Rivières du Sud — Fouta Dialo — Région du Sud Soudan

André Arcin
Histoire de la Guinée Française :
Rivières du Sud — Fouta Dialo — Région du Sud Soudan

Editions Challamel. 1911. 742 pages


Histoire de la Guinée
Livre Deuxième
Histoire des rapports entre Européens et Indigènes


Chapitre Premier. — Premières explorations et conquètes dans les Rivières du Sud

…Veniunt Annis
Secula Seris, quibus 0ceanus
Vincula revuin laxet et ingeus
Pateat Tellus, Typhisque novos
Detegat orbes, nec sit terris
Ultima Thule…
(Sénèque le Tragique.)

L’exploration des côtes océaniques d’Afrique remonte à la plus haute antiquité. Ce continent ceinturé de montagnes abruptes et de déserts brûlants, de cette mer « ténébreuse », aux courants redoutables, encombrée d’écueils et de hautsfonds, sans hâvres vastes et abrités, devait éloigner les navigateurs. Mais le mystère même qui entourait ce continent fabuleux, les r ichesses qui en étaient exportées des côtes plus accessibles de la Méditerranée, excitaient l’esprit d’aventure des marins et l’amour du lucre des marchands. L’honneur des premiers voyages d’exploration par mer, les seuls d’ailleurs qui fussent possibles en un temps où d’innombrables tribus pratiquaient le droit d’aubaine 1, revient à la race sémitique. La ténacité et la souplesse qui la caractérise, son goût des déplacements et le point d’honneur qu’elle met à les rendre productifs, sa forte solidarité, la prédestinaient à ce rôle d’initiatrice des grands progrès humains. Si elle amassait et répartissait des richesses, elle recueillait aussi des renseignements précieux, qui se faisaient jour au travers des mensonges et des récits effrayants tendant à éloigner les concurrents.

On a fixé approximativement le XIIIe siècle avant J.-C. comme Fépoque à laquelle les Phéniciens-Tyriens, conduits par Melkkarth « le Dieu de la cité », ayant suivi les côtes septentrionales d’Afrique, passèrent en Espagne où mourut leur chef. Les Grecs ont confondu ce demi-dieu auquel cependant ils donnèrent le nom de Mélicerte, avec le héros Hercule ou Alcide, soit que plus tard il ait accompli la même prouesse, soit que réellement ce soit le même personnage dont l’armée comprenait un grand nombre d’Aryens 2.

Quoi qu’il en soit, de nombreuses colonies phéniciennes s’installèrent sur les côtes de la Méditerranée. Les peuplades du littoral prirent l’habitude de traiter avec ces marchands qui, dans les flancs de leurs navires, portaient les trésors de l’Europe et de l’Asie. La découverte de mines d’argent en Espagne attira leurs flottes vers ce pays, dont ils firent le séjour de Plutus, le dieu des richesses 3. Ils construisirent à Gadès le fameux temple sur le frontispice duquel étaient gravés, en haut relief, les douze travaux dHercule (voir description de Silius Italicus). Il y avait une grande ressemblance entre les rites de ce culte et ceux de la religion hébraïque.
Plus tard, vers le xie siècle, ils franchirent sur leurs frêles esquifs le détroit où s’élevaient les colonnes bâties par Hercule à l’entrée de l’Océan. Tandis que les uns remontaient vers les mers brumeuses et glacées du Nord, vers la lointaine Thulé, d’autres côtoyaient le pays d’Atlas, visitaient les îles Fortunées 4 et établissaient des comptoirs en tout lieu propice. Mais là ne devait pas s’arrêter leur audace. Sous le règne du roi égyptien Nécao ou Nécos ils partirent des rives de la mer Rouge, où ils avaient constitué une flotte qui trafiquait jusqu’en Extrême-Orient 5. Au bout de deux ans ils revinrent par Gibraltar. Exploit tellement inouï pour des peuples habitués à considérer la Méditerranée comme le centre du monde que l’opinion générale taxa ce récit de fable. Hérodote l’admettait pour véridique 6 mais écrivait qu’il n’était pas croyable qu’en faisant le tour de la Libye ils eussent le soleil à leur droite, comme ils l’affirmaient. Précisément en émettant ce doute le vieil historien nous donne un argument pour affirmer la véracité du fait.

Ce premier voyage de circumnavigation fut certainement suivi de bien d’autres. Et quoique les marins se gardassent de donner à ce sujet des indications, le bruit de la possibilité de pareille prouesse se répandait dans le monde méditerranéen. Il ne semble pas que les Égyptiens aient su profiter de cet enseignement. Cependant ce point est assez obscur, car nous savons, par des dessins trouvés dans les temples, que dès 2500 av. J.-C. une flotte égyptienne allait en Asie chercher des produits et surtout des captifs 7 ; mais il est possible que cette flotte fût précisément celle des Phéniciens au service de l’Égypte.

Par contre, les peuples de la Méditerranée occidentale sortant peu à peu de la barbarie et commençant à s’organiser suivirent les traces des vaillants Tyriens. Déjà, sous Xerxès, Sataspe avait tenté de faire le tour du continent africain par Gibraltar, mais échoua dans son entreprise et fut mis à mort 8. Eudoxe fuyant la colère de Ptolémée Lathyre aurait par contre réussi 9. L’influence de la Grèce sur les côtes africaines de la Méditerranée fut considérable. Elle ne s’en tint pas aux rivages du Catabathmos, limite orientale de l’Afrique d’après elle, où elle édifia les cinq villes glorieuses de Cyrénaïque 10. Ses hardis marins voguèrent vers l’Océan, sur les traces des Phéniciens, essayant de détourner à leur profit les produits miniers du nord de l’Europe, et allant commercer le long des côtes de l’Afrique du Nord 11. Les traditions conservées par leurs descendants marseillais amenèrent ceux-ci dans les mêmes parages. Vers 300 avant J.-C., Euthymène explore les rivages africains jusqu’au fleuve Chrémetés, probablement le « Chrétés » d’Hannon, qui semble être le Sénégal. De même les marins de la Grande-Grèce, d’Agrigente et de Syracuse, concurrencés par les Étrusques, cherchaient, en échange des produits de leur industrie, des esclaves et des marchandises rares.

Mais, de tous les peuples anciens, les Carthaginois semblent avoir le mieux connu les régions de l’Afrique occidentale, vers lesquelles les attiraient leur situation et le désir d’obtenir, sans avoir à rémunérer de nombreux intermédiaires, les riches produits de l’Afrique centrale. A leur tour ils abordent aux îles Océaniennes, au témoignage d’Aristote et de Pline. Les premiers récits des navigateurs furent si favorables que le sénat carthaginois, redoutant un dépeuplement trop rapide et la création d’un centre où la concurrence pourrait s’exercer sans contrôle sur toutes les côtes occidentales, défendit sous peine de mort l’émigration vers ces îles. La traduction du célèbùe périple nous montre vers 570 avant J.-C. une nombreuse flotte — 60 navires de 50 rames, — montée par 30.000 hommes, allant créer, sous le commandement d’Hannon, des colonies jusqu’à Cerné. Ce point se trouvait aussi éloigné des Colonnes d’Hercule que Carthage l’était de celles-ci. On a supposé que cette île serait l’île d’Arguin où l’on a retrouvé des traces de citernes carthaginoises 12. Les colons carthaginois obtinrent assez facilement, sans aucun doute, le droit d’établir leurs comptoirs, d’autant qu’ils retrouvaient là les descendants d’autres races asiatiques venues par terre 13, et habituées à commercer avec les Phéniciens. Hannon ne borna pas son voyage à la région du nord du Sénégal : il reconnut Sierra-Leone, la Corne du couchant, d’où il s’éloigna, effrayé par les feux, les bruits de tambour et les cris étranges qui s’élevaient dans la nuit 14. D’après M. Vivien de Saint-Martin il serait allé jusqu’au Sherbro. Les colonies qu’il fonda au Nord furent très prospères et durèrent plusieurs siècles.

Hérodote a décrit avec précision le trafic à la muette pratiqué sur les côtes africaines 15 et il semble avéré que onze siècles avant J.-C. les Phéniciens y faisaient la traite des nègres. Les Carthaginois continuèrent ces traditions. Ils allaient y vendre les verroteries, ce merveilleux produit de l’industrie orientale, le vin, les métaux si bien travaillés de l’Asie Mineure, le corail, l’encens et le baume de Syrie, et surtout ces « grecques » riches étoffes, qui devinrent plus tard des « perses » ou « indiennes» (Peyre, L’Empire romain). On y prenait l’or, l’ivoire, les peaux, les bêtes féroces pour les combats, les esclaves.

Carthage cachait soigneusement les routes suivies par ses vaisseaux, surtout lorsque Rome, ayant créé à son tour une marine, devint une redoutable rivale. Tout vaisseau étranger surpris vers les Colonnes d’Hercule était pillé et l’équipage jeté à la mer. On connaît l’histoire de ce capitaine carthaginois qui reçut une récompense du Sénat pour avoir fait échouer son navire à la sortie des Colonnes dHercule, plutôt que de montrer à une galère romaine qui le poursuivait la route des îles Cassitérides.

En 145 avant J.-C., Scipion Émilien, le vainqueur de Carthage, chargea Polybe de parcourir les comptoirs carthaginois et de les annexer. Puis une expédition militaire fut envoyée jusque dans le sud du Maroc, à la rivière Gir. Mais les Romains, trop préoccupés de leur politique méditerranéenne et peu marins d’ailleurs, n’ayant pas le goût du négoce aussi développé que leurs prédécesseurs, abandonnèrent ces comptoirs. La mer fut envahie par des pirates qui rendirent les relations maritimes si difficiles que Pompée fut chargé de leur faire une guerre sans merci 16.

Obligé de surveiller la région carthaginoise, c’est au Nord surtout que Rome continua à avoir des relations avec le monde africain, et c’est par là que passèrent les produits qu’estimait la grande capitale 17. Le commerce africain n’était en décadence que sur les côtes de l’Afrique occidentale, bien que Sénèque assure que de son temps les navires romains se rendaient aux Indes en contournant l’Afrique. L’importance économique des régions mauritaniennes et numidiennes pour les Romains explique leur persistance à maintenir à grands efforts leur influence dans les oasis du Sud 18. Déjà, sous Marc-Aurèle, un arc de triomphe élevé dans l’oasis d’El Ouatia, au sud d’El Kantara, était en ruines, et cet empereur le fit relever.

C’est que, dès 19 ou 21 av. J.-C., Cornelius Balbus, partant de Tripoli, s’était emparé de Cydamus (Ghadamès), de Garama 19, soumettait le Fezzan (Fasania ou Pasania) et allait peut-être jusqu’au Bornou. En l’an 12 avant J.-C. Auguste chargea Sulpicius Quirinus de soumettre les Marmarides et d’achever la conquête des Garamantes (Florus, IV, 12). En 86 p. J. C. Septimius Flaccus alla jusque dans le voisinage du Tchad, dans l’Agisimba regio (oasis d’Asben). Julius Maternus visita la même région en 90 p. J.-C. Suetonius Polinus arriva, d’après Pline (liv. V, chap. I), au delà de l’Atlas sur les rives du Ger (ou Niger dans quelques manuscrits) et pénétra chez les Canariens (pays de Gana) et les Pérorses (Férobé ?), voisins des Éthiopiens. Enfin, sous César, le chameau est introduit en Afrique et il est probable que les Romains durent se servir de cet animal précieux, comme nous l’avons fait, en créant des compagnies de méharistes. Garama avait reçu une garnison et une route, passant par Djiofra, la reliait à Leptis 20. Après avoir annexé les territoires de Carthage et en avoir fait la « Province romaine», qui devint si nécessaire à l’existence de l’Empire 21, les Romains exerçaient le protectorat sur les Numides et les Maures, divisés en innombrables tribus. Des fonctionnaires romains étaient chargés de surveiller ces familles, comme l’indique l’inscription trouvée à Kamala qui parle d’un « praefectus gentis Musulamiorum ». A la vue des ruines innombrables qui couvrent ce sol, on comprend l’étonnement des Arabes et la réflexion de l’un d’eux à un Français :

« Vos ancêtres croyaient donc ne jamais mourir ! »

Bien que la navigation officielle vers les anciens emporii de l’Afrique occidentale ait été abandonnée, il n’est pas douteux que de nombreux navigateurs n’aient continué à visiter ces régions.

Cornelius Nepos raconte que des débris de vaisseaux espagnols furent trouvés dans la mer Rouge, tandis que d’autres vaisseaux venus d’Égypte abordent en Espagne. En 82 av. J.-C., Sertorius rencontre en Espagne des navigateurs venant des Canaries et propose à ses troupes d’aller s’établir dans ces « îles de la fortune ». Plus tard Juba y ordonnait une expédition 22.

D’ailleurs les tables de latitudes de Ptolémée montrent que la côte était assez bien comme des navigateurs. On y trouve mentionné le promontoire Catharum, qui semble être le Caloum et la presqu’île de Conakry, et, plus au sud, la Corne du couchant que l’on a identifiée avec les hautes terres de Sierra-Leone 23. Et pourquoi ne pas admettre la possibilité de nombreux voyages sur les côtes de l’Afrique occidentale, alors que les flottes au service de l’Égypte descendaient jusqu’en Mozambique et dans la Rhodésia sur le littoral oriental, ainsi qu’on l’a récemment démontré 24.

Nous avons parlé, dans la première partie, du mouvement des peuples sémites et aryens venus de l’Asie et se répandant dans l’Afrique septentrionale, puis dans le centre africain. Nous avons donc un tableau assez complet des relations du monde ancien avec l’Afrique.

Cependant, nombreux sont les historiens qui nient toutes relations suivies entre la région méditerranéenne et les rivages africains de l’Océan. Ils se basent pour soutenir cette thèse, sur l’opinion que le moyen âge avait du climat tropical, non viable pour l’homme, ce qui, a fortiori suivant eux, devait, être le credo de l’antiquité. Ce serait d’une logique irréfutable si le progrès était nécessairement une perpétuel devenir. Mais qui oserait soutenir que le moyen âge représente au point de vue artistique, scientifique et économique, un progrès sur la splendeur du monde grec et romain ?

Nous avons vu que l’État romain laissa dépérir les colonies des côtes de l’océan, tandis que des armateurs privés continuaient sans aucun doute à y envoyer des vaisseaux 25. Mais les commerçants cherchent avant tout à éloigner la concurrence. Imitant ce peuple de marchands, les Carthaginois, qui agissaient en vertu d’une politique traditionnelle, ils racontèrent sur ces pays les choses les plus extraordinaires. De même les soldats, portés a exagérer leurs prouesses, arrêtés par le désert, décrivaient les pays du sud comme des terres brûlantes et inhabitables, où les fleuves étaient des forrents de feu. Personne n’ignorait cependant qu’au delà de ces terres désertiques on trouvait des pays habités dont parlaient les navigateurs et que mentionnaient les géographes. Il y avait là des trésors inestimables gardés par des tribus belliqueuses, dont on amenait parfois des esclaves à Rome 26.

Mais la décadence de l’Empire, l’anarchie et les conquêtes successives qui bouleversèrent la province africaine, tirent perdre de vue les notions scientifiques déjà acquises. Tandis que les Anciens avaient placé les Champs-Élysées en Éthiopie, le christianisme triomphant, oubliant que Balthazar était venu adorer le Christ, adopta d’antiques superstitions et les audacieux qui regardaient la zone torride comme habitable furent déclarés hérétiques 27. L’imagination du vulgaire peuple cette région de monstres étranges : les singes entrevus du rivage par les navigateurs devinrent des hommes à tête de chien ou à queue 28, des Blemmyes acéphales dont la bouche s’ouvrait a l’estomac, des Sciapodes se garantissant du soleil avec les pieds… Peu à peu ces terres mystérieuses cessèrent d’être fréquentées jusqu’au moment où les barbares du nord lancèrent vers ces rivages leurs nefs légères.

El Beliri rapporte que vers 855, puis vers 860, les Normands, les « Madjous », après avoir suivi les côtes européennes, vinrent sur le littoral africain. Il est probable que d’autres expéditions furent envoyées plus tard de la nouvelle terre normande du nord de la Gaule, favorisées par les dues de Normandie puis par les rois de France. Charles V, le roi lettré, fit surtout montre de sa bienveillance. Il ordonna la réunion au Louvre d’une bibliothèque d’ouvrages cosmographiques y compris la carte catalane de 1375. Durand affirme que longtemps avant 1365, date à laquelle s’associèrent des marins dieppois à des marchands rouennais pour une expédition en Afrique occidentale, les Dieppois fréquentaient la côte du Sénégal a Sierra-Leone.

C’est en vain que les Portugais ont essayé d’enlever aux Franeais l’honneur de la priorité des voyages africains au moyen âge 29. A l’étude savante, mais agressive, du vicomte de Santarem, M. Bilier a répondu victorieusement et ses hypothèses, si habilement déduites jusqu’à la certitude, ont été, depuis, corroborées par la découverte en Angleterre d’une copie de l’acte de société passe a Dieppe entre Dieppois et Rouemiais. Il est intitulé la « Briey estoire del naviaige Mounsire Jehan Prunaut Roanois, en la belle des noirs homes et isles à nous incogneus, avec les étranges façons de vivre desdits noirs et une colloque en lor lingaige ».

Les nouveaux venus allèrent plus loin que leurs prédécesseurs, et visitèrent les havres du Libéria et de la Côte d’Or. Au mois de septembre 1364 deux bàtiments partirent sous les ordres de « Jehan Li Roanois » , pour ces côtes d’Afrique où, déclare le narrateur présomptueusement 30, « one n’avoient esté encoire cil Normandie ». Au premier abord, les nègres, « qui one n’avoient vu homes blancs », s’enfuirent épouvantés. Mais on les apprivoisa facilement avec quelques présents et l’on entama aussitôt des échanges. Nos marins repartirent en annonçant leur retour pour fannée suivante. Jehan y revint en effet avec 4 navires. De violents coups de vent les désemparèrent assez gravement pour que leur commandant (peut-être même fut-ce un prétexte), demandât l’autorisation de construire quelques cases à terre pour loger ses hommes et ses marchandises. Il l’obtint sans difficulté et de ce temps-là commenca « li fait de marchandises avec li nation de Normandie et cil homes noirs » (Journal des Voyages, 10 juin 1883). En 1379, le roi se fit présenter Jehan par le comte de Ponthieu, lui dit raconter ses voyages et lui donna un domaine important avec le titre d’amiral. En 1380, notre Rouennais reprit la mer avec 3 navires et vint aborder (au lieu qu’ils apellèrent la Mine » à cause de la quantité, de poudre d’or qu’ils y trouvèrent. C’est la moderne Elmina. Il y fit construire un petit fort, ainsi que dans les comptoirs de Petit-Dieppe, Petit-Paris (Grand Sestre), Petit-Germontreville, Petit-Rouen. La boussole, apportée de Chine en Europe au XIIe siècle, donnait la sécurité au navigateur dans sa marche. Aussi les expéditions des se succédèrent-elles au point que toute la côte de Guinée était semée de leurs « loges ». C’est de cette époque que, grâce aux importations de défenses d’éléphants, Dieppe passa maîtresse dans le travail de l’ivoire. Nous lui sommes redevables d’œuvres inestimables 31.

Vers 1410, au montent du bouleversement causé par la guerre de Cent ans, les Normands abandonnèrent peu à peu ces établissements, soit, comme on l’a dit, parce qu’ils avaient fait une rapide fortune dont ils préféraient jouir tranquillement, ou bien, plutôt par suite de leur participation aux guerres continentales, et aussi à cause de l’incurie des pouvoirs publics. Au contraire la marine espagnole, puis la marine portugaise, fortement soutenues, affichaient la prétention d’empêcher les étrangers de trafiquer sur ces côtes. C’est à ce moment que Braquemont, de Sedan, léguait à son neveu de Béthancourt, la royauté des îles Fortunées sous la suzeraineté du roi d’Espagne (1402). Se placer sous la souveraineté d’un État étranger était la seule ressource des Normands. Avec l’esprit pratique autant qu’audacieux des gens de son pays, Béthancourt semble s’être fort bien tiré de son rôle ; il entretint sans nul doute des relations avec les comptoirs du sud « où les navires d’Espaigne et d’ailleurs ont accoutumé, venir et frécanter, et au delà de Bugeder jusqu’au fleuve de l’or ». « Béthancourt semble avoir eu, écrit Michelet, le vrai génie de la colonisation. » Quand il revint chercher des hommes en Normandie, tout le monde voulait le suivre, les grands seigneurs s’offraient. Il ne voulut que des laboureurs. Dans l’île de Lanzarote il avait trouvé « ung vieil chastel que Lancelot Maloisel avait jadis fait faire, celon ce que l’on dit ». Ce Lancelot Maloisel était un Génois d’origine normande qui occupa les Iles Canaries au XIIIe siècle.

Cependant si les Français laissèrent peu à peu dépérir leurs comptoirs 32, quelques audacieux continuèrent, malgré les poursuites acharnées des Portugais, à visiter ces parages. Citons Georges le Grec sous Louis XI, Cousin le Dieppois vers la fin du XVe siècle, et Jean Bapliste, propriétaire, ainsi que le constate l’historien portugais Barros, de l’île Mayo (archipel du Cap-Vert) 33

Mais il faut se représenter les difficultés inhérentes à ces voyages dans des mers peu connues, semées de hauts-fonds et bancs de vase, sans port absolument sûr, avec des courants violents et souvent une « barre , presque infranchissable. Les navires du moyen âge, à peine meilleurs que ceux des anciens, devaient lutter contre des tempêtes effroyables, telles que seules les engendrent les régions tropicales. Le défaut de nutrition, d’hygiène, les miasmes délétères des vases près desquelles stationnaient les navires, et l’action implacable du soleil déclinaient ces vaillants marins, qui avaient encore à redouter l’avidité ou la haine des tribus barbares 34.

Le prince Henri de Portugal, surnommé le Navigateur, comprit qu’il était nécessaire de coordonner les efforts et de rassembler les connaissances que l’on pouvait avoir de ces mers, avant de tenter la route de l’Inde. « Talent de bien faire » était la devise de ce prince-moine, grand-maître de l’ordre d’Avis. Il était d’origine française, frère de la duchesse de Bourgogne, qui, elle, poussait son mari, le Téméraire, à chercher vers l’Orient, dans une nouvelle croisade, la gloire des conquêtes lointaines. Enfermé dans son monastère, entouré de marins célèbres et de savants géographes, conseil qui dota les navigateurs de l’astrolabe, il présida à la naissance de la marine lusitanienne et à toutes les expéditions qui se succédèrent du port de Lagos vers les côtes africaines, jusqu’aux jours mémorables où Bartolomeo Diaz (1186), puis Vasco de Gama doublèrent le cap de Bonne-Espérance. Renommé pour son savoir autant que pour son austérité, Henri, perdu dans son rêve, les yeux fixés sur l’Océan, devait être pour les aventuriers qui apercevaient sur les falaises sa silhouette, la matérialisation d’une conception féconde à laquelle ils obéissaient avec enthousiasme sans pouvoir en prévoir les suites : découverte de nouveaux horizons, désir d’amener d’autres humains à partager les croyances, les convictions de la race aryenne, en échangeant avec eux des idées 35.

Ce fut uniquement à cette impulsion énergique que le Portugal dut sa prospérité, car il avait à lutter contre de rudes concurrents, ses frères de la péninsule ibérique, qui devaient plus tard l’entraîner dans leur ruine. Dès 1316 le mayorquain Jacques Ferrer atteignait le Vadimel (Sénégal). Déjà de 1229 à 1230 un frère mendiant espagnol faisait dans ces régions un voyage par terre et mentionnait un pays que l’on peut reconnaître pour le Fouta-Dialon, « d’où sortent de grosses rivières qui, toutes, chéent au fleuve de l’or ». Ortiz de Zuniga parle de la traite des nègres en Espagne.

Aussi lorsque, en 1160, Alphonse V de Portugal donna ordre à Diego Gomez de s’emparer de tout navire étranger fréquentant la côte occidentale souleva-t-il de nombreuses protestations. En 1454, Jean II de Castille avait déjà réclamé des réparations pour capture de marchands venant de Guinée « qui est de notre conquête ». Néanmoins en 1462 la caravelle de l’espagnol Prado, venant de Gambie, était saisie par les Portugais. En 1175, Ferdinand et Isabelle se déclarent, dans l’ordonnance de Valladolid, seigneurs de Guinée, avant droit au quint de toutes marchandises venant de ce pays 36.

Cette déclaration est d’autant plus étonnante que le pape Martin V avait déjà accordé aux Portugais, par une bulle de 1432, le droit de disposer par la force du bien des infidèles, avec indulgence plénière pour ceux qui périraient 37. Cette donation fut confirmée et augmentée par Eugène IV, Nicolas V et Sixte IV. Les rois de Portugal s’étaient à leur tour intitulés seigneurs du royaume de Guinée et de la Côte d’Afrique. Les deux pays choisirent enfin le pape comme médiateur et, en 1492, Alexandre VI donna à l’Espagne les pays à l’occident du méridien de l’île de Fer et l’Afrique au Portugal.

L’or, l’ivoire, les graines et les bois étaient les principaux produits exportés. La traite des esclaves commençait aussi à se développer. En Espagne, le port de Cadiz, en Portugal celui de Lisbonne avaient le monopole du commerce d’outre-mer. Si de grandes compagnies de commerce colonial ne furent pas créées comme en Angleterre, en Hollande et en France, la forte protection assurée à la marine marchande, dont les convois étaient accompagnés de vaisseaux de guerre, et les restrictions nombreuses et extraordinaires au commerce colonial 38, semblaient devoir assurer à ces nations le monopole qu’elles recherchaient. Mais, comme tout système protecteur outré, le résultat fut tout autre : En appauvrissant les colonies et la métropole au profit d’une classe, on incite l’étranger à la contrebande. Cette lucrative opération à laquelle, s’appliquèrent à qui mieux-mieux Anglais, Hollandais et Francais, fit naître chez ces peuples une marine prospère, tandis que celle des Espagnots et des Portugais déclina tous les jours, jusqu’à l’effondrement final.

Les Français, qui ne cessaient d’inquiéter la marine portugaise, continuaient à fréquenter ces parages malgré les défenses papales et royaes 39. Si, comme nous l’avons vu, ils avaient abandonné toutes leurs loges du sud, ils semblent avoir conservé constamment certains points du nord, soit vers le Cap-Vert, soit dans l’île Bokos, a l’embouchure du Sénégal, île qui prit plus tard le nom de Saint-Louis. Il faut que le voisinage de la France l’ait fait choisir au lieu de La Mine, Petit-Dieppe ou Rufisque, remarque le père Labat ; a quoi il faut ajouter la facilité de défendre ce poste contre les étrangers, car l’entrée de la rivière est très difficile à cause de la barre de sable toujours variante.

A la suite des Français-Normands, leurs cousins anglais montraient à leur tour le pavillon d’une marine encore peu connue, mais qui allait bientôt s’illustrer par de hauts faits et des découvertes dans le monde entier. Vers 1526 les premiers vaisseaux anglais vont vers la côte occidentale 40. En 1551, John Lock se rend en Guinée et, en 1555, 1556, nous savons par le témoignage de Towrson et de Ramusio que les Anglais visitent ces côtes.

Ainsi malgré toutes les défenses, malgré toutes les précautions contre la concurrence, celle-ci devenait de jour en jour plus acharnée. Les colons portugais, opprimés par des règlements innombrables, appelaient eux-mêmes les étrangers que leur gouverneilient proscrivait. Dès 1505 ils étaient établis à Sierra-Leone et dans la région de la Guinée actuelle, qui portait le nom de Mitombo. Ils y conservèrent d’ailleurs des comptoirs, tels que Loango, Saint-Paul, Basson et Wida jusqu’au commencement du XIXe siècle. Mais les comptoirs français ou anglais qui s’établirent à côté d’eux, livrés à l’initiative des particuliers, et fréquemment ravitaillés, accaparèrent tout le commerce, les Portugais se bornant peu à peu au rôle de courtiers entre les chefs indigènes et les Européens. Les Anglais vers 1550 arrivèrent, avons-nous dit, à Sierra-Leone (Windham, John Lock, Towrson) et y revinrent régulièrement dans la belle saison d’octobre à mai, conjointement avec les Français qui avaient donné leur nom à la baie de Sierra-Leone, connue jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, sous le nom de « baie des Français ». Mais la marine française déclinait tous les jours et Henri IV fut le premier qui s’inquiéta du lamentable état de cette flotte. Au contraire les souverains anglais donnaient toute leur attention au progrès de leur marine qui, seule, pouvait les mettre à l’abri d’une redoutable invasion. En 1562 le fameux marin Sir John Hawkins, terreur des Espagnols et des Portugais, arrivait devant Sierra-Leone, pillait le village de Tagarin et emmenait en esclavage dans l’île d’Hispaniola (Haïti) une partie des habitants.
Il y revint en 1565. Mais son expédition paraît avoir été moins fructueuse, les indigènes étant en guerre et se tenant sur la défensive. En 1580, c’était Sir Francis Drake, vainqueur 8 ans plus tard de la gigantesque armada, qui vint croiser sur toute cette côte, où il trouva beaucoup d’ivoire. Après la victoire de ses flottes et devant les résultats acquis par ces explorations, la reine Élisabeth donnait le monopole du commerce, du Sénégal à la Gambie, à l’association des marchands d’Exeter et de Londres, puis une patente de 10 années à Thomas Gregory et autres pour le commerce du Rio Nunez à Sierra Leone où un établissement fut fondé. En 1607, le marchand anglais W. Finch rapporte qu’il trouva inscrit sur les rochers les noms de Drake, Thomas Candish, Lister, etc. Borea, village situé au fond de la baie, était la résidence du chef indigène. Finch mentionne que beaucoup de nègres avaient été convertis par les prêtres portugais. La description qu’il fait des naturels est exactement celle que l’on pourrait faire de nos jours, sauf en ce qui concerne leurs armes ; elles se composaient d’arcs et de flèches empoisonnées, javelines et sabres. Ce voyageur remarque que les principales plantations sont celles de tabac, « qui semble être la moitié de la nourriture des nègres. Hommes et femmes fument. La cheminée de leur pipe est large et faite de terre bien cuite. A l’extrémité est planté un étroit et petit tuyau de bois ».

De même que les Portugais avaient considéré longtemps la route des Indes comme leur propriété, les Anglais prétendirent à l’empire des mers, s’arrogeant le droit de visite des navires étrangers et exigeant d’eux le premier salut dans des formes humiliantes. C’est contre ces prétentions que s’élève Grotius en 1609 dans son « Mare liberum ». En 1618, Jacques Ier donnait une charte d’incorporation à une nouvelle compagnie : celle des « Aventuriers de Londres commerçant en Afrique ».

Mais en 1617, la vaillante marine hollandaise avait fait à son tour apparition sur la côte africaine. Après avoir enlevé Arguin aux Portugais, elle les délogeait de Gorée 41 où ils s’étaient solidement établis pour défendre les approches du Cap Vert et des terres méridionales. Le comptoir français de Saint-Louis se trouvait ainsi encadré par les deux nouvelles places hollandaises. Heureusement pour lui, le directeur général hollandais s’était établi sur la Côte d’Or, à la Mine, également enlevée aux Portugais. La nouvelle compagnie anglaise profitait de cette circonstance pour s’établir solidement à l’embouchure de la Gambie (1618), créant Jamesfort, puissante forteresse défendue par 112 canons.

C’est de là que Jobson partait en 1623 pour explorer les rives inférieures de la Gambie. Mais la Compagnie subit de telles pertes du fait de ses luttes avec les corsaires hollandais ou franeais qu’elle ne subsista que quelques années. En 1631 une nouvelle charte était accordée pour 31 ans par Charles Ier a une compagnie fondée par Sir Richard Young, et en 1651 le conseil d’État donnait en toute propriété à la compagnie 20 lieues de côtes au Sherbro (Sierra Leone), à condition de les défendre et de les fortifier.

Bien que la marine française fût assez fortement réduite, la vaillance de ses capitaines et de ses équipages compensait la diminution du nombre de ses navires. De l’aveu même des capitaines anglais de l’époque, les Français entretenaient un commerce intense sur toute la côte ouest africaine 42. Dieppe, Honfleur, Rouen continuaient à y montrer leurs vaisseaux. Les corsaires de lit Rochelle, de Bordeaux, de Bayonne et SaintJean-de-Luz parcouraient l’Océan, terreur des flottes et convois espagnols et portugnais. C’est alors que de Briqueville et de, Beaulieu, marchands rouennais, essayaient de s’établir en Gambie (1612). M. Girault a rappelé qu’un article secret du traité de Vervins fixait le méridien de l’île de Fer comme ligne des amitiés, à l’ouest de laquelle les marins français pouvaient avoir à leur guise sans troubler la paix entre l’Espagne et la France. Tout était permis à condition de réussir. C’est à ce moment que Champlain fonde le Canada et Henri IV, malgré Sully, déclare francais tous les pays américains au nord du 14° de latitude. En 1603 il fonde la Compagnie de la Nouvelle France, et en 1604 celle des Indes Orientales.

A ce moment, dans l’hôtel de l’héroïque Guiton, flottaient partout des drapeaux qu’il disait « pris sur tels rois, dans telles mers » (Mémoires de Pontis). Mais il manquait à la France une véritable marine militaire d’État, qui tînt en respect les corsaires ennemis sur le littoral. Henri IV, par son alliance avec le Grand Turc et la création du port militaire de Toulon, ramena la tranquillité sur le rivage méditerranéen et il eût certainement fait beaucoup plus sans le bras homicide de Ravaillac. Dans ses mémoires, Richelieu rappelle l’affront fait par les Anglais au pavillon français en présence de Rosni, et ces coups de canon qui, perçant un de nos navires pour le contraindre à baisser son pavillon, « percèrent le coeur de tous les bons Français ». « Il faut faire aujourd’hui ce qu’eût fait alors Henri IV s’il en avait eu la puissance », s’écrie le Cardinal. Et, en effet, entouré d’ennemis à l’intérieur et à l’extérieur, terreur et espérance de la France, il ne perd jamais de vue les moyens d’accroître la marine et de créer des colonies 43. Il se fit nommer en octobre 1620 grand maître, chef et surintendant général de la navigation et du commerce.

Dans l’assemblée des notables en 1626, on vota d’enthousiasme tout ce qui était réclamé pour la marine. On y demanda aussi, contrairement aux vœux des États-Généraux de 1614, qui voulaient le libre commerce des particuliers protégé par une marine militaire puissante, l’établissement de bonnes et fortes coinpa-nies de commerce. « On ne petit sans la nier ni profiter de la paix, ni soutenir la guerre » déclarait l’évêque de Chartres, qui estimai à 36 millions les déprédations des pirates sur les côtes, en 5 ou 6 ans.

La politique coloniale de Richelieu s’inspira de celle de l’Angleterre. Mais ce fuL surtout l’exemple de la Hollande qui le détermine. En 1610, cette puissance déclarait dans un traité avec le Maroc : « L’expérience apprend que tous les négoces qui, par monopole, sont accordés à quelques particuliers sont nuisibles au bien des rois, princes et républiques. » Cependant en 1620 elle donnait le monopole du commerce des Indes occidentales à une compagnie générale. Richelieu suivit cette voie.

En 1622, il fondait la Compagnie de la Nouvelle France, en 1626 celle du Morbihan, en 1627 celle de la nacelle de Saint-Pierre-Fleurdelysée. « Pour se rendre maître sur mer, écrivait-il, il faut voir comme nos voisins s’y gouvernent, faire de grandes compagnies, obliger les marchands d’y entrer, leur donner de grands privilèges, comme ils font. Faute de ces compagnies, et pour ce que chaque petit marchand trafique à part de son bien, et, partant, pour la plupart, ont de petits vaisseaux et assez mal équipés. Ils sont la proie des princes, nos alliés, parce qu’ils n’ont pas les reins assez forts, comme aurait une grande compagnie. »

En mai 1698, il créait la Compagnie des Cent, pour commercer au Canada (liquidée en 1663) ; en 1635, la Compagnie des Iles d’Amérique, dont venaient de s’emparer Levasseur et d’Esnambuc; en 1636 la Compagnie de Saint-Christophe; en 1612, la Compagnie de Madagascar ou des Indes orientales 44.

On est surpris du libéralisme de ce ministre, si autoritaire contre les grands. Ainsi une ordonnance assimile aux Français les sauvages qui adopteront le christianisme. En Afrique, en 1626, Fernand et Quinet, marchands de Rouen, fondent une compagnie pour le commerce du Sénégal. Ils cèdent en 1633 à Roux et Robin, qui reçoivent des lettres patentes le 21 juin 1633. De 1633 à 1635, 3 compagnies des marchands de Dieppe et Rouen, de Saint-Malo et de Paris sont formées : la première avec juridiction du Cap-Vert à la Gambie, la deuxième entre Sierra-Leone et le cap Lopez, la troisième du cap Blanc à Sierra-Leone. Si aucune de ces compagnies ne fut très prospère, l’ensemble de la nation ressentit les effets de cette vive impulsion vers le commerce extérieur. Sur mer comme sur terre le pavillon français redevint redoutable et, alors que John Selden, dans son « Mare clausum » (1633), affirmait le droit de l’Angleterre, — enflée d’orgueil par ses victoires sur les Espagnols et Portugais —, à l’empire des mers, le grand ministre écrivait au cardinal-amiral de Sourdis en 1638 : « Si l’armée anglaise voulait contraindre celle du Roi au salut, S. M. commande au dit sieur archevêque de tout hasarder plutôt que de faire préjudice à l’honneur de la France. » Afin de protéger les compagnies africaines, il envoyait sur la côte occidentale une puissante escadre sous les ordres du maréchal de Basilly, et la petite île Bocos, à l’embouchure du Sénégal, fut dotée d’un nouveau fort qui prit le nom de fort Saint-Louis, et autour duquel se maintinrent les marchands normands, même après la ruine des autres compagnies sous le désstreux ministère de Mazarin. Le premier directeur de la compagine, habitant l’île Saint-Louis, Lombard, y mourut en 1631, et fut remplacé par Fumechon 45. Connaissant fort bien ce pays et n’ayant pas la charge d’un territoire trop vaste, la Compagnie normande mena fort bien ses affaires, et l’on a la preuve de son activité dans ce fait que, à diverses reprises, elle envoya des missions à l’intérieur de l’Afrique, et notamment, en 1637, celle du père Alexis de Saint-Lô, en 1617 celle du capitaine Lambert et de Jannequin, sieur de Rochefort, dans les escales du Sénégal.

Des missionnaires français s’étaient établis à Gorée, mais en furent expulsés par les Portugais 46.

Les autres compagnies françaises, et notamment celle qui opérait dans la région des Rivières du Sud, future Guinée française, insuffisamment protégées, Lombèrent bientôt après la mort de Louis XIII.
La marine était si abandonnée par Mazarin que le commerce français fut réduit à se couvrir des couleurs anglaises, hollandaises ou suédoises, pour en imposer aux pirates. Les Hollandais nous enlevèrent même le cabotage de nos côtes et à plus forte raison les transports avec nos colonies, cachant soigneusement leur route et les plans dérobés aux Portugais. Le maître-fourbe italien, imposé, au pays par l’amour d’Anne d’Autriche, avare de ses deniers, mais prodigue de ceux du Trésor, avilit par la corruption de l’or les caractères que la hache de Richelieu avait disciplinés, élevant à la monarchie absolue un piédestal de faquins vautrés et d’échines ployées. La prospérité et la sécurité publiques avaient fui : M. Cultru écrit (loc. cit.) qu’avant Colbert tout existait dans la marine : Marius et officiers (chevaliers de Malte), corsaires, armateurs, chantiers, navires, hommes de guerre et de science navale; tout, existait, il suffisait d’imposer une discipline.

Un rapide examen suffit pour permettre de contredire cette affirmation. Lorsque Fouquet fut nommé, surintendant des finances, il commença à s’occuper sérieusement de la marine et la protégea par un droit différentiel d’ancrage de 50 sous par tonneau sur tout vaisseau de construction étrangère dont l’équipage était étranger pour moitié (12 mars 1661 47). La chute soudaine du brillant mais peu scrupuleux ministre, jalousé d’un maître élevé dans une quasi-indigence et qui n’étalait pas encore la superbe dont il fit montre plus tard, ne permet pas de savoir ce qu’il serait advenu de ses plans. Toujours est-il que, d’après l’opinion autorisée de M. Alfred Neymarck, lorsque Colbert prit « sinon officiellement du moins officieusement la marine, il ne trouva rien, ni vaisseaux, ni officiers, ni matelots… Il n’y avait pas même de quoi constituer un État-Major, de quoi former des équipages… Quand Mazarin mourut il restait à peine 20 vaisseaux, dont 2 ou 3 pouvaient naviguer ; six galères pouvaient tenir la mer. Encore étaient-elles mal armées et manoeuvrées par de malheureux forçats en petit nombre, épuisés, affaiblis. La marine marchande possédait à peine 200 bâtiments de transport ; le budget de la marine ne s’élevait qu’à 300.000 livres ! 48 » En 1669, Colbert écrivait : « Le commerce par mer se fait en Europe par 25.000 vaisseaux. Dans l’ordre naturel chaque nation doit en posséder sa part, suivant sa puissance, sa population et l’étendue de ses côtes; mais les Hollandais en ayant 15 ou 16.000 et les Français 5 à 1 600 au plus, le Roi emploiera toutes sortes de moyens pour s’approcher un peu plus du nombre de vaisseaux que ses sujets doivent avoir. » Aussi, après avoir réduit de moitié la prime de Fouquet en faveur des Hollandais, afin d’éviter une trop brusque diminution des moyens de transport par mer, il donne des primes de 1 à 6 livres par tonneau à tout navire de construction française au-dessus de 100 tonneaux, puis des primes de 10 sous par tonneau à tout navire allant dans les mers du Nord. Il fait rendre au Roi une ordonnance (août 1669) déclarant que le noble ne déroge pas à faire le commerce maritime en gros.
Enfin il fait bâtir Rochefort (1666) et organise le corps des officiers et l’inscription maritime (22 septembre 1668 49). Résultat : en 1692 la France avait 131 vaisseaux, 133 frégates, 101 navires divers 50.

Voulant vivifier les colonies françaises, Colbert employa les mesures qu’il crut les plus propres à atteindre son but. Malgré le succès très relatif des grandes compagnies anglaises et de la compagnie hollandaise des Indes orientales, qui dut liquider en 1665, tout le monde était fasciné par l’éclatante fortune de la compagnie néerlandaise des Indes orientales, qui avait édifié sa grandeur sur les ruines de la flotte et du commerce espagnol et possédait jusqu’à 800 navires, représentant 180 millions 51.

Il n’est pas douteux que Colbert ne fût en principe l’ennemi des monopoles, et dans sa correspondance il écrit que la liberté de commerce à tous les sujets du Roi peut seule attirer l’abondance dans les colonies, et qu’il n’est pas bon que les colons soient à la discrétion des commis 52. Mais comme Jean de Witt, tout en pensant que « les sociétés privilégiées qui interdisent le commerce à tous les citoyens et qui maintiennent les denrées à un prix artificiellement élevé par l’effet naturel du monopole ne peuvent être une bonne institution nulle part », il estimait avec le grand républicain que ce pouvait être parfois « un mal nécessaire 53 ».

Après avoir racheté aux seigneurs-propriétaires des Antilles (qui les tenaient des anciennes compagnies de Richelieu) les îles d’Amérique, il créa le 28 mai 1664 la compagnie des Indes occidentales à laquelle il donna ces terres, en même temps que la côte occidentale d’Afrique du Cap Vert au Cap de Bonne-Espérance, « tant et autant qu’elle pourra s’étendre dans les terres, soit que lesdits pays nous appartiennent, pour être ou avoir été ci-devant habités par les Francais, soit que ladite compagnie s’y établisse en chassant ou soumettant les sauvages ou naturels du pays, ou les autres nations de l’Europe qui ne sont pas dans notre alliance ». « Triste exploitation, triste commerce », remarque Henri Martin, « qui prit l’homme pour principale marchandise » !

La société des marchands de Dieppe et Rouen avait vu ses affaires prospérer et, en 1661 54, elle vendait ses établissements au sieur Raguenet 55 pour 92.000 livres malgré la résistance de la nouvelle compagnie qui s’intitulait compagnie du Cap-Vert et du Sénégal. Colbert l’obligea là vendre ses affaires et ses comptoirs à la Compagnie des Indes occidentales, qui lui versa 150.000 livres, ce qui indique une prospérité assez grande. Nous n’insisterons pas sur la façon dont fut organisée cette grande compagnie et renvoyons sur ce point à l’étude très documentée de M. Chemin-Dupontés. Disons seulement que des faveurs extraordinaires furent réservées aux actionnaires, à la tête desquels s’était inscrit Louis XIV 56. Les premiers directeurs du Sénégal furent Jacquet en 1665, de Richemont en 1673. Le moment était excellent pour la nouvelle compagnie, par suite de l’ouverture des hostilités entre l’Angleterre et la Hollande.

En effet, en 1663, une nouvelle charte avait été accordée par Charles II à la « Compagnie des Aventuriers Royaux » pour faire le commerce, découvrir des initiés d’or et établir des plantations du Maroc au Cap de Bonne-Espérance. Le fameux acte de navigation de Cromwell, renforcé encore par Charles, avait donné à l’Angleterre une marine considérable, en même temps qu’il remplissait d’orgueil, comme le monument de sa puissance maritime, ce peuple, énergique, encore surpris de ses victoires. Des forts furent de nouveau établis par la Compagnie des Aventuriers en Gambie et en Sierra-Leone. La compagnie frappa monnaie à l’effigie d’un éléphant, et le terme de « guinée », qui est resté le nom d’une monnaie de compte anglaise, s’appliqua aux nouvelles pièces.

L’insolente théorie anglaise du « mare clausum » ne pouvait que susciter des querelles avec les navires des autres nations 57. La puissante marine hollandaise méprisait ces fanfaronnades de parvenus et infligeait parfois de sévères corrections aux corsaires anglais, car il ne faut pas oublier que dans ce temps-là, bien que la paix existât entre les nations européennes, leurs marins ne cessaient de se battre sur les côtes africaines ou américaines. En 1661, le capitaine anglais Holmes arrivait brusquement devait Gorée, où depuis 1617, les Hollandais tenaient les approches du Cap-Vert sous le feu des canons des forts de Saint-Michel et Saint-François 58 et enlevait cette place où il fit flotter le drapeau anglais. Cette fois c’en était trop !

La Hollande déclara une guerre que domine la figure placide et énergique du grand Ruyter. Après avoir bravé et bafoué l’Angleterre dans ses propres mers, il apparaît sur les côtes africaines, reprend Gorée, descend sur Sierra-Leone où il détruit les établissements anglais de l’île Tasso (décembre 1661), pour les punir d’avoir saisi les biens de quelques marchands hollandais, puis il va brûler les forts de la Côte d’Or. Mais les Anglais, sans se décourager, relevèrent les ruines de Sierra-Leone, et leurs comptoirs avaient repris leur importance lorsque, deux après, Villault de Belleronds les visita. L’année suivante d’ailleurs (1667) le traité de Bréda rendait à chacun des belligérants les colonies perdues par lui. Mais la compagnie anglaise, accablée de dettes par suite des pertes subies, dut se dissoudre et la compagnie royale africaine lui succéda. Cette compagnie remplaça le fort de Tasso, qu’avait détruit Ruyter, par une nouvelle forteresse qu’elle éleva dans l’île Bence. D’autres établissements prospéraient au Sherbro, à Jamaica-Town. Nous savons que les principales marchandises que l’on recevait de cette côte étaient les dents d’éléphants, la cire, les peaux, l’or, le poivre (probablement le poivre de Kissi) et la malaguette, et, au Sherbro spécialement, les bois de teinture rouge.

La Compagnie française des Indes occidentales ne sut pas profiter de la situation. Elle avait deux défauts d’organisation : ses entreprises étaient beaucoup trop étendues, portant sur deux continents très éloignés l’un de l’autre de plus elle ne songeait à mettre en valeur qu’une partie de ce domaine, le Canada, la vallée du Mississipi et les Antilles. L’Afrique occidentale n’était que le réservoir de la main-d’œuvre. Néanmoins la grandeur de cette entreprise faisait une forte impression sur les contemporains. « Il faut, écrivait un Anglais, avoir le diable au corps et être Français pour oser tenter de pareilles entreprises 59. ) Le 9 avril 1672, un arrêt du conseil du roi obligeait la compagnie à céder ses comptoirs d’Afrique, entièrement négligés par elle, et qui avaient été si prospères du temps de la Compagnie normande. Elle avait eu cependant des velléités de s’intéresser au commerce africain, mais en avait été détournée par les préoccupations qu’elle avait en Amérique. C’est ainsi que, en 1666, elle envoya le long de la côte de Guinée une croisière sous les ordres du capitaine Villault de Bellefonds, et cet intelligent officier fût frappé de la richesse de ces pays. Il quittait Rufisque, à bord de l’Europe, en décembre 1666, et après avoir parcouru les côtes de la Guinée portugaise et de la Guinée française actuelles, arrivait à Sierra-Leone, sur la côte de Malaguette, où les Anglais ont un établissement « aimé et protégé des rois du pays ». Le roi Felipe, qui avait auprès de lui un capucin et un jésuite portugais, était chrétien, ainsi que la population 60. Villault fut assez mal accueilli. Il eut à lutter contre le chef indigène, puis contre les Anglais qui le soutenaient, les battit, et fit prisonnier le commandant anglais, qu’il ne rendit que contre rançon. Après avoir conclu la paix il s’éloigna vers le golfe de Guinée.

Mais cet effort de la compagnie fut isolé. Il n’y avait dans ses entreprises aucun esprit de suite, et Colbert qui, par l’Édit du 10 juillet 1670, avait défendu aux vaisseaux étrangers d’aborder aux colonies françaises, ne cessait de lui reprocher d’entraver l’essor des particuliers en ne donnant qu’à contre-cœur des permissions de traiter, moyennant une patente de 5 %. Ces vues étroites et mesquines étaient, il faut bien le dire, le résultat direct dit monopole accordé un peu trop largement par le ministre. Enfin la compagnie fut déclarée dissoute par l’édit de décembre 1674, et le roi réunissait au Domaine les îles dAmérique qui prirent le nom de Domaine d’Occident. Le 8 novembre 1673 la vente des comptoirs d’Afrique avait été faite moyennant 75.000 livres et 1 marc d’or à la Compagnie d’Afrique, qui, en janvier 1679, reçut des lettres patentes établissant son privilège. Elle devait fournir 2.000 nègres par an aux Antilles, pendant 8 ans, avec prime de 13 francs par tête (arrêt du conseil, 25 mars 1679). Elle propséra sous l’habile direction de Fumechon. La guerre venait malheureusement d’éclater entre la Hollande et l’Espagne d’une part, la France et, l’Angleterre de l’autre. Elle fut d’abord assez heureuse pour la France. Le comte d’Estrées, vice-amiral du Ponant, soutint contre Ruyter, avec l’aide des Anglais, un premier combat naval indécis (7 juin 1672). C’était un succès pour la nouvelle marine française.
Mais l’année 1676 fut surtout favorable sur mer aux armes de Louis XIV. Le duc de Vivonne, frère de Mme de Montespan, avait reçu le commandement nominal de la flotte de la Méditerranée, qui accourai au secours de Messine, attaquée par Ruyter. En réalité elle était commandée par les deux braves du Quesne et Tourville. Après la bataille de Stromboli, où du Quesne, avec 20 vaisseaux et 6 brûlots, fit reculer les 24 vaisseaux, 6 brûlots, 29 flûtes el 9 galères de Ruyter, ce dernier, commandant la flotte hispano-hollandaise, était battu à Agosta et peu de jours après périssait glorieusement dans le désastre de Palerme. C’est un titre de gloire pour Louis XIV d’avoir ordonné que les plus grands honneurs fussent rendus à la dépouille mortelle de ce vaillant.

La même année d’Estrées reprenait Cayenne aux Hollandais et les battait à Tabago. Puis il vint attaquer Gorée, défendu par le gouverneur Hopsac. Il prit cette ville le 1er novembre 1677, et détruisit les forts qui la défendaient. C’est alors que le capitaine du Casse fut nominé par la Compagnie d’Afrique, avec l’assentiment du roi, commandant des forces de terre et de mer de la côte occidentale d’Afrique, Fumechon ne devant s’occuper que de l’administration civile et du commerce. Du Casse, après un essai infructueux, revint attaquer le fort d’Arguin, défendu par un millier d’hommes au service de la Hollande. Après 7 jours de bombardement, le gouverneur de Lyncourt capitula le 1er septembre 1678 61. A ce moment l’Angleterre, effrayée de la puissance de Louis XIV 62 l’abandonnait, et la paix de Nimègue, qui suivit de près, ratifia la prise de possession de Gorée par la France. Du Casse eut néanmoins à lutter contre les rois nègres du Baol, du Sine-Saloum et contre le puissant Damel du Cayor, soulevés contre les Français par les agents hollandais. Il réussit à les vaincre et leur imposa un traité donnant à la France, en toute propriété, la côte comprise entre le Cap-Vert et la Gambie jusqu’à 6 lieues dans l’intérieur. L’année 1679 marque l’apogée de la Compagnie du Sénégal. Peu de temps après elle obtenait le monopole de la traite et du commerce d’Afrique, s’obligeant à offrir au roi 2.000 nègres par an pendant 8 ans et de les porter aux îles d’Amérique, et de fournir le nombre de rameurs nécessaire pour les galères, moyennant la somme de 13 livres par tête de nègre, avec défense à tous autres Français d’y trafiquer sous peine de 3.000 livres d’amende 63. Ce fut le commencement de la ruine, car elle ne pouvait suffire à sa tâche.
Entre temps, la guerre de la Ligue d’Augsbourg avait éclaté. Elle marque suivant l’observation de Seeley, rapportée par Girault, le début d’une nouvelle guerre de Cent ans, qui s’ouvrit en 1688 entre la France et l’Angleterre, vivant depuis deux siècles en bonne intelligence. Ce furent pour l’Angleterre des guerres d’afraires dont le but était de ruiner la puissance maritime de la France 64. Là encore, la belle marine créée par Colbert porta haut le pavillon français 65. Après la glorieuse défaite de la Hougue où 44 vaisseaux francais luttèrent contre 99 anglo-hollandais, Tourville prenait sa revanche en 1693 à Lagos. Dans cette guerre s’illustrèrent les Jean Bart, Duguay-Trouin, Pointis, Nesmond, Cassart, Forbin, etc. Sur la côte d’Afrique, la Compagnie du Sénégal avait dû vendre en 1681 et en 1681 la Compagnie de Guinée fut fondée.

En 1701, elle devait recevoir le privilège de l’ « Asiento » qui la fit prospérer.

En 1692, le gouverneur anglais de la Gambie, James Hooker enlevait Saint-Louis à Desmoulins et Gorée à Félix. Cependant le capitaine Bernard reprenait ces places peu de temps après.

Le 21 Juillet 1695, le comte de Gennes arrivait a Gorée avec 6 bâtiments se rendant au Chili. Avant de quitter la côte dAfrique, il fit voile vers Jamesfort, la forteresse anglaise de la Gambie, la bombarda et l’obligea à capituler, après quoi il la fit sauter (24, Juillet 1695).

Mais la guerre avait affaibli la compagnie autant que la protection qu’on lui avait accordée. En outre la détestable politique de Louis XIV, qui n’allait plus avoir auprès de lui les conseils de Colbert, obligea plusieurs membres protestants à se retirer (Arrêt du 12 septembre 1684). Enfin les pertes de navires par des cyclones achevèrent la ruine. Seignelay, sur les réclamations des armateurs particuliers, réduisit le privilège à la côte s’étendant entre le Cap Blanc et la Gambie. Mais, le 6 janvier 1686, un Arrêt du Conseil du Roi lui accordait, sous le nom de Compagnie du Sénégal, le monopole jusqu’à la rivière de Sierra-Leone, exclusivement, tandis qu’une Compagnie de Guinée en obtenait un autre de la rivière de Sierra-Leone au cap de Bonne-Espérance. Cette dernière devait subsister jusqu’à la fin du siècle.

La Compagnie d’Afrique puis celle du Sénégal firent explorer soigneusement toute la côte ; on se souvient surtout des voyages du naturaliste Adanson au Sénégal (1657), de la Fond ( 1687) et de Bourguignon (1688) aux Bissagos, du père Gaby (1689) et des sieurs Lemaire et Dancourt, ce dernier directeur de la Compagnie du Sénégal, qui parcoururent le Sénégal et la Gambie, deux cours d’eau qui sont, dit Lemaire, « deux bouches du fleuve Niger»(1682). La relation de Lemaire nous donne de curieux renseignements sur le commerce d’Afrique à cette époque 66 et les gens que la compagnie envoyait dans ses comptoirs 67. On exportait à ce moment du Sénégal des cuirs verts, des esclaves, de la cire, de l’ivoire, de l’or, de la gomme, des pagnes, de l’ambre et des plumes. La plus insigne mauvaise foi présidait aux rapports entre indigènes et européens. Beaucoup parmi ces derniers étaient le rebut de la société et ne se gênaient pas pour tromper les nègres sur le poids ou la valeur des marchandises, leur prodiguant surtout l’alcool à bas prix qui devait les abrutir 68. De leur côté, les indigènes n’étaient pas plus équitables : En parlant des tribus des Rivières du Sud, Durand écrit : « Jamais le blanc quand il gagne un procès n’a de dommages et il est obligé de payer les frais, parce que les blancs ne peuvent manquer d’argent 69. » D’après Berlioux, le Rio Nunez fournissait à la fin du xviie siècle à la compagnie 300 quintaux d’ivoire et 100 esclaves pendant la période de traite, et les Bissagos 3 à 400 et même parfois 800 esclaves. L’unité de valeurs était la barre, en principe une barre de fer, mais, le plus souvent, monnaie de compte valant 1 livre 10 sols, ou 10 cuirs verts.

1 esclave de premier choix 30 barres
1 quintal de cire 16 barres
1 quintal d’ivoire 18 barres
1 marc d’or 500 livres 70

La Compagnie du Sénégal végétait cependant, et cela, malgré la présence vers la fin de la guerre de la Ligue d’Augsbourg d’un administrateur de premier ordre à Saint-Louis. André Brue arriva en effet au Sénégal en 1697 et donna une vive impulsion aux affaires.

Son premier soin fut d’envoyer Cartaing aux îles Bissagos qui étaient à ce moment un grand marché d’esclaves. Deux nouveaux comptoirs avaient été créés : Albreda et Gérèges sur la rivière de Bintan. Bientôt un troisième était établi à Bintan même, capitale du Fogni 71. Pendant ce temps les Anglais avaient établi un fort sur l’île Bence, favorisé par sa situation au sommet d’un roc. Ils y avaient installé une garnison de 28 soldats blancs et de 30 gourmettes ou mulâtres (Description de Barbot, 1678).

A la paix de Riswick (1697), il fut décidé que toutes les conquêtes seraient restituées, ce qui fut fait pour la Gambie remise aux Anglais en 1699 ; mais la paix ne fut pas de longue durée, et la guerre de la succession d’Espagne (ligue de la Haye), qui éclata en 1701, devait achever la Compagnie du Sénégal qui allait avoir à lutter contre Anglais et Portugais 72. La guerre débuta par un combat naval indécis près de Portudal entre deux navires anglais et un français. En 1703, de La Roque avec deux vaisseaux faisait capituler Jamesfort à l’embouchure de la Gambie, mais trouvait la mort dans cette attaque. Cet établissement, relevé peu après par les Anglais, reçut en 1701 la visite du corsaire martiniquais Heurt Bâton, qui l’enlevait d’assaut et le pillait. Enfin le 17 Juillet 1704, le sieur Guérin avec deux vaisseaux de guerre, assistés de 9 petits navires, prit le fort de l’île Bence (Sierra-Leone), sans résistance.

Les Anglais s’étaient enfuis à soit approche laissant seulement un canonnier et quelques hommes qui se rendirent à la première sommation. Le fort fut pillé et rasé. On en retira 4.000 dents d’éléphants, tandis que sur un petit navire anglais, croisant entre l’île et le littoral et qui essayait de fuir, on en saisit 3.000. La compagne anglaise fut effrayée de ces revers qu’elle demanda à sa rivale franeaise un traité de neutralité du cap Blanc à Sierra-Leone. Ce traité fut signé le 8 Juin 1705. État de choses assez singulier que celui qui existait de la sorte : les deux compagnies, usant de la délégation de souveraineté faite par l’Etat décidaient de vivre en paix, tandis que leurs pays respectifs luttaient avec acharnement.

Ce traité ne mit d’ailleurs pas Jamesfort à l’abri d’une nouvelle incursion. Le corsaire Parent vint l’attaquer en 1709 avec 4 frégates, estimant n’être pas lié par le traité passé entre les deux compagnies. Il anéantit le fort anglais pour la troisième fois. De son côté le capitaine de frégate Cassard enlevait le fort de la Praya, dans l’île de San lago (Cap Vert).

Malgré la trêve, malgré le succès de nos armes, malgré le renforcement des mesures protectrices 73, la situation financière de la Compagnie du Sénégal, à la tête de laquelle Brue ne se trouvait plus depuis le 12 avril 1702, était fort compromise 74. Elle fût dans l’obligation de vendre en 1709 à une nouvelle Compagnie du Sénégal ou de Rouen. Celle-ci n’eut guère plus de chance au début : son premier directeur Mustellier, très intelligent et habile, mourait à Tuabo le 15 août 1711 au cours d’un voyage à Galam. Le gouverneur du fort de Gorée, de Richebourg, qui fut nommé à sa place, mourut noyé dans la barre du Sénégal, le 2 mai 1713. André Brute accepta sa redoutable succession, au montent où le privilège de l’asiento allait être enlevé à la compagnie par le traité d’Utrecht et donné à l’Anggleterre. Il arriva à Saint-Louis le 20 avril 1714. Il devait rester dans la colonie jusqu’en 1720, et pendant cette période la compagnie atteignit une prospérité inespérée. Pratique et spéculatif, alliant à des connaissances très variées un esprit déductif éloquent et subtil, patient et souple, et cependant prêt à tirer l’épée, insolent et courtois, il avait la vision rapide et nette des réalités et agissait aussitôt sans hésitation. C’est un des types des coloniaux francais qui doit retenir l’attention 75.

Déjà au courant des affaires sénégalaises, il ne se jugea pas cependant suffisamment renseigné sur le pays où la compagnie avait des droits infinis et indéfinis, théoriquement du moins. Il fit dresser la première carte dit Sénégal, et grâce à lui le géographe d’Anville dessinait trois nouvelles cartes dAfrique. Il fonda de nouveaux comptoirs et forteresses jusque sur la Falémé (forts Saint-Joseph et Saint-Pierre), alors que nos établissements dans l’intérieur ne dépassaient pas le Terrier-Rouge (Podor) , sur ses ordres le père Apollinaire, puis Compagnon, parcouraient le Bainbouk et consLataient ses richesses aurifères ; il faisait occuper l’île de Bissao, à l’embouchure du Geba, que les Portugais allaient abandonner. Il acquérait des indigènes l’île de Boulam, où il se proposait d’établir une colonie agricole semblable aux plantations américaines, et où le défaut de main-d’oeuvre ne serait pas à craindre 76. Il engageait le commis Pelletier à prendre case à Bintan, c’est-à-dire à obtenir des indigènes sa naturalisation. Admirable tactique ! La paix d’Utrecht (1713), qui cependant commençait le démembrement des colonies américaines et enlevait l’asiento à la France, favorisa le brillant administrateur, et le 15 septembre 1718 la prospérité de la compagnie était telle qu’elle pouvait vendre ses affaires 1.600.000 livres à la Compagnie dite d’Occident ou de Mississipi 77.

Après les rudes et tristes années de la fin du règne de Louis XIV l’activité, des transactions, une aisance générale, quoique factice, permirent à la France de se ruer aux plaisirs, ce qu’elle fit sans retenue, comme pour se venger de la contrainte imposée par le Grand Roi. L’étiquette disparaissait de la cour et la corruption s’étalait au grand jour, achevant de discréditer la classe aristocratique, dont le rôle historique avait été détruit définitivement sous lit main de fer du Roi Soleil et de ses ministres bourgeois. Cette triste époque est personnifiée dans la figure de ce Régent, intelligent mais superficiel, habile mais chimérique, plein de bons sentiments, mais ne sachant résister à ses passions, et amené peu à peu par un entourage pervers, au tréfonds de la dépravation.

La marine, comme toutes les autres administrations du royaume, se ressentit de cette décadence générale des caractères. La belle flotte de Colbert était loin et, tandis que la marine anglaise ne cessait d’augmenter ses unités, la France n’avait en 1715 que 80 vaisseaux de ligne qui n’étaient pas tous équipés et armés, tandis qu’un grand nombre de navires en construction s’éternisaient sur les chantiers où ils pourrissaient. Le conseil de la Régence, inspiré par l’abbé Dubois, sembla prendre a tàche d’annihiler nos forces navales. Ce devait malheureusement ètre pis sous le duc de Bourbon et sous le cardinal de Fleury, qui considérait la marine comme inutile et coûteuse. Aussi, en 1739, la France n’avait-elle plus que 22 vaisseaux à opposer aux forces anglaises.

Par contre cette ère de paix et de prospérité, et la soif de l’or qui la caractérisait, avaient fait jaillir partout de nouvelles entreprises financières à peu près inconnues jusqu’alors, ou dit moins accaparées en secret en quelques mains, juifs opulents ou fermiers enrichis. La bienveillante intervention du Régent lança le publie français tout entier dans une aventure qui allait accumuler des ruines innombrables. Sous les auspices du financier Law, la Compagine d’Occident, dont nous avons parlé plus haut, se transforma en la célèbre Compagnie des Indes dont les titres vendus à prix insensés, devaient tomber bientôt à un taux dérisoire, tuant,en même temps que la compagnie, le crédit de l’État. Mais nous n’avons pas à retracer ici cette lamentable aventure 78. Nous devons constater que le contre-coup de la déplorable politique administrative et financière de la Régence ne se fit sentir que quelques années plus tard, lorsque la guerre reprit avec l’Angleterre. Mais, en 1718, l’administration de Brue avait fait de telles merveilles sur la côte occidentale d’Afrique que la France, comme au temps des Normands, était la seule puissance dignement représentée par un personnel d’élite. Les Anglais avaient peine à se maintenir ; au point que, lorsque le Comptoir d’Albréda fut ouvert par la compagnie française, la compagnie anglaise en manifesta une grande joie, et presenta même un projet d’alliance offensive et défensive entre les deux organismes contre le puissant chef de Bar. D’ailleurs l’insuffisance de la compagnie était tellement éclatante que le roi d’Angleterre résilia son contrat en 1750

Parmi les directeurs français.qui se firent remarquer après on doit citer David « dont le nom », a écrit Léonard Durand, « sera toujours en vénération parmi les nègres ». Les comptoirs bien ravitaillés, travaillaient beaucoup. Quelques traitants particuliers trafiquaient seuls dans les Rivières du Sud, la compagnie ne faisant guère visiter les côtes entre Bissao et Sierra-Leone. Il semble que cette négligence provenait surtout de la difficulté d’atterrissage et des légendes qui couraient sur le caractère belliqueux et perfide des indigènes 79. Cependant, de nombreux portugais, venant de Bissao, y étaient établis, y fondant des factoreries prospères. L’un d’eux, Fernando, se mariait à la fille du roi du Bramaya, et son fils devait devenir chef du pays à son tour, sous le nom de Manga-Moumini. Vers la même époque Gomez s’établissaient également au Rio Pongo, venant de Bissao et le nom du premier roi du Koba, Mangué Souara (Souarez), présumer une filiation portugaise par un mélange de sang soso.

Nombreux aussi étaient les Portugais aux îles de Los, où il m’a été dit, par les indigènes, que l’on trouve des porcs sauvages qui proviennent de leurs anciens établissements. Ces îles étaient leur grand entrepôt, d’où l’on expédiait les esclaves achetés dans les Rivières. Quelques Français y étaient établis. Aussi, d’après Durand, les appelait-on « les îles de l’homme blanc » (Sarotima ?).

Plus au sud le fort, de l’île Bence, élevé par les Anglais dans la Rivière de Sierra-Leone 80, très éprouvé lors de la guerre contre les Francais, subissait, une nouvelle attaque, mais dirigée celte fois par un célèbre pirate anglais nommé Roberts. C’était un de ces nombreux marins, qui, refusant de reconnaître le monopole des grandes compagnies, obligeaient celles-ci à vivre dans un perpétuel état de guerre, leur faisant subir souvent des pertes considérables. Les Anglais leur donnaient le, nom d’ « Interlopers ». Roberts vint jeter l’ancre devant le fort de Bence avec 3 navires, saisit un vaisseau de la compagnie auquel il mit le feu après l’avoir pillé, et envoya un message au gouverneur Plunkett lui demandant de l’or, de la poudre et des balles. A quoi celui-ci répondit qu’il n’avait pas d’or, mais qu’en ce qui concernait la poudre et les balles, Roberts en trouverait dans le fort s’il venait les chercher. La bataille commença aussitôt et durit plusieurs heures. Plunkett ayant épuisé ses munitions, s’enfuit dans l’île Tumbo. Mais rattrapé par les pirates et ramené à Bence, il ne dut son salut qu’à la bonne humeur qu’il fit éclore dans les cerveaux de ces hommes grossiers et barbares. Roberts l’ayant apostrophé rudement, il lui tint tête, jurant plus énergiquement que lui, il la grande joie de l’équipage qui demanda la grâce de l’habile Irlandais. Roberts s’éloigna laissant le fort très endommagé et complètement pillé. L’année suivante, il était tué au large de Cap Lopez dans un combat contre le Swallow et 3 autres navires ; ses compagnons, jugés sommairement, furent pendus à Cape Coast-Castle 81.

Bientôt allaient se faire sentir pour la France les effets déplorables de sa politique. La guerre de la succession d’Autriche (1740-1718) venait d’éclater, et en 1711 l’Angleterre se joignait à nos ennemis continentaux. Nos colonies furent cruellement éprouvees dans cette guerre et les restes de la marine française y furent anéantis, malgré le courage et l’habileté des La Bourdonnais, de Court, La Galissonnière. Les désastres succédaient aux échecs (défaite de la Jonquière, 1747) et, à peine, après le traité d’Aix-la-Chapelle 82 notre marine se relevait-elle grâce à Rouillé et Machault que l’Angleterre commettait en pleine paix l’attentat 83 qui fit éclater la désastreuse guerre de Sept ans (1756-1763). Tandis que Thurot se faisait battre sur mer (1760), les colonies françaises étaient envahies de toutes parts et l’empire mondial françals allait devenir la proie de la Grande-Bretagne 84. Tandis que celle-ci, dès 1750, avait déclaré Sierra-Leone colonie anglaise, la France avait mahitenu sur la côte africaine une compagnie privilégiée, dite du Sénégal. Assez éprouvée au moment de la guerre de la succession d’Autriche, elle se maintint cependant. Mais l’Angleterre devenait une rivale toujours plus redoutable, surtout depuis que, en avril 1718, elle avait arraché à l’Espagne le droit d’asiento et le vaisseau de permission. Albion allait devenir une gigantesque, entreprise de transports par mer. La nouvelle guerre vit la fin de la Compagnie du Sénégal avec celle des possessions africaines. En 1758, les Anglais enlevaient Saint-Louis et, bientôt après, Gorée. Cette dernière place nous fut rendue par le traité de Paris en 1763, débris d’un immense domaine colonial 85. Cependant les Anglais ne se conformèrent pas au traité et nous ne la recouvrâmes que par la force. En, effet, Choiseul avait relevé la marine 86 et la guerre de l’indépendarice américaine (1778-1765) fut l’occasion de la revanche de la France 87. Le comte de Sartine ayant été informé du mauvais état du fort de Gorée par deux missionnaires qui avaient fait naufrage au banc d’Arguin et qui avaient été vendus aux Anglais par les Maures, puis expulsés, envoya le marquis de Vaudreuil et le duc de Lauzun au Sénégal à la tête d’une escadre de 16 voiles. Ils enlevèrent la place et capturèrent de nombreux navires anglais (1779). A partir de ce moment le roi de France décida de nommer lui-même, directement, les gouverneurs de cette place forte. Les Français reprirent également Saint-Louis (27 janvier 1779). Le traité de Versailles (3 septembre 1783) confirma aux Français la possession de la côte du Cap Blanc au Cap Vert, avec permission pour les Anglais de faire la traite à la Rivière Saint-Jean et à Portendick. (Le même traité, nous rendit les Antilles.) Les Français obtenaient ensuite, sans exception, le littoral du Cap Vert à Albreda; mais la Gambie demeurait aux Anglais. Le « bas de côte » ou « Rivières » du cap Sainte-Marie à SierraLeone était déclaré zone neutre 88.

Le 11 janvier 1781 un arrêt du conseil du roi accorda à la Coinpagnie de la Guyane le privilège exclusif de la traite de la gomme au Sénégal. C’était un retour timide vers le monopole, contre lequel s’était élevée avec force l’opinion publique. En 1769, la haute bourgeoisie, représentée par le parlement de Paris, avait fait des représentations sur la suspension du privilège de la Compagme des Indes (arrêt du conseil du roi, 13 août 1769 89). Tout en soutenant l’utilité du privilège 90 il demandait cependant l’abrogation du monopole du port de Lorient. Mais les députés du commerce, interrogés, avaient été, nettement hostiles à la compagnie. Celui de Paris déclarait que « le commerce des particuliers serait plus avantageux pour l’Etat, car la concurrence plus grande produirait une exportation plus animée, une importation plus abondante et une navigation plus active et plus étendue ». Depuis, le monopole n’avait cessé d’être attaqué par les armateurs, les philosophes et les économistes. Ces derniers signalaient avec raison la contrebande très active des Anglais et des Hollandais qui avait sa source dans le privilège, les colons étant obligés de payer très cher et de vendre bon marché. C’était le résultat du fameux Pacte colonial :

Tout de la métropole, tout à la métropole, tout par la métropole.

C’était la restriction de la production et de la consommation, principe immoral s’il en fût (Montesquieu, liv. XXI, 21). En 1780, Thomas Baynal, dans son Histoire philosophique, « dénonçait, avec une précision singulière, parmi les causes de nos échecs et de nos déchéances dans le domaine colonial : les préjugés de la métropole, l’entêtement des ministres mal informés, l’incohérence et l’inaptitude du gouvernement militaire, violent en lui-même et fait pour des temps de crise et de péril, l’arbitraire et la tyrannie, parfois l’immoralité des gouverneurs improvisés, l’ignorance économique des conseillers de la cour de Versailles, l’avidité mal contenue des trafiquants et l’âpreté du monopole », etc. Il proposait en outre un budget spécial et l’autonomie financière. Il avait demandé, hardiment, — lui, un apôtre de l’Égalité ! — l’abolition de l’égalité du partage dans les successions, égalité qui, suivant les pays, pouvait être contraire au maintien des sociétés et préparait de loin la ruine des îles françaises.

Il faut ajouter à toutes les causes d’échec qu’il énumérait : les vues étroites et mesquines des actionnaires, l’état perpétuel de guerre qui régnait dans toutes les colonies, entre puissances, ou contre les corsaires ou pirates. « Nous ne pouvons, écrivait Léonard Durand, pénétrer dans l’Afrique et nous y établir qu’à l’ombre de la paix. »

Le 14 janvier 1785, la compagnie de la Guyane céda ses droits à la compagnie de la Gomme. Puis, en 1786, le roi mettait à la charge de la compagnie toutes les dépenses du budget colonial, lui accordant, en compensation le monopole de la traite des nègres, avec le titre de Compagnie du Sénégal 91.

Pendant la période d’administration directe de la Couronne, le ministre maréchal de Castries faisait partir de Brest la frégate l’Éineraude, commandée par de La Jaille, accompagnée d’une corvette. Le 12 janvier 1785, elle jetait l’ancre à l’embouchure de la Bunck 92. De La Jaille construisait un fort sur l’île Gambie moyennant le paiement annuel de 100 barres au roi Panabouré, dont le fils Pedro, déjà évangélisé par les Portugais, fut mis en pension à Brest (traité de Janvier 1785). Cet événement fit beaucoup de bruit en Angleterre, d’autant que les Anglais des îles de Los, qui en avaient expulsé les Français, s’étaient enfuis à l’approche de La Jaille. La nouvelle colonie était administrée par un nommé Renand qui faisait le commerce des esclaves. Des représentations et des pétitions furent failes à l’amirauté : Si l’on ne prenait pas de suite des mesures pour aprèter cette action, tout le commerce allait tomber cuire les mains des Français. En 1786, une frégate française vint renforcer la garnison et l’approvisionner. De nouvelles suppliques, des plus pressantes, furent adressées à l’amirauté anglaise : Permettre aux Français de s’installer là, c’était la perte du prestige britannique pour les indigènes et la crainte perpétuelle de voir les Français, en cas de guerre, conquérir tout le pays. C’était aussi la violation de l’article 12 du traité de Versailles, suite du long duel franco-anglais qui allait encore durer plus d’un siècle ! Ces craintes étaient vaines d’ailleurs : Ce fort mal situé, entouré de vase et ceinturé de palétuviers, sans eau, bâti à la hâte, ne tarda pas à dépérir et, en 1793, il ne rentra en France que 2 à 3 soldats malades.

En même temps que cette expédition, l’administration royale envoyait le capitaine du génie Golbery, aide de camp du gouverneur du Sénégal, en mission de reconnaissance dans la haute Sénégambie (1785). Cet officier fut émerveillé de la richesse du pays, et insista sur la nécessité pour la France de s’y établir fortement. Cette opinion fit du bruit en Angleterre d’où l’on écrivait en 1789 (Moniteur universel, 1er décembre 1789) : « Les Français font au Sénégal un commerce très florissant. L’on a réussi à faire disparaître une maladie qui s’y manifestait périodiquement. Les « papiers » (journaux) anglais reprochent à Lord North d’avoir abandonné ces établissements précieux. »

Il sembla que ces voeux de Golbery allaient devenir des réalités lorsque, le 23 janvier 1791, un décret de la Constituante, proclamant la liberté commerciale, anéantit la dernière compagnie du Sénégal 93, tout en réservant exclusivement au pavillon français le trafic colonial. (Acte de navigation du 21 septembre 1793.) Le gouvernement français reprenait en mains toutes les colonies, abolissant ainsi un monopole immoral, dont toutes les entreprises, tous les efforts, les crimes mêmes, pouvaient rapporter chaque année « pour un vaste territoire ayant 300 lieues de côtes, lorsque le commerce était dirigé, par des opérateurs habiles, un bénéfice qui s’élevait à 300.000 livres au plus 95 ».

Malheureusement, nous le verrons, rien n’était prêt pour un tel chnagement. Le gouvernement n’avait pas de personnel formé et capable de mener à bien ces affaires. La marine, redevenue florissante après la dernière guerre, fut désorganisée par l’exode des officiers nobles et par l’indiscipline qui régna dans les arsenaux et parmi les équipages. La flotte de l’Angleterre acheva ce qu’avait commencé le désordre intérieur et, tandis que la marine était écrasée, lesAnglais nous reprenaient Gorée, le 5 avril 1800 96. Si notre comptoire de Saint-Loouis, qui, en 1798, avait eu à soutenir une lutte meutrière contre les Maures, sut repousse héroïquement les attaques anglaises, tous les autres points de la côte, au sud, furent abandonnés par les Français. L’action de la France en Afrique ddevint à peu près nulle et resta telle dans le premier tiers du XIXe siècle. La France oubliant les réalités, essayait de coloniser l’Europe et faillit réussir. Pendant ce temps l’Angleterre lui enlevait le monde 97.

Notes
1. Pomponius : « Les peuples avec lesquels nous n’avons ni amitié, ni hospitalité, ni alliance, ne sont point nos ennemis ; cependant, si une chose qui nous appartient tombe entre leurs mains, ils en sont propriétaires, les hommes libres deviennent leurs esclaves et ils sont dans les mêmes terme, à notre égard. » (Montesquieu, XXI, chap. XIV.)
2. « Un jour que Solon s’entretenait avec les prêtres de Saïs de l’histoire des temps primitifs, l’un d’eux s’exprima ainsi : « Nos livres racontent comment Athènes détruisit une armée puissante, laquelle sortie de l’Atlantide, envahissait comme un torrent l’Europe et l’Asie. Dans cette Atlantide, des rois sages étaient parvenus à constituer un empire formidable, qui étendait sa domination sur plusieurs autres îles, et jusque sur quelques contrées du continent, après s’être emparé de toutes les terres depuis la Lybie jusqu’à l’Égypte et de l’Europe à la mer Tyrrhénienne. Réunissant un jour toutes ses forces, il entreprit de s’approprier d’un seul coup notre pays, le vôtre et tous les peuples qui sont en deçà du détroit. Ce fut alors, ô Solon, que votre cité montra son courage et sa puissance… Abandonnée de ses alliés et n’avant plus à compter que sur les Grecs seuls, elle affronta les plus grands périls, triompha de ses envahisseurs, releva ses trophées, délivra des chaines de l’esclavage tous les peuples situés comme nous el) deçà des colonnes d’Hercule, et donna à tous la liberté. » (Platon, Timée.) Suit le récit de l’engloutissement de l’Atlantide : « et voilà pourquoi, aujourd’hui encore, il est impossible de parcourir et d’explorer cette mer, la navigation trouvant un obstacle insurmontable dans le limon fangeux que la terre en s’effondrant y a laissé. »
3. Au dire de Diodore, les Phéniciens y découvrirent tant d’argent qu’ils en mettaient aux anercs de leurs navires.
4. Une des îles portait le nom de Junonia. M. Lenormant en a conclu que les Phéniciens-Carthaginois y avaient un établissement, leur grande déesse Tanith étant assimilée par les Grecs et Romains à Junon. Pline le premier nomme une des îles « Canaria » qui devint ensuite l’appellation de tout le groupe (voir plus loin, note 1, p. 179, et note 1, p. 180).
5. Hérodote, liv. IV : « S’étant embarqué sur la mer Érythrée, les Phéniciens naviguèrent dans la mer Australe. Quand l’automne était venu ils abordaient à l’endroit de la Libye où ils se trouvaient et semaient du blé. Ils attendaient ensuite le temps de la moisson et, après la récolte ils se remettaient en mer. Ayant ainsi voyagé pendant deux ans, la troisième année ils doublèrent les colonnes d’Hercule et revinrent en Égypte. » Héraclide introduisit à la cour de Gélon un mage qui prétendait avoir fait le même voyage.
6. « Car toute la mer où naviguent les Grecs, celle qui est au delà des colonnes d’Hercule qu’on appelle mer Atlantide et la mer Érythrée, ne font ensemble qu’une même mer » (Hérodote, Clio, CCII).
7. Esprit des Lois, p. 315 : « L’Égypte, éloignée par la religion et par les moeurs de toute communication avec les étrangers, ne faisait guère le commerce au dehors. Elle jouissait d’un terrain fertile et d’une extrême abondance. C’était le Japon de ces temps-là. Elle se suffisait à elle-même. Les Égyptiens souffrirent que les Iduméens, les Juifs et les Syriens eussent des flottes dans la met, Rouge. Salomon employa à cette navigation des Tyriens qui connaissaient ces mers. » Cependant Hérodote (Euterpe, CII) : « Sésostris fuit le premier qui, étant parti du golfe Arabique avec des vaisseaux longs, subjugua les peuples qui habitaient la mer Érythrée : il fit voile encore plus loin, jusqu’à une mer qui n’était plus navigable à cause des hauts-fonds »; et encore : « Apriès régna 25 ans, pendant lesquels il fit une expédition contre Sidon et livra au roi de Tyr un combat naval » (Hérodote, Euterpe, CLXI). Plus tard les Égyptiens eurent sous les Ptolémées d’imposantes flottes. A Alexandrie fut construite la première forme de radoub, mais il est bon de noter qu’elle le fut par un Tyrien.
8. Hérodote, Melpomène, liv. IV-XLIII : « Il raconta que sur les côtes de la mer les plus éloignées qu’il eût parcourues, il avait vu de petits hommes, vêtus d’habits de palmiers, qui avaient abandonné leur ville pour s’enfuir dans les montagnes, aussitôt qu’ils l’avaient vu aborder. »
9. Pline, liv. LXVII ; Pomponius Méla, liv. III, chap. IX. Montesquieu souligne la possibilité pour les anciens d’avoir fait le tour de l’Afrique en partant de la mer Rouge, et la difficulté presque insurmontable de la navigation en sens contraire pour les navires et avec les connaissances de l’époque (Esprit des Lois, liv. XXI, chap. XI). Beaucoup d’auteurs, se fondant sur les fables que contient la relation d’Eudoxe, considèrent ce voyage comme improbable. Mais il faut considérer que ces fables avaient précisément pour but d’écarter des navigateurs concurrents.
10. M. de Paniagua les montre fondant des colonies dans le golfe de Gascogne. C’étaient au début des pirates redoutables et l’on sait que bien souvenu, dans les légendes mythologiques, on voit des marins grecs ou Lyriens débarquant à l’improviste sur une côte étrangère et enlevant tout ce qu’ils trouvent (voir à ce sujet Hérodote, Dispute entre Grecs et Phéniciens, liv. I : Enlèvement d’Europe, d’Hélène, légende de l’enlèvement de Bacchus, etc.) Le Phénicien était avant tout, un marchand avide, qui ne songeait qu’à vendre le plus cher possible ses tapis, ses étoffes, ses coupes de métal ciselé. Assurément le Grec ne dédaignait pas les bons profits ; il n’y a jamais eu de négociant plus attentif et plus adroit, Mais il courait le monde pour son plaisir presque autant que pour son intérêt. C’est déjà ce « petit Grec » que les Romains ont tant de fois raillé, souple, curieux, bavard, insinuant. Comme son grand aïeul Ulysse, il aimait, en visitant les villes, à connaître les moeurs des peuples » (Gaston Boissier, La légende d’Énée.)
11. « Les Phocéens sont les premiers parmi les Grecs qui ont entrepris de longs voyages par mer. Ils ne se servaient point de vaisseaux ronds, mais de vaisseaux à 50 rames » (Hérodote, Clio, CLXIII).
Les principaux produits de la Cyrénaïque étaient l’huile, le blé, le vin, l’essence de roses, le silphium, plante très recherchée des anciens et dont on trouve la reproduction sur toutes les monnaies de Cyrène. Les feuilles étaient utilisées pour les troupeaux, la tige pour les hommes et les racines donnaient l’assa foetida. D’après certains auteurs cette plante serait le “draas”, ou thapsia garganica.
12. Scylax dit qu’au delà de Cerné la mer n’est pas navigable, parce qu’elle y est basse, pleine de limon et d’herbes marines (voir plus haut, note 1, page 172.) Hannon, d’après Pline, aurait fait le tour complet du continent : « Et Hanno, Carthaginis potentia florente, circumvectus a Gadibus ad finem Arabiae, navigationem eam prodidit scripto ».
13. M. Bertholon souligne avec raison l’existence de représentants de la race aryenne sur la côte des Atlantes : Le Périple (V) mentionne le rempart carien (voir aussi Éphore et Stéphane de Byzance). Plus loin on trouve la ville d’Arambys ou Karanbys dont le nom rappelle celui d’un promontoire du Pont, ou de Karambys, ville de Paphlagonie, mentionnée dans le Périple de Seylax ; Ptolémée place dans cette région les Mausoles. Or, d’après Stéphane de Byzance, Mausole est synonyme de Carien. Tout au voisinage de ces Mausoles est un Mont Mandros, et Mandros est une divinité des Cariens. De même l’étang Mysocaras évoquant le souvenir des Mysocariens. Le Lixus oui Loukos. fleuve des Lixites, rappelle la présence des Lyciens. M. Bertholon signale encore les Daradai, peuple habitant les rives de l’oued Draa actuel. On trouve ce même nom parmi les Arméniens, les Mèdes et les Perses qui s’avancèrent jadis jusque sur l’Araxe.
14. Pedro de Cintra et Suero da Costa passant devant Sierra Leone et Liberia signalaient en 1462 de nombreux feux sur les montagnes. Pline avait écrit, parlant du mont Atlas : « Montibus micare crebris ignibus, tibiarum cantu, tympanorumque sonitu strepere, neminem, interdiu cerni. »
15. « Quand les Carthaginois y sont arrivés ils tirent leurs marchandises de leurs vaisseaux et les rangent le long du rivage : ils remontent ensuite sur leurs bâtiments, où ils font beaucoup de fumée. Les naturels arrivent sur le bord de la mer, et après y avoir mis de l’or pour le prix des marchandises, ils s’éloignent. Les Carthaginois sortent alors de leurs vaisseaux, examinent la quantité d’or apportée, et, si elle leur paraît répondre aux prix de leurs marchandises, ils l’emportent et s’en vont. Mais s’il n’y en a pas pour leur valeur, ils s’en retournent sur leurs vaisseaux où ils restent tranquilles. Les autres reviennent ensuite, et ajoutent quelque chose jusqu’à ce que les Carthaginois soient contents. Ils ne se font jamais tort les uns aux autres. Les Carthaginois ne touchent point à l’or, à moins qu’il n’y en ait pour la valeur de leurs marchandises, et ceux du pays n’emportent point les marchandises avant que les Carthaginois n’aient enlevé l’or. »
16. Montesquieu, liv. XXI, chap. XIV : « Les gens de mer étaient ordinairement des affranchis ». Il fait ressortir l’éloignement qu’avaient les Romains pour le commerce, méprisé par eux. Des raisons politiques firent interdire le commerce avec les barbares. Le transport du fer fut défendu sous peine de mort, etc. Végèce nous montre les troupes de la marine romaine insultées par la populace, dans une parade, à cause de leurs évolutions ridicules.
17. Cependant Duruy (Hist. des Romains) pense que sous Auguste la route des six villes fondées par Hannon n’était pas encore fermée. » « La poudre d’or que les marchands romains trouvaient en Mauritanie pouvait bien y être apportée par voie de mer, plutôt que par la route dangereuse et si longue du Sahara. »
18. La grande caravane partait de la Haute-Égypte, traversait les oasis d’Ammon (Si-Oua ou Syoux), d’Aoudjilat, des Garamantes, où elle trouvait les marchands venus de Leptis : elle descendait alors au sud par le pays des Atarantes (Tégéri) et des Atlantes (Bilma) où elle rencontrait la caravane venue de Nigritie.
19. Sous Néron, les bataillons romains s’avancèrent jusqu’au 9° suivant le Nil. Déjà, sous Auguste, nous voyons la reine d’Éthiopie, la Kanda-Sa, régnant sur les « Nouba », (Nouba, tribu des Foula), envoyer des ambassadeurs à Samos où se trouvait l’Imperator). L’an 22 avant J.-C., Pétronius l’avait chassée de Philae où elle s’était établie, et lui enlevait Napata, sa capitale. Plus tard, le jeune Caïus montra ses enseignes en Arabie, sur les bords de la mer Rouge, où il aurait trouvé les débris de vaisseaux espagnols (Pline, Hist. nat., II, 67).
20. Duveyrier a signalé à Rhadamès une inscription d’Alexandre Sévère.
21. La richesse de la Tunisie était proverbiale ; elle était le grenier de Rome. Du Soudan, les principales marchandises apportées étaient la poudre d’or, les esclaves nègres, l’ivoire, que l’on trouvait également en Numidie. On exportait aussi les bêtes féroces pour les jeux du cirque, les gazelles, les chevaux numides, les bois précieux, le marbre de Numidie, la chalcédoine.
22. Les Phéniciens les firent connaître aux Grecs (Salluste, fragm. 254). Pline, qui écrit d’après Juba, indique 6 îles. Le nom de Canaries viendrait du nombre de chiens d’nue grandeur étonnante qu’on y trouvait. Nous préférons y voir une expression ethnique.
23. C’est l’opinion de Vivien de Saint-Martin et celle de Sir Richard Burton. Par, contre d’Anville croyait que Sierra-Leone doit être le char des Dieux de la nomenclation. E. Reclus pensait au contraire qu’il s’agit de Ténériffe.
24. Dr Carl Peters, Ophir und Punt in South Africa.
25. Pline nous montre de nombreux chevaliers romains allant chercher sur les écueils de Gétulie les murex qui donnaient une pourpre réputée : « nigritarum gelulorumque passim vagantium ne littora quidem infecunda sunt ; purpura et murice efficacissimis ad tingendum, et ubique quie tinxere clarissima » (Pomponius Mela, lib. III, cap. X). Les Iles Lanzarote et Bonaventura, du groupe des Canaries, portaient spécialement le nom de « Purpupariae » ou « Hesperides ». Juba y avait fait établir des manufactures pour la teinture pourpre.
26. Pomponius Mela fait sans nul doute allusion an Niger et parait le mieux connaître que les navigateurs modernes jusqu’au XIXe siècle, lorsqu’il écrit : « Tandis que les autres fleuves coulent vers l’Océan celui-ci se dirige vers l’est et le centre du continent, et se perd sans qu’on sache où il termine son cours. » Et Ptolémée place sur les bords de ce fleuve Toucabath) (Tou-Kaba) et Nigira, métropole, de Tagana (Gana, Tagant) et de Panagra. Il signale en outre deux régions lacustres dui sont peut-être les lacs Faguibine et Débo, et « Canaria » un des promontoires occidentaux de l’Afrique. Comparer à Ganar nom donné par les Yolofs au pays au nord du Sénégal. (V. Faidherbe).
27. Le même phénomène s’était déjà produit beaucoup plus tôt, et nous partageons l’opinion de Montesquieu à ce sujet : «Je crois que la destruction de la première Tyr par Nabuchodonosor et celle de plusieurs petites nations et villes de la mer Rouge, firent perdre les connaissances que l’on avait acquises… il fallut donc découvrir la mer Rouge une seconde fois et l’Océan une seconde fois et cette découverte appartient à la curiosité des rois Grecs. »
28. Voir première partie.
29. Seuls pourraient le faire avec quelque raison les Génois. En 128à les galères de Vivaldi dépassèrent le Sénégal (la Gozule) pour essayer de gagner les Indes en contournant l’Afrique. Déjà Lancelot-Maloisel avait tenté le même exploit.
30. Ce qui prouve le contraire, c’est la date de départ de ces navires de façon à pouvoir arriver pendant la saison sèche.
31. L’Anglais Samuel Braun, de 1611 à 1620, recueillit ces traditions de la bouche des indigènes de la Côte d’Or, et en 1643 le père Fournier, dans son hydrographie, les mentionnait ; tandis que, plus tard, lé père Labat montrait les Normands établis à Rufisque, D’Elbée et le Hollandais Dapper confirment, ces dires. Les Espagnols, tout en disputant aux Portugais la priorité de la navigation dans ces régions, reconnaissaient celle des Francais. « Les chefs du Cap Monte disent descendre des Français et sont plus clairs que les autres nègres », a écrit Fleuriot de Langle.
32. Chronologie des voyages des Normands, d’après Villault de Bellefond en 1686 (voir Binger, Priorité des découvertes maritimes en Afrique) :

  • 1361 : Départ de 2 navires de 100 tonneaux de Dieppe, arrivant au Cap-Vert à la Noël, mouillent dans la baie de France, atteignent Boulom bel, passent devant le Cap de Moulé et traitent près de Rio Sestos.
  • 1365 : Départ, au mois de septembre de 4 vaisseaux armés par Rouen et Dieppe : 2 traitent au Cap-Vert et à Petit-Dieppe, un s’arrête à Paris ou Grand Sestre, un autre va jusqu’à la Côte d’Or.
  • 1367 : Fondation des loges de Petit-Dieppe, de Rio Sestos et Petit-Paris.
  • 1368-1375 : Fondation des loges du Cap-Vert, Sierra Leone, Cap Monte.
  • 1380 : Voyage de la Notre-Dame-de-Bon-Voyage (150 tonneaux) de Flouen ; elle revient un mai 1381.
  • 1382 : Voyage de la Vierge, de l’Espérance, du Saint-Nicolas. Départ 28 septembre. Retour en juillet 1383.
  • 1383 : Départ de 3 vaisseaux avec des matériaux pour construire le fort de la Mine.
  • 1381 : La colonie de la Mine est prospère. Elle fait élever une église.
  • 1410 : A partir de cette date, les Dieppois n’envoient plus qu’un navire à grand peine tous les 2 ans à Grand Sestre et à la Mine. Ces expéditions s’arrêtent, vers 1413.

33. En 1492 les Français capturaient aux Açores une caravelle portugaise. Il est à remarquer que c’est précisément l’année où le pape donnait définitivement l’Afrique au Portugal. Louis XII fit rendre ce vaisseau pour éviter des représailles. En 1498 Christophe Colomb rencontrait vers les Canaries des navires français.
34. Même au XVIIe siècle la navigation sur les côtes d’Afrique était des plus périlleuses, les vaisseaux se conduisant à l’estime. En 1666, la flotte conduite par Mondevergue faillit se jeter sur les côtes de Guinée dont elle se croyait à cent lieues. Dès le 3e mois de navigation l’insalubrité, l’encombrement des vaisseaux, la chaleur faisaient naître de nombreuses maladies et la plus redoutée, le scorbut (P. Cultru, Navigation des Français sur la roule de l’Inde au XVIIe siècle). Ce qui attirait le navigateur c’était l’énormité du taux des profits. « Tous les peuples policés, écrivait Montesquieu, ont intérêt à négocier avec les peuples des côtes de l’Afrique avec avantage; ils peuvent leur faire estimer beaucoup de choses de nulle valeur et en recevoir un très grand prix. »
35. Chronologie des voyages portugais en Afrique Nord-Occidentale d’après Binger (loc. cit.) :

  • 1418 : Juan Gonzales, Zarco et Tristan Vaz Texeira, « non encore accoutumé à voguer eu pleine mer » (Barros), sont amenés par une tempête sur l’île de Porto Santo (Madère). Première bulle papale en faveur des Portugais.
  • 1419 : Les mêmes navigateuns croient découvrir Madère, déjà mentionné sur une carte italienne de 1351.
  • 1424 : L’infant portugais don Henri arme une flotte pour prendre les Canaries. Elle est battue parles Espagnols.
  • 1433 : Lancelot Gil Eanes, marin de Lagos, dépasse le Cap Bogador.
  • 1435 : Alonzo Gonzales Baldaya dépasse Bogador de 50 lieues d’après Barros, de 50 lieues d’après Zurara.
  • 1436 : Deuxième bulle en faveur des Portugais.
  • 1440 : Antonio Gonzales et Nuno Tristan atteignent le Cap Blanc.
  • 1442 : Antonio Gonzales va au Rio del Oro.
  • 1443 : Découverte du banc d’Arguin par Nuno Tristan.
  • 1446 : Denis Fernandez plante une croix sur le Cap-Vert.
  • 1447 : Voyage de 27 navires. Gil Eanes remonte le Sénégal de quelques milles. Nuno Tristao dépasse le Cap-Vert de 180 milles et découvre le Rio Grande et le Rio Nunez où il est tué par les indigènes.
  • 1448 : Alvaro Fernandez atteint, 40 lieues plus loin, la rivière de Tabites (le Tabili ?). Gil Eanes est battu au Cap-Vert par les indigènes. Mort de Ballarte au même endroit au moment de l’expédition de Ferdinand Alonso.
  • 1449-1454 : Deux nouvelles bulles papales.
  • 1455 : Le Génois Cada Mosto, à la solde du Portugal, atteint la Gambie, et en 1456 les Bissagos.
  • 1462 : Pedro de Cintra et Suero da Costa atteignent Sierra Leone et Mesurado et peut-être le Gap des Trois-Pointes.
  • 1471 : Jean de Sautarem et Pedro de Escalone atteignent La Mine (Elmina).
  • 1472 : Fernando Po découvre l’île qui porte son nom.

36. En 1475 un grand nombre de caravelles espagnoles sont expédiées sur les côtes de Guinée pour empêcher les étrangers d’y traiter, et, le 4 mars 1478 un décret daté de Séville autorise les marins de Palos à commercer librement avec la Mine.
37. « La bulle partait du principu que la terre appartient au Christ et que le vicaire du Christ a le droit de disposer de tout ce qui n’est point occupé par les chrétiens, les infidèles ne pouvant être légitimes possesseurs d’aucune portion de la terre. » (H. Martin, Histoire de France.)
38. Défense aux étrangers de s’établir dans les colonies portugaises ou espagnoles, défense d’exercer certaines industries ; obligation d’acheter à la métropole et réciproquement.
39. En 1529, Parmentier s’élève, contre les prétentions des portugais qu’il accuse de vouloir empêcher les commerçants français d’aborder aux terres que les Portugais se sont arrogées, dans lesquelles ils ne font aucun bien et où ils ne sont ni aimés, ni obéis (Binger, loc. cit.) Et il constate avec regret les défenses faites par François Ier de trafiquer avec l’Afrique en 1544, 1532 et 1536, sans succès d’ailleurs puisque, en 1544, Jean III lui demande de prendre des mesures contre les « pirates » français, les seuls qui ne respectent pas les possessions portugaises. Il semble d’ailleurs que François Ier n’ait fait ces défenses que pour la forme, car, bien que trop absorbé par sa lutte contre la maison d’Autriche, il n’oublie pas la marine. Sous son règne, Jacques Cartier découvrait le Canada et, en 1537, il fondait Franciscopolis qui devait devenir le Havre. On connait son ironique demande aux prétentions de ses rivaux : « Quel est l’article du testament d’Adam qui a légué le nouveau monde aux Portugais et Espagnols ? », Les hardis marins de Dieppe étaient groupés autour des célèbres armateurs Ango qui, en réponse aux défenses des Portugais, déclaraient la guerre au roi des Algarves et faisaient bloquer Lisbonne! (Guérin. Ango et ses pilotes.)
En 1522, deux caravelles portugaises avaient été capturées aux Açores par les Francais. En 1531, le roi de Portugal réclame contre l’importation directe de la malaguette sur le marché de Rouen. En 1540, Ramusio dit qu’à San Thomé, il y a des marchands de toutes nations, Portugais, Castillans, Français et Génois.
40. Nicolas Thorne de Bristol et Thomas Spatchefort, Windham en 1552-1553.
41. Le vrai nom de Gorée est « Bir » ou Ber (ventre). Les Hollandais auraient appelé cette ile Goeree. Ce nom viendrait de l’île hollandaise qui borde au sud l’entrée du Haringvliet, ou des mots “goede Reed” « bonne rade » (Reclus).
42. En 1556, Towrson rencontre à 50 lieues au delà de Sestos 3 vaisseaux français et 2 pinasses. Les Français, dit-il, sont très au courant du commerce de la côte. A Dixcowe un vaisseau français bat 4 portugais. Le même Towrson dit que les centres commerciaux des Français sont Gorée et Rufisque. De 1571 à 1583, il est armé pour la côte d’Afrique, rien que dans le port de Honfleur, 32 navires.
43. On lui doit la création de Brest, dont l’admirable rade fut découverte par d’Infreville en 1629. C’est également lui qui créa le Havre. Après avoir anéanti la puissance de La Rochelle, il n’hésita pas à offrir le titre d’amiral à son noble adversaire, le fameux Guiton, mettant le bien public au-dessus de l’esprit de parti. Ce fut lui aussi qui protégea le protestant Du Quesne, une des illustrations de la marine française. Enfin il organisa les consulats.
44. Ses successeurs sont : Colyer en 1641, de Soussy en 1648, Messineau en 1651, Raguenet en 1658, du Boulay en 1661 presque tous morts an Sénégal. Il faut remarquer que les lettres-patentes de Louis XIII sont du 24 juin 1633, c’est-à-dire plusieurs années après la fondation de cette compagnie. Fumechon resta en Afrique jusqu’à sa mort en 1682.
45. Vers la même époque (1618) l’Anglais Thompson remonte la Gambie à la recherche de l’or de Tombouctou. Il est massacré dans le Tenda par les indigènes ou les Portugais. En 1620, Jobson allait jusqu’à Barakounda.
46. L’Angleterre accusa le coup en ripostant par un droit de 6 shillings par tonneau.
47. Dès 1662 le budget de la marine montait à près de 3 millions de livres. En 1610, il fut porté à 13 millions, et à partir de cette époque il se maintint à une moyenne d’environ 10 millions (en valeur relative 50.000.000 d’aujourd’hui). V. Neymarck, Colbert et son temps, tome II, p. 384-385.
48. L’organisation des classes donna à la France 52.000 marins de tout ordre. Les officiers nobles entrent dans la marine, jusque-là laissée aux roturiers, et les d’Estrées, les Vivonne s’y distinguent à côté des vieux marins Du Quesne, Château Renaud, de Martel. S’il y eut au, début bien des jalousies et de l’indiscipline « peu à peu cependant, à mesure que les nouveaux officiers se formèrent, la discipline s’établit, le grade et l’ancienneté, prévalurent d’une manière définitive. Ce que Colbert dut déployer d’énergie, de fermeté, de rigueur même pour arriver à un pareil résultat en moins de dix ans, les hommes spéciaux seuls peuvent s’en rendre compte ». (Neymarck, loc. cit., p. 394).
49. En 1671, 196 bâtiments sans compter les galères. En 1677, 270 bâtiments et 30 galères.
50. Elle distribuait jusqu’à 22 % d’intérêts et 62,5 % de dividende.
51. Réflexion digne d’être retenue et qui fait pendant aux instructions que cet homme génial donnait à M. de Songy : de ne rien faire qui puisse troubler ou diminuer le commerce, de ne décider jamais rien sans avoir entendu les marchands. Il ajoutait : « Soyez plutôt un peu dupe avec eux que de gêner le commerce, parce que ce serait anéantir les produits » (Baudrillart). On pourrait, rappeler ces axiomes à l’un de nos modernes ministres des finances, qui, publiquement, faisait, fi des sages avis donnés par les chambres de commerce. « Comme Richelieu, Colbert avait tourné, ses regards vers les colonies , il voyait nos côtes baignées par deux mers, il comprenait que la surexcitation du travail au dedans appelle l’épanouissement au dehors… En jugeant cet homme, on a trop oublié les circonstances auxquelles il dut commander, et que la question du libre échange ne saurait être séparée de l’état général du monde » (Louis Blanc).
52. Henri Martin, Histoire de France. Les armements faits par les particuliers n’étaient pas soutenus de la force nécessaire pour réussir et, pour conserver aux sujets du Roi des avantages que leur courage et leur industrie leur avait acquis (Édit de 1664) ; et Colbert ajoutait pour son maître : « La paix dont jouit l’État nous ayant donné lieu au rétablissement de son commerce, nous avons reconnu que celui des colonies et de la navigation sont les seuls et véritables moyens de le mettre dans l’état où il est chez les étrangers ». (Cf. Chemin-Dupontès.) Dans son désir d’affermir l’établissement de la compagnie privilégiée qu’il avait créée, il prohibait, en 1669, l’importation du tabac et du sucre du Brésil, funeste mesure politique et économique qui jeta le Portugal dans les bras de l’Angleterre.
53. M. Girault indique 1659.
54. Successeur : du Boulay.
55. Discours d’un fidèle sujet du roi touchant l’établissement d’une compagnie française pour le commerce des Indes Orientales, adressé à tous les Français, par l’académicien Charpentier (1664). Cet opuscule concerne la constitution de la compagnie des Indes Orientales.
56. Elle fut constamment repoussée par la France, aussi bien par Henri IV que par Louis XIV, et sous la première République les pavillons portaient en exergue : « Liberté des mers, égalité des droits pour toutes les nations ».
57. Le premier au sud, le second près de l’anse servant de port.
58. « Ils se mirent en tête que pour faire quelque chose de bon, il fallait tout faire, et, afin que leur commerce fût avantageux, il fallait qu’eux seuls lfissent tout le commerce de la nation » (P. Labat, loc. cit.).
59. Cf. Chemin-Dupontès.
60. Au dire de Barbot (1678), un établissement portugais rival du comptoir anglais existait à Dondomuch. Les Portugais avaient fait de nombreuses conversions, depuis celle du roi Fatima, baptisé sous le nom de Felipe par le jésuite Barreira en 1601 ou 1607. Ce Felipe (Philippe) écrivait à Philippe, roi d’Espagne, lui demandant d’autres prêtres pour lui permettre de construire une résidence sur ses terres, et lui souhaitant autant d’années « que le ciel a d’étoiles et la mer de grains de sable » (Purchas pilgrimages, 1626).
61. Arguin devait être repris plus tard par la Compagnie de Brandebourg ou d’Emden qui n’eut qu’une existence éphémère.
62. En 1682, Cavelier de la Salle, puis d’Hyberville, donnaient la Louisiane à la France.
63. Ce traité fut homologué le 25 mars 1679, par arrêt du conseil, qui cassa et annula celui fait précédemment avec un sieur Oudiette pour 800 nègres par an.
64. Cf. Girault, Priricipes de Colonisation, et Seeley, L’Expansion de l’Angleterre.
65. De 1681 à 1863, gràce à Du Quesne et aux galiotes à bombes de Château-Renaud, la Méditerranée est purgée de corsaires.
66. Chemin-Dupontès, p. 128-129 ; Froelicher, 134 , Mungo Park, 97, 98.
67. Chemin-Dupontès, ibid., 1331.
68. « Au Sénégal le prix ordinaire d’un grand boeuf et bien gras était un rodome, autrement un flacon d’eau-de-vie tenant une pinte » (Labat). Le prix de la pince était de 20 sols. On voit le bénéfice énorme que procuraient ces transactions.
69. V. aussi Mungo Park, 98.
70. Bissao, d’après Labat, fournissait 500 quintaux de cire, 3 à 400 quintaux d’ivoire, 400 esclaves, Guinala et le Rio Grande, beaucoup de cire, d’ivoire, d’esclaves, et en moindre quantité de la gomme, des cuirs, des, plumes, de l’or, du coton. La barre, d’après Laing, valait au début du XIXe siècle dans la région des Rivières : 3 sh. 6 d. — La barre de tabac des Timéné équivalait à 10 têtes de 4 feuilles chacune, celle du Kouranko à 10 têtes de 3 feuilles, celle du Solima à 5 têtes de 3 feuilles.
71.Plus tard un négrier espagnol de Cuba, Juan Maldonado, s’établit, près de Bintan à Pasca où il construisit un fort. Un autre Espagnol, Juan Felipe, qui habitait Gerèges, y épousa la fille du roi et essaya d’évangeliser le pays.
72. Le Portugal s’était joint à l’Angleterre en 1701, en liaine de l’Espagne alliée à la France.
73. Les vaisseaux étrangers devaient passer à une certaine distance du rivage colonial (édit du 27 octobre 1721) ; les capitaines français devaient revenir, avec toutes les marchandises chargées aux colonies, à leur port d’origine (arrêt du 24 juillet 1708, confirmé en avril 1717).
74. Ses successeurs Le Maitre et de la Courbe montrèrent de bonnes intentions, de la droiture, de la probité, mais cela ne suffit pas, remarque le père Labat : « Il faut de l’étendue d’esprit, beaucoup d’expérience, de la fermeté, de la vigilance ; il faut qu’un chef sache commander et se faire obéir. » Nous verrons clans l’annexe du présent chapitre que cette appréciation est calomnieuse en ce qui concerne de La Courbe, qui paraît avoir été un excellent administrateur.
75. « Le sieur Brue fut, étonné, en prenant possession de son emploi, de trouver tous les employés de la compagnie logés hors du fort dans des cases de paille, où ils avaient chacun une négresse, qui sous prétexte de faire leur cuisine, leur servait encore probablement à des usages défendus par les lois de Dieu. Il commenca l’exercice de sa charge par chasser toutes ces créatures » (P. Labat, loc. cit.).
76. « Les Africains étaient assez faibles pour subir les attaques des étrangers, mais assez forts pour défendre leurs terres. Ils se laissaient exploiter par les négriers, mais ils forçaient les marchands d’esclaves à se cacher dans leurs forts. Dans des conditions pareilles, une acquisition territoriale était difficile, une exploitation agricole impossible » (Berlioux, André Brue).
77. En février 1723, l’escadre de la Compagnie des Indes commandée par Froger de la Rigaudière lève, malgré Brue, le siège d’Arguin, mais occupe le fort de Portendik qui fut plus tard abandonné par sa garnison. Arguin fut enfin pris le 20 février 1724 par de Salvert.
78. Il est cependant du devoir de l’historien de souligner au passage la cause véritable cause du désastre de Law, qui fut la jalousie de l’Angleterre, comme le montre la correspondance de Lord Stanhope avec Dubois, cette méprisable créature au Régent. Il faut se remémorer la négociation infâme entre ces deux personnages, dans une auberge hollandaise où allait être décidé l’anéantissement de la marine française.
Quatre mois après était signé le traité qui mettait cette marine sous la tutelle anglaise et qui nous coûta Mardyk, ce port dont Louis XIV, la rage au coeur, avait ordonné la construction à la suite du traité d’Utrecht qui démantelait Dunkerque.
78. Après Macaulay, qui a rendu justice aux efforts remarquables de Dupleix, Seeley (loc. cit.) écrit : « En tant que l’idée de conquérir l’Inde fut une conception raisonnée, elle fut une conception française. Ce sont les Français qui, les premiers, comprirent que l’idée était réalisable et par quels moyens elle pouvait être réalisée ; ce sont les Français qui les premiers se mirent à l’oeuvre et s’avancèrent très loin dans la réalisation. »
79. John Matthews (1785) rapporte que les indigènes de la Baie-des-Français ont plusieurs fois pillé des navires à l’ancre et assassiné les équipages. Vers 1770 un agent de la compagnie anglaise avait été tué et mutilé et, pendant 14 ans, aucun Européen n’osa se hasarder sur le continent.
80. De là ils trafiquaient sur toute la côte, et notamment au Sherbro où ils allaient chercher les bois tinctoriaux (300 tonnes par an environ) et les défenses d’éléphants. (Cf. Crooks, History of Sierra Leone).
81. Crooks, loc. cit.
82. Le traité que Louis XIV déclarait vouloir faire en roi et non en marchand et par lequel nous rendions aux Anglais les colonies que nous avions prises.
83. En pleine paix elle attaque et fait prisonniers 2 vaisseaux de ligne français et 300 navires marchands.
84. Perte de l’Amérique, de l’Inde, d’une partie des Antilles et du Canada.
85. Choiseul ne déclarait-il pas avoir attrapé les Anglais dans ce traité ! La France, comme trop souvent, vivait d’utopies et n’attachait aucune importance aux « quelques arpents de neige » qui, pour Voltaire, représentaient le Canada.
86. Il réformait la législation, faisait coloniser la Guyane. A ce moment Bougainville accomplissait le voyage qui devait l’illustrer.
87. Victoire d’Ouessant (1778). Suffren, La Mothe Piquet, d’Orvilliers. d’Estaing, de Grasse se distinguent. Ce dernier fut cependant battu à la Jamaïque. Une souscription permit au gouvernement de reconstituer la marine.
88. Principales explorations dans cette période en Sénégambie et Gambie : les Français Demanet(1767), Prunaut de Pommegorge (1789) Lamiral et Sangnier (1791) ; les Anglais Lindsay (1757), Matthews (1788). Auparavant Moore, en 1738, et Smith, en 1744, avaient visité la Gambie.
89. Cet arrêt avait été rendu à la suite de la vive attaque de Morellet, en juin 1769 (Mémoire sur la situation actuelle de la Compagnie des Indes). Elle était, disait-il, inutile à l’Etat et aux actionnaires. En effet elle n’avait subsisté après la chute de Law que grâce à des emprunts ruineux et aux sacrifices du Trésor. Necker rappela les services qu’elle avait rendus ; mais sa défense n’eut pas de succès.
90. « La charte, a dit J.-B. Say, était un véritable brevet d’invention. » Elle était accordée au premier découvreur. C’était un appât. De plus le Trésor avait ainsi peu de charges à supporter. On faisait valoir aussi que le commerce maritime de ce temps, si aléatoire, était trop lourd pour des particuliers sans protection ; qu’il y avait moins d’aléa avec les compagnies et plus de garanties; que les droits politiques et militaires étaient nécessaires contre les étrangers. (Cf. Girault, loc. cit. V. également Pauliat, Louis XIV et la compagnie des Indes orientales, et Paul Leroy-Beaulieu, La Colonisation chez les peuples modernes.)
91. Marchal, La Pensée coloniale et la Révolution.
92. Premier directeur : Durand, puis M. de Repentigny, qui prit le titre de gouverneur général et fut remplacé par de Boufflers.
93. La Bunck se réunit à la rivière de Sierra-Leone à 5 lieues de la baie française (Durand).
94. Ce fut le girondin Barnave qui demanda à la Constituante cette liberté, condamnant l’extrême rigueur du régime prohibitif. Il proposa : (a) la constitution de colonies véritables ; (b) l’abolition du monopole ; (c) de rassurer les colons. Il dit fort justement que les colonies forment une classe d’êtres particuliers qu’il n’est possible ni de confondre, ni d’assimiler avec les autres corps sociaux… que l’application rigoureuse et universelle de principes généraux ne saurait leur convenir… que la différence des lieux, des moeurs, du climat, des productions a paru nécessiter une différence dans les lois. Admirable paraphrase de Montesquieu ! La Constituante adoptant, ces vues, rattacha les colonies au ministère de la marine. Barnave fut néanmoins méconnu, tant il est vrai que la modération, le sentiment du vrai et du juste ne servent souvent qu’à attirer à l’homme politique la haine de ses contemporains. On appela Barnave « l’homme à double face », chacun des partis extrêmes le regardant comme un traître.
95. Les droits de douane des principales denrées coloniales étaient, en 1792-1793 : Sur le sucre, le café, le cacao, le tafia : droit d’entrée de 3 % au domaine colonial. Droit de consommation de 6 livres par quintaux pour le sucre, 12 livres par muid de tafia, 11 livre, 15 sols par quintal de cacao et de café. Sucre raffiné : 25 livres par quintal, indigo 1,5 %, le tabac en feuilles 10 livres, confitures, 6 livres par quintal. Les seuls articles exempts étaient : coton, fruits, jus, pelleterie, térébenthine. Il y avait encore des droits de sortie dans les îles ! une protestation, signée Duclier, et qui contient des vérités incontestables, demande la suppression de ces barrières comme de celles qui existaient entre les provinces françaises : « Les tarifeurs sont des corsaires », osait-il écrire.
96. Le 30 septembre, l’Endeavour, venant de Gorée, annoncait en Angleterre qu’un grand nombre de navires de Londres et le Liverpool sont arrivés dans ces parages pour y faire la traite, ce qui a fait monter le prix des nègres à un taux excessif. Ces navires se sont alors éloignés de ces côtes sans acheter et ont, dirigé leur course vers l’Amérique. L’abondancc règne sur la côte » (Gazette nationale, 9 octobre 1792).
97. « La France a succombé dans cette lutte d’abord parce qu’elle a toujours eu deux fers au feu à la fois, l’un en Europe et l’autre aux colonies, et ensuite grâce aux fautes de notre diplomatie. L’Angleterre ne l’a emporté qu’en faisant d’énormes sacrifices d’hommes et d’argent. Sa dette qui était à peine de 25 millions en 1688, atteignait après 1815 18 milliards 1/2. Encore cet accroissement énorme ne représente-t-il que les dépenses de guerre qui n’ont pu être payées comptant par des augmentations d’impôts. Mais grâce à ces efforts considérables et à la persévérance de ses hommes d’État, elle est arrivée à son but. » (Girault, loc. cit.)