La Guinée d’André Lewin

Paris. Presses Universitaires de France, 1984, 127 p.
(Collection Que sais-je?)


L’Harmattan. Paris, 2005. 175 pages
Notre Librairie
N°88/89 Juillet-septembre 1987. Pages 198-200


La Guinée, capitale Conakry, est un de ces pays d’Afrique dont l’histoire reste mal connue du grand public. Depuis le vote négatif de cette ancienne colonie française au référendum du général De Gaulle en 1958, la Guinée a vécu pendant plus de vingt ans repliée sur elle-même. Historiens, géographes et autres économistes et journalistes l’ont ignorée. Aussi très peu de travaux scientifiques lui ontils été consacrés. Excepté l’ouvrage désormais classique de Jean Suret-Canale, La République de Guinée, on ne trouve guère sur la Guinée que quelques essais politiques émanant d’ opposants au régime de Sékou Touré et faisant très peu cas de l’évolution historique du pays.
L’ouvrage que publie André Lewin dans la collection “Que sais-je ?” comble partiellement une lacune. Certes, les dimensions imposées par cette collection ne permettent pas de traiter de façon exhaustive l’histoire de la Guinée des origines aux années 1980.
L’auteur, président de l’ Association d’Amitié France-Guinée, est diplomate de carrière. Il joua un rôle primordial dans la réconciliation francoguinéenne en 1975 après dixsept ans de brouille entre l’ex-colonie “rebelle” et la métropole. Nommé ambassadeur de France en Guinée, il se lia d’amitié avec Sékou Touré pour lequel il nourrit une réelle sympathie. Cette sympathie, son ouvrage en garde la marque à toutes les pages.
Après avoir brossé le tableau géographique du pays, “ce paradis, où l’on ventait, des autres colonies respirer un air plus sain et plus frais”, il en étudie la population dont le taux de natalité est l’un des plus élevés du monde. Jusqu’en 1980, la population rurale représente plus de 80 % de la population totale. L’urbanisation ne cesse de s’accentuer: Conakry qui comptait 100 000 habitants au moment de l’indépendance en compte 600 000 en 1980.
Trois ethnies se partagent l’espace guinéen : par ordre d’importance numérique : les Peuls au Fouta Djallon (Moyenne Guinée), les Malinkés (Haute-Guinée). les Soussou (Basse Guinée). Un quatrième groupe est constitué par ceux qu’on appelle ici les Forestiers: il s’agit de Kissien, Toma, Guerzé (ou Kpellé). Puis viennent quelques petits groupes isolés tels les Baga (les plus anciens habitants de la Guinée 1), les Nalou, les Landouma, les Mikhiforé, les Tyapi, les Bassari, les Coniagui.
L’auteur ramasse ensuite en 37 pages (pp. 25-61) toute l’histoire précoloniale et coloniale de la Guinée, ce qui est vraiment une prouesse. Il ne peut s’agir évidemment que d’un simple survol. Pour un meilleur éclairage de son idée principale, à savoir le rôle de Sékou Tou ré dans la constitution de la Guinée moderne, il privilégie certaines séquences de l’histoire précoloniale, telle la résistance à la colonisation de l’Almamy Samori, l’ancêtre du leader guinéen
Dans l’ensemble, les grandes lignes de cette histoire sont bien retracées. On notera néanmoins quelques petites erreurs compréhensibles chez un homme qui ne baigne pas dans la culture ambiante. Ainsi à la page 39 : “Samory est arrêté par le Capitaine Gouraud en 1898, sera condamné à l’exil et mourra au Gabon en 1900, suivi de peu par son second, Morifidyan Diabaté ». Ce dernier est le griot de l’Almamy et ne peut en aucune façon être son second. Le griot est le chroniqueur, parfois le conseiller des souverains mandingue.
L’essentiel de l’ouvrage est consacré à Sékou Touré. Que retenir de cette vie mouvementée? L’activité syndicale du leader guinéen est à replacer dans le contexte colonial de l’après-guerre.
A cette époque, il existait deux types d’organisations politiques en Guinée : d’une part, de simples appendices des partis de la métropole au sein desquels les Français et les “évolués”, étaient seuls autorisés à militer. Des organisations d’un autre type étaient ouvertes aux Guinéens, plus populaires mais fondées sur une structure ethnique et régionale : par exemple l’Union mandingue pour la Haute Guinée, ou l’Association Gilbert Vieillard … C’est dans ce contexte qu’est constitué en octobre 1946 le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) à l’initiative des élus africains au Palais Bourbon et sous la présidence de Félix Houphouët Boigny. La délégation guinéenne à Bamako comprenait Sékou Touré, jeune employé des services postaux et militant du syndicat CGT. Quelques mois après Bamako, le 14 mai 1947, Sékou Touré et quelques compagnons créent le Parti Démocratique de Guinée (PDG), section guinéenne du RDA. Sékou Touré et un petit groupe de militants entreprennent patiemment d’asseoir la base idéologique du PDG, de l’organiser progressivement et de l’implanter sur tout le territoire. Profitant de la faiblesse de ses adversaires politiques locaux, des maladresses de l’administration coloniale et du réveil du nationalisme chez les éléments les plus dynamiques du pays jeunes travailleurs des villes, étudiants) de l’appui de la CGT, Sékou Touré s’impose au moment de la Loi Cadre comme le seul interlocuteur valable.
La mort de Yacine Diallo en 1953 , la marginalisation de Ibrahima Barry, dit Barry III, et de Diawadou Barry lui laissent le terrain libre. Il profite de cette loi pour éliminer ses derniers adversaires, les chefs traditionnels. Le retour du Général De Gaulle aux affaires en 1958 ouvre une nouvelle période. L’homme du 18 juin soumet sa constitution au référendum en métropole et dans les territoires d’Outre-Mer. Seul Sékou Touré prône le “Non” parmi les leaders des anciennes colonies. Ce vote négatif le met hors de la communauté française . De cette époque à sa mort, ses rapports avec Paris ne seront jamais tout à fait normaux. La Guinée indépendante jouit dans un premier temps d’un grand prestique en Afnque et dans le monde. Sékou Touré prend place à côté des grands leaders du Tiers Monde, tels Nasser, Tito, Nehru, Sihanouk, Nkrumah. Mais très vite obsédé par l’idée de complot impérialiste contre son régime, Sékou Touré radicalise son régime; les différents complots, imaginaires ou réels, qui émaillent vingt-six années d’un règne sans partage expliquent en partie l’exercice ténébreux de son pouvoir. De tous ces complots, celui qui semble avoir une réalité irréfutable est celui de 1970 ; il aboutit au fameux débarquement des Portugais et de leurs alliés guinéens à Conakry dans la nuit du 22 novembre. Sékou Touré profita de ce débarquement manqué pour se débarrasser de bon nombre de cadres politiques, administratifs, militaires et religieux. C’est à partir de ce moment que le Camp Boiro méritera son nom de “camp de la mort”.
“Le 22 novembre 1970 restera une date terrible et historique, célébrée chaque année comme le triomphe de la Révolution sur ses ennemis”.
La Guinée se remettra difficilement de ce choc. La réconciliation avec ses voisins et la France ne. viendra que très tard. Après avoir renoué avec la Côte-d’Ivoire et le Sénégal, Sékou Touré déclenche une offensive diplomatique tous azimuts. Il multiplie les voyages, les invitations, assiste à tous les sommets de l’OUA, fait partie du comité des sages sur le Tchad, sur le Sahara Occidental, propose sa médiation entre le Mali et la Haute-Volta. Il invite le XXe sommet de l’OUA à se tenir en 1984 à Conakry. Abandonnant l’idéologie marxiste de ses débuts, il se pose en défenseur de l’Islam. Il tente une médiation entre l’Iran et l’Irak. Il devient par ailleurs viceprésident du conseil islamique. L’ouverture sur le monde musulman distend les liens avec les pays de l’Est.
Le leader guinéen effectue des voyages aux Etats-Unis, en République Fédérale d’Allemagne, au Canada, en Italie. Symbole du retournement de Sékou Touré, sa participation à la Conférence franco-africaine de Vittel en 1983. C’est au cours de ce ballet diplomatique qu’ Ahmed Sékou Touré meurt le 26 mars 1984, lors d’une opération chirurgicale pratiquée dans un hôpital de Cleveland (Etats-Unis) où le roi du Maroc l’avait fait transporter, à la suite d’un malaise cardiaque survenu à Conakry quelques jours auparavant.
Les obsèques grandioses de l’ancien maître de la Guinée auxquelles ont assisté la plupart des grands de ce monde ou leurs représentants prouvèrent, si besoin en était, que l’homme malgré sa sanglante dictature, avait conservé un grand prestige dans l’opinion internationale. Mais la République qu’il façonna durant un quart de siècle ne lui survécut pas. A peine les délégations étrangères venues assister aux obsèques avaient-elles quitté le sol guinéen que l’armée — ou ce qu’il en restait — faisait arrêter les barons du PDG et s’emparait du pouvoir le 3 avril 1984, une semaine après la mort de Sékou Touré. La deuxième république est proclamée, le PDG et les instances qui en dépendent sont supprimés. Le gouvernement issu du coup d’état est dirigé par les colonels Lansana Conté et Diarra Traoré, respectivement Président de la République et Premier Ministre.
Il est peu de pays, souligne l’auteur, où l’imbrication entre le Parti et l’Etat ait été poussée aussi loin qu’en Guinée, au point que le PDG était appelé “Parti-Etat”. Celui-ci est la fusion de l’Etat, instrument technique du peuple, et du Parti, instrument politique du peuple.
Evoquant l’économie de la Guinée, Lewin souligne à juste titre : “la géographie a donné à la Guinée un sol et un sous-sol d’une grande richesse et un potentiel humain remarquable”. L’avenir économique de ce pays s’annonçait plein de promesses. Un quart de siècle plus tard, la Guinée figure encore sur la liste des 36 pays les moins avancés. Autant dire que Sékou, sur ce plan, a lamentablement échoué. Pour l’auteur, les causes de cet échec sont liées à la bureaucratie tâtillonne et incompétente, à la corruption dès fonctionnaires, à une monnaie dépréciée.
Sur le plan culturel et social, Sékou Touré s’est engagé dans une vaste réforme dont les résultats n’ont jamais été à la hauteur de ses ambitions. Au total, l’ouvrage d’André Lewin est une réelle contribution à la connaissance de la Guinée de Sékou Touré.

Ibrahima Baba Kaké

Errata par T.S. Bah
. L’auteur n’offre pas de données pour appuyer assertion sur l’histoire des Baga ; il ne cite pas non plus de sources pour corroborer son affirmation.
. Au sujet de la relation généalogique entre Sékou et Samori Touré, il faut se rapporter aux détails et à la conclusion plus nuancée de Kaké.
. Diallo Yacine mourut en 1954, non en 1953. Sa disparition fut aussi soudaine que suspecte.
. La marginalisation de ces deux opposants fut réelle à partir de 1956. Mais comme l’indique l’article de Bernard Charles, ce fut un processus violent dans lequel l’administration coloniale porte une part de responsabilité, à travers le soutien actif des deux parrains de Sékou Touré que furent Bernard Cornut-Gentille, gouverneur-général de l’AOF, et F. Houphouët-Boigny, président du RDA.