bourema, le chef de la cavalerie (sótigi) et frère cadet maternel de Samori. Lire  Ibrahima Khalil Fofana sur webMande.
(2) Lankama N’Valy dirigea la colonne expéditionnaire dépêchée par Samori pour réduire la révolte des Hubbu du Fitaba (1849-1875 environ). A propos des Hubbus lire sur webFuuta  Tierno Mamadou Bah, Louis Tauxier, section 1 et section 2, Paul Marty, entre autres.
(3) Le Conseil supérieur de l’Etat théocratique du Fuuta (Teekun Mawɗo) avait en 1870 approuvé la décision conjointe d’Almaami Ibrahima Sori Daara Ier (1843-1873, Branche Alfaya, 11e souverain) et d’Almaami Umaru (1842-1871, Branche Soriya, 10e souverain) de conférer à Samori le titre d’Almami (Lire Tierno M. Bah). Reconnaissant pour l’insigne honneur, le conquérant manding appuya militairement par la suite les campagnes des Almaami pour venir à bout des dissidents Hubbus.

Le contenu du récit ci-dessous était faux. Il relevait de l’imagination malveillante et, surtout, de l’esprit du Mal et de la Méchanceté incarné en Sékou Touré et en son émissaire, Damantang Camara. Car Mouctar fut libéré et il survécut une quinzaine d’années à ses bourreaux et persécuteurs. Mais lisons plutôt l’extrait suivant, qui expose le sadisme et la cruauté de soi-disant hommes d’Etat.

Tierno S. Bah


 Horreur

La nuit tombe sur la ville. Milena vient de rentrer de sa journée de travail au domicile du général canadien. Certes, le couple traite bien sa femme de ménage, mais l’employée souffre de maux de dos qui la tourmentent souvent. La sonnerie du téléphone l’arrache brusquement à ses pensées. C’est une voix à l’accent africain qui lui demande de venir à l’Hôtel International dès que possible.
— C’est de la part de qui ? demande Milena.
— Monsieur Camara Damantang voudrait vous voir. Pouvez-vous venir vers 19 heures ?
— Oui, j’arrive.
Milena raccroche, le coeur battant : Damantang veut la voir. C’est un membre influent du BPN 2 qui a été ministre de la Justice. Il a sûrement quelque chose d’important à lui dire. Mon Dieu ! faites qu’il m’annonce le retour des enfants ! Peut-être mes démarches auprès du président Husak ont-elles fini par aboutir ?

L’hôtel est situé dans le quartier Praha 6, non loin de l’appartement de Milena. Au milieu des bâtisses anciennes, l’établissement détonne un peu par l’air trop moderne de ses grandes baies vitrées, mais l’hôtel est luxueux : il faut reconnaître que la Révolution guinéenne traite bien ses émissaires. Le groom en livrée introduit Milena dans un petit salon attenant au hall d’entrée. Il n’y a personne. Les quelques minutes d’attente lui paraissent un siècle. Soudain, trois Africains sont là, devant elle. Le plus grand s’avance. C’est Damantang, immense et noir, qui la salue. Elle bégaie un bonjour inaudible. Il penche sa grande carcasse vers elle, lui prend la main et la serre longuement dans les siennes. Puis, tout en gardant cette main, il attire Milena vers le canapé, la fait asseoir et lui dit dans un souffle :
— Il vous faut être courageuse, Madame. Je suis venu vous présenter mes condoléances. Je connaissais bien votre mari.
Elle a l’estomac au bord des lèvres. Les larmes l’aveuglent et derrière un voile elle entend cet homme lui murmurer des paroles de réconfort.
Mais qu’est-ce qu’il raconte ?
Que son mari est mort sous la torture, oui, et qu’il a dû manger trois mois durant comme un chien lapant son écuelle puisqu’on lui avait coupé les deux mains ! Qu’il a fini par mourir et que cela valait mieux pour lui que de vivre ainsi … Que la terre lui soit légère ! Amin.
Milena est assommée. Muette de stupeur. Mouctar, finir comme un chien … Damantang la relève et la raccompagne avec beaucoup d’égards à la porte de l’hôtel. Elle va s’asseoir sur un banc de la place et pleure longtemps. Puis elle se rend compte qu’elle a même oublié de demander des nouvelles des enfants !
Comment a-t-elle pu laisser échapper l’occasion de la visite à Prague de ce grand dignitaire ? Elle n’a vu que son mari dans le trou, devant son assiette …
Revenir à l’hôtel ? Rappeler Damantang ? Oh ! non, c’est au-dessus de ses forces ce soir. Alors elle continue à pleurer, seule dans la nuit.

Extrait de Guinée, les cailloux de la mémoire, par Nadine Bari.