Des cours du soir des catholiques à la formation doctrinale des communistes

Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L’Harmattan. 2010. Volume I. 236 pages


Chapitre 4
Des cours du soir des catholiques
à la formation doctrinale des communistes

Avant la fin de la guerre, Sékou Touré subit indirectement l’influence des cours du soir organisés par le père Maurice Le Mailloux. Celui-ci, né en 1913 en Bretagne, ordonné prêtre en 1939, était arrivé en Guinée en 1941 comme vicaire à la cathédrale pour s’y occuper de l’Action catholique ; il fut rapidement considéré par sa hiérarchie comme une forte tête, sinon comme un rebelle. On le soupçonna, alors que la majorité de l’administration coloniale et de la population française de Guinée était plutôt en faveur du maréchal Pétain et hostile au général de Gaulle, d’avoir fait déposer une Croix de Lorraine au monument aux morts le jour de la Sainte Jeanne d’Arc, alors fête pétainiste, le 9 mai 1943.
Le père Le Mailloux lança en 1942 les JOC (Jeunesses Ouvrières Chrétiennes) avec douze jeunes de 18 à 30 ans (ses “douze apôtres”) et poursuivit cette action en 1943 pour les jeunes de 16 à 22 ans, afin d’étudier pendant un an le rôle de l’Evangile dans la vie familiale et sociale ; ces cours, essentiellement destinés aux “Jocistes” (membres de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne), avaient lieu à la Mission le soir après les heures de travail ; on y retrouvait notamment Antoine Lawrence et David Soumah 74. Ce dernier prit l’initiative en 1943 de réunir une fois par mois et dans le même esprit des camarades chrétiens, musulmans et laïques ; Sékou Touré se retrouvait régulièrement parmi eux, ainsi que Madeira Keita75 et Mamadou Traoré, dit Ray-Autra76
Mais le cercle du père Le Mailloux fut fermé après quelques mois de fonctionnement sur l’ordre du Vicaire apostolique de Conakry, Mgr Raymond Lerouge 77. Ce dernier demanda la mutation du père Le Mailloux, qui quitta donc Conakry le 5 septembre 1944 pour Bamako 78. En eut-il été autrement, Sékou ne se serait peut-être pas engagé ultérieurement sous la bannière du marxisme et d’un syndicat proche du communisme ! 79
Dans le courant de l’année 1945, il participe encore assez régulièrement aux activités de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, animées par le père Chaverot et consacrées aux problèmes syndicaux et à la vie des travailleurs. Mais il s’en détachera progressivement — et puis définitivement — lorsqu’il se lie de plus en plus avec la CGT.
Car en réalité, par calcul et par inclination, Sékou Touré se sent plus proche des formations progressistes et radicales ; il fréquente successivement et parfois simultanément toutes les émanations locales du PCF, jusqu’à ce que qu’il pressente toute l’influence que pourrait exercer un parti qui serait totalement africain et guinéen et qu’il modèlerait à sa guise ; tel sera ultérieurement le RDA-PDG.
Le Parti communiste français (PCF) — ses ministres participent au gouvernement de la métropole jusqu’en mai 1947 —, dont la politique coloniale n’est pas encore très “progressiste” 80, n’eut jamais en Guinée de parti-frère officiel ; ainsi que l’écrivait l’un de ses militants, futur habitué de la Guinée, “fidèle à ses principes de non ingérence dans les affaires intérieures d’un autre peuple, il se met à la disposition des Africains progressistes pour les aider à former des cadres (…) Il ne cherche à aucun moment à constituer artificiellement un Parti communiste guinéen” 81
Ceci est sans doute formellement exact, mais le PCF est très présent sur place dès la Libération et la fin de la guerre par l’intermédiaire du Front National, du Groupe d’Etudes Communistes (GEC), du Parti Progressiste Africain de Guinée (PPAG), de la CGT, puis par toutes sortes d’autres canaux, comme le Conseil Mondial de la Paix.
Le Comité d’Etudes Franco-Africaines, créé le ler mars 1945, est ouvert essentiellement aux Africains, relativement peu nombreux au sein des GEC, à l’origine presque exclusivement européens ; le rapprochement entre les deux formations date de l’été 1946, après le rejet du premier projet de Constitution, lorsque l’offensive des milieux coloniaux paraît menacer les quelques acquis des années précédentes 82. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que de 1947 à fin 1950, les députés du RDA sont apparentés au groupe parlementaire communiste 83 ; cet apparentement a été décidé alor que le parti communiste était un parti gouvernemental ; après mai 1947, du fait de l’exclusion des ministres communistes du gouvernement Ramadier, le RDA se trouve de facto allié à un parti d’opposition, ce qui n’était probablement pas l’option envisagé à l’origine par les dirigeants du Rassemblement 84
Dans les premiers jours de 1945, Sékou Touré s’inscrit à un petit mouvement politique, l’Union Patriotique, affiliée à une organisation métropolitaine placée sous le signe de la renaissance française issue de la Résistance, mais en fait proche du Parti communiste français qui la noyaute rapidement: c’est le Front national 85, créé en France le 30 janvier 1945, avant même la fin de la guerre.
Présidée par Frédéric Joliot-Curie, cette formation s’implante Outre-mer avec le concours de jeunes Français progressistes ; la section guinéenne est fondée quelques semaine après. Sékou milite au Front national avec toute l’ardeur de la jeunesse, en compagnie de quelques “évolués” guinéens (Abdourahmane Diallo, dit “l’homme à la pipe” ou encore le “pharmacien africain”, les instituteurs Nabi Youla86 et Tibou Tounkara, Saïfoulaye Diallo87), de Madeira Keita (originaire du Soudan français, l’actuel Mali, devenu préparateur à l’IFAN) 88 et de quelques Français aux idées avancées, parmi lesquels Gabriel Féral, chef de cabinet du gouverneur 89

L’anthropologue Georges Balandier, qui vient régulièrement depuis Dakar pour monter le centre guinéen de l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) avant de s’installer pour quelque temps à Conakry, assiste parfois aux réunions, sans toutefois faire allégeance à la doctrine.
A la fin de l’été 1945, au sein d’un bureau composé essentiellement d’Européens 90.
Sékou devient le secrétaire général adjoint du Front National. II prend la parole aux réunions du Front à Conakry et en banlieue. Le 13 octobre, à Kindia, il expose aux militants un programme qui inclut une série de revendications politiques et syndicales, demande que les Africains de rang modeste ne soient plus tutoyés, que les communes mixtes soient transformées en communes de plein exercice, que la justice soit unifiée pour les blancs et les noirs ; il consacre un développement prémonitoire aux soldats et anciens combattants africains, qui “sont égaux aux militaires français devant les balles ennemies, égaux à eux dans les prisons allemandes, mais sont mal habillés, mal nourris et mal logés. Quand ils sont mis à la retraite, ils perçoivent une pension moindre que celle des Français qui avaient même grade.” 91
Les amis de Sékou songent même à le présenter, pour le deuxième collège — celui des Africains — lors des premières élections législatives de l’après-guerre, dont le 1er tour se tient le 21 octobre 1945 et le 2ème le 4 novembre. Il y a en effet deux collèges, le 1er (celui des “citoyens”, c’est-à-dire des Français et assimilés) compte en Guinée 1.944 inscrits et le 2ème (celui des “non citoyens”, c’est-à-dire les Africains) 16.233 inscrits 92. Jean-Baptiste François Ferracci93, un commerçant local, délégué de la Guinée au Conseil supérieur des Colonies, est investi comme candidat de la SFIO et du Front National au 1er collège ; en dehors de lui, il y a huit candidats. Mais des dissensions internes font échec aux ambitions du jeune Sékou Touré : finalement, le Front National ne présente aucun candidat au deuxième collège, alors que les autres partis et associations ethniques en présentent quinze 94

Yacine Diallo est élu au titre du 2ème collège, le général de la Résistance Maurice Chevance-Bertin (sous son nom réel de Maurice Emile Chevance) au titre du 1er collège, l’un et l’autre au deuxième tour 95. Déçu, Sékou Touré quitte rapidement le Front National pour participer peu après à la fondation de l’Union Mandingue, où ses espoirs électoraux, nous le verrons, ne seront pas non plus couronnés de succès.
De violents incidents éclatent à Conakry le 16 octobre, avant même le scrutin, car les bulletins des “non citoyens” ont été “oubliés” dans 16.000 enveloppes. Des civils et des policiers européens sont molestés ; le lendemain, l’usine électrique de la capitale est attaquée et des pillages se produisent. La troupe ouvre le feu pour maintenir l’ordre, et, en dépit des sommations, on compte cinq morts — tous africains —, dont deux enfants, et de nombreux blessés.
A la même époque, Sékou Touré adhère aussi à l’éphémère émanation organisée du Groupe d’Etudes Communistes de Conakry, le Parti Progressiste Africain de Guinée (PPAG), fondé le 21 mars 1946 par le sénateur Fodé Mamoudou Touré, écarté et remplacé quelques mois plus tard (le 8 octobre 1946) par Madeira Keita. Le PPAG fut dissous en 1947, après une année environ d’existence, peu après la naissance du RDA, dont, selon le gouverneur Roland Pré, il avait été le “banc d’essai”. Sékou aida occasionnellement à la fabrication du journal du PPAG L’Emancipation africaine

Même s’il ne fut officiellement agréé que le 26 avril 1946, une semaine à peine après le PPAG (20 avril 1946), le Groupe d’Etudes Communistes (GEC) de Conakry fut créé avant même la fin de la guerre, à l’instar de ceux qui existaient déjà depuis 1943 dans plusieurs autres colonies 96. Ces GEC seront à partir de l’automne 1945 coordonnés par Raymond Barbé, chargé des questions coloniales au Parti communiste français 97. C’est sans doute par l’intermédiaire des GEC que les sympathisants communistes français, alors relativement nombreux parmi les jeunes administrateurs frais émoulus de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-mer, ont eu l’influence la plus grande — et la plus efficace — sur le plan de la formation des futurs leaders africains. Le GEC recrute ses adhérents surtout parmi les cadres et les syndicalistes dont certains sont séduits par le marxisme, d’autres simplement désireux de se perfectionner tout en prenant d’utiles leçons d’organisation. Les GEC fonctionnent suivant un réseau de cellules ou de sections réunissant un petit nombre de participants ; il y eut jusqu’à 44 Groupes au total, dont quatre en Guinée : deux à Conakry (les sections Gabriel Péri et Pierre Sémard), un à Mamou et un à Kankan.
C’est en assistant régulièrement pendant plusieurs années aux réunions du GEC de Conakry (elles ont lieu les 5 et 20 de chaque mois) que le jeune Sékou Touré accède pour la première fois à la littérature marxiste, que la librairie du Parti communiste français fournissait en abondance à la bibliothèque. Il se familiarise avec cette doctrine, sans d’ailleurs la faire totalement sienne : parmi les ouvrages fondamentaux qu’il lit et relit avec intérêt, L’Etat et la Révolution de Lénine l’a fasciné, comme il le dit lui-même. Les “leçons” et discussions du GEC portent sur le communisme, l’économie politique, la lutte anti-coloniale, le travail forcé et les problèmes sociaux ; on y étudie les textes de Lénine, de Marx, d’Engels, de Jdanov, les discours de Maurice Thorez, de Jacques Duclos et de Jeannette Vermeersch. Ces réunions sont animées par de jeunes communistes français, qui complètent leur enseignement par des travaux pratiques sur la manière de ronéoter des tracts, par exemple : il y avait là André Eyquem (contrôleur principal des PTT), Jean-Gabriel Ariola (un Espagnol naturalisé Français, comptable aux Travaux Publics), Biras (un agent du Service des Eaux, chez qui on se réunissait la plupart du temps), le transporteur René Cazau (connu comme le fondateur du parti communiste en Guinée), Jean La Trémouille, employé de la Fédération bananière et fruitière ; on y trouve aussi quelques instituteurs, comme Fabre, Léveillé ou Supervielle 98. En avril 1946, Sékou Touré entre au bureau du GEC en tant que trésorier adjoint (et à partir de cette date les réunions se tiennent parfois chez lui).
En août 1948, Pierre Morlet, professeur de mathématiques à l’Ecole Technique Supérieure de Bamako, animateur du GEC de cette ville, expulsé du Soudan vers la Côte-d’Ivoire en 1947 et nommé en 1948 délégué du bureau confédéral de la CGT en AOF, vient passer un mois en Guinée. Il loge dans la maison de Sékou, qu’il trouve “sûr de lui, lisant jusque tard dans la nuit, pas encore bien formé politiquement, mais très en avance idéologiquement sur Houphouët et sur Modibo Keita.” Il participe à une réunion publique que Sékou organise sur une place de Conakry, assiste à ses harangues devant plusieurs centaines de travailleurs, surtout des employés des chemins de fer et des dockers, cependant que de militaires postés aux alentours en surveillent le déroulement. “Il parlait longuement et très facilement et ses formules percutantes portaient sur son auditoire”. Au terme de son séjour, au nom de la centrale communiste, il félicite Sékou pour son action 99. Ses talents d’orateur, en particulier, frappent tous ceux qui l’approchent 100. En septembre 1946, un mois à peine avant la fondation du RDA, lors d’un vin d’honneur offert à l’occasion du passage à Conakry du directeur de l’hebdomadaire Le Réveil de Dakar, Charles-Guy Etcheverry, Sékou Touré se lance, en présence du gouverneur Terrac, dans une brillante diatribe anticolonialiste : “Sékou Touré, dans une improvisation, a été plus violent (que Madeira Keita, qui avait parlé avant lui). Après avoir critiqué le racisme qui imposerait encore des classes à l’hôpital (…), il a longuement parlé d’une autonomie au sein de l’Union française, précisant que cela ne voulait pas dire détachement de la France démocratique.” 101
A cette époque, l’administration coloniale est convaincue de ses sympathies pour le Parti communiste 102 et s’appuie pour cela sur toute une série d’éléments réunis patiemment par les successifs directeurs de la sûreté de Guinée 103. Elle sait que les déplacements et les notes d’hôtel 104 de Sékou en France sont financés par la Fédération CGT du sous-sol. Elle sait aussi que lors de ses séjours en France, il fréquente, non seulement des militants syndicaux et des cadres politiques, mais aussi des universitaires, dont il suit quelques enseignements 105. Le 13 mars 1947, au cours d’une réunion du RDA à Conakry, il fait l’apologie de l’Union soviétique, qui lutte pour la liberté des peuples, et du Parti communiste, “qui seul s’est élevé en faveur du Vietnam.”
Le 26 avril 1950, lors d’une réunion du RDA tenue au domicile d’un militant, il prononce un panégyrique de Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti communiste français. Quelques mois plus tard, en août de la même année, on le voit donner, avec Madeira Keita, des cours de marxisme à des élèves, peu nombreux il est vrai (ils ne sont que huit !), de l’école des cadres du RDA ; ses leçons portent sur “La solution de la question nationale en Union soviétique”, “La République fédérative et socialiste d’Ouzbékistan”, “Le marxisme et la question nationale et coloniale” … Alors que Maurice Thorez est alors déjà sérieusement malade, Sékou envoie le 27 décembre 1950 la lettre suivante au camarade Jacques Duclos au nom du Groupe d’Etudes Communistes de Conakry :

“A l’occasion de son trentième anniversaire et au seuil de l’année nouvelle, nous présentons, au nom des membres du Groupe d’Etudes Communistes de Conakry (Guinée Française), nos sincères et chaleureuses félicitations au grand parti communiste français, parti d’avant-garde du Peuple de France, qui lutte sans relâche pour l’indépendance nationale, l’aboutissement des revendications des travailleurs et pour un monde meilleur.
Luttant contre les mêmes ennemis — le capitalisme et le colonialisme, son appendice — nous vous souhaitons de nouveaux succès dans votre lutte pour l’avènement en France d’un gouvernement d’union démocratique. Votre victoire est la plus sûre garantie pour nos acquisitions dans les domaines politique et social. Elle marquera, nous en sommes convaincus, une nouvelle et grande étape dans l’histoire, et de notre émancipation, et de la libération de l’Afrique. Aussi tous les démocrates africains réalisent-ils pleinement la nécessité d’une alliance étroite avec le peuple de France pour hâter cette victoire.
Nous formons à nouveau des voeux ardents pour le prompt rétablissement du camarade Maurice Thorez, fils aimé du peuple de France, afin qu’il puisse reprendre sa place de guide éclairé à la tête du premier Parti de France.
Avec l’aide du Parti de Maurice Thorez, nous, démocrates africains, sommes fermement résolus à mener une lutte acharnée contre le colonialisme pour obtenir la libération de l’Afrique et apporter notre contribution à l’édification d’un monde de Paix.”

La police de Conakry affirme que, le 20 avril 1952, au cours d’une réunion privée tenue à son domicile, il aurait fait serment de fidélité au parti communiste 106. En janvier 1953, dans une lettre à des amis parisiens, il écrit que “nos frères étudiants en France font l’objet de brimades et ne trouvent de réconfort que dans les familles communistes.”
Pourtant, à la même époque, certains responsables du Parti communiste et de la CGT — que nous retrouverons — estiment que Sékou fait de plus en plus passer ses préoccupations africaines avant son militantisme syndical ; ils craignent — à juste titre, nous le verrons — qu’il songe à créer un syndicat purement africain, détaché de la centrale française, d’autant que Sékou a déjà approuvé, depuis la fin de 1950, le désapparentement du RDA et du Parti communiste.
On trouve des échos de cette affaire dans un courrier que lui adresse à Conakry, en mars 1952, son amie de coeur cégétiste, Raymonde Jonvaux :

“Je te jure, Sékou, que je saurai défendre notre honneur à tous deux. J’espère que tu ne seras pas fâché que j’aie expliqué tout ça à Madeira Keita ; ça aurait été si grave qu’ils aient de moi l’impression d’une femme collante qui risque de gêner ton travail et d’empoisonner ta vie de militant.
Je suis en général très disciplinée, mais tant d’arbitraire me révolte. Il y a de quoi être démoralisée lorsqu’on parle d’exclusion. Je ne permettrai pas qu’on me calomnie, ni qu’on te calomnie, même si c’est un responsable du Parti qui le fait.
Et puis comme ça, ça les obligera à ne pas mettre tout le RDA dans le même sac et à réfléchir un peu plus.” 107.

Notes
74. David Soumah, clerc de notaire chez Maître Cadoré, militant de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), deviendra un ardent syndicaliste chrétien et se retrouvera à la tête de la CFTC en opposition ouverte avec Sékou Touré.
75. Madeira Keita, que nous retrouverons fréquemment, est décédé au Mali en décembre 1997.
76. Mamadou Traoré, dit Ray-Autra, né en 1916 à Mamou, élève de l’EPS de Conakry puis de l’Ecole William Ponty de Dakar, sert comme instituteur à Labé et à Beyla, puis entre à l’IFAN à Conakry. Franc-maçon, syndicaliste progressiste et anticlérical virulent, il est également poète, et membre du comité de rédaction de Présence Africaine. Membre fondateur du PDG mais toujours d’esprit contestataire, il en est exclu en novembre 1957, puis réintégré. Après l’indépendance, directeur adjoint de l’Institut de Recherches de Guinée et membre du bureau du syndicat des enseignants, il est condamné à dix ans de prison lors du “complot des enseignants” de 1961 et libéré trois ans et demi plus tard … pour être nommé ambassadeur en Algérie. Mais il choisira l’exil après le débarquement de novembre 1970 et ne reviendra en Guinée, une fois Sékou Touré disparu, que pour y mourir peu de temps après.
77. Mgr. Raymond Lerouge fut Préfet apostolique de la Guinée française (poste créé le 18 octobre 1897 par division des Vicariats apostoliques de Sénégambie et de Sierra Leone) de 1911 à 1920 (succédant aux pères Auguste Lorber : 1897-1900 et François Segala : 1900-1910). Lorsque le Vicariat apostolique de Conakry fut créé le 18 avril 1920, Mgr. Lerouge en fut nommé titulaire, poste qu’il occupa jusqu’en 1949, où il fut remplacé par Michel Bernard qui resta jusqu’en 1954. Un Archidiocèse fut alors créé à Conakry le 14 septembre 1955 (avec Mgr de Milleville comme Archevêque jusqu’en 1962, puis Mgr Tchidimbo de 1962 à 1979 — mais il fut détenu au camp Boiro de 1970 à 1979 — puis Mgr Sarah de 1979 à 2003, et depuis lors Mgr Vincent Coulibaly, qui était depuis 1993 évêque de Kankan.
78. Quant à sa mutation de 1944, le père Le Mailloux, qui était encore à l’époque mobilisé et donc militaire, en apprendra plus tard seulement les motifs. Dans une lettre écrite à Bamako le 30 juillet 1945 au Supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit à Paris, il précise : “Envoyé à Dakar convoyer un malade, je me suis présenté à la Direction des services de santé, le 24 de ce mois de juillet 1945. Or quelle ne fut pas ma surprise d’entendre le Commandant chargé du personnel me dire: “Mais qu’avez-vous donc avec votre évêque ?” Etonné, je lui demandai le motif de cette question. Voici la réponse que j’entendis de sa bouche : “Nous avons reçu de votre évêque une lettre nous demandant de vous éloigner de Conakry et de vous envoyer en Afrique du Nord ou en France. Comme nous n’avons pas à tenir compte de vos difficultés ecclésiastiques, comme d’autre part vous êtes excellemment noté au point de vue militaire, nous n’avons pas jugé bon de vous envoyer au front comme le demandait votre évêque et nous vous avons conservé en AOF (…),vous nommant à Bamako pour tenir compte cependant de la demande de mutation formulée par votre chef de mission”. En 1946, après deux années passées à Bamako au secrétariat du médecin-chef de l’hôpital, le père Le Mailloux fut affecté par la Congrégation du Saint-Esprit au Cameroun, avant de revenir en Guinée en mars 1950, lorsqu’il fut nommé Préfet apostolique de Kankan ; il reçut alors une visite de courtoisie de Sékou Touré, accompagné d’un des cadres catholiques du PDG. Le père Le Mailloux démissionna en décembre 1957 à la suite d’un conflit sur sa gestion financière, notamment des constructions scolaires, et quitta définitivement la Guinée le 14 janvier 1958, muté par Mgr Marcel Lefebvre, archevêque de Dakar. Oui, c’est bien le même Mgr Lefebvre, qui fut ultérieurement chef de file des intégristes catholiques français : membre de la Congrégation du Saint-Esprit (les Spiritains), missionnaire au Gabon, il est nommé en 1947 évêque de Dakar, en 1948 délégué apostolique pour l’Afrique francophone (plus de 40 diocèses) avec la mission d’africaniser l’Eglise et de former des prêtres africains (qu’il a sans nul doute influencés), en 1955 archevêque de Dakar, qu’il quitte en 1962, pour devenir Supérieur général des Spiritains. Après le Concile Vatican II (1962-65), il se démet de sa charge et devient le chef de file des traditionnalistes, s’oppose aux réformes “modernistes” de l’Eglise, soutient des régimes et des hommes politiques de droite, est suspendu en 1976 et excommunié en 1988; il meurt en 1991 , et son excommunication sera levée en 2009 par Benoit XVI, avec qui il avait beaucoup discuté naguère lorsque ce dernier était encore le Cardinal Ratzinger. Quant au Père Le Mailloux, il fut par la suite affecté comme directeur des écoles en Centrafrique jusqu’à ce qu’il se retire en 1990 dans la maison de retraite de la Congrégation du Saint-Esprit à Chevilly-Larue (Val de Marne); il est décédé en juin 2006. Le père Le Mailloux encouragea en 1957 la démarche du père de François de Martinière : élu conseiller territorial de Nzérékoré, auprès de Sékou Touré afin que celui-ci intervienne à la fin de 1957 à l’Assemblée territoriale guinéenne en faveur du maintien des subventions à l’enseignement privé catholique pour l’année 1958, contrairement à la doctrine du PDG (entretien de l’auteur avec le père Le Mailloux, 3 septembre 1998).
79. Cette hypothèse — que d’aucuns jugeront hardie — est corroborée par le témoignage de Mgr Raymond-Marie Tchidimbo dans son ouvrage Noviciat d’un évêque (Paris, Fayard, 1987, p. 115) : “ … Il est légitime de dire ou de penser que Sékou Touré aurait évolué autrement si l’autorité ecclésiastique en Guinée, en place de 1919 à 1949, n’avait pas cru en la pérennité de la colonisation ; et que, partant de cette conviction, elle n’avait concecarré les initiatives de missionnaires lucides ; car il s’en est trouvé, et plus d’un, à cette epoque. L’un deux, par exemple, avait ouvert un cercle d’études à Conakry, en 1943, pour y dispenser une formation sociale adéquate aux jeunes Guinéens de la ville qui le souhaitaient. Sékou Touré fut l’un des premiers à s’y inscrire et à y suivre les cours assidûment. L’autorité ecclésiastique exigera la fermeture de ce cercle d’études, trois mois seulement après son ouverture: les indigènes n’avaient pas besoin de ça, le patronage suffisait. Bien sûr. … Lorsquue l’on part du postulat que le Noir est un grand enfant, et qu’il est appelé, par vocation et élection, a le demeurer in saecula saeculorum, alors, oui, le patronage suffit ! Cette histoire serait plutôt comique si les choses en étaient restées là. Mais ce missionnaire téméraire fut muté hors de cette Guinée qu’il avait adoptée et aimée ; et Sékou Touré, qui était resté sur sa faim, fut recruté par la CGT qui, d’une façon bien à elle, vint combler son désir de connaissances.”
80. La 4ème leçon des cours de l’Ecole élémentaire du PCF affirme encore, en 1944 : “Si les populations de la France d’Outre-mer ont le droit de se séparer de la métropole, cette séparation serait à l’heure présente aller à l’encontre des intérêts de ces populations ; les communistes français, soucieux du réel, le disent avec netteté et sans équivoque.” Henri Lozeray écrit dans Les Cahiers du Communisme (n° 6, avril 1945): “Les colonies françaises (étaient) absolument incapables d’exister économiquement et par conséquent politiquement comme nations indépendantes.” Sur la position des partis de la France métropolitaine, notamment du Parti communiste et du Parti socialiste, sur les questions coloniales aux débuts de la IVème République, voir le chapitre consacré par le professeur Marc Michel à l’“L’Empire colonial dans les débats parlementaires”, in L’année 47, Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 2000. Le grand tournant de la position du Parti communiste français n’a eu lieu qu’en juin 1947 avec un grand discours d’Etienne Fajon au Xlème Congrès du PC à Strasbourg; le RDA en commande immédiatement 5.000 exemplaires pour “faire connaître partout la position forte et claire de notre Parti sur les problèmes de l’Union française” ; ce texte sera ensuite publié par le Parti dans une brochure qui regroupe d’autres textes, de Maurice Thorez, Jacques Duclos, André Marty, etc. …
81. Maurice Gastaud, “Naissance et évolution du PDG”, Cahiers du CERM, n° 55. En fait, une section guinéenne du Parti communiste français fut bien fondée au lendemain de la guerre par René Cazau ; celui-ci sera arrêté après les événements de novembre 1970, et libéré le 30 décembre 1973 sur les instances du Parti communiste français et de la CGT. D’autres responsables communistes affirment que le Parti communiste estimait ne pas avoir besoin de créer de parti-frère en Afrique puisqu’il y avait déjà le RDA qui lui était apparenté (Témoignage de Marcel Dufriche, membre du Comité central du PCF, recueilli par Valéry Gaillard lors du tournage du film Le jour où la Guinée a dit non (avec Laurent Duret, Les Films d’Ici, Paris, 1998).
82. Lettre de Jean Suret-Canale à l’auteur, 25 mars 1999. Voir son livre Afrique noire (tome 3).
83. Ils sont en fait apparentés au Parti Communiste par l’intermédiaire de l’Union Républicaine et Résistante (URR) de Pierre Cot et Emmanuel d’Astier de la Vigerie, qui compte ainsi 12 membres grâce aux 6 élus du RDA. Avant la naissance du RDA en octobre 1946, plusieurs élus africains étaient déjà apparentés aux communistes : dans la 1ère Constituante (élue le 10 novembre 1945), c’était le cas de 2 Africains (Houphouët-Boigny et Fily Dabo Sissoko) sur 8 élus au titre du 2ème collège (5 autres étaient apparentés à la SFIO et au MRP), auxquels s’ajoute Gabriel d’Arboussier (élu au titre du 1er collège). Dans cette Assemblée, rappelons que sur 21 élus au titre des deux collèges par l’Outre-mer (Algérie exclue) 11 étaient des Africains et 10 des Européens.
84. Issoufou Saidou Djermakoye, chef traditionnel du Niger (il fut vers la fin de sa vie couronné Roi des Djermas), conseiller de l’Union française, ancien ministre et ambassadeur du Niger, secrétaire général adjoint des Nations unies, donne sur les raions de cet apparentement un témoignage personnel, citant au passage Houphouët-Boigny. La première Assemblée constituante compte, parmi ses 585 membres, 63 députés venus d’Outre-mer dont 33 représentaient les territoires d’Outre-mer relevant du ministère des colome. Cette Assemblée est la plus à gauche de toutes celles que se soient jamais données les Français. Les communistes sont au nombre de 159, les socialistes SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) au nombre de 150. A eux deux une majorité est établie. Il faut ajouter le MRP (Mouvement républicain populaire) au nombre de 150. Du naufrage des partis de la Troisième république en demeuraient 29. Quant aux modérés, il en restait 53. Ainsi devait commencer l’ère du tripartisme, puisque tous les gouvernants, jusqu’en mai 1947, allaient être formés par les trois principaux partis (PCF, SFIO et MRP). D’où la logique pour les leaders politiques africain de se mettre en résonance, dans un premier temps, avec le bloc tripartite. A ce sujet, Félix Houphouët-Boigny, alors député de Côte d’Ivoire, ecrit dans Afrique Nouvelle du 19 Juillet 1955 : “Lamine Guèye etait déjà inscrit à la SFIO (…) il nous a tous inscrits à la SFIO. Mais quand nous nous sommes réunis, nous avons considéré, Fily Dabo Sissoko (Soudan [l’acutel Mali]) et moi, qu’il serait de sagesse de nous répartir entre les trois partis alors au pouvoir pour nous attirer leur appui et avoir ainsi plus de force dans nos interventions. C’est ainsi que Senghor s’inscrivit à la SFIO et Douala Manga Bell (Cameroun) au MRP. Sissoko et moi étions, parmi tous les élus africains, les seuls représentants de la bourgeoisie et de la chefferie. Nous pouvions donc plus facilement que d’autres aller au Parti communiste sans crainte d’être accusés de communisme. Moi, bourgeois propriétaire terrien, j’irais prêcher la lutte des classes ? C’est pourquoi nous nous sommes apparenté au parti communiste sans nous y affilier. C’est donc un ensemble d’intellectuels africains qui va bénéficier d’un apprentissage politique appuyé au sein du parlement français : Au formations politiques de la métropole déjà citées qui ont apporté leur soutien à l’action des hommes politiques africains, il faudra ajouter l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la résistance). Créé en juillet 1945, ce parti va jouer un rôle grandissant dans l’engagement des hommes politiques africains. Il s’établira comme ayant une vision progressiste de l’Afrique. (Ce témoignage, donné en 2000 par Issoufou Saidou Djerrnakoye quelques mois avant sa mort, doit paraître ultérieurement dans un ouvrage consacré à la personnaltte attachante de ce leader nigérien).
85. Ce Front National n’a évidemment rien de commun avec celui de Jean-Marie Le Pen! Le Front National de cette époque résulte de la fusion de plusieurs mouvements politiques issus de la Résistance et comprend de nombreuses personnalités du parti communiste ou de la CGT, mais aussi des intellectuels progressistes comme François Mauriac ou Jacques Debu-Bridel, des syndicalistes comme Benoît Frachon, des bommes politiques chrétien comme Georges Bidault, des journalistes, etc … C’est lors d’un de ses premiers Congrès tenu du 1er au 25 juin 1945 que des minoritaires du Front ational, hostiles à la trop nette prise en mains par les communistes, opéreront une scission pour fonder l’Union Démocratique et Sociale de la Résistance (UDSR), qui accueillera sept ans plus tard les élus du RDA.
86. Nabi Youla est né le 20 novembre 1918 à Fannie, en Basse Guinée, au sein d’une famille aristocratique soussou. Diplômé de l’école William Ponty de Dakar, ailier gauche et capitaine du Racing Football Club de Conakry (années sportives auxquelles il attribue aujourd’hui son excellente forme), il est instituteur en Guinée de 1937 à 1946.
Fondateur et président de l’Union des coopératives africaines de Guinée de 1948 à 1951, secrétaire de la sous-section du RDA de Conakry, attaché au Centre national de la coopération agricole à Paris de 1955 à 1958, il est conseiller technique au cabinet de Modibo Keita (secrétaire d’Etat à la France d’Outre-mer de juin à novembre 1957, puis à la présidence du Conseil de novembre 1957 à avril 1958), membre du comité directeur de l’UDSR le 20 octobre 1957, membre du Conseil économique et social de la Communauté économique européenne le 24 avril 1958. Bien qu’il ait voté Oui au référendum du 28 septembre 1958, Sékou le fait revenir à Conakry et le nomme envoyé spécial auprès du général de Gaulle le 13 octobre 1958. Nabi Youla a plusieurs entretiens avec de Gaulle, à qui il explique la mentalité guinéenne et l’amadoue assez pour obtenir début 1959 la reconnaissance de jure de la Guinée. Il est ambassadeur de son pays en France le 21 janvier 1959, secrétaire général de l’Assemblée nationale guinéenne le 2 mai 1961 , ambassadeur de Guinée en République fédérale d’Allemagne le 25 janvier 1962, secrétaire d’Etat à la présidence chargé de l’information et du tourisme en novembre 1964, de nouveau nommé à Bonn en 1965, d’où il s’exile en mars 1967 (il devait alors être nommé en Yougoslavie ; quelques années auparavant, il avait refusé, devant Brejnev en visite en Guinée, d’aller à Moscou).
Opposant notoire sans se mobiliser au sein d’un mouvement précis, il réside notamment au Zaïre, invité par Mobutu, et devient homme d’affaires. Le “traître Nabi Youla”, comme il est alors qualifié dans les discours de la Révolution guinéenne, est condamné à mort par contumace en 1969 dans le cadre du “complot des militaires”, sur la base de correspondances qu’il aurait échangées avec des adversaires déterminés du régime révolutionnaire.
A Kinshasa, il échappe à un commando de tueurs venus de Guinée pour l’exécuter, parce que Mobutu a été prévenu depuis Conakry par un coup de téléphone anonyme, que Nabi Youla attribue à Sékou Touré lui-même car paradoxalement il ne met pas en doute les relations d’amitié qui les liaient. Après la mort de Sékou Touré, en mars 1984, il revient régulièrement en Guinée, puis définitivement après 1991 , et joue un rôle important comme conseiller du président Lansana Conté. Il se retire, en grande partie pour raisons de santé, en 2000. En avril 2008, Nabi Youla, toujours condamné à mort car jamais amnistié, gracié ou réhabilité, est chargé de présider à une opération Dialogue-Vérité-Réhabilitation-Réconciliation, à la veille du 50ème anniversaire de l’indépenpance de la Guinée (2 octobre 2008) ; ce dialogue, qui devait démarrer le 22 mai, a été au moins pour un temps bloqué par la mise à l’écart du Premier ministre Lansana Kouyaté, intervenue la veille. En 1955, Nabi Youla a été acteur dans La plus belle des vies, un film de 1955 tourné en France et en Guinée par Claude Vermorel, avec Jean-Pierre Kerien, Claire Mafféi , Roger Pigaut, Lucien Raimbourg, Aïssatou Barry, Oumou Dien, Alfa Yagga (voir le chapitre 16 sur Sékou Touré, élu à l’Assemblée territoriale, et la discussion sur une subvention à ce film par l’Assemblée territoriale au même chapitre). Nabi Youla est aussi l’auteur du livre Moussa, un enfant de Guinée, paru en 1964 en français et en allemand.
87. Souvent appelé Saïfon, comme le sont souvent ceux qui portent le prénom de Saïfoulaye.
Erratum. Saifon est un diminutif francisé de Saifoulaye, ou Sayfullaahi, un mot arabe qui signifie le sabre d’Allah. Saifoulaye fut le deuxième fils d’Alfa Bakar (1870-1957), chef du canton de Diari, Labé, à recevoir ce nom de baptême. Un premier enfant du même prénom mourut en bas âge. Autant que je sache, tous les Saifon de Guinée sont des homonymes du premier président de l’Assemblée nationale. Mais ce diminutif est inconnu en famille et dans la société rurale du Fuuta-Jalon. Saifoulaye signifie le Sabre d’Allah, tandis que Kaousoullaye (frère aîné direct de ‘Saifon’) signifie l’Aide d’Allah, Atawoullaye — un neveu — signifie le Quêteur d’Allah, etc. — T.S. Bah
88. L’Institut Français d’Afrique Noire a créé en 1944 un établissement situé dans la presqu’île de Boulbinet à l’extrémité de la ville de Conakry ; son but est de rassembler toute la documentation sur la Guinée (histoire, ressources, habitants). La publication Etudes Guinéennes diffuse ses résultats. L’IFAN dispose à Conakry d’une bibliothèque, d’une collection botanique et zoologique, d’un laboratoire et d’un jardin botanique. Georges Balandier en fut le premier directeur. En 1959, la section guinéenne de I’IFAN devient l’Institut National de Recherche et de Documentation de Guinée. [Note. Chaque colonie française avait une section territoriale appelée Centrifan : Soudan (Mali), Côte d’Ivoire, Dahomey (Bénin), etc. — T.S. Bah
89. Revenu en Guinée en 1956 avec l’équipe du gouverneur Ramadier, Gabriel Féral devient, à la demande de Sékou Touré le chef de cabinet de Fodéba Keita, ministre de l’Intérieur dans le Conseil de gouvernement constitué en application de la Loi-cadre Defferre. En 1957, toujours à la demande de Sékou, il crée le secrétariat général du gouvernement. Sékou lui conseillera lui-même de quitter le pays au lendemain du voyage du général de Gaulle. Prévoyant la suite, il lui dit: “Si tu restes, tu seras révoqué par ton gouvernement.” (lettre de Gabriel Feral à l’auteur) Gabriel Féral reviendra en Guinée en octobre 1961 — il est reçu par Sékou le 13 — pour y présenter un projet de développement de la riziculture élaboré par le BOPA (Bureau pour le développement de la production agricole) en liaison avec la CCTA (Commission de coopération technique en Afrique) ; le principe même de cette opération se heurtera au refus du général de Gaulle. (Archives du Fonds privé Foccart, carton 63, dossier 205).
90. On y trouve par exemple les nommés Lescellier, Prumières, Thiémonge, Maurice Keita…
91. Rapport de Sidibi Soulé au commissaire de police de Kindia, 14 octobre 1945.
92. Dans l’ensemble de I’AOF ne sont en 1945 citoyens français (selon la loi du 29 septembre 1916) que 97.707 Africains, dont 93.328 au Sénégal, parmi lesquels 57.778 à Dakar (source Annuaire statistique de l’AOF, 1949, tome 1).
93. Jean-Baptiste Ferracci sera plus tard élu député à la Deuxième Constituante Juin 1946), puis au Conseil de la République (aux élections du 13 janvier 1947, puis du 14 novembre 1948). Après son décès, le 9 décembre 1950, il sera remplacé par Louis-Désiré Marcou). A la 2ème Assemblée constituante, lors d’un débat en septembre 1946 sur le collège unique (dont il est partisan), Ferracci avait déclaré: “Lorsque les indigènes seront citoyens, il n’y aura plus de gouverneurs qui les obligeront à faire, complètement nus, tout le tour des bâtiments du gouvernement général à titre de punition. C’est à la suite de tels faits que le mécontentement s’affirme et que se sont produites des émeutes à Conakry”. (Applaudissements à l’extrême-gauche). L’auteur ignore à quels faits — et à quel gouverneur — le député fait allusion.
94. Les candidats “citoyens” sont Georges Moreau (administrateur de la FOM sans étiquette), Jean-Baptiste François Ferracci (commerçant, SFIO et Front national, qui avait été maire de Sartène en Corse pendant la guerre, selon le témoignage du gouverneur Roland Pré dans son Journal intime, voir chapitre 14), André Albert Vinsot (Union communautaire et guinéenne), Jean Henri Meunier, Maurice Emile Bertin dit Chevance (général en retraite, UDSR), Paul Bacquey-Traoré (vétérinaire de Siguiri), Ibrahima Sow (publiciste à Conakry, SFIO), Maka (Dahoméen), Sanmarcelli (ancien commandant). Les candidats “non citoyens” sont Mamadou Traoré, Mamadou Fodé Touré (licencié en droit), Mamadou Sow, Ibrahima Caba Lamine (Parti républicain révolutionnaire), Diafodé Kaba, Ismaïla Momo Sakho (secrétaire des greffes et parquets), Ishag Amara Soumah (comptable), Jean Hervé Sylla (ancien membre de conseils d’administration), Amara Sissoko, Yacine Diallo (instituteur), Mohamed N’fa Touré (rédacteur au journal L’AOF de Dakar), Mamba Sano (instituteur), Mamadou Sangaré, Momo Touré (médecin) et Momo Bangoura.
95. Maurice Chevance-Bertin (1910-1996), héros de la résistance intérieure, co-fondateur du mouvement “Combat”, vice-président de la commission des colonies de l’assemblée consultative provisoire d’Alger, fait par le général de Gaulle Compagnon de la Libération le 17 novembre 1945 (une semaine après ces élections), ne se représente pas aux elections suivantes, et ne viendra plus guère en Guinée pendant de longues années. Il fonde l’hebdomadaire Climats, qui s’intéresse aux questions coloniales, et représente diverses sociétés en Afrique. On le voit surtout au Sénégal, où il fera de (plutôt mauvaises) affaires dans l’agriculture et l’élevage, par exemple avec le ranch d’embouche de Bambilor. Mais on le reverra en Guinée après la normalisation de 1975, mettant son énergie et son extraordinaire force de persuasion au service de la réconciliation et du développement des relations franco-guinéennes. Le public français l’a découvert lors d’une émission “Apostrophes” de Bernard Pivot en 1990 où il présentait son livre Vingt Mille heures d’angoisse (Robert Latfont, 1990).
96. Il en existe notamment à Brazzaville, Dakar, Abidjan, Bamako, Conakry et Yaoundé. Avant la fin de la guerre, leur objectif essentiel est de mobiliser les jeunes (surtout métropolitains, plus rarement les autochtones) pour hâter la libération et la victoire ; l’objectif de formation et d’embrigadement de jeunes cadres locaux apparaîtra surtout après la fin de la guerre. Voir Jean Suret-Canale, Les groupes d’études communistes en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1994.
. Raymond Barbé (né en 1911), cadre scientifique (il est mathématicien), ancien normalien (promotion 1931 de l’Ecole normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud), officier dans les forces françaises de l’intérieur, militant communiste, il suivra dès sa démobilisation les questions coloniales au PCF. Il sera membre du Comité central, président du groupe communiste de l’Assemblée de l’Union française de 1947 à 1958, responsable de la section “coloniale” du PCF de juillet 1945 jusqu’en 1950 (Léon Feix lui succédera). Installée à Paris au 19 de la rue Saint-Georges, cette section est à ses débuts supervisée au Comité central par André Marty. Barbé participa également à la direction de plusieurs écoles centrales pour militants coloniaux. Par son influence sur beaucoup de militants et de dirigeants du RDA, il contribuera beaucoup au durcissement de ce mouvement face à l’administration coloniale (conversation de l’auteur avec Raymond Barbé, 12 septembre 1998).
98. On m’a parlé également d’un “syndicaliste marxiste” que je n’ai pu jusqu’ici identifier, et auquel Sékou aurait été attaché au point de dormir pendant quinze jours sur sa descente de lit pour le veiller alors qu’il était gravement malade, en 1945/46 ; selon le médecin général inspecteur André Carayon qui était à cette époque médecin-lieutenant, puis médecin-capitaine, il s’agissait d’un “gnome tordu et bossu, qui avait un grave abcès du foie” ! (conversation avec l’auteur en mai 1996 à Dakar). Avant de servir à Dakar, le Dr André Carayon a été pendant quatre ans (de mars 1943 à fin 1946) chirurgien à l’hôpital Ballay de Conakry, et disposait même d’un avion Potez 29 pour aller opérer ailleurs dans la colonie. Spécialiste mondial de la chirurgie réparatrice de la lèpre, membre de l’Académie de chirurgie, André Carayon est décédé en 2007.
99. Conversation de Pierre Morlet avec l’auteur (à Lorris- Loiret- en août 1987).
100. Mamadou Ndiaye, ancien directeur des chemins de fer du Sénégal, qui rencontra Sékou à cette époque et passa plus tard plusieurs années (1956-1960) comme directeur administratif des chemins de fer de Guinée, raconte que Sékou enregistrait ses projets de discours sur bande (il n’existait pas encore de cassettes) et les écoutait ensuite interminablement en déclamant en même temps à haute voix pour se corriger ; Cela se passait ainsi dans les années 50, alors que Sékou était encore marié à la sénégalaise Marie N’Daw (entretien de Mamadou Ndiaye avec l’auteur, Dakar, 17 novembre 1997) .
101. Rapport hebdomadaire des services de police de la Guinée française, 13 septembre 1946.
102. C’est “un communiste notoire”, écrit le gouverneur général de l’AOF au ministre de la France d’Outre-mer le 23 février 1951 . Il faut noter que cette correspondance a été écrite une quinzaine de jours après la visite ministérielle que François Mitterrand a rendue à l’AOF (et notamment à la Guinée, où il a visité Kankan et Conakry en compagnie du secrétaire d’Etat Aujoulat) au début du mois de février. Il n’a sans doute pas rencontré Sékou Touré, qui ne devait pas figurer (encore) sur les listes d’invitation du gouverneur, d’autant qu’il venait d’être révoqué de l’administration. Mais peut-être la lettre de Paul Béchard répond-elle à une interrogation du ministre ?
103. Les commissaires Jean-René Muller (1945/46) ; Pierre Ottavy (1947/48); Charles Wilt (1949/50) ; Maurice Espitalier (1951/53) ; Heude ( 1953/54 ; Paul Humbert (1955/56) ; Georges Fessaguet (1957) ; L. Bloch (1957/58), André Besnard ( 1958). Les chefs de la Sûreté en Guinée sont en général des commissaires divisionnaires.
104. Au cours de ces années, Sékou Touré habite souvent l’hôtel d’Angleterre, 12 Cité Bergère, qui est considéré comme un point de chute pour les parlementaires et les personnalités proches du parti communiste, parfois aussi l’hôtel du Mont-Blanc, rue de la Huchette.
105. Dans leur livre d’entretiens communs avec Roger-Pol Droit, La liberté nous aime encore (Paris, éditions Odile Jacob, 2001 , paru peu avant le décès du philosophe), l’écrivain Dominique Desanti et son mari Jean-Toussaint Desanti (1914-2002), professeur émérite de philosophie à l’Université de Paris-1, écrivent (page 214): “Nous l’avons très bien connu. Sékou a suivi les cours de Touky” (c’était le surnom du professeur). Ce n’est évidemment pas à l’université que Sékou Touré a pu suivre les enseignements magistraux de Desanti, qui était à l’epoque l’un des professeurs marxistes de philosophie les plus réputés et qui resta adhérent du Parti communiste jusqu’en 1958. Il s’agit certainement des cours que celui-ci dispensait régulièrement au Centre de formation syndicale de la CGT à Gif-sur-Yvette.
106. Cette affirmation est vivement contestée par Raymonde Jonvaux : “C’est insensé : les membres du Parti communiste n’ont jamais prêté serment… A fortiori, ceux qui ne l’étaient pas n’avaient pas à le faire. En revanche, l’adresse à Jacques Duclos et à Maurice Thorez pour le 30ème anniversaire du PCF est réelle. Je peux même ajouter une anecdote personnelle. En cette fin d’année, j’avais envoyé à Sékou un stylo en cadeau de Nouvel An. Il m’a remerciée bien sûr en regrettant que ce cadeau ne soit pas en l’honneur du 30ème anniversaire.” (Lettre du 20 août 1995 à l’auteur). Il est évident que les rapports de police sur Sékou (et sur d’autres militants anticolonialistes) faisaient souvent état de rumeurs et n’hésitaient pas à présenter comme des faits avérés des anecdotes non vérifiées ou des rumeurs négatives.
107. En fait, Raymonde Jonvaux sera durement sanctionnée par les siens en raison de sa relation avec Sékou Touré : elle perdra son emploi à la CGT et sera exclue de la centrale syndicale.