André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.
Paris. L’Harmattan. 2010. Volume 2. 263 pages
Chapitre 66. — 29 janvier 1971
Conakry rompt ses relations diplomatiques avec Bonn
Les deux Allemagne, celle de l’Ouest comme celle de l’Est, ont subi des conséquences dramatiques à la suite de ce débarquement réalisé en pleine nuit par des forces portugaises avec le concours actif de groupes d’opposants et d’exilés guinéens. Berlin-Est annonce le 23 novembre 1970 que le Dr. Siégeriez Krebs, Premier secrétaire à l’ambassade de la RDA à Conakry, a été tué lors de tirs nocturnes, et Helmut Fischer, attaché commercial, sévèrement blessé 42. A Bonn, on annonce la mort du Comte Ulf von Tiesenhausen, directeur depuis un an de la firme Fritz Werner auprès du projet des Usines Militaires de Conakry 43.
Un coopérant envoyé par la Poste allemande, Deuringer, est blessé devant son domicile, proche de la résidence présidentielle Belle-Vue. Au cours des combats, cette résidence, naguère offerte et construite pour Sékou Touré par l’Allemagne de l’Ouest, est sérieusement endommageée 44.
Le gouvernement de la RDA et diverses associations envoient immédiatement de messages de sympathie et de soutien à Sékou Touré et condamnent la tentative de débarquement. Selon le gouvernement guinéen, la RFA aurait gardé le silence, ce que dément Bonn, qui affirme avoir exprimé ses condoléances le 25 novembre, un jour après avoir proposé une aide médicale 45.
Le 27 novembre, Bonn exprime l’espoir de voir une commission internationale d’enquête faire la lumière sur ces événements. Cependant, à New York, les pays occidentaux (USA, Royaume-Uni, France — membres permanents — et Espagne) s’abstiennent lor que le Conseil de sécurité condamne l’agression et plus précisément le Portugal. Contre toute évidence, ce dernier pays conteste son implication, alors que celle-ci aurait à la rigueur pu se justifier par un droit de suite en terre guinéenne contre les combattants du PAIGC et par le désir de libérer les prisonniers portugais ou de Guinée-Bissau détenus à Conakry. Bonn renouvelle formellement sa condamnation le 9 décembre, à l’occasion de la réunion à Lagos d’une session extraordinaire de l’Organisation de l’Unité Africaine.
Le périodique Horoya-Hebdo du 26 novembre 1970 énumère les noms de trois étrangers « assassinés » et de huit blessés (il y a également un professeur italien et plusieurs yougoslaves), et il poursuit : « Il est superflu de souligner le caractère lâche et ignoble de tels crimes (…) Le Peuple guinéen s’incline pieusement devant ces innocentes victimes du cancer moral qu’incarne le colonialisme portugais. Ils sont tombés comme les nombreux Guinéens civils et militaires pour le même idéal de liberté et de fraternité humaine. Que leurs gouvernements et leurs Peuples trouvent ici l’expression de nos condoléances profondément attristées. »
Le 3 décembre, se référant aux événements qui viennent de se produire, l’ambassade d’Allemagne fédérale juge prudent d’adresser à tous ses ressortissants établis en Guinée une lettre circulaire pour leur rappeler un certain nombre de consignes générales à respecter en cas de tension ou de crise et leur conseiller l’attitude à prendre en cas de regroupement ou d’évacuation. Mais quelques jours plus tard, le ton change.
Le 8 décembre, Sékou Touré affirme dans un discours que la télévision allemande avait diffusé quelques heures seulement après le début de l’invasion du 22 novembre une émission pré-enregistrée dans laquelle on annonçait qu’il avait été renversé et qu’il fallait s’en féliciter.
Après vérification, l’ambassade démentit cette information, dont le ministre des affaires étrangères déclara qu’elle provenait d’étudiants guinéens vivant en Allemagne fédérale.
Le 29 décembre, Bonn révèle que 37 coopérants et experts allemands ainsi que leurs familles, au total une centaine de personnes, ont été expulsés sans préavis la veille 28 décembre, et qu’il viennent d’arriver à Francfort à bord d’un avion de la SABENA réquisitionné par le gouvernement guinéen. Parmi les expulsés figurent aussi 5 membres de la Bundeswehr qui servaient d’instructeurs auprès de l’armée guinéenne. On apprend également que le chef d’un projet de développement à Kankan, Hermann Seibold, a été arrêté le 18 décembre dans un hôtel de Conakry (où il se trouvait depuis trois jours) pour avoir fait des remarques désobligeantes sur le gouvernement guinéen 46.
Seibold dirigeait à Bordo, près de Kankan, un centre de formation professionnelle artisanale dépendant d’une ONG allemande, le Christliches Jugenddorf-Werk Goppingen. Aucun des membres du personnel de l’ambassade de la RFA n’a fait l’objet d’une menace d’expulsion.
On saura plus tard qu’Adolf Marx, directeur de la brasserie Sobragui, a lui aussi été arrêté, mais le 29 décembre 47 ; on l’accusera d’avoir volontairement freiné la production de son entreprise et on affirme que la « 5ème colonne » aurait voulu le pousser à empoisonner la population guinéenne en trafiquant la composition de sa bière 48 ; la veille, pressentant l’évolution ou informé par quelque source, Marx a vainement tenté de prendre l’avion avec les coopérants expulsés 49.
Le chargé d’affaires allemand Karl Walter Lewalter 50 a tenté en vain d’entrer en contact avec ses deux compatriotes arrêtés.
Le secrétaire d’État parlementaire Karl Mërsch déclare le 29 décembre que cette affaire ne peut reposer que sur une erreur ou une mauvaise interprétation. « D’après tout ce que nous savons, je ne puis que démentir catégoriquement que des Allemands soient mêlés en quoi que ce soit à ces troubles. »
L’ambassadeur Dr Johann Christian Lankes est rappelé à Bonn pour consultations ; il y arrive le 30 décembre. Le secrétaire d’État Sigismund von Braun révèle le même jour que Sékou Touré avait écrit le 17 décembre au président fédéral Gustav Heinemann pour lui faire savoir que cet ambassadeur était devenu inacceptable pour la Guinée en raison de son implication dans l’invasion du 22 novembre. Sékou Touré écrivait notamment :
« Soyez rassuré, Excellence, que le Peuple et le Gouvernement guinéens, qui apprécient positivement les rapports d’Amitié, de Confiance et de Coopération qu’ils ont noués avec le Peuple et le Gouvernement de la République Fédérale d’Allemagne, tiennent à la sauvegarde et au développement de ces rapports, malgré les vicissitudes qui en des moments donnés ont pu les affecter. Désirant en conséquence s’abstenir de toute prise de position publique, et soucieux par ailleurs d’éviter toute décision qui mettrait nos deux Gouvernements devant l’irréparable, nous vous prions, Excellence, de bien vouloir, et ce dans les meilleurs délais, rappeler Son Excellence JOHANN CHRISTIAN LANKES (en majuscules dans la lettre) qui, en raison des considérations précitées, ne mérite plus notre confiance.
(…) Le Gouvernement (…) serait très heureux de recevoir dans les meilleurs délais à votre convenance votre nouveau Représentant. »
Le 23 décembre, le président fédéral Heinemann avait répondu à son collègue guinéen que ces allégations étaient sans fondement et que les Allemands — et bien entendu leur ambassadeur « qui jouissait de toute sa confiance », n’avaient joué aucun rôle dans les événements de novembre ; il demandait cependant à l’ambassadeur Lankes de se rendre à Bonn et laissait au gouvernement fédéral le soin de tirer les conclusions de toute l’affaire 51.
Le 24 décembre, veille de Noël, un collaborateur de l’ambassade de Tchécoslovaquie peut prendre connaissance d’un document — censé provenir de Bonn — que lui montrent des diplomates est-allemands, et qui démontrerait la complicité de Bonn et de Lisbonne dans l’invasion. Plus tard, l’ambassadeur de Guinée au Caire, Alpha Ibrahima Diallo, confiera que la documentation avait été fournie au gouvernement guinéen par la RDA et que celle-ci contribuerait dans d’autres pays du Tiers-monde encore à démasquer le jeu pratiqué par la République fédérale.
Tolo Béavogui, qui fut le dernier ambassadeur de Guinée en RDA avant de prendre en 1990 la direction de l’ambassade de Guinée en Allemagne unifiée, affirme que « Les archives de La STASI ont confirmé en 1991 que la rupture entre La Guinée et La RFA était l’oeuvre des services secrets est-allemands 52.
Le 31 décembre, Radio Conakry diffuse une déclaration du Haut-Commandement 53, confirmant que des citoyens de la RFA sont mêlés au débarquement manqué et qu’ils ont travaillé comme espions. Ces groupes d’espionnage étaient sous la responsabilité d’un ancien officier SS criminel de guerre nommé Bruno Freitag, qui aurait pris le nom d’Hermann Seibold 54. Le centre de ces activités était Kankan, et l’ambassade elle-même aurait abusé de se privilèges diplomatiques pour se livrer au trafic de devises, à la contrebande d’armes, à la mise sur pied d’un plan de sabotage de l’industrie guinéenne.
Le 1er janvier 1971, Radio Conakry accuse pour la première fois l’Allemagne de l’Ouest de « complicité active dans l’agression portugaise contre La Guinée » et affirme qu’un réseau d’espionnage dirigé par d’anciens officiers SS avait été découvert. L’expulsion des techniciens allemands a été décidée par le Haut-Commandement Révolutionnaire 55 parce que l’enquête a révélé que les Allemands de l’Ouest avaient des contacts avec des Guinéens de l’extérieur pour provoquer des troubles et le renversement de Sékou Touré, qu’il avaient monté un réseau d’espionnage à Kankan et à Conakry pour former une 5ème colonne, que des ressortissants allemands avaient participé au débarquement du 22 novembre et qu’enfin, il existait un plan de sabotage industriel et d’opérations de contrebande d’objets d’art, de pierres précieuses, d’armes et de munitions sous couvert diplomatique de l’ambassade de la RFA. Le suicide, le 30 novembre, de l’ambassadeur de la RFA à Lisbonne, Hans Schmidt-Horix, était directement lié à l’échec de l’invasion 56. Le lendemain, l’ambassade proteste contre cette émission.
En revanche, Neues Deutschland, quotidien du SED de Berlin-Est, s’associe aux accusations guinéennes et publie plusieurs commentaires sur la politique africaine de la RFA, accusée d’être responsable, aux côtés des Etats-Unis, de la survie de régimes néocoloniaux.
Dans son message de Nouvel An pour 1971, Sékou Touré menace de fermeture immédiate les missions diplomatiques et sociétés commerciales impliquées dans des activités subversives. ll ajoute que tous les traîtres et agents impérialistes seront liquidés et que les éventuelles condamnation à mort ne seront pas commuées ; il renonce par avance à son droit de grâce.
Le 6 janvier, Erhard Eppler, ministre de la coopération économique, rappelle que c’est la première fois que l’ensemble des coopérants allemands sont expulsés d’un pays pour des raisons politiques. ll fait le bilan de l’aide publique fournie à la Guinée en douze ans : 87,4 millions de DM en aide au capital et à l’investissement, dont 55,5 millions déboursés à ce jour. Le montant de l’aide militaire, celui des investissements privés et les contrats commerciaux garantis viennent s’ajouter à ces chiffre.
Le chargé d’affaires remet le 11 janvier une nouvelle note demandant à avoir accès aux deux Allemands incarcérés pour leur garantir une protection consulaire ; il demande aussi des précisions sur les motifs de leur arrestation. La réponse — rapide — affirme simplement que les deux détenus sont bien traités et bien nourris.
C’est le 14 janvier seulement que le cabinet allemand se saisit officiellement de l’affaire. A l’issue de la réunion du conseil des ministres, le porte-parole fait la déclaration suivante :
« Les rapports germano-guinéens ont été au cours de ces dernières semaines gravement affectés par les accusations sans fondement et les mesures unilatérales du gouvernement guinéen ; une telle façon de procéder détruit naturellement les bases de la coopération que nous souhaitons… (Bonn) rejette catégoriquement la prétention du gouvernement guinéen selon laquelle des services officiels allemands auraient participé avec le Portugal à la préparation et à l’exécution de l’invasion de la Guinée; ces affirmations qui du reste ont également été émises par Berlin-Est, sont absurdes et insoutenables. »
De nombreuses déclarations de responsables guinéens (dont certains seront eux-mêmes arrêtés par la suite, comme Alassane Diop, alors secrétaire d’État à l’agriculture, Diallo Alpha Abdoulaye « Porthos », alors secrétaire d’État à la jeunesse et aux sports, Bangoura Mohamed Kassory, alors secrétaire d’État à la justice, Bangoura Karim, alors secrétaire d’État aux mines et aux transports) exposent parfois dans le détail leurs relations avec l’Allemagne fédérale et le plus souvent demandent la peine capitale pour les personnes arrêtés, y compris pour les « étrangers complices, principaux agents de la 5ème colonne » (quelques uns se contenteraient pour les étrangers des travaux forcés à perpétuité !) 57.
La plupart exigent la rupture des relations diplomatique avec les pays liés au débarquement, et beaucoup, tels Mamouna Touré, ministre-délégué de la Haute Guinée, n’hésitent pas à citer spécifiquement la RFA, « qui s’avère une dangereuse officine de subversion puisque nombreux sont ses ressortissants qui ont participé à la préparation et à l’exécution de l’agression criminelle contre notre Peuple. »
Radio Conakry annonce le 19 janvier qu’un des Allemands arrêtés s’est suicidé. En fait, la mort de Seibold — puisque c’est de lui qu’il s’agit — remonte sans doute à fin décembre ; immédiatement informé, Sékou Touré demande une autopsie (ce qui est exceptionnel pour les détenus politiques décédés) ; il ordonne qu’elle soit confiée au docteur Baba Kourouma, nommé depuis peu gouverneur de Conakry, et qui sera lui aussi détenu au camp Boiro de 1971 à 1980 ; celui-ci demande qu’un autre praticien l’assiste : ce sera un traumatologue bulgare. Tous deux constatent que Seibold, qui baignait dans une mare de sang, s’est tranché la gorge avec une lame de rasoir (mais une lame semble-t-il de fabrication chinoise, alors que la trousse personnelle contenait des lames de fabrication allemande) 58.
Une fois l’information donnée par Radio Conakry, Ismaël Touré précise devant l’Assemblée nationale qu’il s’agit de Seibold, dont la femme, qui faisait partie des familles expulsées, dira peu après qu’il n’était pas homme à se suicider et qu’il avait été battu à mort dans sa prison 59.
Ismaël Touré ajoute que Seibold était un ancien Nazi et qu’il avait été trouvé en possession d’une lettre de Nabi Youla, ancien ambassadeur à Paris puis à Bonn, prouvant ainsi la collusion entre l’opposition guinéenne et l’Allemagne de l’Ouest. Nabi Youla a déjà été condamné à mort par contumace deux années auparavant. Notons d’ailleurs au passage que plusieurs des personnalités guinéennes qui étaient en relations régulières avec la RFA ont été écartées des responsabilités ou le seront peu après ; elles seront détenues, comme Alassane Diop (arrêté en juin 1971, il sera libéré en janvier 1980 et retournera vivre au Sénégal) et parfois exécutées, comme Keita Fodéba (arrêté en avril 1969, il sera sans doute fusillé peu après).
Le 20 janvier, Bonn demande à on chargé d’affaire Karl Walter Lewalter de protester auprès du gouvernement guinéen pour n’avoir pas été autorisé à entrer en contact avec Seibold et de demander que son corps soit remis à l’ambassade pour être transféré en Allemagne. Le même jour, le ministre fédéral de la coopération économique, Erhard Eppler, déclare que Bonn avait à plusieurs reprises rejeté les accusations portées par la Guinée contre des Allemands travaillant dans le pays, mais qu’il n’était pas envisagé de rompre les relations diplomatiques tant que l’Allemagne avait des intérêts en Guinée ; toutefois, l’aide économique était suspendue. Il rappelle que c’est la première fois dans l’histoire de la coopération allemande qu’un tel sort est réservé à des coopérants.
Le 21, Walter Scheel, ministre fédéral des affaire étrangères, déclare au Bundestag qu’il avait des informations sérieuses selon lesquelles les Allemands de l’Est avait fabriqué de faux documents pour les remettre aux Guinéens — le chargé d’affaires guinéen à Bonn Sékou Top a en effet produit ce jour-là un document prouvant l’implication de la RFA. Mais le ministre affirme également que les relations diplomatiques doivent être maintenues : « Nous devons rester présents sur place afin de pouvoir être aux côtés des détenus. »
Le même jour, le président Gustav Heinemann, dans une conversation téléphonique avec Sékou Touré, en appelle à lui afin qu’il n’arrive rien d’irrémédiable à Adolf Marx ; tout ce qui peut être reproché à de citoyens allemands doit être examiné dans le calme ; que Sékou veuille bien mettre son éminente personnalité au service de la réalisation de ce voeu. Sékou répond que ce message sera transmis à l’Assemblée nationale, chargée de juger les détenus, et qu’il le tiendra informé. La presse allemande (notamment Die Welt) se déchaîne contre la « mollesse » du gouvernement, et met en cause la coopération africaine et la politique des « deux États en Allemagne », chère au Chancelier Willy Brandt, alors que les autorités de Pankow dénigraient, voire sabotaient, les positions et les actions de la RFA.
Le 22 janvier, la demande de remise du corps de Seibold est rejetée. Le 23 janvier, on apprend que l’Assemblée nationale, constituée depuis le 18 janvier en Tribunal révolutionnaire suprême, a prononcé 91 condamnations à mort, dont 33 par contumace, ainsi que 66 condamnations aux travaux forcés à perpétuité, parmi lesquels Adolf Marx et Seibold, dont le nom figure avec la mention : “Suicidé”.
Le lendemain, les sentences sont rendues publiques lors d’une grande manifestation de masse au stade du 28 septembre.
Le 24, Willy Brandt, le Chancelier fédéral, exprime l’espoir que les démarches internationales permettront de changer la sentence rendue contre Marx, « incroyablement sévère selon nos conceptions. »
Le 27 janvier, le ecrétaire général des Nations Unies, U Thant, demande des comptes sur le exécutions et sur le sort réservé aux étrangers.
Le 29 janvier, Radio Conakry annonce que la Guinée a rompu ses relations diplomatiques avec la République fédérale, et affirme que Sékou Touré a eu en mains des preuves irréfutables sur la complicité d’agents allemands avec le Portugal, ainsi que sur l’envoi de 500 commandos allemands en Guinée-Bissau pour lancer une nouvelle invasion contre la Guinée dans la région de Boké. Il qualifie de « pure farce » l’aide économique de la RFA, dont il déclare qu’elle était uniquement destinée à contrer celle de la Chine communiste. Bonn réfute évidemment ces allégations. La RFA aurait souhaité conserver des relations pour des raisons humanitaires, afin de pouvoir apporter une protection à Adolf Marx ; la Guinée avait pris sur elle, après douze années de bonne coopération, de rompre arbitrairement tous les liens encore subsistants.
Le 30 janvier, au cours d’une conférence de presse, Sékou Touré affirme que si Bonn et Paris livraient à la Guinée les Guinéens résidant dans ces pays et récemment condamnés, il pourrait remettre à la disposition de leurs peuple des Allemands et des Français condamnés. « C’est la seule fenêtre qui reste ouverte ; la grande porte est fermée », dit-il. Bonn réplique que s’il s’agit de Nabi Youla et de son ancien collaborateur Lelouma Diallo, l’un et l’autre condamnés par contumace, ils ne se trouvent plus sur le territoire de la RFA.
Les aveux en forme de déposition des principaux condamnés sont publiés, notamment dans trois “Livres blancs” intitulés L’agression portugaise contre la République de Guinée. Plusieurs d’entre eux 60 abondent en détail sur leurs relations avec les Allemands de l’Ouest et le « réseau SS-Nazis » ; les noms :
- des ambassadeurs Haas et Lanke
- des conseiller culturels le Docteur Reichard (un journaliste arrivé dès 1960 comme conseiller de presse mais aussi comme attaché culturel 61) et Madame von Rossein
- des chefs de projets ou experts Otto Lacks, chargé du laboratoire de Sily-Cinéma
- le docteur Voss, travaillant à l’hôpital Donka
- Eckert, un alsacien élevé en Allemagne et chef comptable des Usines Militaires de Conakry [ou encore] Klaus, chef mécanicien des mêmes UMC
- des responsables de firmes comme Montenbruck (Siemens) Willende, son successeur le Comte von Tiesenhausen (directeur de la firme Fritz Werner) Wolfgang Simon (directeur de Vereinigte Aluminium Werke)
- des coopérants du centre de Bordo à Kankan, comme Bock ou Fischer
[Ces noms] reviennent régulièrement. La déposition d’Adolf Marx est rendue publique dans le premier dea Livres blancs 62.
La publication de ces dépositions vise à démontrer que l’Allemagne fédérale a non seulement contribué aux événements du 22 novembre 1970, mais qu’elle était déjà mêlée directement au « complot Kaman Diaby » de février 1969 (qui aboutit entre autres à l’arrestation de Keita Fodéba), à la tentative d’assassinat de Sékou Touré par le jeune Tidiane Keita en juin 1969 (qui aurait reçu des Allemands un poignard pour le commettre, ainsi que bénéficié d’un entraînement pour s’en servir au lancer), ou même à une tentative d’empoisonnement à Kankan lors d’une visite médicale du président par le moyen d’un « poison allemand de la famille de l’adrénaline … qui devait provoquer une hémorragie cérébrale ou la folie » (sic: déposition du docteur Abdoulaye Diallo, chirurgien à l’hôpital de Kankan). Cet activisme contre le régime guinéen aurait eu alors pour motif essentiel le mécontentement de Bonn devant la transformation des missions commerciales de la RDA en consulats généraux (intervenue à Conakry en mars 1969), ainsi que leur analyse d’un renforcement de la position globale des pays communistes en Guinée. Le 1er février, Bonn annonce que l’Italie a accepté de se charger des intérêts allemands en Guinée, comme elle le fait déjà pour la Francé 63.
Le 10 février, Paul Frank, secrétaire d’État aux affaires étrangères, rappelle que pendant douze ans, une aide substantielle a été fournie au développement de la Guinée (qui tient le 7ème rang dans l’aide allemande aux pays africains) dans l’espoir de consolider les liens de ce pays avec l’Occident ou tout au moins de ne pas le laisser exclusivement entre les mains des pays de l’Est, mais que l’Allemagne de l’Est avait marqué des points en persuadant Sékou Touré à l’aide de documents habilement truqués. Pour se faire aujourd’hui une opinion objective sur toute cette affaire, il faudrait avoir accès à plusieurs séries de documents qui n’ont pas encore été rendus publics jusqu’ici, en particulier les archives de l’ancienne République démocratique allemande 64. La thèse d’un montage de la part des services secrets est-allemand est en effet, à mon avis, plausible, même si elle a pu s’appuyer sur une série de faits avérés ou de déclarations imprudentes émanant de guinéens ou d’étrangers mécontents de la situation intérieure et de l’évolution de plus en plus radicale du régime 65.
On voit mal en effet pourquoi la RFA, qui poursuivait depuis douze ans avec la Guinée une coopération profitable et active au point d’être parfois critiquée par la France, aurait brusquement changé d’orientation et compromis tout ce qu’elle avait obtenu et réalisé de positif. La reconnaissance par la Guinée de la RDA, quelques semaines avant le débarquement, a sans nul doute fortement déplu à Bonn, mais je rappelle qu’en 1970, sous l’impulsion de la nouvelle Ost-Politik menée depuis l’année précédente par le nouveau Chancelier (socialiste) Willy Brandt, les relations inter-allemande s’étaient considérablement améliorées 66.
Il n’y avait guère de raison de vouloir « punir » Conakry de cette manière. Mai on voit mal aussi pourquoi la RDA, qui venait d’obtenir enfin, après douze ans d’efforts, ce qu’elle souhaitait, avait à gagner encore d’une rupture de la Guinée avec la RFA Tout au plus, selon certains témoignages d’anciens diplomates est-allemands, a-t-on fait preuve de « Schadenfreude », c’est-à-dire que l’on s’est réjoui du malheur des autres.
On doit noter aussi, si l’on s’en tient aux dizaines de dépositions rendues publiques, la grande invrai emblance de bien des faits « révélés ».
L’appellation même de « réseau SS-Nazi » est absurde ; le manque absolu de professionnalisme des principaux responsables prétendus de ce « réseau » apparaît éclatant ; le seul fait de donner à l’un de leurs éventuel agents la liste complète des autres sympathisants, contacts, amis et complices, témoignerait d’un amateurisme peu crédible de la part de membres des services secrets ouest-allemands ; les sommes prétendument allouées pour services rendus, en particulier à certain cadres très modestes, sont invraisemblablement élevées et au surplus totalement injustifiées, compte tenu de la modestie des prestations relatées ; le nombre et la qualité des participants à des « réunions secrètes » rendent toute confidentialité illusoire ; les soi-disant confidences partagées entre tant de personnes plusieurs mois avant telle ou telle tentative de coup, d’assassinat ou de complot, la quantité de personnes assistant à des entraînements d’assassins en puissance, le fait, plusieurs fois mentionné, que « les Libanais » sont au courant des projets et favorables aux complots, sont également des éléments illustrant le peu de crédit à prêter à ces affirmations. Une partie de l’argumentation et de la phraséologie employées dans le rapport ressemble étrangement à celles utilisée couramment en RDA (par exemple le fait de qualifier les Allemands de l’Ouest de « revanchards ») et certaines tournures paraissent carrément traduites — sans élégance ni précaution — de l’allemand. Bien des cachets, des sigles, des noms, des fonctions, des numéros de série de correspondance utilisés dans ces documents, sont inexacts ou obsolètes.
Il n’est jusqu’à la touche sexuelle « à la James Bond » que l’on a voulu donner à tel ou tel témoignage qui ne prête à sourire : un certain Camara Baba, dont ni la photo, ni l’âge (il est né en 1915), ni les fonctions (c’est un ancien directeur général de l’Office de la banane devenu directeur de cabinet du ministre du commerce puis gouverneur) ne font penser à un irrésistible Don Juan.
Elhadj Baba Camara
[Il] affirme dans sa longue déposition que lors de leur première rencontre, Madame von Rossein, attachée culturelle de l’ambassade de l’Allemagne fédérale, « m’a demandé si je pouvais venir un soir chez elle pour prendre un pot. J’ai accepté bien volontiers l’offre qu’elle m’a faite, surtout en tant qu’homme se trouvant en présence d’une femme aussi jolie que Madame von Rossein. Je n’avais donc aucune arrière-pensée en allant le lendemain soir chez elle, sinon le désir d’un homme qui voulait passer une soirée agréable auprès d’une jolie femme. C’est ainsi que lorsqu’elle était dans mes bras et que je l’embrassais, Madame von Rossein m’a confessé qu’elle était en réalité la responsable des services secrets allemands en Guinée et qu’elle était de ce fait la deuxième personnalité de l’ambassade, mais que pour cacher ses véritables fonctions, on la disait simplement chargée de la section culturelle. Elle a ajouté qu’elle avait déjà des guinéens dans ses services secrets… » Elle aurait ce soir là murmuré quelques noms de cadres guinéens, suivis quelque temps plus tard de l’identité des principaux « amis de la RFA ». Confidences ur l’oreiller, là encore peu crédibles de la part d’une professionnelle qui serait réellement re pensable de services secrets.
Je ne veux pas par ces remarques mettre en doute la réalité de multiples tentatives de complots contre le régime de Sékou Touré ou contre sa personne, ni celle du débarquement du 22 novembre 1970, mais simplement exprimer mes doutes quant à l’ampleur d’un engagement ouest-allemand de cette envergure, et aussi ma perplexité quant à ses éventuelles motivations. Pourtant, d’anciens diplomates de la RDA, depuis longtemps retraités ou reconvertis dans d’autres activités, continuent aujourd’hui encore à privilégier la thèse d’une implication forte de la RFA et de ses ressorti sants, et affirment que la plupart des documents produits n’ont pas pour origine la RDA ; celle-ci e serait contentée de fournir des compléments d’information 67.
Cette opinion contredit plusieurs témoignage en sens contraire que nous avons évoqués plus haut. Ainsi, quarante ans après ces tragiques événements et vingt ans après la réunification de l’Allemagne, on n’en est pas encore à une lecture sereine et consensuelle des causes et des responsabilités de cette tragique affaire 68.
Notes
42. Après les premier coups de feu et le premiers blessés, Siegfried Krebs accompagné d’Helmut Fischer, partit à la recherche de secours au volant de sa voiture. Sur la corniche de Donka, les assaillants tirèrent sur son véhicule, le blessant grièvement au côté et au bas-ventre; Fischer fut atteint d’un projectile dan le dos. Ils réussirent à se rendre jusqu’à la résidence des experts est-allemands de l’imprimerie Patrice Lumumba non loin de là, d’où ils furent transportés à Donka entre les mains de médecins de la RDA. Krebs, très sérieusement atteint, décéda pendant l’opération, rendue encore plus difficile par une panne de courant. Fischer fut évacué ultérieurement à Berlin et ne revint pas en Guinée après sa guérison. En tant que consul, Heiner Schmid, accompagné d’un chauffeur, fut chargé par l’ambassadeur Fritsch de faire le tour des familles pour vérifier leur situation ; au cours de sa tournée, il fut stoppé par des mercenaires (qui parlaient anglais, selon Heiner Schmid) ; le véhicule fut bloqué et les deux hommes durent poursuivre à pied (témoignage téléphonique de Heiner Schmid, 10 février 2000).
43. Tué « accidentellement par ses complices portugais, parce qu’ils l’avaient pris pour Amilcar Cabral, le leader du PAIGC, qui avait une Volkswagen de la même couleur que la sienne! », affirment les enquêteurs guinéens. Selon la version de Bonn, Tiesenhau en reçut vers 4 heures du matin un coup de téléphone d’un de ses collaborateurs et malgré les instance de a femme, il prit a voiture, une Volkswagen de la même couleur que celle des véhicules du PAIGC, pour s’enquérir du sort de collaborateur qui ne pouvaient être contactés par téléphone. Stoppé en cours de route, il descendit de voiture et fut tué par derrière d’une rafale de mitraillette. Les deux versions ne sont pas totalement contradictoires.
44. Elle est considérée comme propriété personnelle de Sékou Touré. D’ailleurs, Madame Andrée, la veuve de l’ancien Président, a contesté l’utilisation de cette résidence par le nouveau régime guinéen aprè 1984 en arguant justement de son droit de propriété.
45. La Fondation Friedrich-Ebert a été chargée d’acheminer par avion des médicaments, de pansements et des équipements de première nécessité, selon les indications fournies au Docteur Kremer, représentant de la Fondation à Conakry par le Docteur Accar, responsable de l’hôpital Donka.
[Erratum. — Ancien ministre de la santé publique, Dr. Roger Najib Accar était médecin-chef de l’hôpital Ignace Deen, ancien hôpital Ballay, à Conakry-centre dans la presqu’île de Tombo. Voir volume 1, chapitre 1, note 22. — T.S. Bah]
46. En même temps que Seibold était arrêté un Français nommé René Cazaux (certains documents l’écrivent « Cazau »), établi en Guinée dès avant la guerre, l’un des fondateurs du parti communiste en Guinée, interné sous Vichy et membre du Groupe d’études communistes de Kankan en 1945-46. Cazaux, qui s’occupait de constructions métalliques, était logé à Bordo dans un logement voisin de celui de Seibold. Les deux familles avaient noué des relations de voisinage et une idylle était née entre deux de leurs enfants – le couple Seibold avait une fille. Pour ce seul fait, Cazaux fut arrêté et passa plusieurs année au camp Boiro, bien que l’arrêt du tribunal révolutionnaire suprême en date du 23 janvier 1971 l’eût classé parmi les « libérés san condamnation ». Il fut finalement libéré le 30 décembre 1973, en même temps qu’un autre Français, Jean-Yves Chailleux, à l’occasion de la visite à Conakry d’une délégation du Parti communiste français, dirigée par un membre du comité central, Paul Courtieu ; mais, atteint d’un cancer, il mourut peu après son retour en France (Documentation personnelle et lettre du professeur Jean Suret-Canale à l’auteur, Il octobre 1999).
47. Selon certains témoignages, sa compagne guinéenne, Mariam Kassé, fut également arrêtée et détenue au Camp Boiro ; elle y aurait été détenue avec un très jeune enfant. L’ambassade d’Allemagne fédérale à Conakry n’en a pas eu connaissance, semble-t-il.
48. Il y avait même, selon certaines dépositions, un « groupe d’empoisonnement de la bière » ; mais Marx affirme qu’il a toujours refusé cette éventualité ; en revanche, il a reconnu dans sa déposition avoir artificiellement perturbé la production de son usine en arguant de la pénurie de houblon et de divers autres problèmes d’approvisionnement et de pièces détachées. Le demi-frère de Sékou, Ismaël Touré, avait visité la SOBRAGUI quelques semaines avant ces événements et ces accusations, et avait semble-t-il beaucoup apprécié ce qu’il y avait vu.
49. C’est du moins ce qu’affirment les archives allemandes. Dans son livre, Marx n’écrit pas qu’il a tenté de quitter la Guinée à ce moment là, d’autant qu’il avait convoqué pour le lendemain 29 décembre le conseil d’administration de sa brasserie. Mais il mentionne qu’il a rencontré à l’aéroport MM. Lewalter et Feigt, tous deux membres de l’ambassade de la RFA, venus assister à l’embarquement de leurs compatriotes ; peut-être a-t-il évoqué avec ces deux diplomates son éventuel désir de partir?
50. Karl Walter Lewalter, entré au ministère fédéral des affaires étrangères en 1964, y a fait une brillante carrière, au consulat général de New York et à la mission d’observateur de la RFA auprès de l’ONU, puis au service du désarmement ; il est nommé à l’automne 1967 conseiller à Conakry. Après la rupture des relations diplomatiques en janvier 1971, il rejoint le ministère à Bonn et devient en 1976 chef de cabinet du ministre Hans-Dietrich Genscher.
Conseiller à Madrid de 1979 à 1984, il est nommé, après un temps à la direction générale des affaires politiques, ambassadeur de la RFA en Bulgarie (1987-91), puis en Indonésie (1991-94), responsable du département Asie au ministère, puis inspecteur général des postes diplomatiques et consulaires ( 1996-99) et enfin représentant permanent de l’Allemagne auprès des Nations unies à Genève de 1999 à 2003, date à laquelle il part à la retraite.
51. Certains organes de presse allemands estiment que celui-ci a commis une « faute professionnelle » en n’informant pas correctement son gouvernement de l’évolution rapide de la situation. L’ambassadeur Lankes n’est d’ailleurs pas au bout de ses peines. Nommé ensuite au Liban alors que ce pays vit des jours particulièrement difficiles, il est ultérieurement nommé secrétaire général adjoint de l’OTAN, puis ambassadeur en Éthiopie ; il en est expulsé en janvier 1978, car le gouvernement d’Addis Abeba estime qu’il a fourni à Bonn des informations partiales sur la situation qui prévaut dan le pays et sur ses relations avec la Somalie. Il terminera sa carrière comme ambassadeur en Thaïlande.
52. Lettre de Tolo Béavogui à l’auteur, 26 février 2000. De son côté, l’ancien chef des services secrets est-allemands, Markus Wolf, que j’avais interrogé, m’a assuré qu’il ne s’était jamais rendu lui-même en Guinée, contrairement à ce que certaines sources m’avaient affirmé (e-mail de Markus Wolf à l’auteur, 12 décembre 2001).
53. Voir le texte en annexe 1.
54. Si un coopérant allemand répondant à cette description a effectivement existé, il aurait quitté la Guinée depuis plusieurs années, selon des indications données par les autorités fédérales à l’ambassade de France à Bonn (dépêche déjà citée de cette ambassade). Il est par contre évident que pour Conakry, Freitag et Seibold ne sont qu’une seule et même personne. Une biographie sommaire de Hermann Seibold, établie par les services de l’ambassade de la RFA à Conakry, figure en annexe.
55. Le texte intégral du « Communiqué du Haut-Commandement » figure en annexe. Il en est de même des passages e sentiels du « Rapport sur l’agression impérialo-portugaise » publié le 19 janvier 1971.
56. Ce suicide intervenant à cette date est en effet troublant, mais il semble que le corps diplomatique allemand ait été sujet, en cette période, à une véritable « vague » de suicides. Il faut noter que l’épouse de l’ambassadeur à Lisbonne s’est elle aussi suicidée en même temps que son époux.
57. La lecture des trois Livres blancs publiés de mar 1971 à septembre 1972 et imprimés à l’imprimerie Patrice Lumumba de Conakry (rappelons qu’elle fut construite par l’Allemagne de l’Est) est particulièrement intéressante à cet égard. La plupart de ces textes avaient déjà été publié dans Horoya.
58. Conversation du docteur Baba Kourouma avec l’auteur, en présence d’un autre ancien détenu du Camp Boiro, Sékou Fofana, Conakry, 27 avril 2008.
59. Un ancien ministre guinéen (de la période d’après 1984) m’a affirmé en 1999 que Seibold portait sur lui une ampoule de poison, et que c’est ainsi qu’il se serait suicidé. Il y a de nombreuse années, à la fin des années 70, Ismaël Touré, qui fut en 1971 directement mêlé aux interrogatoires de la commission nationale d’enquête, affirma à la fin de années 70 au conférencier que « personne plus que lui n’avait regretté le suicide de Seibold, car ses interrogatoires étaient bien loin encore d’avoir apporté tous les faits et toute les révélation utiles ». Enfin, Madame Eliane Gemayel, arrêtée en même temps que on mari William Gemayel, mais relâchée et expulsée de Guinée au bout de quatre jours, m’a dit que, « le jour de son anniversaire » (soit le 28 décembre), elle avait vu Seibold dans un bureau du camp Boiro en train d’écrire de papiers (sans doute a « déposition »), et que le soir même, le bruit avait couru parmi les prisonniers qu’un Allemand était mort ; Seibold serait donc mort, exécuté ou suicidé, le 28 décembre. C’est aussi ce jour-là qu’une quarantaine d’experts et coopérants allemands ainsi que leurs familles ont expulsés de Guinée. Je note qu’Adolf Marx a été arrêté le lendemain : le comité révolutionnaire avait peut-être besoin d’un Allemand de la RFA vivant pour corroborer ses accusations contre Bonn. Voir en annexe 2 le témoignage de Moussa Keita, à l’époque commandant adjoint du camp Boiro, contradictoire avec l’autopsie.
60. Comme Noumandian Keita, alors chef d’état-major interarmes ; Alpha Amadou Diallo, alors secrétaire d’État à l’information ; Magassouba Moriba, ancien [ministre] secrétaire d’État à l’intérieur et à la sécurité ; Barry III, ancien secrétaire d’État au contrôle financier ; madame Camara Loffo, sage-femme, ancien ministre ; Théodore Soumah, ancien directeur général adjoint de la Banque guinéenne du commerce extérieur; le docteur Kozel, dentiste tchèque installé à Kankan ; Jean-Paul Alata, ressortissant français déchu de sa nationalité et devenu guinéen, ancien directeur des affaires économique à la présidence de la République ; Monseigneur Raymond-Marie Tchidimbo, archevêque de Conakry ; Bama Marcel Mato, ancien secrétaire d’État à l’intérieur et à la écurité; Mamadi Sagno, ancien secrétaire d’État à l’éducation nationale… Plusieurs d’entre eux seront exécutés.
61. Voir en annexe le texte (en allemand) d’une note « d’ambiance » un peu naïve dictée par le Dr. Reichard le 12 juin 1962 sur les problèmes de coopération avec le autorités administrative guinéennes. L’auteur a pu se procurer ce document grâce à une ancienne secrétaire de l’ambassade de la République fédérale d’Allemagne à Conakry, qui y a travaillé pendant plusieurs années au début des année 1960.
62. Comme celle de autres détenus, la déposition d’Adolf Marx, après avoir été écrite par lui dans les conditions atroces relatées dans son livre, est enregistrée au 17ème jour de sa détention et diffusée à mainte reprise sur le ondes de « La Voix de la Révolution », depuis les studios offerts naguère par la République fédérale allemande. Son texte figure en annexe.
63. Lors de la rupture des relations en novembre 1965, la France avait demandé au Sénégal de représenter ses intérêt ; après avoir dans un premier temps accepté, Senghor avait finalement renoncé, sentant que les relations du Sénégal et de la Guinée étaient elles-mêmes fragiles — elles seront d’ailleurs rompues peu après. C’est donc finalement à l’Italie que Paris avait demandé, comme l’a fait l’Allemagne fédérale, de représenter les intérêts français à Conakry.
64. Les ouvrages d’historien guinéens ne retiennent pas eux non plus la responsabilité de la RFA dans ces événements, même s’ils mentionnent la probabilité que les service secrets occidentaux se soient tenus informés d’un certain nombre de faits ou de renseignements. Voir Sidiki Kobélé Keita, Qui a organisé l’agression du 22 novembre 1970 contre la Guinée ? (Editions universitaires, Conakry, 1993, p. 123).
65. Les révélations faites, même si ce fut à la suite de tortures, par certains des inculpés de la « 5ème colonne », et rendues publiques dans les Livres Blancs, donnent quelques informations qui peuvent refléter la vérité, mais dont l’interprétation est sujette à caution : Adolf Marx, par exemple, était supposé collectionner des armes, ce qui exact, mais uniquement des armes de chasse, en principe.
66. Le 19 mar 1970 avait eu lieu à Erfurt la première rencontre entre le Chancelier fédéral Willy Brandt et le Président du conseil des mini tres de la RDA Willi Stoph ; le 12 août, le traité germano-soviétique de Moscou reconnaissait comme inviolables les frontières de tous les États d’Europe. Ce premier actes essentiels étaient suivis le 3 septembre 1971 d’un accord des quatre puissances alliée sur Berlin, et le 26 avril 1972 d’un traité inter-allemand sur la circulation des personnes, puis le 7 novembre d’un traité inter-allemand normalisant les relation entre RFA et RDA. En septembre 1973, les deux États allemands, jusque là observateurs, devenaient membres de l’ONU. Willy Brandt ayant reçu le 20 octobre 1971 le prix obel de la Paix pour toutes ces initiatives, Seydou Keita, ambassadeur de Guinée en Europe occidentale, basé à Rome, protesta contre cette attribution à l’occasion du 25ème anniversaire de l’UNESCO, en affirmant que « le gouvernement guinéen a la preuve certaine de la participation de l’Allemagne de l’Ouest dans l’agression coloniale du 22 novembre. » (Marchés Tropicaux, 13 novembre 1971). De son côté, le 21 octobre, à Conakry, Saïfoulaye Diallo, ministre d’État chargé du domaine des affaires extérieures, proteste auprès du ministre suédois de affaire étrangères contre l’attribution du prix Nobel de la Paix au chancelier fédéral allemand Willy Brandt.
67. C’est en particulier ce que déclare Madame Eleonora Schmid (conversations téléphoniques avec l’auteur, 10 et 12 février 2000).
68. J’hésite à faire mienne la thèse exprimée par Joachim Voss, représentant en Guinée de la Fondation (social-démocrate) Friedrich-Ebert en 1968-69, dans son ouvrage: Der progressistische Entwicklungsstaat. Seine rechts und verwaltungstechnische Problematik. Das Beispiel der Republik Guineas (Hannover. Verlag für Literatur und Zeitgeschehen. 1971. 448 p., no. 81 dans les Cahiers de la Fondation), et qui semble plausible à Jean Suret-Canale (“Chronique de Guinée” in Cultures et développement, revue de l’Université catholique de Louvain, volume X-2-1978), à qui nous empruntons la citation ci-après. Selon cette théorie dont je reconnais qu’elle est séduisante, « la rupture avec la RFA serait l’aboutissement d’un processus de détérioration des relations ayant atteint son point crucial avec la reconnaissance en septembre 1970 de la RDA. La RFA y aurait répondu dans les formes habituelle en pareil cas, ce qui aurait été considéré par la Guinée comme un chantage insupportable. Nous serions d’accord avec lui pour penser que, par delà la réalité des faits reprochés aux ressortissants ouest-allemands, la Guinée, comme elle l’avait fait pour l’URSS en 1961 et pour les USA en 1966, a saisi l’occasion pour porter un coup d’arrêt à une présence — la RFA « encadrait » l’armée et la police guinéennes — dont le poids paraissait excessif. » Je ne vois pas en quoi la RFA a répliqué autrement que par des protestations à la reconnaissance de.