Président de la Guinée de 1958 à 1984

André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L’Harmattan. 2010. Volume V. 263 pages


Chapitre 65. — 22 novembre 1970
Forces portugaises et opposants guinéens débarquent à Conakry et ouvrent la “période sombre de l’histoire” de la Guinée


Dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 novembre , plusieurs unités navales battant pavillon portugais (probablement six bateaux de guerre et péniches de débarquement) pénètrent dans les eaux territoriales guinéennes et aprrochent de la côte en face de Conakry.
Des centaines de commandos en tenue militaire et munis de brassards verts débarquent en plusieurs vagues à bord de petites barques sur les plages de la capitale et se dirigent vers des objectifs clairement désignés (au nombre de 53) et attribués au préalable à chacun des groupes : le Camp Boiro (où croupissent encore, parmi nombre d’autres détenus, des prisonniers plus illustres, tels le colonel Kaman Diaby, rescapé du « Complot des militaires » de l’année précédente, ou l’ambassadeur auprès de l’ONU Marof Achkar), le quartier général du PAIGC où est installé l’état-major du mouvement de libération de la Guinée-Bissau, les camps militaires Samory et Alpha Yaya, l’aéroport, la centrale électrique, la poste, le bâtiment de la radiodiffusion nationale, le siège des principaux ministères, ainsi que le palais présidentiel (le Palais en ville, et sa résidence de banlieue, la villa Belle-Vue).

Erratum. — Colonel Kaman Diaby avait été fusillé « la nuit du 26 au 27 mai 1969 » en même temps que ses co-accusés Fodéba Keita, Diawadou Barry, Karim Fofana, etc. (Kindo Touré, “L’extraction des condamnés” in Unique Survivant du Complot Kaman Fodéba, 1987) — Tierno S. Bah

Pour les Portugais et leurs unités largement formées d’originaires de la Guinée-Bissau, l’objectif prioritaire était de libérer des militaires fait prisonniers par des groupe du PAIGC et emprisonnés à Conakry, le second objectif était d’anéantir ou de frapper durement l’état-major du PAIGC, installé dans des bâtiments du quartier de Belle-Vue, pas très éloignés de la côte.
Pour les opposants guinéens qui étaient venus avec les forces portugaises (et grâce à elles), ainsi qu’éventuellement pour les services secrets français ou occidentaux qui seront ultérieurement mis en cause, l’objectif était de libérer certain détenus politiques emprisonnés au Camp Boiro, mais plus encore de frapper et si possible de renverser le régime : idéalement se saisir de Sékou Touré lui-même, d’un certain nombre de dignitaires du Parti ou du gouvernement, et occuper des centres du pouvoir pour pouvoir lancer une proclamation et annoncer la formation d’un nouveau gouvernement.
Le moment de cette opération n’a pas été choisi par hasard. Et ce n’est pas, comme Sékou Touré le croit ou fait semblant de le croire, et ainsi qu’il le dit à plusieurs reprises dans ses proclamations, parce que le 22 novembre est l’anniversaire du général de Gaulle (décédé deux semaines auparavant, le 9 novembre) et que cette opération aurait été montée — par les Portugais ? — pour lui rendre un hommage posthume ! En fait, une dizaine de dates différentes avaient été envisagées, l’opération avait déjà été retardée à plusieurs reprises, et c’est finalement une conjonction d’éléments favorable qui avaient permis de la déclencher cette nuit-là : une nuit sans lune, une forte marée haute permettant aux navires d’approcher plus près de la côte, une brume intense les protégeant longtemps des regard des veilleurs, un week-end coïncidant avec la fin du Ramadan (période où les musulmans pratiquants sont généralement un peu las en raison des jeûnes), alors que de nombreux responsables civils et militaires étaient en train de célébrer cette fête en famille et ne faisaient certainement pas preuve de grande vigilance ; les habitants de la capitale, y compris les militants, les miliciens, les policiers, étaient eux aussi en pleine célébration et leur mobilisation n’a certainement été ni facile ni rapide. Pourtant, assez vite, la population s’est rendu compte qu’il se passait quelque chose d’anormal, d’autant que des fusillades ont rapidement éclaté, que de obus ont été tirés depuis les navires qui avaient jeté l’ancre non loin du rivage, et que des avions survolaient la capitale (ce qui ne se produisait pratiquement jamais de nuit). Les autorités ont été alertées, des unités de l’armée, de la police et de la milice populaire ont commencé à circuler en ville en cherchant à localiser les assaillants, et les échanges de coups de feu se sont intensifiés. Il y eut assez vite des mort de deux côtés, ainsi que des blessés. Parmi les morts, un ressortissant de la République fédérale d’Allemagne, le Comte Ulf von Tiesenhausen, un aristocrate issu d’une illustre famille ayant des liens avec la Saxe et les pays baltes, directeur de l’entreprise ouest-allemande Fritz Werner, membre influent de la communauté des Européens de la capitale, tué alors qu’il rentrait chez lui après une soirée avec des amis et en les reconduisant dans leur maison de La Minière, selon lui, mais, selon les mises en cause ultérieures de la RFA dans l’agression, en allant montrer le chemin à des groupes d’assaillants.
L’objectif recherché par les Portugais a été assez rapidement atteint, et plusieurs militaires portugais ou originaires de GuinéeBissau retenus prisonniers ont été repérés et libérés.

Certains officiers portugais blancs avaient d’ailleurs été transférés peu avant le débarquement depuis la prison de Mamou vers Conakry.

Les militants du PAIGC en revanche ne s’étaient pas laissé surprendre dans leur état-major du quartier de La Minière, pratiquement vide, et surtout, le leader du mouvement, Amilcar Cabral, était en visite en Roumanie et donc absent de Guinée, à la grande déception des responsables portugais, qui détruiront sa maison 6. De multiples bâtiments ont été démolis ou endommagés. A l’aube ou dès les premières heures de la matinée du dimanche, les forces portugaises étaient en fait prêtes à rembarquer. Si elles ne l’ont pas fait, c’est sans nul doute à la demande des opposants guinéens venus avec eux, et qui étaient bien loin de parvenir à leurs fins.
Sans doute avaient-ils libéré un certain nombre de détenus du Camp Boiro (dont l’ambassadeur Marof Achkar), et y avaient-ils enfermé quelques uns des (rares) responsables civils ou militaires sur lesquels ils avaient pu mettre la main. Contrairement à ce qu’affirmera quelques jours plus tard une lettre ouverte adressée par le RGE (Rassemblement des Guinéens en Europe) au Secrétaire général de l’ONU, le général Lansana Diané, qui aurait été dénoncé par des prisonniers libérés « exigeant qu’il soit fusillé, ce qui fut fait sur le champ », a pu échapper aux assaillants. Mais par suite d’une préparation insuffisante ou d’une négligence incroyable, ils se sont dirigé vers un bâtiment de la radiodiffusion qui n’était plus en service depuis plusieurs semaines déjà, et ils ont donc été dans l’incapacité de diffuser leurs communiqués.

Pour ce qui est de la personne de Sékou Touré lui-même, les versions divergent. Selon certains, averti très vite de la tentative de débarquement, il se serait caché dans une maison amie, peut-être celle de la mère du directeur général de la sécurité présidentielle, Guy Guichard ; selon d’autres, il se serait dissimulé dans la case Belle-Vue, résidence présidentielle secondaire mais plus moderne ; selon d’autres, il serait réfugié dans la villa du consul soviétique ; selon d’autres encore, le général Noumandian Keita, chef d’état-major de l’armée et une délégation d’officiers seraient venus au Palais lui rendre compte, demander des instruction ainsi que l’autorisation de se faire ouvrir les réserves de munitions, et Sékou Touré aurait cru qu’ils venaient pour l’arrêter ; il les aurait alors suppliés de le tuer plutôt que de le livrer à la foule. En fait, il n’y a semble-t-il aucun témoignage crédible sur ce qui s’est passé au Palais cette nuit là.

Erratum. — A propos de ces lieux de refuge la version généralement admise est celle de A. Portos Diallo, qui était aux côtés de Sékou Touré aux premières heures de l’attaque et qui organisa les cachettes du président une semaine durant en fin novembre 1970. — T.S. Bah

Ce qui est certain, en tous cas, c’est qu’à 9 heures du matin, Sékou Touré lit à la radio une proclamation intitulée :

« Premier Appel à La Nation » (mais on ne sait où l’enregistrement a été effectué).

« Peuple de Guinée Tu es, depuis 2 heures du matin, ce dimanche 22 courant, victime dans ta capitale Conakry, d’une agression de la part des forces impérialistes. Des bateaux de guerre étrangers stationnent dans tes eaux territoriales, après avoir permis le débarquement des mercenaires européens et africains.
Cette agression s’inscrit dans le cadre du plan de reconquête des pays révolutionnaires d’Afrique par des puissances étrangères. Le colonialisme portugais sert de tête de pont dans cette agression. Le Peuple de Guinée se défend et se défendra jusqu’au dernier survivant. Les Peuples africains dignes de la liberté, défendront à nos côtés la dignité et la souveraineté de notre continent. Les Peuples progressistes du monde défendront notre cause inséparable de leurs propres intérêts et de leurs propres droits à vivre dans la liberté et dans la dignité.
Prêt pour la Révolution ! Vive la Révolution !
Ahmed Sékou Touré »

Dans la matinée, Sékou Touré convoque René Polgar, le représentant résident du Programme des Nations Unies pour le Développement (il est de nationalité française), qui parvient en dépit de la situation à se rendre au Palais présidentiel, où Sékou lui remet la copie du texte du message qu’il vient d’envoyer à U Thant, le Secrétaire général de l’ONU, par l’entremise d’Abdoulaye Touré 7, le représentant permanent de la Guinée auprès des Nations Unies à New York. Polgar, dont la résidence est proche de la mer, a lui-même été témoin visuel du débarquement et tiendra à le faire savoir au Secrétaire général par un câble personnel, qu’il fait passer par le canal du chiffre de l’ambassade des États-Unis (alors située près du port), puisque les communications téléphoniques et télégraphiques internationales, déjà difficiles en temps normal la semaine, sont impossibles le week-end, les opératrice des PTT n’étant pas en service ces jours-là

Voici le texte adressé à U Thant par Sékou Touré :

« Gouvernement de La République de Guinée informe Secrétaire Général Nations Unies que territoire national a été l’objet d’une agression armée des forces portugaises déclenchée ce matin vers 2 heures. Navires violant nos eaux territoriales ont effectué débarquement en plusieurs points Conakry capitale République Guinée commandos mercenaires, et perpétré. Lâches bombardements plusieurs points de la ville. Grâce réaction instantanée armée Nationale et population cette attaque perfide a été contenue. Toutefois gouvernement guinéen victime dans ses droits sacrés d’État souverain membre des Nations Unies, demande intervention immédiate troupes aéroportées Nations Unies en vue réduire en coopération avec notre Armée nationale, les derniers postes occupés par mercenaires portugais, et chasser bateaux agresseurs stationnés dans nos eaux territoriales. Gouvernement guinéen est convaincu que l’ONU saura répondre sans délai à son appel afin de mettre un terme à une agression armée inqualifiable foulant aux pieds respect, souveraineté et intégrité territoriales, principes fondamentaux Charte Nations Unies. De toute évidence Nations Unies ne sauraient rester indifférentes devant cette violation caractérisée sécurité et paix internationales.
Haute considération.
Ahmed Sékou Touré,
Président de la République de Guinée »

Et voici le texte envoyé par René Polgar :

Représentant Résident ONU Conakry à Secrétaire Général U Thant New York :

« A la requête du Gouvernement, ai honneur confirmer que depuis 2 heures matin (heure, locale) Conakry a été envahie par des forces étrangères considérées par Gouvernement comme portugaises. Ai vu personnellement 4 bateaux débarquement. Conakry également survolé par avions de chasse. Forte concentration près ma propre résidence.
Impossible me déplacer. Ne peux donner nouvelles personnel Nations Unies. En conséquence situation sérieuse demande votre considération personnelle. Ce message relayé par Ambassade USA Conakry.
Polgar, Représentant Résident. »

Le dimanche matin, en même temps qu’il envoyait sa requête à U Thant, Sékou Touré adressait un mes age à tous les chefs d’État africains, ainsi qu’à certains autres leaders dans le monde. A midi, trois heures après son premier message radiodiffusé, Sékou Touré lançait un deuxième appel à la nation :

« Peuple de Guinée, Comme nous l’avons annoncé tout à l’heure, l’agression continue dans la capitale guinéenne. Des bateaux étrangers stationnent encore dans nos eaux territoriales. Des centaines et des centaines de mercenaires européens, de nombreuses nationalités, sont dans la ville.
Nombreux de ces mercenaires sont entre les mains de nos forces révolutionnaires, mais la bataille continue. C’est pourquoi nous faisons appel à tous les patriotes, aux travailleurs, aux femmes, aux jeunes, aux militants en uniforme, enfin à tous ceux qui incarnent une parcelle de la dignité nationale et de l’intérêt historique africain pour que, armes en main, dans le courage, dans l’unité et la confiance, l’ennemi soit écrasé, définitivement écrasé.
Nous savons que la victoire est de notre côté, nous qui défendons notre patrie, nous qui défendons notre pays; nous savons que de par le monde, les forces réactionnaires sont en train d’hypothéquer sur l’avenir d’une Guinée placée dans le carcan du néo-colonialisme. Les ennemis de l’Afrique se trompent. Ils se tromperont toujours. La Guinée ne sera jamais dans le carcan du néo-colonialisme, encore moins dans celui d’une colonisation directe. La Guinée se défendra jusqu’à la dernière goutte. Comme le 28 Septembre 1958, comme un seul homme, la Guinée fera entendre la voix de l’Afrique, celle qui est consciente des misères, humiliations, exploitations et oppressions que les autres lui ont fait subir, et qui est décidée à relever le défi, prouvant ainsi à la face du monde qu’aucun Peuple n’est supérieur à un autre Peuple, que tous les Peuples sont capables, que tous les Peuples peuvent exercer souverainement leur droit à la vie. En tout cas, la Guinée, à l’avant-garde de ce combat, assumera ses responsabilités, toutes ses responsabilités militantes.
Camarades du PDG, militants en uniforme et sans uniforme, partout faites état de vigilance, de fermeté révolutionnaires. Surveillez autour de vous les complices éventuels de l’impérialisme, pour les déceler et les écraser en même temps que les mercenaires venus dans les bateaux étrangers, car la réaction intérieure fait corps avec la réaction extérieure.
Membres du corps diplomatique, vous qui suivez le drame que nous vivons, nous savons que vous ne pouvez être que du côté du Peuple de Guinée, et c’est pourquoi, faisant appel à tous, de quelque nationalité que ce soit, épris de justice et de dignité, nous sommes sûrs que le front uni des défenseurs de la Guinée sera victorieux du front uni des forces réactionnaires internationales, qui se servent du drapeau du colonialisme portugais pour agresser la République Indépendante de Guinée.
Peuple d’Afrique, la cause que nous défendons est la tienne, tu le sais bien. Et si des gouvernements africains se taisent devant cette agression, si des partis et des syndicats africains se taisent devant cette insulte à notre continent, nous savons que tous les Peuples africains sont de notre côté, désapprouvent l’agression et utiliseront les moyens mis à leur disposition pour que l’honneur de l’Afrique soit toujours sauvé.
Prêt pour la Révolution !
L’impérialisme à bas ! Le colonialisme à bas !
Le néo-colonialisme à bas !
Vive la Révolution !
Ahmed Sékou Touré
22 Novembre 1970 à 12 h. »

L’ONU réagit très vite ; l’ambassadeur Abdoulaye Touré a immédiatement transmis au Secrétaire général U Thant le courrier de Sékou Touré et a, par une lettre adressée au président du Conseil de sécurité pour le mois de novembre, l’ambassadeur de Syrie, demandé une réunion urgente du Conseil, qui compte cette année-là deux membres africains, le Burundi et la Sierra Leone. En tout état de cause, l’ONU ne dispose pas de « forces aéroportées » comme Sékou Touré en demande, et le Secrétaire général ne peut envoyer de forces de maintien de la paix qu’avec l’accord du Conseil de sécurité. U Thant et Abdoulaye Touré ont donc eu la bonne réaction, qui consistait en tout état de cause à passer par le Conseil de sécurité, dont Sékou Touré n’avait pas parlé dans son télégramme.
Dès le lendemain, U Thant répond au câble de Sékou Touré :

« Excellence, j’ai l’honneur de vous transmettre le texte de la Résolution 289 adoptée le 22 novembre 1970 10 par le Conseil de Sécurité à sa 1558ème séance.
Le Conseil de Sécurité, ayant entendu la déclaration faite par le représentant permanent de la République de Guinée, ayant enregistré la requête formulée par le Président de la République de Guinée,

  1. Exige la cessation immédiate de l’attaque armée contre la République de Guinée.
  2. Exige le retrait immédiat de toutes les forces armées extérieures et des mercenaires, ainsi que du matériel militaire utilisé dans l’attaque armée contre le territoire de la République de Guinée
  3. Décide de dépêcher une mission spéciale en République de Guinée en vue de faire un rapport immédiat sur la situation
  4. Décide que cette mission spéciale sera constituée après consultation entre le Président du Conseil de Sécurité et le Secrétaire général
  5. Décide de demeurer saisi de la question.

Haute considération.
U Thant, Secrétaire général des Nations Unies. »

Dans la nuit et dès les petites heures de la matinée, des groupes de militants « se sont armés de fusils, de coupe-coupe, de sabres, de flèches empoisonnées, voire de pilons ou de tout autre moyen de défense » (l’énumération est de Sékou Touré lui-même, dans son discours du 18 janvier 1971) et se sont joint aux forces de l’armée populaire, de la gendarmerie, de la police, de la milice, cependant que certaines unités tationnées dans les région étaient acheminées vers la capitale. La situation s’est progressivement tabilisée dans le courant de la journée de dimanche, mais l’atmosphère reste très tendue.
Désormais, et pour plusieurs mois, Sékou Touré n’apparaîtra plus qu’en uniforme, se présentera par priorité comme Responsable Suprême de la Révolution, Commandant en chef des Forces Armées Populaires et Révolutionnaire , et, par réaction anti-occidentale, son nom sera pendant plusieurs mois orthographié Seku Turé.

Diverse publications officielles feront au cours des semaines qui suivent une description de événements de la nuit du 22 novembre.

« Profitant de la brume nocturne, ces envoyés de Satan ont voulu, par l’effet de surprise, égorger un Peuple pacifique dont le seul péché est d’avoir redonné à l’homme africain toutes ses qualités d’homme.
C’est ainsi que ces chiens en armes se sont momentanément emparés des camps Boira et Samory, ont saccagé la demeure des hôtes de marque de la république, dont celle de Cabral, au camp des nationalistes de la Guinée-Bissao. Ils ont également débarqué au camp Alpha Yaya, à l’énergie, à la radiodiffusion, à la Présidence de la République et autres points stratégiques de la capitale qu’ils ont tenté en vain de prendre. Ils ont particulièrement visé la case de Belle-Vue en vue d’attenter à la vie du Président Ahmed Sékou Touré.
Comme ces vandales ignorent tout de la Guinée, de l’Afrique révolutionnaire! Car en débarquant sur nos côtes et nos frontières, ils n’ont rencontré que des Sékou Touré, puisqu’en réalité, il y en a quatre millions. » 11

Un peu plus tard, Robert Lambotte, envoyé spécial du quotidien communiste L’Humanité, est l’un des rares journalistes à penser que les assaillants avaient le sentiment d’avoir au moins partiellement réussi leur coup.

« Les agresseurs se sont rendus maîtres de plusieurs points stratégiques. Ils ont pu notamment pénétrer au ministère de la défense et dans le principal camp militaire de la ville, où ils ont massacré dans des conditions assez horribles tous les officiers qu’ils ont pu capturer. Ils ont également investi la prison où étaient détenus des prisonniers politiques. Au début de la matinée, les éléments portugais blancs ont rembarqué, persuadés que les exilés guinéens, aidés par les troupes noires de Guinée portugaise, allaient réussir et proclamer au cours de l’après-midi, la formation d’un nouveau gouvernement. Ils étaient certains que le président Sékou Touré avait été tué… » 12

Dès le lendemain de l’agression, pour reprendre en mains une capitale traumatisée (le reste du pays est resté relativement calme, mais il y a eu dans les jours qui ont suivi le 22 novembre des incursions de diversion portugaises depuis la Guinée-Bissau), le Bureau Politique National a décidé de constituer une sorte d’état-major de crise, le Haut-Commandement.

« Décision du Bureau Politique National

A la suite de l’agression impérialo-portugaise du 22 novembre 1970 et devant la nécessité d’organiser avec rigueur la mobilisation du Peuple et la défense de la Patrie, le BPN décide : les différents organismes chargés des opérations dans le cadre de la défense de la Révolution sont réorganisés de la façon suivante:

Haut-Commandement
La direction générale des opérations est confiée à un Haut-Commandement qui comprend :

  1. Ahmed Sekou Touré, Responsable Suprême de la Révolution, Commandant en chef des Forces Armées Populaires et Révolutionnaires
  2. El-Hadj Saifoulaye Diallo, membre du Bureau Politique National
  3. Lansana Béavogui, membre du Bureau Politique National
  4. N’Famara Keita, membre du Bureau Politique National
  5. Ismaël Touré, membre du Bureau Politique National
  6. Mamadi Keita, membre du Bureau Politique National (en permanence à Labé)
  7. Sékou Chérif, ministre-délégué pour la Guinée-Maritime
  8. Saidou Kéita, ambassadeur de la RG à Bonn 13
  9. Fily Cissoko, chef du Protocole de la Présidence
  10. Ibrahima Camara, secrétaire général par intérim du Comité National des Jeunes ».

Les 26 et 27 novembre se produisent encore quelques attaques de diversion sur la frontière entre la Guinée et la Guinée-Bissau, notamment dans la région de Koundara. Sékou Touré gardera longtemp le souvenir des mercenaires qui tentèrent alors d’envahir le pays. Bien plus tard, il préconise le développement de cultures le long des frontières du pays :

« Tout mercenaire qui tentera de passer trouvera son tombeau dans le sillon que nous aurons creusé pour la tomate. Nous l’enterrerons et il nous servira d’engrais. » 14

Dans les jour qui suivent, chefs d’État ou leaders politiques, dirigeants de parti ou de mouvements progressistes, envoient à Sékou Touré des message de soutien. En Afrique, seuls Hastings Banda, président du Malawi, et les dirigeants de l’Afrique du Sud, n’en ont pas envoyé. Le président Senghor demande l’ajournement de l’exercice militaire franco-sénégalai « Tropique », prévu pour le 5 décembre 1970 dans de zones frontalières de la Guinée, ce que Paris accepte sans hésiter. Un peu plus tard, Ismaël Touré viendra demander à Senghor l’extradition de plusieurs dizaines de Guinéens opposants notoires, parmi lesquels le syndicaliste David Soumah ; ce que le Président senegalais refusera . Quelques mois plus tard, il y aura d’ailleurs une nouvelle crise dans les relations entre Conakry et Dakar.

L’auteur n’a pas connaissance de messages officiels de soutien ou de sympathie de Paris 16, de Bonn ou de Londres, mais il y en a un du président des États-Unis, Richard Nixon 17
Les 24 et 25 novembre se tient à Conakry, en présence de Sékou Touré, un conseil des ministres (ordinaire) de l’OERS (Organisation des Etats Riverains du fleuve Sénégal), dont les autres partenaires, Sénégal, Mauritanie et Mali, tiennent à marquer leur solidarité avec la Guinée, qui en est également membre. Karim Gaye, ministre sénégalais des affaires étrangères, et Daniel Cabou, ministre sénégalais du développement et président en exercice de l’OERS, viennent à Conakry avec un message personnel de Senghor. Dans son intervention, Sékou Touré stigmatise les médias occidentaux, et notamment la BBC, pour avoir affirmé qu’il pouvait y avoir des dissensions entre Conakry, Dakar et Abidjan à propos de l’agression, que le conseil des ministres condamne.

C’est également le 25 novembre qu’arrive à Conakry la mission du Conseil de sécurité. Elle est composée des ambassadeurs représentants permanents auprès de l’ONU du Népal (Padarn Bahadur Khatri), de la Zambie (Vernon Johnson Mwanga), de la Colombie (Augusto Espino a), de la Finlande (Max Jakobson) et de la Pologne (Eugeniusz Kulaga). Ils sont accompagnés de quelques fonctionnaires du secrétariat, dirigés par M. Debrito, un Brésilien, chef de la section d’information du Département politique. Un futur ami de l’auteur, un journaliste de l’agence Reuters devenu fonctionnaire de la section francophone du service de presse de l’ONU, François Giuliani (qui le remplacera quelques années plus tard comme porte-parole du Secrétaire général de l’ONU), fait également partie de la mission.
Sékou Touré informe la population guinéenne — et le monde entier — de leur arrivée, tout en exprimant une certain déception.

« Appel du Président Ahmed Sékou Touré au Monde Entier

A la suite de l’appel lancé à l’Organisation des Nations Unies par le Gouvernement de la République de Guinée, une délégation de l’ONU est attendue ce jour, 25 Novembre 1970, à Conakry.
La venue de cette délégation ne constitue certes pas une satisfaction totale à notre requête qui visait à obtenir l’envoi immédiat de troupes aéroportées pour écarter définitivement le danger que constitue la présence des bateaux étrangers dans les eaux territoriales guinéennes.
Au su du Gouvernement de la République de Guinée, elle offre cependant l’occasion de démontrer de manière irréfutable la totale culpabilité du gouvernement portugais dans son inqualifiable et criminelle agression contre le Peuple souverain de Guinée. Pour cela même, le Gouvernement Guinéen fait appel aux membres du Corps Diplomatique présents à Conakry. Nous savons que tous, ils ont pu suivre étape par étape les folles tentatives des agresseurs dans leur action concertée contre les centres vitaux de la capitale et contre nos populations. Nous savons qu’ils ont suivi de leurs propres yeux la navette en mer, entre nos côtes et le large, de petits bateaux conduits par des mercenaires portugais blancs et remplis d’agresseurs en uniformes. Tous ont pu observer l’évolution dans le ciel de notre capitale de leurs avions de chasse. Nous savons enfin que des pays amis ont été directement éprouvés en la personne de leurs experts dont certains ont été blessés ou lâchement assassinés.
Ces faits revêtent une gravité d’autant considérable que les navires ennemis renforcés par des sous-marins continuent de manoeuvrer au large dans le but évident d’entretenir une guerre d’usure contre la Nation guinéenne.
En conséquence nous avons fait appel à tous les États africains frères ,épris de liberté et soucieux de préserver l’indépendance et la dignité africaines pour qu’ils viennent en aide concrètement dans les formes appropriées et dans le délai le plus immédiat à notre patrie menacée par le colonialisme portugais et la réaction impérialiste internationale.
Aujourd’hui, nous lançons également appel à tous les pays amis en dehors du continent africain, notamment à tous ceux qui par leur vote au Conseil de Sécurité ou par la condamnation sans équivoque par leur gouvernement de la criminelle agression, de nous apporter eux aussi leur aide, toute l’aide qu’ils jugent possible immédiatement.
Le Peuple de Guinée, le Gouvernement de la République de Guinée attendent dans les heures et jours qui viennent la manifestation concrète de leur solidarité. Que les Peuples et les gouvernements africains, asiatiques et arabes qui ont déjà répondu à leur devoir de solidarité se trouvent vivement remerciés.
Vive l’Afrique libre, indépendante, souveraine et digne !
Vive la Révolution !
Ahmed Sékou Touré
25 Novembre 1970 »

Le 25 novembre dans l’après-midi, immédiatement après leur arrivée, les membres de la mission onusienne sont reçus par Sékou Touré, qui leur fait un historique détaillé de la situation avant et après l’agression, leur présente ses propres conclusions, et rappelle qu’il avait espéré obtenir une assistance militaire immédiate de la part de l’ONU, ce qui n’avait pas été le cas.

Le 26 novembre au matin, la mission rencontre une délégation guinéenne dirigée par Ismaël Touré. Elle entend au cours des jours suivants les représentants diplomatiques d’une vingtaine de pays (Tanzanie, Yougoslavie, Bulgarie, Union soviétique, Tchécoslovaquie, RAU-Égypte, Hongrie, Cuba, Sierra Leone, République démocratique allemande, Belgique, Sénégal, Nigeria, États-Unis, République fédérale d’Allemagne, Indonésie, Syrie), reçoit une déclaration écrite de l’ambassadeur d’Italie, enregistre des témoignages de membres du PAIGC (parmi lesquels Aristide Pereira, membre du bureau politique), ainsi que de quelques résidents étrangers (cinq médecins bulgares, deux médecins cubains, trois experts tchécoslovaques, un professeur belge…). Elle a constaté les dégâts matériels provoqués par les hostilités.

Le 27 novembre, la mission s’est rendue à Kindia où elle a entendu sept commandos capturés au cours de l’agression, sur un total de près de 70 prisonniers.

Le 28 novembre, elle a été informée de ce qu’une incursion de forces portugaises avait eu lieu à Koundara, à la frontière avec la Guinée-Bissau.

Selon le récit fait à son retour à New York par l’ambassadeur finlandais Jakobson, le président Sékou Touré n’a pas épargné ses sarcasmes aux envoyés des Nations Unies ; il attendait des troupes et non des enquêteurs. Il leur a néanmoins donné toutes facilités pour accomplir leur travail. Les délégués ont pu interroger plusieurs hommes faits prisonniers par l’armée guinéenne dans les heures qui ont suivi le débarquement. Ils ont pu visiter des sites détruits ou endommagés, examiner des armes et de munitions récupérés. Ils ont bien entendu recueilli aussi les témoignages de victimes civiles ou militaires, ainsi que de membres du corps diplomatique accrédité à Conakry.
D’aprè les témoignages recueillis, il apparaît que l’invasion a été lancée dans la nuit du 22 novembre à partir de deux navires transporteurs de troupes. De petites vedettes ou péniches ont ensuite amené au rivage environ 300 à 400 hommes. Ces commandos ont été pendant vingt quatre heures les maîtres de Conakry ; ils ont libéré des prisonniers politiques, dont Marof Achkar, ancien ambassadeur de Guinée aux Nations Unies, et les prisonniers portugais, attaqué un camp militaire, brûlé la villa d’été de Sékou Touré 18, tenté vainement d’investir le Palais présidentiel, occupé la station électrique, détruit le siège du mouvement de libération nationale de la Guinée portugaise 19

Très curieusement, ils ne semblent pas avoir cherché à s’emparer de la radio, ce qui explique partiellement leur échec 20. Commandos et prisonniers libérés se sont rembarqués ou enfuis pour la plupart 21

L’ambassadeur Jakobson et les autres membre de la mission ont pu interroger quelques prisonniers faits par les forces gouvernementales guinéennes. Il s’agit de Guinéens de Bissau ; rossés, très mal en point, privés d’eau, ces prisonniers pour la plupart analphabètes ignoraient qu’ils participaient à une attaque contre la Guinée ; les enquêteurs n’ont vu aucun prisonnier blanc et il est douteux qu’il y en ait eu. Il ne semble pas non plus que des mercenaires étrangers aient participé à l’action. Quant aux officiers portugais d’encadrement, il est incertain qu’ils aient débarqué des navires de transport. Mais selon la mission unanime, il n’y a aucun doute que le Portugal soit impliqué dans l’affaire. Même si quelques opposants guinéens de l’extérieur ou de l’intérieur ont été engagés dans l’opération, le gros des troupes appartenait aux forces portugaises de Guinée Bissau. Il s’agit donc d’une invasion « style Baie des Cochons » à Cuba, tout aussi mal conçue et mal organisée. Toutefois, l’un des deux objectifs a été atteint : la libération des prisonniers portugais. L’autre, qui consistait à tuer le président Sékou Touré et à favoriser le renversement du régime, a échoué.

Les membres de la mission ont naturellement trouvé un gouvernement guinéen extrêmement traumatisé ; « la menace a été réelle et il a fallu toute la maladresse, l’impréparation et la faiblesse des attaquants pour que le coup ne réussisse pas ; en vérité, s’il y avait eu effectivement des mercenaires et si les Portugais — blancs — avaient payé de leur personne, les choses auraient probablement tourné autrement. » 22

Le 8 décembre, sur la base du rapport de la mission d’enquête, le Conseil de sécurité adopte par onze voix avec quatre abstentions une résolution déposée par le groupe afro-asiatique ; les quatre délégations qui se sont abstenues sont les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Espagne (qui est cette année-là membre non permanent du Conseil). Le représentant de la France, Jacques Kosciusko-Morizet, explique l’abstention française par l’insuffisance d’informations, mais condamne formellement l’agression et exprime la « sympathie du gouvernement français à la république et au peuple de Guinée »
Le Secrétaire général envoie immédiatement à Sékou Touré le texte de la résolution adoptée :

« Ayant examiné avec satisfaction le rapport de la mission spéciale du Conseil de Sécurité en République de Guinée, constituée en vertu de la Résolution 289 (1970) S/10.009 et ADD. 1), ayant en outre entendu les déclarations du représentant permanent de la République de Guinée, gravement préoccupé par le fait que l’invasion du territoire de la République de Guinée, qui a eu lieu les 22 et 23 Novembre à partir de la Guinée (Bissau), a été effectuée par des unités navales et militaires des forces armées portugaises, ainsi que par l’attaque armée contre la République de Guinée les 27 et 28 Novembre 1970, gravement préoccupé par le fait que de telles attaques armées lancées contre des États Africains indépendants font peser une grave menace sur la paix et la sécurité des Etats africains indépendants, conscient de la responsabilité qui lui incombe de prendre des mesures collectives efficaces pour empêcher et dissiper les menaces à la paix et à la sécurité internationales, rappelant ses résolutions 218 (1965) et 275 (1969), dans lesquelles il a condamné le Portugal et a affirmé que la situation qui résultait de la politique du Portugal tant à l’égard de la population africaine de ses colonies, qu’à l’égard des États voisins, compromettait la paix et la stabilité du continent africain, réaffirmant le droit inaliénable des Peuples de l’Angola, du Mozambique et de la Guinée (Bissau) à la liberté et à l’indépendance conformément à la Charte des Nations Unies et aux dispositions de la Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale du 14 Décembre 1960, affligé par les pertes en vies humaines et les dégâts importants causés par l’attaque armée et l’invasion dont a été victime la République de Guinée.

  1. Fait siennes les conclusions du rapport de la Mission Spéciale en République de Guinée
  2. Condamne énergiquement le gouvernement portugais pour son invasion de la République de Guinée
  3. Exige que le gouvernement portugais indemnise intégralement la République de Guinée des importantes pertes en vies humaines et en biens causées par l’attaque armée et l’invasion et prie le Secrétaire Général d’aider le gouvernement de la République de Guinée à évaluer l’étendue des dommages causés
  4. Lance un appel à tous les États afin qu’ils prêtent une assistance morale et matérielle à la République de Guinée pour qu’elle renforce et défende son indépendance et son intégrité territoriale
  5. Déclare que la présence du colonialisme portugais sur le continent africain est une menace sérieuse à la paix et à la sécurité des États africains indépendants
  6. Demande instamment à tous les États de s’abstenir de fournir au gouvernement portugais une aide militaire ou matérielle quelconque le mettant en mesure de poursuivre ses actes de répression contre les populations des territoires qui sont sous sa domination et contre des États africains indépendants
  7. Demande au gouvernement portugais d’appliquer sans plus attendre aux populations des territoires qui sont sous sa domination les principes de l’autodétermination et de l’indépendance, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité et à la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale
  8. Avertit solennellement le gouvernement portugais que si des attaques armées contre des États africains indépendants se reproduisent, le Conseil de Sécurité envisagera immédiatement des dispositions ou des mesures efficaces appropriées conformément aux dispositions pertinentes de la charte des Nations Unies
  9. Demande au gouvernement portugais d’appliquer intégralement toutes résolutions du Conseil de Sécurité, en particulier la présente résolution, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 25 de la charte des Nations Unies
  10. Prie tous les États, en particulier les alliés du Portugal, d’user de leur influence sur le gouvernement portugais pour assurer l’application des dispositions de la présente résolution
  11. Prie le Président du Conseil de Sécurité et le Secrétaire Général de suivre de près la mise en oeuvre de la présente résolution
  12. Décide de demeurer activement saisi de la question.

Très haute considération.
U Thant, Secrétaire général ONU ».

A cette proposition d’aide ou d’indemnisation par le Portugal et la communauté internationale, Sékou Touré répond pratiquement par une fin de non recevoir :

Message du Président Ahmed Sékou Touré à M. Thant, Secrétaire Général ONU

Avons honneur accuser réception de votre message informant notre gouvernement de la désignation d’une commission ad hoc, chargée, en coopération avec les autorités guinéennes, d’évaluer les dommages subis par la République de Guinée du fait de l’agression portugaise, afin de permettre aux Nations Unies d’user de tous moyens légaux pour en obtenir réparation de la part du gouvernement portugais. Le gouvernement et le Peuple guinéens comprennent et apprécient hautement les nobles sentiments de justice ammant les autorités des Nations Unies dans la désignation et l’envoi en Guinée de cette mission.
Soulignons néanmoins que tous les Peuples africains se sont considérés au même titre que le Peuple guinéen directement et collectivement concernés par l’agression portugais.
Par ailleurs tous les Peuples épris de paix et de liberté des autres continents se sont également solidarisés dans la même réprobation et dans la même condamnation de l’agression portugaise.
Ainsi donc, le point de vue de mon gouvernement est que les dommages moraux et matériels causés à la nation guinéenne ne sauraient être traduits en termes financiers d’autant plus que l’agresseur s’entête à nier son forfait malgré la démonstration de l’évidence des faits par le Conseil de Sécurité et par l’Organisation de l’Unité Africaine.
La République de Guinée demeure satisfaite du soutien total de l’instance internationale et de l’Organisation de l’Unité Africaine qui ont, l’une et l’autre, fait appel à tous leurs États membres pour apporter au Peuple guinéen victime de l’agression portugaise leur aide matérielle et le témoignage de leur solidarité agissante.
Ainsi donc, le point de vue de mon gouvernement est que nous vous prions instamment d’annuler purement et simplement l’envoi en Guinée de la mission d’évaluation.
Enfin s’agissant du Portugal, le Gouvernement guinéen estime que la seule réparation acceptable par son Peuple est la proclamation immédiate de l’indépendance des territoires africains d’Angola, du Mozambique et de la Guinée-Bissao.
En vous renouvelant la totale confiance de notre Gouvernement et de notre Peuple, nous vous assurons en même temps de notre sincère et très profonde amitié.
Très haute considération.
Ahmed Sékou Touré, Président de la République de Guinée. »

Entre temps, au siège de l’OUA à Addis Abeba, Diallo Telli déclare le 7 décembre que « l’invasion de la Guinée a été inspirée par l’OTAN. Le Portugal est trop sous-développé pour perpétrer seul une telle agression ». Et du 9 au 11 décembre se tient à Lagos un conseil des ministres extraordinaire de l’OUA, qui condamne bien entendu l’agression. Sékou Touré a envoyé un message, et la délégation de la Guinée est présidée par Ismaël Touré, qui affirme d’emblée dans son allocution que le Portugal a bénéficié de la complicité de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis.
En fait, ce n’est aucun de ces pays étranger qui est mis en cause en premier par Conakry, mais bien l’Allemagne fédérale. Le 18 décembre, Sékou Touré implique Bonn dans l’agression, demande le départ de l’ambassadeur Lankes, fait procéder avant la fin de décembre à l’arrestation de plusieurs experts ouest-allemands, ainsi que le 28 décembre à l’expulsion de tous les autres ressortissants de la RFA. Le Haut-Commandement publie un communiqué qui donne une série de « preuves » du rôle de Bonn dans le débarquement. La rupture de relations diplomatiques interviendra en janvier 1971 23

A partir du début de l’année 1971, les tragiques et sanglants événements du 22 novembre 1970 prennent un autre tour, non moins dramatique et non moins anglant : c’est la phase répressive, qui s’étendra sur toute l’année et même au-delà.

En dépit de toutes les manifestations plus ou moins spontanées d’assentiment populaire, en dépit de toutes les justifications et explications que l’on a pu en donner, en dépit des analogies invoquées par Sékou Touré avec la guerre de Sécession aux États-Unis ou avec la Libération en France, cette répression a profondément et durablement entaché l’image du régime et de Sékou Touré lui-même, qui a d’ailleurs, dans son message de Nouvelle Année 1971, annoncé qu’il voulait mettre fin à toute solution de clémence et entrer dan une phase de justice populaire et de répression exemplaire, par exemple en renonçant par avance à son droit constitutionnel de grâce.
Qu’on en juge par ces quelques extraits de discours.

D’abord l’allocution traditionnelle de la Nouvelle Année, qui programme avec précision les étapes de la justice révolutionnaire et populaire :

« Une année finit, une année commence ; l’une emportant son lot d’événements, L’autre grosse du sien. Dans l’un et l’autre de ces lots cohabitent Les contraires inséparables : le malheur et le bonheur, la mort et la vie. (…)
Depuis septembre 1958, le Peuple de Guinée a affirmé, avec vigueur et constance sa volonté résolue d’édifier un régime socialiste et depuis cette date l’impérialisme en a fait une cible afin que l’Afrique ne soit jamais soustraite à la colonisation directe ou mdtrecte grace a laquelle l’Europe capitaliste continuera à l’asservir et à l’exploiter.
Ainsi, la Révolution guinéenne est née et s’est développée dans le cadre d’un complot permanent, celui de la réaction extérieure appuyée par l’action paralysante de la réaction intérieure. Ce complot est aussi global et multiforme tout comme la Révolution qu’il se propose d’anéantir. Alors que la Révolution postule le pouvoir du Peuple. le progrès du Peuple. Le complot contre-révolutionnaire vise à la primauté du capitalisme étranger sur la personnalité. la dignité et les intérêts nationaux.

Après le monstrueux complot de Février 1969, des militants non avertis, exprimant leur satisfaction, clamaient partout : « C’est le dernier complot. Nous allons maintenant respirer ». Or, à peine une année après, voilà une agression militaire dirigée contre l’État guinéen et frappant là où on pense que le coup sera décisif. Il devient donc clair que tant que l’impérialisme et le colonialisme sévissent dans le monde, le complot contre révolutionnaire ne saurait s’arrêter.
Tous les événements douloureux que notre pays a enregistrés relèvent indistinctement de la même contradiction antagonique opposant continuellement la volonté et les aspirations progressistes du Peuple à la volonté et au cynisme d’un système inhibiteur d’évolution, destructeur et décadent.
L’agression militaire étrangère a été minutieusement élaborée dans son aspect technique car elle a été appuyée par des bateaux et des avions et perpétrée par des hommes, dressés comme de véritables chiens de chasse préposés à semer la mort, à propager la destruction, en un mot à étrangler dans les larmes et dans le sang un régime et une Révolution qui exigent au profit de chaque Peuple souveraineté, paix et dignité.
Dans son aveuglement, l’impérialisme qui ne connaît pas et ne connaîtra jamais l’Afrique, n’a pas tenu compte des réalités dynamiques qui sont celles de la Guinée de 1970. Il n’a tenu compte ni de l’existence d’un Peuple, uni, organisé, conscient et résolu, ni de sa volonté à défendre jusqu ‘à la dernière goutte de sang son patrimoine devenu inviolable.
En s’attaquant tout d’abord au Camp Boiro, il croyait, l’impérialisme, y trouver ses premiers mercenaires intérieurs, ceux qui en Février, Mars et Avril 1969 devaient exécuter son entreprise anti-guinéenne.
Tout le monde comprend davantage aujourd’hui la justesse de la sanction capitale dont la clique Kaman a été l’objet de la part du tribunal populaire.
L’impérialisme a-t-il compris que désormais, l’heure de la clémence est révolue, s’agissant de ceux qui, de façon délibérée se mettent à son service contre la dignité et les intérêts de la Nation ?
Ainsi, voulant libérer certains mercenaires (telle traître Kaman), il en envoya de nouveaux au tombeau que le Peuple militant de Guinée fui a déjà ouvert depuis le 28 Septembre 1958. Ce tombeau recevra bien d’autres criminels, bien d’autres mercenaires, bien d’autres éléments tarés que l’impérialisme ne manquera pas de dépêcher en Guinée pour poursuivre sa sale besogne anti-guinéenne et anti-africaine.
A l’intérieur du pays, un lot important d’armes perfectionnées a été distribué aux agents de la 5ème colonne.
De l’extérieur du pays, des mercenaires chargés d’attenter à la vie des responsables de la Révolution guinéenne seront infiltrés par nos frontières. Mais les uns comme les autres, et à leur détriment, se rendront compte qu’une véritable Révolution ne peut jamais être surprise et qu’en se mettant au service du néo-colonialisme, ils se sont condamnés eux-mêmes à la peine capitale que le Peuple guinéen se chargera de leur appliquer sans pitié. L’agression de novembre dont les leçons, les riches leçons seront tirées lors de la toute prochaine session extraordinaire de l’Assemblée Nationale, a été en tout état de cause un événement qui a permis :

  1. La consécration officielle et internationale de la Révolution africaine en Guinée
  2. La démonstration par la pratique, des mots d’ordre du Parti Démocratique de Guinée (PDG) en matière de défense nationale, de fermeté à l’égard de l’ennemi de classe, et de radicalisation de la Révolution dans tous les domaines de la pensée et de l’action du Peuple
  3. La démonstration que la Guinée est une véritable nation, une nation unie dans son travail, unie dans ses aspirations d’avenir, unie dans son auto-défense
  4. L’identification de l’ennemi extérieur et de ses alliés de classe à l’intérieur, ainsi que la confirmation du caractère d’instrument de subversion que l’impérialisme donne à toute coopération
  5. L’affirmation cette fois-ci vigoureuse et unanime, de la conscience anti-impérialiste et de la volonté de solidarité militante des Peuples d’Afrique malgré la diversité de leurs régimes
  6. La concrétisation de la solidarité des Peuples socialistes, progressistes et démocratiques du monde avec le combat anti-impérialiste du continent africain encore en butte aux entreprises criminelles du néo-colonialisme
  7. démonstration de l’identité de destin des Peuples coloniaux et des Etats indépendants d’Afrique dans ce qui les oppose tous à l’impérialisme, leur ennemi commun

L’impérialisme et le colonialisme portugais, par leur violence et leur insolence, ont contribué au renforcement de l’unité africaine, à l’émergence de l’Afrique dans le concert international des forces combattantes et en ce qui concerne la Guinée, à la radicalisation de sa Révolution par l’approfondissement du sentiment national et la mobilisation spontanée, vigoureuse et totale de toutes les couches populaires dans l’action d’auto-défense et d’offensive politique.
L’on sait que l’impérialisme dispose d’une 5ème colonne au niveau des gouvernements, des secteurs économiques, militaires, sociaux et culturels des Etats africains. C’est cette 5ème colonne qui, par sa complicité et sa participation favorise les agressions de toutes sortes dont l’Afrique est encore victime de la part de ses ennemis extérieurs.
L’année 1971 doit être le départ de la violence révolutionnaire appuyant une offensive systématique et généralisée contre la mainmise impérialiste, contre ses privilèges illégitimes et ses intérêts égoïstes, en même temps que devront être impitoyablement dénoncés, sinon anéantis par tous les moyens appropriés, les Africains traîtres à la Patrie africaine.
En Guinée, le PDG, Parti Démocratique de Guinée, et l’État révolutionnaire au service exclusif du Peuple, liquideront sans hésitation tous les individus qui ont choisi, contre la Nation et le Peuple, l’impérialisme et le néo-colonialisme. Ils extirperont, et dans tous les domaines, toute tendance équivoque ou inconséquente. La fermeté révolutionnaire devient une nécessité absolue pour la survie et le progrès transcroissant du régime populaire et démocratique guinéen. Bientôt, le dossier de la 5ème colonne sera rendu public pour que le Peuple guinéen, les Peuples frères d’Afrique et les Peuples amis du monde puissent connaître et apprécier l’action intérieure par laquelle les préparatifs de l’agression de novembre se prolongeaient dans les réalités guinéennes afin de mettre fin à la liberté et à la dignité de notre Peuple.
Tous les éléments africains, européens et autres, qui constituaient la 5ème colonne et dont la vigilance de nos militants a permis la découverte et l’arrestation comparaîtront sous peu devant le tribunal du Peuple révolutionnaire de Guinée.
Selon la presse occidentale, l’immense majorité du Peuple guinéen serait contre son régime. Les paysans, les travailleurs, les artisans, les commerçants et les fonctionnaires seraient prêts à rejoindre le carcan néo-colonialiste avec une monnaie étrangère et un gouvernement soumis à l’Occident comme témoignage de leur renoncement total à la Révolution et au socialisme qu’elle édifie. La même presse présente évidemment le Bureau Politique National (BPN) du Parti Démocratique de Guinée et le Gouvernement de la République de Guinée comme des organismes appliquant systématiquement la répression et s’imposant au Peuple par une force dictatoriale. Le Chef de l’État serait d’après la sainte coalition impérialo-colonialiste le plus grand dictateur que le monde ait connu.
Merci à cette presse et merci aux Gouvernements qui se disent amis de la Guinée et qui se sont exprimés ainsi à travers elle.
Que les Gouvernements qui propagent ces abjectes contre-vérités osent armer leurs Peuples comme nous l’avons fait le 22 novembre ! En République de Guinée il y a bien une dictature, la dictature du Peuple, et la dictature populaire s’appliquera, impitoyable, à la 5ème colonne et à tous les éléments qui en font partie.
Peuple de Guinée !
Notre fierté, la seule qui sous-tend l’ensemble de nos activités est d’avoir été, d’être ton incarnation, ton expression fidèle et constante, ton moyen d’expression et d’action, en un mot, ta propriété exclusive.
Nous sommes prêts et fermement résolus a appliquer avec empressement et vigueur, le verdict que toi seul dois prononcer à l’encontre de tous ceux, mercenaires et complices, qui ont ourdi ou participé à l’agression de novembre 1970 contre ta Patrie.
A cet effet :

  1. Le lundi 11 janvier, tous les Pouvoirs Révolutionnaires Locaux (PRL) et les Comités d’Unité de Production (CUP), (au nombre de 8.000) tiendront au niveau de chaque village, société et entreprise, un congrès extraordinaire pour arrêter les mesures de répression devant être appliquées aux ennemis de la Nation à savoir :
    1. tous les éléments des forces militaires portugaises arrêtés à Conakry, Gaoual et Koundara lors de leurs attaques armées contre la République de Guinée
    2. les mercenaires utilisés par le Portugal dans la même agression
    3. les complices locaux qui étaient en rapport avec les autorités portugaises et avec d’autres puissances impérialistes dans la préparation et l’exécution de l’agression
    4. les complices étrangers qui ont joué le même rôle
  2. Le mercredi 13 janvier 1971, les 210 sections du Parti Démocratique de Guinée tiendront également, dans leurs ressorts respectifs, un congrès extraordinaire pour entendre et analyser les propositions émanant des congres des Pouvoirs Révolutionnaires Locaux (PRL) et les Comités d’Unité de Production (CUP) et pour adopter les sentences que ces organisations proposent pour les différentes catégories d’inculpés.
  3. Le vendredi 15 janvier 1971, se tiendra au niveau de chacune des trente Fédérations du Parti Démocratique de Guinée un congrès extraordinairequi discutera des propositions émanant des sections et arrêtera à son tour et au nom de l’ensemble des militants de la Région Administrative concernée ses décisions qui seront communiquées à l’Assemblée Nationale.
  4. Le même jour, vendredi 15 janvier 1971, les Directions Nationales de la CNTG (Confédération Nationale des Travailleurs de Guinée), de la JRDA (Jeunesse de la Révolution Démocratique Africaine), le Comité National des Femmes et l’État-Major de l’Armée Populaire Révolutionnaire se réuniront en session pour discuter des mêmes problèmes et arrêter des décisions à communiquer à l’Assemblée Nationale.

Ainsi, de la base au sommet des diverses institutions et organisations du Peuple de Guinée, le problème de l’agression sera analysé dans son fond, dans ses implications, dans ses conséquences et les décisions seront arrêtées en vue de châtier de façon exemplaire et sans appel tous ceux qui ont de façon délibérée et indigne, voulu étrangler la Révolution et mettre à bas le régime dont s’est doté depuis septembre 1958 notre Peuple.
Le Secrétaire Général du PDG, le Chef de l’État guinéen, proclame qu’il renonce à l’usage de son droit constitutionnel de grâce s’agissant du sort de ceux qui ont consciemment commis le grave crime de vouloir priver la nation de souveraineté en vue d’installer en Guinée, contre l’Afrique et le progrès, un régime néo-colonialiste.
Les instances du Parti et de l’État ainsi chargées d’exprimer la volonté, toute la volonté d’indépendance de la Nation, sauront se mettre à la hauteur de leur responsabilité historique et honorer dans le monde qui nous a unanimement entourés de sa sympathie et de sa confiance et nous a témoignés sa volonté de solidarité, le glorieux Peuple de Guinée, sa victorieuse Révlution et les options anti-impérialistes, anticolonialistes et anti-neo-colonialistes du PDG au service du progrès rapide de l’Afrique et de l’humanité.
A nos frères et soeurs qui sont tombés glorieusement au champ d’honneur, ira toujours la reconnaissance unanime et fervente des militants de la Révolution. A leurs épouses ou époux, à leurs enfants et parents, la Guinée, par notre voix, adresse une fois de plus ses condoléances émues. A la mémoire de ces martyrs, victimes de l’impérialisme, la République de Guinée édifiera avant le 22 Novembre 1971, un monument du souvenir. Nous ne pouvons terminer ce message de Nouvel An sans renouveler aux Peuples frères d’Afrique nos sentiments de chaude fraternité et nos voeux de totale liberté et d’unité sincères.
En effet, nous ne pouvons oublier nos serments de Lagos tant en ce qui concerne l’offensive à organiser en vue de la libération rapide des frères soumis à la domination portugaise qu’en ce qui concerne la liquidation complète de l’apartheid et du néo-colonialisme.
Consciente et unie dans son action émancipatrice, libérée de tout complexe et résolue à défendre ses valeurs de civilisation et à promouvoir sur des bases rationnelles et dynamiques son développement indépendant et équilibré, l’Afrique sera capable d’anéantir l’impérialisme et de garantir à ses Peuples un avenir de liberté, de prospérité et de dignité. Par la même occasion, nous saluons les Peuples, les Nations d’Asie, du Moyen Orient, d’Amérique et d’Europe qui ont apporté à la République de Guinée leur soutien contre le colonialisme portugais.
Quant aux États entretenant des rapports de coopération avec le nôtre, nous affirmons que toute représentation diplomatique, toute entreprise économique, toute société commerciale dont les agents se livrent directement ou indirectement à une activité subversive contre le régime guinéen, sera immédiatement et définitivement fermée ; la liberté et la souveraineté demeurent en effet les premiers biens et les droits les plus fondamentaux d’une Nation.
Une année finit, mais la lutte ne finit pas. Une année commence et la lutte se poursuit dans le cadre d’une Révolution globale et permanente.
Vive la Révolution Démocratique Africaine !
Prêt pour la Révolution.
Ahmed Sékou Touré »

Un Comité révolutionnaire est institué, présidé dans un premier temps par Moussa Diakité, ensuite par Ismaël Touré. C’est ce comité et sa commission d’enquête qui, installés au camp Boiro, mèneront pendant des mois les interrogatoires de dizaines et de dizaines de détenus, et obtiendra, grâce aux méthodes que l’on imagine, les dépositions qui seront ensuite publiées dans la presse et dans plusieurs Livres Blancs sur l’agression portugaise ou sur l’action de la 5ème colonne.

Les arrestations sont très nombreuses, et elles concernent essentiellement des Guinéens ou des étrangers (Libanais, Français, Allemands), puisqu’une grande partie des agresseurs qualifiés de mercenaires ont pu se rembarquer et fuir. Outre les mercenaires euxmêmes, il y a donc une longue liste de traîtres, de complices, d’espions, de péculateur et de trafiquants, ainsi que des personnes qui n’auront pas dénoncé des faits dont ils avaient été le témoins ou dont ils avaient connaissance.

Sékou Touré ouvre le 18 janvier 1971, avec Nkrumah assis à ses côtés la session extraordinaire de l’Assemblée nationale guinéenne, qui par une loi votée le même jour s’est érigée en Tribunal Révolutionnaire Suprême « pour juger de tous les crimes et délits commis en corrélation avec les événements des 22, 27 et 28 novembre 1970 » (ces deux dernières dates sont celles des incursions frontalières à partir de la Guinée-Bissau).
Les membres du Bureau Politique National du Parti, des ministres et d’autres responsables nationaux ou régionaux prennent ensuite la parole, successivement :

  1. Saifoulaye Diallo
  2. Lansana Béavogui
  3. Général Lansana Diané
  4. Mamouna Touré
  5. Ismaël Touré
  6. Nfamara Keita
  7. Sékou Chérif
  8. Barry Sory
  9. Kaba Mamadi
  10. Emile Condé
  11. Diallo Alpha Amadou
  12. Bela Doumbouya
  13. Dramé Alioune
  14. Moussa Diakité
  15. Diallo Alpha « Porthos »
  16. Damantang Camara
  17. Marcel Mato
  18. Alassane Diop
  19. Hadja Mafory Bangoura
  20. Nenekhali Camara Condetto
  21. Tibou Tounkara
  22. El Hadj Salifou Touré
  23. Mamadi Sagno
  24. Mohamed Lamine Touré
  25. Mamadi Keita
  26. Louis Senainon Béhanzin
  27. Toumani Sangaré
  28. Mohamed Bangoura Kassory
  29. Lamine Condé
  30. Diallo Alpha Taran
  31. Bangoura Karim…

Tous font de déclarations souvent d’une grande violence, clament leur fidélité au président, au Parti, à la Révolution, et tous réclament des châtiments exemplaires (pratiquement tous préconisent la peine de mort pour une grande partie des 231 inculpés, qu’ils soient guinéens ou étrangers), la confiscation de leurs biens, ainsi que la rupture des relations diplomatiques avec les pays qui sont complices de l’agression.

Triste paradoxe, ironie du sort, ou tragique retournement de situation : plusieurs parmi les responsables qui se sont montrés les plus sévères dans leurs déclarations seront eux -mêmes arrêtés au cours des mois suivants, seront à leur tour torturés et jugés, seront exécutés, mourront de diète noire, disparaîtront purement et simplement, ou resteront de longues années au Camp Boiro avant d’être graciés ou libérés :

  • Émile Condé
  • Marcel Mato
  • Alioune Dramé
  • Bangoura Karim
  • Alassane Diop 24
  • Alpha-Abdoulaye Porthos Diallo…

Le 19 janvier 1971, la commission d’enquête du Comité Révolutionnaire remet au Tribunal Révolutionnaire Suprême (c’est-à-dire à l’Assemblée nationale) son rapport, qualifié de « magistral ».
L’acte d’accusation est immédiatement dressé.
Les trente Fédérations régionales du PDG ont délibéré et fait part au Tribunal révolutionnaire des peines qu’ils préconisent, tant pour les détenus arrêtés en 1970 que pour ceux qui restent encore emprisonnés à la suite du « complot des militaires ». On sait dès le 21 janvier que la peine de mort a été abondamment réclamée 25. Les Fédérations demandent en outre « la répartition des condamnés dans toutes les régions pour que le peuple leur inflige le châtiment qu’ils méritent. » 26
Finalement, le Tribunal Révolutionnaire Suprême rend son verdict le 23 janvier, « après en avoir délibéré conformément à la loi » 27
Le Tribunal révolutionnaire suprême se montre très sévère, puisqu’il prononce :

  • 62 condamnations à la peine capitale, 29 contre des civils
  • 12 contre d’anciens militaires
  • 21 par contumace
  • 63 travaux forcés à perpétuité
  • 16 expulsés (il s’agit essentiellement des épouses de condamnés, souvent françaises ou libanaises, mais aussi espagnole ou hollandaise)
  • 90 libérations immédiatement et sans condamnation (parmi eux figure Mgr Raphaël Téa, Archevêque de Nzérékoré)

Parmi les personnalités condamnées à mort figurent plusieurs anciens ministres, dont :

  • Ibrahima Barry dit Barry III, ancien leader du parti socialiste guinéen, alors section de la SFIO française, qui devient, en 1958, président du parti inter-territorial Mouyement Socialiste Africain 28
  • Camara Sékou, ancien ecrétaire d’Etat au Commerce extérieur
  • Baldé Ousmane, ancien secrétaire d’État au Plan 29
  • Magassouba Moriba, ancien secrétaire d’État à la Sérité [Police] (département alors rattaché à la présidence de la République)
  • Mme Camara Loffo, ex-secrétaire d’État aux Affaires sociales, ex-membre du bureau politique du PDG, qui fut l’une des principales dirigeantes de l’organisation des femmes du parti et du mouvement panafricain de femmes…

Beaucoup de ces condamnés étaient considérés comme des proches de Sékou Touré, et nombre d’entre eux ont en effet entretenu avec lui des relations confiantes et amicales.
Figure également sur la liste des condamnés à mort, en troisième position, un certain lieutenant Paul Loua, mercenaire capturé au cours de l’agression, dont Léon Maka, le président de l’Assemblée, précise qu’il a quitté la Guinée en 1954, au titre de tirailleur sénégalais, pour aller combattre dans l’armée française en Algérie.
Parmi le condamnés à mort par contumace, il y a surtout des opposants notoires et actifs, comme David Soumah, syndicaliste chrétien vivant à Dakar, sans doute l’un des principaux organisateurs de la participation d’opposants guinéens à l’agression, Siradiou Diallo, journaliste et futur rédacteur en chef de « Jeune Afrique », qui reviendra en Guinée, après la mort de Sékou Touré, prendre jusqu’à sa propre disparition en 2004 la tête d’un parti politique, l’historien et professeur Ibrahima Baba Kaké, installé à Paris, Alpha Condé, lui aussi installé à Paris et devenu sous la 2ème République l’un des principaux opposants, le docteur Saidou Conté, installé à Abidjan, le Docteur Charles Diané, installé à Monrovia puis à Libreville.

Curieusement, Jean-Marie Doré, fonctionnaire du BIT à Genève, ne figure pas sur les listes. Pourtant, une semaine avant le 20 novembre 1970, les services spéciaux de Lisbonne avaient informé leur antenne de Guinée-Bissau qu’ils allaient lui délivrer un billet d’avion ; ce qui fait que sa présence sur le lieux est très probable ; il a d’ailleurs depuis lors fait des déclarations qui montrent assez clairement qu’il avait gardé à travers toute cette période de contacts avec Sékou Touré30

Parmi les condamnés aux travaux forcé à perpétuité figure en premier Mgr Raymond-Marie Tchidimbo, Archevêque de Conakry 31, arrêté la nuit de Noël 1970 (il sera libéré en août 1979). Avant que le jugement ne soit prononcé, mais alors que la perspective de châtiments très sévères, y compris la peine de mort, commençait à se répandre dans le monde, en particulier dans les pays dont des ressortissants avaient été arrêtés, le Pape Paul VI intervient auprès de Sékou Touré pour tenter d’éviter la peine de mort au prélat. Sékou Touré lui répond après que les peines aient été prononcées.

Télégramme du Pape Paul VI au Président Ahmed Sékou Touré

« Exprimant à votre Excellence les vives préoccupations que nous cause comme Pasteur de l’Église Universelle l’éventuelle condamnation à mort de personnes actuellement en jugement devant Assemblée Nationale guinéenne, parmi lesquelles notre fils très cher Mgr. Raymond-Marie Tchidimbo, Archevêque Conakry ; faisons solennellement appel à la générosité des autorités responsables République Guinée pour que soit épargnée la vie des accusés.
Demandons instamment à votre Excellence d’accueillir au nom du Dieu Tout-Puissant notre requête inspirée par notre amour désintéressé de l’Afrique. P. P. Paul VI »

Réponse du Chef de l’Etat Au Pape Paul VI

« Honneur accuser réception votre message en faveur clémence pour votre fils Raymond-Marie Tchidimbo, récemment condamné peine prison par Assemblée Nationale. Avec douleur portons votre haute connaissance que plus de 200 personnes innocentes ont été victimes agression portugaise perpétrée courant Novembre dernier à Conakry, Gaoual, Koundara. En accord avec les nombreux orphelins et veuves, notre Peuple a décidé de condamner sévèrement les agresseurs et leurs complices locaux, et ce en conformité avec exigences indépendance nationale et paix sociale au profit notre société humaine qui désire ardemment vivre libre, digne et responsable de son destin. Sommes respectueux des libertés et des droits de l’homme et comprenons que ces libertés et ces droits sont issus de ceux du Peuple qui engendre l’homme, le progrès et lui confère par la conscience et la pratique, humanisme et utilité sociale. Nous sommes profondément croyants et en même temps convaincus que aimer et servir Dieu, c’est aimer et servir honnêtement et constamment le Peuple et l’homme, l’amour de l’homme étant incompatible avec le mépris du Peuple et la trahison nationale.
La Révolution Guinéenne est fondée sur la liberté, la dignité, la responsabilité de l’homme placé dans des rapports d’égalité avec tout autre homme sans distinction de race, de religion, de couleur et de sexe.
Nous savons que Les très hautes fonctions spirituelles que vous assumez vous font considérer tous les hommes comme fils et tous les Peuples comme objet de vos prières et préoccupations. En optant pour la laïcité scolaire, nous avions en vue de favoriser la formation d’une nation unie. Optant pour l’africanisation du clergé catholique en Guinée, nous avons aspiré à plus de responsabilité pour notre Peuple dont la réhabilitation postule sa promotion dans toutes les fonctions sociales et culturelles. En jugeant et condamnant le citoyen Raymond-Marie Tchidimbo, notre Peuple a voulu dissocier l’Homme de l’Église chrétienne tout comme dans un précédent complot visant au renversement brutal de son régime populaire, il avait jugé et condamné à l’extrême peine le premier Imam musulman de Conakry, confondu de trahison nationale 32
Notre Peuple veut vivre libre et digne. Il respecte tous les Peuples et les régimes qu’ils se donnent.
Notre Peuple lutte contre l’impérialisme et le colonialisme et appuie tous les Peuples qui sont victimes des entreprises criminelles de l’impérialisme.
Ayant appris que le Saint-Père a prié pour la libération des innocentes personnes persécutées, nous l’approuvons sans réserves et sollicitons avec ferveur que toutes les cathédrales, toutes les mosquées, toutes les familles spirituelles et toutes les personnalités du monde fassent les mêmes prières en faveur de ceux qui défendent la cause sacrée de la justice, de la liberté et du progrès des Peuples, et maudissent ceux qui mêprisent ou compromettent la réalisation de ces nobles objectifs de l’Humanité. Nous sollicitons à nouveau que vous daigniez ordonner ces prières à l’échelle du monde. Dieu est la justice, la liberté et le seul protecteur infaillible. Nous sommes sûrs que Dieu seul lit la conscience et sait la vérité que des hommes peuvent momentanément camoufler à leurs semblables.
En vous réaffirmant notre respect absolu, nous vous donnons, très Saint-Père, l’assurance de nos sentiments de très haute considération.
Ahmed Sékou Touré »

Sur la liste des autres condamnés aux travaux forcés à perpétuité, on note la présence de la plupart des étrangers, pour lesquels on n’a sans doute pas voulu courir le risque de réactions trop vives en cas d’exécution ; deux Allemands : le coopérant Hermann Seibold-Freitag Adolf Marx, directeur technique de la brasserie Sobragui 33

plusieurs Français, dont certain avaient pris la nationalité guinéenne :

  • le député Jacques Demarchelier 34
  • Michel Lepan
  • Henri Auperrin
  • Marcel Ropert
  • Jean-Paul Alata 35

plusieurs Libanais (ou double-nationaux franco-libanais ou guinéo-libanais), comme :

  • William Gemayel
  • Élie Hayeck
  • Joseph Zaidan
  • Abdallah Nehme
  • Georges Bitar
  • Hekmat Aboukhalil
  • Mohamed Kleit …

Il y a également un médecin tchèque, le docteur Kozel, un Grec, propriétaire d’un barrestaurant à la Minière, Tassos Mavroidis, le professeur camerounais Kapet de Bana, etc. Curieusement, certains de condamnés aux travaux forcés auraient dû l’être par contumace, car ils ne sont pas présents en Guinée et n’ont pas été arrêtés : c’est le cas du planteur Michel Amine ou de l’industriel allemand Zeehandler.

Certaines exécutions ont lieu dans le heures qui suivent le jugement. Ainsi, dans la nuit du 24 au 25 janvier 1971, en présence d’une foule nombreuse et surexcitée, on procède à la pendaison, au parapet du pont qui sépare Conakry-Ville de la banlieue, à quelques centaines de mètres du Palais du Peuple, de plusieurs anciens ministres condamnés 36 :

  • Baldet Ousmane
  • Barry Ibrahima dit Barry III
  • Moriba Magassouba

Erratum. — Les exécutions eurent lieu secrètement et nuitamment. Les populations n’en furent informées qu’au matin lorsque la nouvelle se répandit à travers Conakry. Par contre, à l’intérieur les supplices furent publics. — Tierno S. Bah

Dan la même nuit, huit personnalités sont fusillées à Conakry dont Madame Camara Loffo, Camara Sékou, et Camara Balla, ancien secrétaire général du gouvernement (condamné lors du « complot de militaires »). En outre, dans chacune des 29 régions de Guinée, on pendra au moin deux personnes sur une place publique avec obligation à la population d’assister à ces pendaisons 37

Dalaba, 25 janvier 1971. Les deux pendus

Le 26 janvier, Radio Conakry diffuse un poème de Sékou Touré intitulé « Adieu aux traîtres », qui se termine par les vers suivants :

« Vous n’avez plus ni soeurs, ni mères. Adieu cinquième colonne, adieu mercenaires. C’est l’échec total des corsaires, c’est la victoire totale du front anti-colonialiste. Adieu, adieu les traîtres, adieu les opportunistes, bienvenue au tombeau des impérialistes ».

Le pays est encore traumatisé par tous ces événements dramatiques liés à l’agression des Portugais et des mercenaires, que de nouvelles vagues d’accusations et d’arrestations vont se produire pendant l’été, sous le signe de la lutte contre le complot manigancé par la 5ème colonne. Cette nouvelle phase repose essentiellement sur de dénonciations et sur des dépositions obtenues par la torture.
Selon le logan « Tout le Peuple est gendarme », Sékou Touré, lors d’un meeting public du BPN tenu le 14 juin 1971, interpelle les militants en leur disant :

« Continuez, recherchez, fouillez partout où besoin sera. Ne laissez aucun complice. Nous vous faisons entière confiance. Allez jusqu’au bout, allez en profondeur, atteignez la racine de la 5ème colonne, c’est la radicalisation de la Révolution, c’est notre victoire …
Contre-révolutionnaires guinéens de tout acabit, tremblez, tremblez encore et encore, tremblez toujours. »

Des arrestations se multiplient, surtout de Guinéens, mais aussi de quelques étrangers qui avaient échappé aux précédentes vagues 38. Les procès et les exécutions se succèdent pendant l’été : le 29 juillet 1971, ce sont des militaires, dont le général Keita Noumandian, chef d’état-major, et le commandant Zoumanigui, ex-officier d’ordonnance de Sékou Touré.

Le 18 octobre 1971 sont fusillés plusieurs ministres dont :

  • Mato Marcel, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité
  • Sagno Mamadi, ministre de la Défense nationale
  • Tibou Tounkara, ministre de l’Information
  • Savané Moricandian, ministre du Commerce
  • Condé Emile, ministre des Travaux Publics
  • Keita Fadiala, ancien procureur de la République et ancien ambassadeur à Washington.

Entre temps, Sékou Touré a expliqué dans un nouveau message à la nation en date du 26 septembre 1971, ce qu’il attendait du Peuple pour mettre fin définitivement aux complots.

Message à La Nation du Président Ahmed Sékou Touré

Peuple de Guinée !
Depuis le jeudi 29 juillet 1971, se déroule le plus grand procès que tu aies connu, celui des nationaux, traîtres à la cause hautement sacrée de ta liberté, c’est-à-dire de ton pouvoir à diriger ton destin dans la dignité et la souveraineté reconquises.
Les événements que tu as vécus depuis ton accession à l’Indépendance le 2 octobre 1958 ont eu une portée indéniable sur l’opinion africaine et internationale.
La hargne et l’agressivité des puissances impérialistes opposées à ton existence en tant que nation souveraine, en tant que Peuple libre et en tant qu’entité socialiste en Afrique, se sont manifestées avec violence et continuité en vue de t’imposer arbitrairement un régime réactionnaire qui te soumette à leur dictature capitaliste et anti-populaire.

Ainsi, durant les 13 premières années de l’exercice par toi-même des différents attributs de ta souveraineté, tu es resté en butte aux difficultés de toutes sortes engendrées par les entreprises criminelles et anti-africaines de l’impérialisme international.

En effet, tout le monde sait désormais qu’il t’est reproché ton attitude courageuse et combien digne du 28 septembre 1958, celle te faisant préférer la liberté même dans la pauvreté, à l’opulence dans l’esclavage colonial.

Tout le monde sait désormais qu’il t’est reproché aussi le fait d’avoir réorganisé sur des bases authentiquement africaines ta société, ton économie et ta culture.
Tout le monde sait désormais qu’il t’est reproché égale ment ton intransigeance dans l’application d’une politique nationale et internationale fondamentalement axée sur la primauté du Peuple et la prééminence de ses intérêts et de ses droits. Il t’est surtout reproché le bannissement dans tes démarches intellectuelles, dans tes activités pratiques, dans tes aspirations et tes comportements, la doctrine et les pratiques chères à l’impérialisme, au colonialisme, au néo-colonialisme et au féodalisme.
Il t’est reproché ta constante attitude de dignité, ton courage politique et ta fermeté idéologique face aux différents problèmes de la vie nationale et internationale.
Il t’est enfin reproché ta détermination de ne jamais te prosterner devant l’impérialisme quelles que soient les foudres dont il te menace.
Les puissances impérialistes ont donc échoué dans toutes leurs tentatives de corruption, de menace et d’attentat contre ton régime socialiste. Elles ont échoué dans l’application de leur plan de reconquête et dans l’imposition de leur programme visant à l’exploitation de type néo-colonial de tes immenses richesses naturelles.
Fondées sur l’argument de la force, méprisant la raison historique et la raison sociale des Peuples, préoccupées exclusivement de l’accroissement de leurs dividendes, les puissances impérialistes et colonialistes t’ont choisi comme leur principale cible dans le continent africain. Et c’est pourquoi, en plus de la perpétuelle campagne de discrédit et de mensonges éhontés qu’elles ont déclenchée contre toi , elles te vouent avec une méchanceté sans égale, leur haine la plus profonde et la plus indigne.
C’est ainsi qu’après avoir échoué dans de multiples tentatives de remise en cause de l’ordre populaire et démocratique que tu t’es édifié, les puissances impérialistes dans une maudite alliance, ont concerté leurs plans d’agression militaire, plans dont tu enregistras, à la stupéfaction du monde entier, la brutale manifestation le 22 novembre 1970.
Sur la vieille politique de la canonnière, il a porté son choix. L’impérialisme ne veut pas admettre l’existence d’un Peuple Africain en dehors du carcan néo-colonialiste dans lequel il a déjà embrigadé bon nombre d’États du continent.
Mais l’impérialisme ne connaît pas l’Afrique, sinon il aurait tiré d’utiles leçons des événements survenus en Guinée avant et après la constitution de ton État indépendant et souverain. Il continue sa sale besogne, ses préparatifs belliqueux, sa campagne de haine et de discrédit dans le but de t’affaiblir, de t’isoler et de t’abattre.
Or, une Révolution ne peut jamais être isolée, car la Révolution c’est la force qui engendre touées les forces, c’est le génie collectif du Peuple qui se manifeste en capacité invincible, en volonté irréductible, en créativité illimitée et en progrès transcroissant.
La Révolution Démocratique Africaine exprime ses vertus et ses capacités dans les différents pays du continent — où elle met en mouvement la somme d’intelligence, de courage conscient des larges masses populaires.
La Révolution guinéenne fait partie intégrante de ce grand mouvement de réhabilitation du passé de l’Afrique et de l’identification du devenir africain qu’elle entend placer exclusivement dans le cadre d’une liberté réelle, d’une souveraineté effective mues par une haute conscience de l’histoire, toute tendue vers le beau, le vrai et le juste.
Si à la suite de l’agression impérialo-portugaise de novembre 1970 — trois centaines de tes fils et filles ont trouvé la mort dans des conditions ignobles, ta consolidation morale et ta satisfaction politique résultent incontestablement de la défaite cinglante que tu as su imposer aux agresseurs qui ont été impitoyablement écrasés à Conakry, à Gaoual et à Koundara.
En effet, ta victoire sur les hordes mercenaires de l’impérialisme, ta victoire sur la bourgeoisie anti-nationale constituée de ministres, gouverneurs, officiers, hauts fonctionnaires, industriels, commerçants et éléments féodaux, corrompus par l’impérialisme et commis par lui à l’oeuvre de destruction des bases matérielles et institutionnelles de ta souveraineté, a eu une grande répercussion dans le monde entier.
Jamais il n’a été enregistré dans la vie d’un autre Etat, une victoire si importante et si radicale contre un ennemi qui s’était déjà installé en très bonne place dans toutes les institutions, dans tous les secteurs étatiques et politiques de la Nation qu’ il entendait réduire en esclavage. Aujourd’hui plus qu’hier, tu comprends que le but réel de l’action impérialiste visait la destruction de ton régime populaire, quand bien même, pour réaliser cet objectif, il était prévu ici et là des attentats criminels à l’encontre de tes principaux responsables.
L’impérialisme a été et demeure un. Il recouvre la nationalité de toutes les puissances vouant à l’Afrique un profond mépris. Peuple de Guinée, tu as été heureusement un et indivisible face à cet ennemi.
En effet, ta force et tes victoires successives ont résulté de ton unité militante, unité et identité idéologique, unité et identité politique, unité dans l’action de destruction des structures féodales et coloniales pour la construction du bonheur démocratique et social.
Depuis deux mois, tu n’entends à travers les émissions de ta Radio Nationale, la Voix de la Révolution, et tu ne lis dans les colonnes de ton journal national, Horoya, que les dépositions des agents de la 5ème colonne constitués de nationaux, d’africains et d’étrangers résidents.
Désormais tu es parfaitement renseigné sur l’ampleur du complot qui t’a toujours visé, sur la nocivité des activités multiformes qui l’ont caractérisé, ainsi que sur les véritables intentions de l’impérialisme et de la bourgeoisie nationale corrompue quant à la nature ignoble du destin qu’il te préparait.
Heureusement, avec vigueur et constance, tu as combattu et réduit à néant ceux qui pensaient te remettre aux fers de l’indignité, de la soumission et de l’exploitation ; tu as défendu ta dignité, sauvegardé tes acquis et agrandi ta propriété exclusive et inaliénable sur les richesses de ton pays.
Après deux mois de procès populaire, les agents de la 5ème colonne doivent recevoir, à la dimension et à l’importance de leurs crimes, le prix qu’ils méritent pour s’être insurgés contre la liberté et la souveraineté d’un Peuple aussi conscient, aussi fier que le Peuple de Guinée.
Depuis le 29 juillet dernier, les 8.000 Pouvoirs Révolutionnaires Locaux (PRL) ou Communes populaires érigés en tribunaux populaires et les 30 assemblées législatives régionales également érigées en tribunaux populaires, ainsi que les Directions nationales, celles de la Confédération Nationale des Travailleurs, de l’Organisation des Femmes, de la Jeunesse de la Révolution Démocratique Africaine, les États-majors des différentes armées, tous érigés en Comités de Défense de la Révolution et de la Nation, ont eu à suivre régulièrement le grand procès du siècle; nous disons bien « procès du siècle » car, sa forme essentiellement populaire et démocratique et sa moralité foncièrement révolutionnaire, feront date dans l’histoire de l’humanité pour avoir fait comprendre et admettre la parfaite moralité d’une telle institution.
L’on doit se poser les questions suivantes :

  • qui a créé le Peuple ?
  • qui a libéré la Nation ?
  • qui a rendu la République de Guinée au nom de la liberté et de la souveraineté ?
  • qui a été et qui demeure l’ennemi juré de l’impérialisme pourmériter l’agression de novembre 1970?

Une seule réponse : c’est le Peuple de Guinée. C’est pourquoi ce Peuple qui, par ailleurs, demeure le fondement de La Nation, le créateur et le gardien de sa liberté et de sa souveraineté, la source exclusive du droit, de la légitimité et de la régularité, en fait, le seul référentiel suprême qui doit se saisir et qui s’est saisi du dossier de l’agression. qui doit et qui va juger les agresseurs extérieurs et leurs complices intérieurs, est et demeure seul juge.
Nous renonçons quant à nous au droit statique au profit d’un droit révolutionnaire dans sa portée sociale. Nous bannissons sans hésitation le juridisme stérile qui fait du Peuple objet et non sujet du droit et de l’histoire qui le crée et le perfectionne.
Notre idéologie nous enseigne en effet que le Peuple, sa raison d’être et son bien-être doivent fonder la légitimité de nos actes publics. Il faut qu’un régime soit réellement libérateur, démocratique et progressiste pour qu’il mette les armées et l’application du droit dans les mains du Peuple !
L’histoire a ses impératifs et la Révolution ses exigences ! La République de Guinée, son Peuple militant et son Parti ne font que respecter et appliquer à chaque phase de leur développement historique commun ces mêmes impératifs de progrès et ces mêmes exigences de qualification continuelle afin d’atteindre au plus haut niveau d’émancipation idéologique et de la capacité productive.
Aucun individu, aucun groupe d’individus ne sauraient légitimement se prétendre plus aptes, plus efficaces dans l’exercice d’un attribut de la souveraineté nationale plus que le Peuple lui-même.
Aucun individu, aucun groupe d’individus ne sauraient être plus instruits, plus justes que le Peuple lui-même.
Le Peuple est et demeure la cristallisation dialectique la plus poussée de la somme de connaissances humaines de capacités techniques et technologiques acquises par les hommes qui le composent. En mettant la justice au niveau des justiciables eux mêmes, le régime révolutionnaire guinéen a restitué au Peuple souverain l’un des attributs essentiels du pouvoir de souveraineté. Face à des événements extraordinaires, il faut des solutions extraordinaires.
Les impératifs de la Révolution exigent donc que le Peuple soit le seul juge car lui seul exprime avec hauteur et perfection la somme de vertus sociales et de qualités humaines qui caractérisent une véritable Révolution.
Dans le contexte de la Révolution, le Peuple juge, ne saurait être un arbitre, un avocat ou un procureur ; il est le gardien de l’ensemble des valeurs de la Nation et le défenseur intransigeant des légitimes aspirations à l’équilibre social, dans le progrès et la paix. Il est en outre le fondement de la vérité historique, de la vérité sociale et de la vérité humaine et par conséquent la meilleure garantie pour tous et chacun.
Nous savons qu’avec la profonde désorganisation qu’avaient connue les organes de l’État guinéen avant l’agression, le Peuple n’eut pas pris les armes que l’agression eût réussi.
Cette vérité justifie cette autre vérité, que seul le Peuple a le droit de juger ceux qui ont voulu l’assassiner. Le droit n’est pas un domaine arbitrairement constitué. D’une manière générale, il est un produit socio-historique constituant la base de l’équilibre voulu par un Peuple. Au processus de développement d’un Peuple, il n’y a pas de limite ; à la conscience et à la capacité d’un Peuple il n’y a pas non plus de limite. Le droit en tant qu’expression des réalités matérielles et morales d’une Nation évolue et se qualifie avec le Peuple. Le procès populaire instauré en Guinée fera l’objet d’études de la part de tous les régimes et sera finalement retenu comme l’expression vivante d’une haute conscience politique, la marque d’une idéologie réhabilitant le Peuple et l’accession irréversible vers un progrès révolutionnaire du Peuple. Peuple de Guinée !
Te voici donc convié par l’histoire à exercer ton pouvoir de juge souverain dans un procès historique, un procès qui t’oppose à l’impérialisme, un procès dont le litige est cette opposition radicale entre, d’une part ta volonté farouche de rester souverain, de rester maître de ton devenir, de rester maître de tes richesses, et d’autre part, la résolution impérialiste de t’asservir, d’accaparer tes richesses, de t’anéantir.
Tu dois, dans le jugement que tu t’apprêtes à rendre, te convaincre que tu agis au nom de tous les Peuples aujourd’hui assaillis par l’impérialisme. Tu dois aussi te convaincre que tu agis pour aider à sauvegarder la souveraineté de tous les Peuples qui, demain, seront encore assaillis par l’impérialisme. Plus particulièrement, il s’agit aujourd’hui d’une phase de la grande conspiration impérialiste contre l’Afrique, cette conspiration dont le fondement est la nécessité pour l’impérialisme de spolier les Peuples d’Afrique de leurs richesses pour maintenir ses bases économiques lui permettant de rester impérialisme. Il s’agit aujourd’hui, de juger certains actes de l’impérialisme, actes par lesquels il comptait réaliser son avide convoitise sur ta bauxite, ton fer, ton diamant, ton or et tes produits agricoles. Il s’agit aujourd’hui de juger du degré de participation de l’impérialisme contre l’Afrique dans sa partie guinéenne, de tous les agents, nationaux guinéens, africains résidents, étrangers utilisés par l’impérialisme pour étrangler la Nation guinéenne. Dans ce procès qui nous oppose à l’impérialisme, les tenants des conceptions philosophiques réactionnaires qui sont pour la ligne d’élite auraient voulu que l’on choisisse quelques juristes ultra-savants diplômés en nous ne savons quel droit pour juger à la place du Peuple. Ils auraient eu raison de penser ainsi convaincus comme ils sont qu’un mercenaire est supérieur au Peuple ou que la partie est supérieure au Tout. Mais nous qui sommes pour la civilisation de masse, nous dont la logique soutient que le Tout est supérieur à la partie, que des juristes, quelque éminents qu’ils soient, pris parmi le Peuple, seraient encore inférieurs en compétence à ce Peuple qui les contient, nous restons fidèles à notre logique en applaudissant à la décision de notre Peuple de juger directement une affaire qui concerne sa propre existence en tant que Peuple, en tant que Nation libre et en tant qu’État souverain.
Les actes d’hostilité impérialistes contre la République de Guinée, quand bien même ils s’expriment en tentative d’attentats contre les dirigeants que le Peuple s’est choisis et qui lui sont restés fidèles, visent tous à ravir à ce Peuple son indépendance, sa souveraineté, à le subjuguer et à s’emparer de ses richesses. Et c’est pourquoi, les chefs d’accusation contre les agents impérialistes commis à l’oeuvre sordide d’anéantissement du Peuple de Guinée, retenant essentiellement l’objectif visé, se concentreront sur les faits suivants :

  • participation à la conception et à l’organisation de l’agression impérialiste du 22 novembre 1970 contre la République de Guinée
  • participation à l’exécution de cette agression
  • complicité passive dans cette agression
  • participation au sabotage de l’économie guinéenne
  • participation au sabotage des Institutions guinéennes et à l’espionnage contre l’État guinéen
  • participation à la corruption de toute personne aux fins de recrutement comme agent de l’impérialisme dans sa tentative de subjugation de la Guinée
  • implication active ou passive dans l’une quelconque des phases du complot impérialiste contre l’État guinéen depuis l’indépendance de la Guinée

Peuple de Guinée,
C’est dans la confrontation du degré de participation de chaque agent de l’impérialisme au crime impérialiste contre la Guinée, avec le degré de conscience de chaque agent que tu fonderas ton jugement historique, en répartissant dans les catégories qui sont les leurs, tous les agents qui ont tenté de te soumettre à la rapacité de l’impérialisme.
C’est ainsi qu’il t’appartient de décider de la nature et de la durée de la peine que mérite chacune des six catégories dont relève le crime commis par chaque agent de la Sème colonne démasqué et traduit devant ton Tribunal Suprême.

1ère Catégorie — Membres du gouvernement, gouverneurs de Région, ambassadeurs, officiers et S/officiers, hauts fonctionnaires, cadres nationaux et fédéraux du PDG :

  • ayant adhéré à un ou plusieurs réseaux avec appointements
  • ayant contribué à la préparation ou à l’exécution de l’agression impérialo-portugaise du 22 Novembre 1970, contre le Peuple de Guinée

2ème Catégorie — Membres du gouvernement, gouverneurs de Région, ambassadeurs, officiers et sous-officiers, hauts fonctionnaires, cadres nationaux et fédéraux du PDG :

  • ayant été informés de l’agression, mais n’ayant joué aucun rôle actif ni dans la préparation, ni dans l’exécution de cette agression.

3ème Catégorie — Tous les nationaux, tous les Africains résidents :

  • ayant adhéré à un ou plusieurs réseaux avec appointements
  • ayant contribué à la préparation ou à l’exécution de l’agression impérialo-portugaise du 22 novembre 1970 contre le Peuple de Guinée.

4ème Catégorie — Tous les nationaux, tous les africains ayant été informés de l’agression mais n’ayant joué aucun rôle actif ni dans la préparation, ni dans l’exécution de cette agression.

5ème Catégorie — Tous les étrangers ayant contribué à la préparation ou à l’exécution de l’agression impérialo-portugaise du 22 novembre 1970.

6ème catégorie — Tous les étrangers ayant participé au sabotage des institutions et de l’économie, à l’espionnage, à la corruption de nationaux ou d’Africains résidents en vue de la destruction du régime guinéen.

Peuple de Guinée !
Ta devise nationale est : Travail-Justice-Solidarité. Le 28 septembre I958, ta volonté de justice t’a fait choisir la totale indépendance de ta Nation contre les promesses de néo-colonisation contenues dans la Constitution de la Communauté Française.
Le 8 novembre 1964, ta volonté de justice t’a fait proclamer et appliquer méthodiquement par la Loi-cadre une politique nationale de socialisation des secteurs essentiels de ton économie.
Le 22 novembre 1970, ta volonté de justice t’a également mobilisé, comme un seul homme contre des agresseurs que ton courage résolu et ta puissante force de combat ont su écraser à l’unanime satisfaction des Peuples frères d’Afrique et des autres Peuples du monde.
Continuant ta marche irréversible vers de nouvelles et plus radicales conquêtes, tu dicteras et imposeras ta volonté souveraine aux vils mercenaires de L’impérialisme qui croupissent présentement dans tes prisons.
Ainsi :

  1. Le 28 septembre 1971, tous Les huit mille Pouvoirs Révolutionnaires Locaux tiendront au niveau des quartiers et des villages ou Communes Populaires une assemblée générale en vue de statuer sur le dossier de l’agression et d’établir l’échelle des peines pour les agents criminels de l’impérialisme
  2. Le 30 septembre 1971, les délégués des Pouvoirs Révolutionnaires Locaux appartenant à chacun des 210 Arrondissements de la Nation tiendront des assises communes pour confronter leurs décisions et harmoniser leurs propositions à l’intention de leurs diverses assemblées législatives régionales.
  3. Le 2 octobre 1971, date historique de l’anniversaire de l’Indépendance nationale, les délégués des conseils populaires d’une même Région Administrative se réuniront, au niveau de l’Assemblée Législative régionale, pour confrontation de leurs points de vue en vue de déterminer, sous forme de décisions, la position des populations de chacune des 29 Régions composant la Nation.

Les résolutions issues de ces diverses assises régionales seront diffusées primo lors des grandioses manifestations populaires : meetings, défilés et marches révolutionnaires qui se dérouleront le dimanche 3 octobre 1971 dans toutes les villes de la Nation et secundo par la radio et le Journal [Horoya]. Nul doute que ces manifestations populaires exprimeront avec une puissance jamais égalée l’enthousiasme et la confiance en soi qui caractérisent les masses laborieuses de Guinée dans leur commune et exaltante tâche de défense nationale et de sauvegarde des acquis de la Révolution.
Le Bureau Politique National invite par ailleurs les Comités de base, les Comités Directeurs et les Bureaux Fédéraux à organiser le vendredi 1er octobre 1971 dans toutes les mosquées de la République, des prières spéciales contre l’impérialisme et pour Le triomphe rapide et total de la liberté et du progrès démocratique de Guinée, en Afrique et dans le monde entier.
Les militants et les responsables de la Révolution sont instamment invités à contribuer efficacement au grand succès des manifestations populaires projetées et surtout au triomphe complet de la justice dans le grand procès populaire qui préoccupe à juste titre tous les hommes conscients.
La Justice révolutionnaire implique une conscience claire des causes et des effets, un courage politique et moral dans L’attitude, un sens aigu de la Vérité historique, de La Vérité sociale et de la Vérité humaine.
Pour la Justice dans le Travail et la Solidarité, Vive la Révolution!
Ahmed Sékou Touré
le 26 septembre 1971″

Il faudra plusieurs années pour que les traumatismes engendrés par la répression des événements du 22 novembre 1970 s’apaisent. Plus d’un tiers de siècle après ces événements, les rares survivants et les famille des victimes n’ont pas oublié. D’autant qu’en dépit des bonnes intention naguère proclamées par les dirigeants de la 2ème République, le condamnations des tribunaux révolutionnaires n’ont pas été annulées, les condamnés n’ont pa été amnistiés et il n’y a eu aucune réhabilitation, ni aucune indemnisation. Le bilan humain a été tenté, mais reste imprécis 39.

En dehors de ceux de Lansana Kouyaté (2007-08) et de son successeur Souaré (qui avait nommé un ministre notamment chargé de la réconciliation nationale), aucun gouvernement n’a cherché à lancer une opération Vérité-Réconciliation, jugée pourtant indispensable avant les célébration du 50ème anniversaire de l’indépendance, qui ne devaient évidemment pas être confondues avec une réhabilitation tous azimuts de Sékou Touré.

François Mitterrand avait déclaré à « France-Soir » le 31 janvier 1971, au lendemain des procès et des pendaisons qui venaient d’intervenir à Conakry : « Mais un procès tel que le plus récent, avec ses accusés absents, son tribunal populaire et les exécutions sommaires qui l’ont suivi, ne peut supporter aucune complaisance, fut-elle celle des souvenirs (…) Il n’est pas d’excuse à la parodie de justice (…) Il m’est arrivé, comme à d’autres, d’user de l’amitié pour panser certaines plaies, corriger certains jugements, adoucir certaines sentences, et il m’est arrivé d’être écouté. » 40

En compagnie de Roland Dumas, il est pourtant retourné en Guinée l’année suivante, en 1972, comme l’un des hôtes d’honneur de la commémoration désormais annuelle du 22 novembre 1970. En 1973, l’hôte d’honneur fut le président de l’Ouganda Idi Amine Dada.

En 1974, ce fut Khadafi.

Le 22 novembre 1975, comme suite à la normalisation des relations entre la Guinée et la France, ce fut une délégation gouvernementale française comprenant Jean Lecanuet, ministre de la justice et garde des sceaux, et André Jarrot, ministre de la qualité de la vie.

En 1978, l’hôte d’honneur fut Edgar Faure, président de l’Assemblée nationale française.

En 1981 le vice premier ministre de Chine Huang Hua.

Faut-il considérer comme un geste spécial de Sékou Touré la libération, le 22 novembre 1980, d’Alpha Abdoulaye Diallo « Porthos », arrêté le 3 août 1971, et qui avait été pendant de longues années l’un des plus fidèles et des plus efficaces collaborateurs du président guinéen ?

Précision. — Ici, A. Lewin attribue implicitement — mais erronément — la libération de Portos à un certain calcul intelligent voire généreux de la part de Sékou Touré. En fait, pour avoir ordonné l’arrestation, la torture et la détention de Portos, la démarche du président était purement machiavélique, illégale, ingrate et inhumaine. Et dans ce cas, comme dans celui de milliers d’autres victimes, Sékou Touré reste donc justiciable devant l’histoire. Pour sa part, Portos porte sur son ancien patron et tortionnaire le jugement suivant dans La Vérité du ministre : « Et pourtant, l’évolution politique dramatique qu’a connue la Guinée et qui a conduit à ce pouvoir personnel, sanguinaire, était inscrite dans le tempérament de cet homme ombrageux, soupçonneux, rusé, habile, fin psychologue, au caractère dominateur, passionné et haineux, dépourvu de tout scrupule, assoiffé de pouvoir, « son pouvoir », autant qu’aveuglé par lui, et pour qui la liberté, la vie d’un être humain n’a de signification, d’importance qu’au regard de ses objectifs personnels !
Cette évolution était inscrite aussi dans les émeutes organisées avant l’indépendance, par ce redoutable animal politique à l’intelligence vive, aux réflexes politiques rapides, qui ne reculait devant aucune ignominie, aucune infamie, aucun crime, qui se voulait un géant de l’histoire universelle mais qui n’y trouvera de place que dans la galerie des maudits, à côté des Néron, Hitler, Mussolini, Duvalier, Idi Amine Dada, Macias Nguema et autres Bokassa. — Tierno S. Bah

Notes
. C’est Sékou Touré lui-même qui a qualifié cette période de : « la période sombre de notre histoire ».

Correction. En réalité, c’est plutôt Sékou Touré qui fut un cadeau empoisoné de Bernard Cornut-Gentille et de Félix Houphouët-Boigny à la Guinée. Il se retourna par la suite contre ses deux parrains et plongea le pays dans une époque ténébreuse de violations du droit et de crimes contre l’humanité. Longue de 31 ans, elle commença par l’assassinat de Yacine Diallo le 29 mars 1954, et ne prit fin qu’à sa mort à Cleveland, USA, le 26 mars 1984. — Tierno S. Bah

. Plusieurs publications officielles guinéennes, y compris certains des Livre blancs publiés à propos du débarquement manqué qualifié d’agression, et de ses conséquences, relatent que ces événements ont démarré le « samedi » 22 novembre 1970 vers 2 heures du matin, et que les populations ont entendu à ce moment-là des coups de feu (Introduction à l’ouvrage « L’agression portugaise contre la République de Guinée »; Imprimerie Patrice Lumumba, Conakry, mars 1971 , 634 pages). Mais dans son premier appel à la nation, diffusé le 22 novembre 1970 à 9 heures du matin, s’adressant au Peuple de Guinée, précise bien : « Tu es, depuis 2 heures du matin, ce dimanche 22 courant, victime d’une agression …  »
. Leurs nom seront connus ultérieurement lors de l’enquête de la mission de l’ONU : Bombarda, Montante, Hydra, Dragon, Orion, Cassiopea.
. Il y avait environ 230 militaires portugais (originaires de Guinée-Bissau) et 150 Africains, la plupart d’entre eux opposants guinéens, mais aussi quelques sénégalais). Les officiers portugais blancs étaient restés à bord, et le général de Spinola, commandant en chef de troupes en Guinée-Bissau et qui avait reçu de Lisbonne l’ordre de préparer et d’exécuter l’opération, était resté à Bissau après avoir vu partir l’expédition.
. Apparemment un signe distinctif connu de complices en Guinée, qui devraient porter des brassards de même couleur
. Bien que des doutes subsistent sur le circonstances exactes de sa mort, l’implication de Lisbonne est très probable dans l’assassinat à Conakry d’Amilcar Cabral deux ans plus tard, en janvier 1973 (voir chapitre 70).
. Le docteur Abdoulaye Touré, qui sera plus tard ministre (notamment des affaires étrangères), a succédé en 1970 à Marof Achkar , qui a été arrêté l’année précédente, et qu’U Thant, qui le connaissait et l’appréciait, n’a pas réussi à faire libérer lorsqu’il est passé à Conakry en début d’année. U Thant n’était donc sans doute pas très bien disposé vis-à-vis de Sékou Touré.
. René Polgar est représentant résident du Programme des ations Unie pour le Développement (PNUD) en Guinée depuis le printemps 1970. Il vient de Guinée équatoriale, où il a coordonné depuis la mi-1969 l’aide onusienne au régime de Macias Nguema. Il n’aura guère le temps de se faire apprécier en Guinée, car il sera expulsé (comme ressortissant français) dès que la France sera mise en cause dans cette crise, au début de 1971.
. Il est quand même probable que le ministre des PTT a fait mettre en place une permanence téléphonique et télégraphique dè la nuit de samedi à dimanche.
10. Les document officiels de l’ONU donnent en fait la date de l’adoption de la résolution comme celle du 23 novembre. U Thant ne précise pa non plus que cette résolution a été adoptée à l’unanimité, et donc avec la voix de la France, représentée à New York par Jacques Kosciusko-Morizet, lequel avait été reçu par Sékou Touré le 2 mai 1963, en tant qu’envoyé du Fonds spécial des Nations Unies.
11. L’agression portugaise contre la Républigue de Guinée », Livre blanc, Conakry, Imprimerie Nationale Patrice Lumumba, mar 1971, p. 191
12. L’Humanité, 29 janvier 1971
13. Ce Haut Commandement a évidemment été créé avant la rupture des relations diplomatique avec la République fédérale d’Allemagne. Saïdou (ou Seydou) Keita par ailleurs ambassadeur de Guinée pour la plupart des pays d’Europe occidentale sera en 1976 nommé ambasadeur à Paris.
14. Le 23 décembre 1973, au cours de la conférence économique nationale réunie à Conakry.
15. Au contraire de Senghor, le président de la Gambie, Dawda Jawara, livre en décembre à Conakry 38 opposants guinéens réclamés par Sékou Touré.
16. Après les condamnations intervenues en janvier 1971 (et qui sont sévères également pour plusieurs ressortissants français), le porte-parole du gouvernement français Léo Hamon fait au cours de a conférence de presse la déclaration suivante : « L’émotion qui s’est manifestée dans le monde à la suite des événements de Guinée est bien entendu partagée par le gouvernement français. Le conseil des ministres, qui avait condamné ans réserve en novembre l’agression dont la Guinée avait été l’objet, s’est associé à cette émotion avec d’autant plus de force que la France n’oublie rien des liens et des souvenirs qui l’attachent au peuple guinéen ».
17. Le 11 décembre, les États-Unis accordent à la Guinée une aide alimentaire exceptionnelle de 4, 7 millions de dollars.
18. En fait, une grande villa offerte par l’Allemagne fédérale et construite en proche banlieue à Belle-Vue ; c’est à la villa Belle-Vue, reconstruite par la suite, que sont en général logées les délégations officielles importantes ; le président Giscard d’Estaing y a été logé en 1978, de même que le président de la Banque mondiale, Robert McNamara.
19. Le PAIGC avait installé ses bureaux dans la banlieue de Conakry, non loin du quartier dit « La Minière ».
20. Les assaillant disposaient semble-t-il d’un plan de Conakry déjà ancien, et les studio de la Voix de la Révolution n’occupaient plus l’immeuble qu’ils ont investi en pensant s’emparer de la radio.
21. A la fin du mois de novembre, le général de Spinola, commandant des troupes portugaise en Guinée-Bissau, plus tard président de la République du Portugal, confirme dan une interview à l’agence de presse ANI que 24 militaires et un civil portugais ont été libérés à cette occasion. En revanche, de Spinola déniait toute implication du Portugal dans cette tentative de débarquement, qu’il qualifiait de « manoeuvre échafaudée par Sékou Touré ».
22. Entretien de l’ambassadeur Jacobson avec M. Jacques Kosciusko-Morizet, délégué de la France auprès de l’ONU, 2 décembre 1970.
23. Voir le chapitre 66 consacré à cette rupture.
24. Il avait été chargé d’un comité qui devait établir s’il y avait des complicités dans la population ; il avait conclu qu’il n’y en avait pas. Ce fut l’une des raisons de son arrestation ultérieure.
25. Toutes les trente fédérations demandent la peine capitale pour les Portugais, les mercenaires, le complices locaux et les anciens comploteurs ; quatorze la demandent également pour le étrangers. Certaines fédération ont exigé l’exécution immédiate par pendaison, d’autre suggèrent de brûler vifs les mercenaire ! Les membres du BPN, le ministres du gouvernement, les autres notabilités du Parti, se sont pratiquement tous prononcés pour la peine capitale, à l’exception — paradoxale — d’Ismaël Touré, qui ne s’est pas prononcé sur les peines à infliger.
26. Cette proposition, qui eût entraîné l’exécution de tous les condamnés à mort, et peut-être d’autre prisonniers, ne fut pas suivie d’effets.
Lors des négociations pour la libération des Allemands, des Français et des Libanais, Sékou Touré me révéla qu’il avait personnellement veillé à ce qu’aucun « étranger » (Européen, Libanais ou Africain non guinéen), même condamné à mort, ne soit exécuté
Certainement songeait-il dès cette époque, en dépit de son attitude paranoïde, que l’exécution d’étranger rendrait impossible tout rapprochement avec l’Occident.
27. Selon ce qu’il a dit à l’auteur en avril 2008 à Conakry, le Docteur Baba Kourouma, gouverneur de Conakry et député, est le seul à avoir voté contre les peine de mort. Il sera lui-même arrêté, torturé et détenu au camp Boiro de son arrestation en 1971 jusqu’à sa libération en octobre 1980.
28. Ibrahima [Abdoulaye ?] Barry, dit Barry III, avait occupé plusieurs fonctions ministérielle importantes (Justice, Plan), mais avait été limogé en novembre 1964. Il n’avait cependant jamais été inquiété depuis lors, et des rumeurs couraient même sur d’éventuelles nouvelle fonction qui lui seraient confiées.
29. Ousmane Baldé a même été nommé, une semaine après l’agression, secrétaire d’État au commerce extérieur.
30. Les principaux responsables de l’opposition à Sékou Touré commencent à rédiger des ouvrages qui montrent que le RGE était à l’époque divisé sur l’opportunité de s’associer avec le Portugais, et qu’il y avait un désaccord sur la présence ou non de certains d’entre eux parmi les exilés ayant participé au débarquement. On attend notamment avec intérêt les mémoires de Mansour Kaba, qui fut l’un de fondateurs du RGE
La question n’est pas clairement tranchée pour Siradiou Diallo, bien que la probabilité de sa présence à Conakry dans le cadre du débarquement soit très grande. La lettre ouverte adressée fin novembre par le RGE au Secrétaire général de l’ONU attribue les événements de Conakry aux « Forces armées de libération guinéennes ».
31. Le jugement dit : ex-archevêque, mais pour le Vatican, il conserve ses fonctions.
32. C’est la première fois, à la connaissance de l’auteur, que Sékou Touré lui-même confirme que l’ Imam de l’une des principales mosquées de la ville de Conakry a été condamné à mort et exécuté.

Note. — Il s’agit d’Elhaj Mohammed Lamine Kaba, imam de la mosquée de Coronthie, quartier du nord de Conakry, avoisinant le port maritime de la capitale. Arrêté, torturé, jugé in absentia, il disparut dans le “Complot Ibrahima Diallo” (1960). — Tierno S. Bah

33. Seibold a été retrouvé mort dans sa cellule, suicidé, selon le gouvernement, exécuté, selon sa famille et le gouvernement de Bonn. Pour lui comme pour Adolf Marx, voir le chapitre 66.
34. Industriel et propriétaire de salle de cinéma à Labé, il fut l’un des rares Français qui acceptèrent de figurer avant l’indépendance sur les listes du Parti Démocratique de Guinée. Demarchelier devint ainsi député guinéen, vota « non » au référendum de 1958 et prit la nationalité guinéenne. En tant que Guinéen, il fut réélu comme député. Il occupa à l’Assemblée nationale guinéenne le poste de président de la commission des Finances.

Note. — Demarchelier fut, en 1957, l’un des cinq élus par la circonscription de Labé à l’Assemblée Territoriale de la Guinée française. Les quatre autres étaient : Saifoulaye Diallo, Mbemba Diakhabi, Amadou Teliwel Diallo, Mamadou Tanou Baldé. En octobre 1958, l’Assemblée Territoriale s’érigea d’abord en Assemblée Constituante avant de se proclamer la première Assemblée Nationale (1958-1963) de la République de Guinée. Saifoulaye Diallo présida toutes les trois législatures. — Tierno S. Bah

35. Pour Jean-Paul Alata, qui avait été déchu de la nationalité française, voir le chapitre 76.
36. Ce pont, que l’on appelle encore aujourd’hui à Conakry le « Pont des Pendus », s’élève à l’entrée de la route qui mène à travers la banlieue vers l’aéroport de Gbessia, et qui était appelée à l’époque de la Révolution : « Autoroute Fidel Castro, route infinie de l’histoire. »
37. L’envoyé spécial du quotidien communiste L’Humanité, Roger Lambotte, présent à Conakry depuis plusieurs jours, fait des réserves, dans l’édition du 28 janvier, sur le déroulement des procès, qui « bouleverse toutes nos conceptions des règles judiciaires », mais les explique par l’atmosphère de tension que vit la population de la capitale. En revanche, il affirme que « contrairement à ce qui a été écrit, il n’y a pas eu d’exécutions publiques », ce qui contredit l’évidence, de multiples témoignages, et même la radio « La Voix de la Révolution ».
38. Ismaël Touré dit à Alpha Abdoulaye Diallo « Porthos », lors de son interrogatoire début août 1971, qu’il est le 2.569ème prisonnier de la seconde vague (comme ce dernier le raconte dans on ouvrage déjà cité : La Vérité du Ministre).
39. Voir en annexe celui, trè complet, que dresse Maurice Jeanjean dans sa biographie de Sékou Touré. Une liste fort exhaustive est également publiée dans l’ouvrage d’Alsény René Gomez Camp Boiro : Parler ou Périr (L’Harmattan, 2007).
40. « France-Soir », 31 janvier/1er février 1971, sous le titre: « L’exemple que la France pourrait donner aux Africains ».