Denise Paulme
Les Gens du Riz
Les Kissi de Haute-Guinée

Paris. Librairie Plon. 1954, 1970. 324 p.


Introduction
Le pays et les villages


Au nombre de 140.000 environ, les Kissi forment la population la plus importante des cercles de Kissidougou et de Guéckédou, en HauteGuinée française. La plus importante, non la seule : le nord et le nordouest du cercle de Kissidougou, d’aspect encore soudanais, sont habités par une majorité de Kouranko et de Malinké, ces derniers venus des cercles de Kankan et de Kouroussa. Au sud, la savane disparaît devant une végétation de plus en plus dense ; les Kissi occupent seuls la forêt et débordent les limites politiques : la Sierra-Leone en compterait 35.000, groupés en trois chefferies (recensement de 1931), l’Etat indépendant du Liberia peut-être autant. Enfin l’est du pays kissi connaît quelques Toma, onginaires du cercle de Macenta où ils forment le fond de la population. Nos gens se trouvent ainsi occuper la lisière de la forêt atlantique et de la savane soudanaise ; et ce caractère frontalier, inscrit dans le sol, transparaît dans toute leur vie matérielle, sociale, religieuse
Pays riche, puisqu’en dépit d’un médiocre état sanitaire (trypanosomiase, dysenterie amibienne, lèpre, pian … ), la densité du peuplement s’établirait aux environs de 10 habitants par km2 dans le nord (cercle de Kissidougou), 19,6 dans le sud (cercle de Guéckédou). L’origine de ceux qui se nomment eux-mêmes Kissi demeure obscure : quelques vieillards parlent encore d’une grande migration qui aurait, à une époque reculée, détaché les Kissi du rameau mandé et les aurait fixés dans une région de l’actuelle Sierra-Leone, au sud-ouest de leur habitat actuel. Les descendants, par petits groupes et en plusieurs temps, auraient repris la direction d’où étaient venus leurs ancêtres. En fait, la région qu’occupent aujourd’hui les Kissi a, de temps immémorial, formé un carrefour balayé par de continuelles migrations venues de la savane ou de la forêt ; balayé, aussi, par les chasseurs d’esclaves. Traversant cette région il y a plus d’un siècle, René Caillé notait déjà que :

« Ce pays (kissi) est divisé en plusieurs petits Etats gouvernés par des chefs indépendants, qui se font souvent la guerre entre eux pour se procurer des esclaves qu’ils vendent très cher. Il y a de ces barbares qui font profession de se cacher derrière les buissons, de surprendre les malheureux nègres cultivateurs dans leurs champs et d’aller ensuite les vendre impitoyablement. »

Dans les quelques traditions historiques qui ont survécu à la dernière grande tourmente provoquée à la fin du siècle demier par l’incursion des guerriers de Samory, il n’est question que de bandes armées qui surgissent du sud ou de l’est, massacrent les habitants ou les réduisent en esclavage, pillent les moissons, brûlent les villages, disparaissent. Certaines de ces bandes ne font que traverser le pays ; d’autres reviennent sur leurs pas ou changent brusquement de direction. Parfois aussi, les pillards se sont fixés dans la région, y ont pris femme et fondé des villages nouveaux. L’histoire exacte des habitants apparaît dans ces conditions difficile à préciser. Tout au plus peut-on indiquer la diversité des origines.
Il existe au moins deux types physiques bien différenciés dans la région : les Kissi offrent au nord un aspect plus élancé, avec des membres assez grêles et l’absence de mollet caractéristique des Soudanais ; alors que le Kissi du sud est un individu râblé, trapu, aux muscles saillants. L’on peut ainsi voir côte à côte des hommes portant le même patronyme, ayant en principe la même origine lointaine, relever en fait de groupes anthropologiques bien distincts. Une fois de plus, comme si souvent en Afrique, les critères anthropologiques ne concordent pas avec les critères sociologiques, on peut parler d’une société, non d’une race kissi.
Le nord du pays se montre aujourd’hui assez ouvert à l’influence malinké ; le principal clan, en s’affirmant kissi, se réclame bien haut d’un ancêtre soudanais qui se serait établi dans la région à la fin du XVIIIe siècle; il porte fièrement le nom des anciens souverains du Mali, les Keita. Certains villages des environs de Kissidougou groupent une population mixte où Malinké musulmans et Kissi demeurés fidèles au culte de leurs ancêtres entretiennent des rapports de bon voisinage. Enfin de nombreux colporteurs, tous malinké, parcourent sans relâche le pays ; ils viennent en forêt chercher des noix de cola, qu’ils revendront sur les marchés soudanais. Un certain nombre de Kissi parlent plus ou moins couramment le malinké.
Quelle que soit leur origine — multiple — les Kissi, par leur habitat, par leur genre de vie, par leurs institutions sociales, se présentent comme gens de la forêt. Ainsi se voient-ils eux-mêmes ; leurs maisons se dissimulent toujours dans un bois qui abrite encore leurs lieux de culte : points d’eau, roches ou arbres sacrés ; et aussi les clairières où les adolescents subissent la retraite d’initiation. Leurs rizières s’étalent en bordure de ce bois, sur les pentes des collines dénudées ou dans les fonds de vallées à la fois humides et bien ensoleillés. Pour leurs voisins du nord, les Kissi sont « les gens du riz ». Le mil, si important aux yeux de qui vient du Soudan, est ici traité négligemment de « nourriture des chevaux ».
Franchement soudanais au nord de Kissidougou, le pays se fait plus boisé à mesure qu’on avance vers le sud et qu’on approche de la frontière politique. La région entière offre l’aspect de collines et de plateaux aboutissant à des plaines herbeuses ou à de hautes futaies. Tous les monticules sont au nord recouverts par la « brousse soudanaise » dont la végétation a souvent été décrite : mimosées, arbres clairsemés plus ou moins rabougris, buissons épars ou groupés, que domine la silhouette d’un baobab isolé. Les espaces libres sont occupés par des herbes hautes de 1 m. 50 à 2 m., que les feux de brousse ravagent à chaque saison sèche. Toute cette région septentrionale (altitude moyenne : 600 m.) est traversée par le cours du Niandan, affluent du Niger qui prend luimême sa source dans la région limitrophe à l’ouest du pays kissi; le Niandan reçoit de nombreuses petites rivières. Au sud des monts Kissi (point culminant: le mont Konossou, 1 .345 m.), contrefort le plus oriental du Fouta Djallon, qui séparent Kissidougou de Guéckédou, les multiples affluents de la Ouaou, de la Makona, de la Mafissia… voient leurs eaux drainées directement vers l’Atlantique. Tous prennent leur source sur un plateau d’où ils se précipitent en cascades bouillonnantes, parfois en chutes de plusieurs dizaines de mètres formant un magnifique spectacle naturel. La brousse est souvent interrompue par de grandes plages dénudées (les boowe du Fouta Djallon), immenses tables ou éboulis de grès et conglomérats ferrugineux, qui laissent apparaître la pierre nue ; seuls, quelques maigres buissons ont poussé entre les fentes des rochers. Mais aussi, tranchant sur les espaces dénudés au nôrd, des taches d’un vert sombre, qui se font de plus en plus compactes vers le sud, s’accrochent au flanc des escarpements ou soulignent les vallons qui séparent deux collines. Ces taches correspondent à de véritables îlots de forêt tropicale où l’on retrouve la plupart des essences forestières de la Côte d’Ivoire (fromagers, acajous, caïlcédrats…) Ce ne sont plus bientôt qu’arbres giganenlacés de lianes, fougères arborescentes, sous-bois obscurs. Le palmier à huile, souvent isolé de la forêt ou en bordure de cette dernière, signale un village voisin ; sa présence dans la savane montre le recul la forêt, dont la lisière est chaque année rongée par les feux de brousse. Aucune habitation le long des routes. L’agglomération s’abrite toujours au centre d’un bois qui doit rester intact ; dans ce bois, le village occupe une clairière plus ou moins vaste. Dans le sud du Kissi, les habitations, perchées à flanc de montagne, sont complètement dissimulées dans la forêt parmi les éboulis de gros rochers. On y accède par un seul sentier, dissimulé, tortueux, encombré de blocs de pierre ou barré par des troncs ; un second sentier conduit à la rivière, en général toute proche. La déclivité est parfois si grande que les groupes de maisons dans certains villages se trouvent placés en amphithéâtre les uns au-dessus des autres. Pour atteindre ces villages, il faut descendre au fond de ravins, gravir entre les blocs de granit et les grands arbres de la forêt des sentiers de chèvre, franchir des torrents sur des ponts suspendus dont les lianes, légèrement agitées par le vent, plient sous vos pieds. L’Européen peine, gauche et lourd ; l’indigène franchit le pont en courant, son fardeau sur la tête. Ces ponts sont fabriqués la nuit, en grand secret et très rapidement, par les seuls hommes initiés (c’est-à-dire adultes), hors de la présence des femmes et des enfants que la vue de ce travail frapperait d’une mort immédiate une offrande aux esprits de la rivière l’accompagne obligatoirement viande, colas, parfois une natte…
L’approche d’un village est le plus souvent indiquée par la présence de terres cultivées : rizières, champs de coton ou de manioc ; puis le sentier pénètre sous bois parmi les grands arbres auxquels succèdent bientôt, ou se joignent, des colatiers, des caféiers. Parfois une allée véritable plantée de superbes manguiers dont un administrateur avait encouragé la pousse il y a une trentaine d’années, évoque de manière insolite le souvenir d’un mail aux abords d’un village français. Généralement, quelques mètres avant les premières maisons, on passe sous un portique : deux perches plantées verticalement soutiennent une troisième, horizontale, d’où pend un fagot : « saya », explique le guide avec un geste vague ; dressé contre les sorciers, le talisman traduit encore la bonne entente entre les habitants du village, qu’on veut croire unis entre eux comme les brindilles du fagot.
Dans la clairière, les toits de chaume, débordant le mur cylindrique des habitations, se touchent, souvenir de l’époque où les nécessités de la défense amenaient les habitants à se grouper au maximum. La nécessité a disparu, l’habitude demeure, source de danger en cas d’incendie que l’on peut toujours redouter en saison sèche. Chaque année, des villages entiers brûlent, accident (parfois la foudre), ou imprévoyance d’une ménagère qui sera partie chercher de l’eau ou du bois en laissant un feu allumé chez elle. Malgré les efforts de l’administration, les habitations seront presque toutes reconstruites sur l’ancien emplacement.
En débordant sur le mur de l’habitation, haut d’1 m. 50 environ, le toit de chaume conique abrite une véranda circulaire. C’est sous cette véranda, exposée à l’air mais abritée du soleil et de la pluie, que l’on se tient pendant les heures chaudes ; c’est sous la banquette en terre de la véranda, sinon sous le sol même de la case, que sera inbumé le maître du logis, c’est là qu’on lui versera deux fois par an l’offrande habituelle aux mânes, bouillie de riz et alcool de palme. Souvent les murs sont ornés à l’extérieur de peintures parfois très stylisées, exécutées par les femmes sur des modèles traditionnels. Il est difficile d’obtenir la signification de ces peintures, aujourd’hui perdue ; il s’agirait le plus souvent, semble-t-il, de figurations de plantes ou de travaux ménagers. Les peintures sont renouvelées après chaque crépissage, la femme les exécute à la main, à l’aide d’un mélange de cendres et de bouse de vache délayée dans de l’eau (nous avons aussi vu dans certains villages reculés des traces de peinture polychrome). Les modèles d’inspiration plus récente: camions, avions…. très appréciés mais d’une technique différente, sont l’œuvre non des femmes qui s’en tiennent aux modèles traditionnels, mais de jeunes gens qui ont voyagé hors du pays. Ces mêmes jeunes gens traceront, cette fois à l’intérieur de leur habitation, l’image de la Mélusine à tête de femme et corps de serpent, dont la légende leur aura été contée en pays soudanais.
Entre les maisons d’habitation et les étables, que rien ne distingue à l’extérieur, sauf parfois l’absence de banquette, traînent mortiers et pilons, cages à poules, marmites en fonte, poteries — tout ce qui ne trouve pas place à l’intérieur. Parfois aussi, un tisserand installe à sa porte son métier vertical. Sur l’arrière de l’habitation, un enclos en nattes ou en rameaux de palmes sert de salle de douches : il abrite une pierre plate sur laquelle on se tient pendant les ablutions.
L’espace libre entre l’arrière des habitations et la forêt est aménagé en enclos potagers réservés aux femmes. Chacune possède là son jardin, plate-bande terreautée et sarclée, en remblai de 20 à 30 cm. au-dessus des allées et d’où sont proscrites les mauvaises herbes. Elle y plante, avec un peu de tabac, les condiments indispensables à la cuisine africaine : tomates, oseille, piments, aubergines… A l’entour ont poussé les arbres fruitiers : papayers, bananiers, orangers magnifiques.
Taillées dans un contrefort de fromager, les portes s’ouvrent sur une place centrale que marquent des blocs de pierre, parfois de grandes plaques de granit dressées en cercle, sortes de menhirs dont chacun évoque le souvenir d’un ancêtre. Tout auprès, un tungo sans murs, au toit de paille supporté par des piliers, lieu de réunion habituel des vivants, est aussi et d’abord temple des morts, protecteurs de leurs descendants. Au pied d’un pilier, une auge en argile réunit quelques pierres polies, quelques statuettes en pierre, pömdo (pl. pömta), qu’on dit être l’image d’aïeux aujourd’hui oubliés; une bouiRoire crevée, des bouteines vides, témoignent des libations passées. Au moment des semailles et de la moisson, un peu de bouillie de riz est apporté ici comme sur tous les lieux de culte : hommage rendu aux ancêtres, mais aussi dîme que ces derniers, dispensateurs des nourritures, sauront au besoin exiger.
Le village, qui groupe rarement plus de cent cinquante habitants,
comprend deux ou trois « cours » ou lignages, gbèo, pl. gbèra, chacun divisé en autant de foyers qu’il comporte d’hommes mariés. Aidés de leurs femmes, aussi de leurs sceurs et de leurs filles non mariées, les hommes occupent et cultivent l’ensemble des terres relevant de l’agglomération. Chaque lignage réunit sous un même patronyme un certain nombre d’individus qui tous respectent les mêmes interdits et descendent par les hommes d’un même ancêtre, fondateur du viffage ou premier du nom qui s’y soit fixé. La filiation qui unit les vivants à cet ancêtre peut toujours être décrite ; chaque homme connaît donc les liens exacts qui l’attachent à chacun de ses « frères », à tous les hommes de son nom établis dans le village.
Le tungo, l’abri sans murs sur la place — chaque lignage possédant le sien, il peut en exister plusieurs dans le village — est le centre de la vie sociale. L’on y discute les questions un peu importantes, l’on y règle les différends, le chef y prononce sa sentence. Théoriquement, le tungo est aussi la maison des hôtes de passage, mais on n’y dort que si toutes les maisons sont occupées, événement rare qui ne se produit qu’au passage d’une grande caravane. Circulaire dans le nord (cercle de Kissidougou), le tungo prend une forme allongée, rectangulaire ou ovale, dans le sud (cercle de Guéckédou). La plate-forme surélevée, en terre battue, est entourée d’un rebord qui sert indifféremment de banquette ou de dossier. Dans les gros villages, le chef et ses intimes prennent parfois là leur repas, apporté par une épouse ou par une fillette. Un homme rêvasse toujours à l’ombre du tungo, ou somnole dans un hamac ; un autre demeure penché sur un travail de couture. Un jeu de totons, ou le jeu à trous (mankala) connu dans toute l’Afrique, est suivi par des spectateurs attentifs puis brusquement vociférants. Tout auprès, sous leur véranda, les femmes filent ou préparent le repas en plein air. La vie se poursuit sur un rythme en apparence nonchalant.
En apparence seulement. Pour conneitre un peu le déroulement de la vie quotidienne, il faut avoir passé plusieurs semaines au moins dans divers villages, à différentes époques de l’année. L’observateur apprend ainsi, lentement, patiemment, parfois même sans en être aussitôt conscient, ce qu’aucun interrogatoire, ce qu’aucune inspection superficielle, ne lui permettrait de découvrir. Banal à l’arrivée, chaque village, lorsqu’on y a séjourné quelque temps, devient unique : ce qu’un nom, plus tard, évoquera, ce ne sera pas seulement un emplacement particulier, la disposition des maisons ou l’étendue des cultures, mais aussi, impossible à en séparer, la composition des groupes qui peuplent l’agglomération, avec le passé de chacun; la silhouette du chef ou de tel vieillard réputé sorcier, la présence de tel sanctuaire et jusqu’au souvenir des rapports du fondateur avec ses voisins, rapports dont la nature, bonne ou mauvaise, commande encore les réactions de ses descendants à l’égard des « autres » — des étrangers

Le village s’éveille avant l’aube lors des travaux des champs ; plus tard dans la « saison des nuits froides » (décembre à février), où le brouillard s’accroche aux frondaisons et où le soleil ne perce pas avant 9 ou 10 heures. Frileusement enveloppées dans leurs couvertures de coton, des formes blanches traversent en silence le village, évoquant de manière incongrue les baigneurs d’une station thermale. L’appel des coqs se fait plus insistant, moutons et chèvres s’agitent. Les femmes en file indienne vont chercher l’eau pour le bain du matin, allument un feu. Tandis que l’eau chauffe, elles balaient l’intérieur et les abords de leur habitation ; les déjections du bétail sont recueillies et mises de côté pour servir d’engrais ou de crépi. Un par un, les travailleurs partent aux champs ou à la corvée de bois, ayant absorbé les restes froids du repas de la veille. Des femmes s’installent pour carder ou filer le coton en surveillant les bébés; d’autres trainent un mortier dans un espace libre, où deux femmes commencent à piler le grain. Chèvres, moutons, poulets, chiens, errent un peu partout, en quête de nourriture. Les vieillards sommeillent, les enfants vont chercher de l’eau ou faire une commission.

Le village ne s’anime un peu que vers 5 heures du soir, avec le retour des champs des premiers travailleurs. Les femmes portent sur la tête de lourdes charges de bois, quelques poignées d’épis, parfois quelques grains nouveaux, à peine mûrs, difficiles à dépiquer, mais tenus pour une friandise. Les ménagères ramènent de l’eau dans des calebasses, des poteries, ou, fréquentes aujourd’hui, d’immenses cuvettes émaillées ; pilent et vannent le riz que picore la volaille ; allument le feu. Les hommes se livrent à de petits travaux, écrasent des amandes de palme entre deux pierres, réparent leurs outils pour le lendemain, ou se groupent sous le tungo. Les derniers travailleurs rentrent à la nuit tombée tandis que résonne encore le bruit sourd des pilons ; les premiers ont déjà fini leur repas. Les enfants jouent, les jeunes gens dansent tandis que leurs aînés traînent sur la place.

Les soirs de lune, tout le village reste éveillé : les enfants les premiers commencent une danse en file, claquant des mains et tapant des pieds; leurs aînés se joignent bientôt à eux, leur danse rythmée par un ou deux tambours à membrane, yimbo. Les filles avancent et reculent avec des gestes gracieux. Inspiré par le tambour, chacun à son tour s’élance pour un solo, saute, tournoie sur lui-même, un foulard entre les mains, puis rentre dans le cercle, salué par les rires et les battements de mains des spectateurs-acteurs. Le tambour ne cessera que tard ; une à une, les portes se ferment. Seuls demeurent les bruits de la nuit, le cri d’un oiseau dans la forêt.

Notes
1. Superficie des deux cercles : Kissidougou, 9.475 km2 ; Guéckédou, 4.400 km2 ; 55.000 Kissi dans le premier cercle, 82,000 dans le second. Le cercle de Kissidougou compte encore 31.000 Kouranko, 9.000 Lélé, quelques Malinké; le cercle de Guéckédou, environ 4.000 Lélé et quelques Toma.
2. René Caillié, Journal d’un voyage à Tombouctou… (Paris, Impr. royale, 1830), 1, pp. 416-417