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Paris, 1987, JA Presses.
Collection Jeune Afrique Livres. Vol. 3. 254 pages

Avant Propos
Un Destin Manqué

Levons tout de suite une éventuelle équivoque sur le statut de l’auteur de cette biographie : je n’ai rien eu de commun avec Sékou Touré, qui m’a contraint à vingt-cinq ans d’exil.

  • Il y a vingt ans, il a tenté de me faire assassiner par son homme de main, le redoutable Momo Jo. Dépêché à Paris pour accomplir son forfait, celui-ci s’est trompé de cible: il apoignardé mon jeune frère, Alioune Kaké, rue Daubenton, un après-midi de septembre 1966. Sans une intervention rapide de police-secours et une intervention encore plus rapide de l’équipe chirurgicale de l’hôpital Cochin, mon frère mourait; c’est par miracle qu’il a survécu.
  • En novembre 1970, après le débarquement manqué des Portugais à Conakry, par une sorte d’amalgame, exercice dans lequel il était passé maître, il m’impliqua dans l’opération et me fit condamner à mort par contumace
  • En septembre 1982, profitant de sa première et unique visite officielle en France, il tenta de me faire enlever en plein Paris, place de la Madeleine, par un commando de la mort constitué du personnel diplomatique de l’ambassade de Guinée :
    • le consul Inapogui Daoro
    • le premier secrétaire Bah Amadou Tidjane Djourbel
    • le comptable Diallo Chérif

Sans la vigilance de la préfecture de Police, qui avait eu vent de l’affaire et avait mis deux policiers déguisés à mes basques, je ne serais plus de ce monde.
Non, je n’ai décidément rien de commun avec cet homme autocrate, ennemi des Droits de l’homme, si ce n’est le pays natal. Aussi, lorsqu’on m’a proposé la rédaction de sa biographie, ai-je demandé un délai de réflexion. J’ai consulté mes amis pour recueillir leur avis. Les uns m’ont dissuadé de me lancer dans l’entreprise.
Leur argument ? J’ai toujours été un opposant au régime de Sekou. Mon ouvrage ne risquerait-t-il pas de tendre vers le pamphlet, une sorte de réglement de comptes peu crédible ? Les autres m’ont plutot encourage, m’incitant simplement à écrire en historien non en ancien opposant. Il est temps, m’ont-ils fait remarquer, que les Guinéens commencent à étudier cette période de leur histoire avec sérénité. C’est ce dernier avis qui a prévalu et qui m’a déterminé à tenter l’aventure.

Mais que signifie écrire un livre en historien ? Proposer un ouvrage qui, autant qu’il est possible, satisfasse les exigences de la methode scientifique en donnant plus de place aux faits qu’aux sentiments et autres ressentiments. Sékou Touré était un homme de passion et il est difficile de parler d’un tel homme sans passion. Comme tous les personnages charismatiques, il a des admirateurs inconditionnels et des adversaires irréductibles. Mais combien de gens parmi ceux qui le louent ou le blament connaissent reellement l’itinéraire de l’ancien maître de la Guinée ? Très peu.