L’homme du troupeau du Sahel d’Alioum Fantouré

Alioum Fantouré. L’homme du troupeau du Sahel

Paris, Présence Africaine, 1979, 295 p.


L’Harmattan. Paris, 2005. 175 pages
Notre Librairie
N°88/89 Juillet-septembre 1987. Pages 184-85


L’univers colonial est un champ immense d’inspiration pour les écrivains africains et spécialement pour ceux de la génération d’Alioum Fantouré. Ce roman de l’auteur du Cercle des Tropiques nous offre une peinture éclatante et pleine de vitalité d’une époque riche en événements, anecdotes et faits divers. La situation que vivent ses personnages, leurs déclarations et réflexions appartiennent partiellement aux propres souvenirs d’Alioum Fantouré : il a vingt ans, en effet, au moment où la Guinée dit son non historique à la Communauté et, c’est à vingt-cinq ans qu’il jubile aux soleils des indépendances africaines pour utiliser le terme d’Ahmadou Kourouma.
L’homme du troupeau du Sahel nous fait revivre surtout les années de la seconde Guerre Mondiale en terre africaine. La part de l’Afrique Noire dans la victoire des Alliées est une des pages oubliées de notre histoire : ce livre rappelle les pertes en vies humaines sur tous les fronts de la bataille et insiste sur les travaux forcés imposés à cette époque comme effort de guerre : les bergers du Sahel devaient livrer gratuitement une partie de leur bétail aux abattoirs de la colonie dont la viande approvisionnait les soldats alliés.
Mais la pensée de l’auteur dépasse le cadre étroit de l’ancienne Afrique française et des années de guerre. Il nous donne quelques clichés, devenus classiques, du Blanc en Afrique coloniale et nous fait part de ses réflexions sur les dirigeants de l’Afrique actuelle.
C’est dans un collège de Dakar, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, que nous rencontrons le premier et grand personnage du roman : Mainguai, un jeune colonisé du Sahel Atlantique, prépare son baccalauréat en philosophie au milieu de jeunes métropolitains auxquels le collège est destiné. C’est un brillant élève qui inspire sympathie et admiration à ses copains. Mais, un jour, le surveillant le surprend à lire un livre interdit aux colonisés. L’auteur de ce livre ? Karl Marx… La suite est brutale : conseil de discipline du collège, discussion, renvoi d’office et immédiat du collège ; le recours introduit auprès du Gouverneur de l’A.O.F. échoue.
Mainguai quitte Dakar. Il a dix-neuf ans et s’essaie à plusieurs métiers, fait quelques séjours en cellule jusqu’au jour où un administrateur se décide à l’incorporer dans l’armée coloniale au moment où éclate la Seconde Guerre mondiale. Tirailleur africain, Mainguai participe aux combats en Europe, puis regagne l’Afrique après l’Armistice et est affecté en Afrique Equatoriale Française. Une réponse insolente à un adjudant lui vaut une garnison disciplinaire en pleine forêt équatoriale. C’est là qu’il connaît la pénible réalité de la mouche tsé-tsé et assiste, impuissant à la mort de beaucoup de ses compagnons.
Puis il est chargé en A.O.F. d’une unité d’éclaireurs qui doit démanteler le réseau du trafic du bétail dans la région frontalière Niger — Côte-d’Ivoire — Guinée — Liberia. Ce trafic est entretenu par un groupe de Blancs qui escroquent les Sahéliens, en complicité avec certains grands chefs coutumiers de la région. Il faut retrouver le troupeau du Sahel, aux mains des trafiquants.
En réalité, Mainguai découvre, à la fin de l’opération, que le troupeau ne sera pas remis aux bergers, mais rejoindra les abattoirs de Conakry et les bateaux-usines frigorifiques qui approvisionnent les soldats alliés. Après avoir vainement tenté de faire indemniser les Sahéliens soumis à l’ordre de réquisition applicable à tous les indigènes, Manguai assiste à l’échec de l’opération : les bêtes se dispersent en forêt. Le troupeau du Sahel est perdu pour toujours. L’unité Tsé-Tsé disparaît. Tous ses membres partent au champ de bataille. Seuls Mainguai et Lamine-Dérété en reviendront.
A la démobilisation, Manguai trouve une place à la compagnie des Chemins de fer, mais il perd son emploi pour avoir organisé une grève et est interdit de séjour en Afrique Occidentale Française …

Au niveau de l’écriture, le roman est d’une facture moins belle que celle du Cercle des Tropiques. La verve poétique et l’imagination sont sacrifiées au profit de la narration et de la réflexion politique. Mais c’est un excellent roman historique sur l’époque coloniale. Un élément reste permanent dans la pensée de l’auteur : son attachement à l’Afrique profonde. Comme dans Le Cercle des Tropiques, il parle très souvent du “continent natal, de la “terre natale, des “idées propres à l’univers africain”. Mais il songe aussi à l’avenir : citons cette réflexion qui sort de la bouche du cheminot Lamine-Dérété s’adressant à Mainguai.

« Tu n’es pas un envahisseur intérieur, car, crois-moi ou ne crois pas, il n’y aurait pas pire enfer pour les Africains que de se voir libérés un jour du joug colonial par des compatriotes qui se transformeraien en nouveaux maîtres. Ces derniers seront pires que les colons, car ils ne pourront pas être exclus du pays. Cependant, ils s’offriront toujours le luxe cruel de chasser les enfants du pays de leurs ancêtres, afin de les exposer au désespoir des hommes sans attaches et sans sève nourricière. »

Ntambwe Luadia-Luadia