Vie et mort de Lansana Béavogui

Louis Lansana Béavogui (1923-1985)

Le 4 septembre 2008, sous le titre « J’assume les mesures caustiques que je dois prendre » Mme la ministre de la Santé, accordait une entrevue à  Guineenews. Le propos était apparemment de présenter ce membre du nouveau gouvernement de Ahmed Tidiane Souaré aux lecteurs du site. La démarche était appréciable car elle mettait l’accent sur les innombrables problèmes de ce département ministériel, technique que social.

Malheureusement, l’entretien vira brièvement à la politique politicienne, perdant, du coup, en style et en substance.
En effet, conversant à bâtons rompus, le journaliste de Guinéenews se hasarda  :
— D’aucuns estiment que vous ne devriez pas accepter de côtoyer les bourreaux de votre défunt père, l’ancien Premier ministre Lansana Béavogui. Qu’en dites-vous ?
Et Mariame Béavogui de répondre :
— Moi, je privilégie mon devoir patriotique aux autres considérations. En acceptant d’entrer au gouvernement, mon ambition n’est ni matérielle ni financière. Je voudrais plutôt saisir cette opportunité pour poursuivre et pérenniser les œuvres salvatrices de mon feu père en faveur de la Guinée. Aussi, voudrais-je dire que le Président de la République n’a jamais manifesté une quelconque haine à l’endroit de notre famille. Il n’a jamais montré qu’il avait des problèmes particuliers avec mon père. Ce qui m’amène à supposer que ce sont les contraintes politiques circonstancielles qui ont entraîné l’exécution de mon père, sans qu’il ne soit personnellement ciblé par le Général Lansana Conté.
A tout cela, s’ajoute ma foi religieuse musulmane qui m’impose l’esprit du pardon. »

La question était à la fois irréfléchie, inexacte et provocatrice. Et il appartenait à l’interviewée, en sa qualité de ministre, de mûrir et de calibrer sa réponse au lieu de tomber dans le piège. Hélas ! sa réplique mordit à l’appât et avala même l’hameçon.
Compte tenu de ce qui précède, je voudrais évoquer ici la vie et la mort de Lansana Béavogui, le premier Premier ministre de Guinée (1978-1984)

Lansana Béavogui, premier Premier ministre

Madame la Ministre affirme qu’elle entend « … poursuivre et pérenniser les œuvres salvatrices de mon feu père en faveur de la Guinée. » Cette affirmation est absolument contradictoire et erronée.

Mais, seule sa fille peut parler des « œuvres salvatrices » de ce médecin colonial africain « en faveur de la Guinée. » En réalité, Béavogui ne réalisa aucune action positive, encore moins salvatrice durant sa longue carrière politique et gouvernementale

Mariame Béavogui

Au contraire, son activité politique fut guidée par l’égocentrisme, la fidélité aveugle et passive et “la gratitude quasi filiale” à Sékou Touré, selon le mot d’André Lewin (Diallo Telli. Le destin tragique d’un grand Africain). Psychologue, celui-ci dépista tôt la personnalité maniable de Béa. Il le préférait nettement à Saifoulaye, qu’il perçut (justement) comme son antithèse et (injustement) comme un rival.
Après ses recherches de terrain, R.W. Johnson (The Le PDG and the Mamou deviation) rapporte comment  Sékou Touré voulut faire de Béa son premier co-listier aux élections législatives du 2 janvier 1956, reléguant Saifoulaye Diallo au troisième rang. Les cadres et militants du PDG s’y opposèrent et Sékou dut inverser l’ordre des noms pour inscrire celui de Saifoulaye en deuxième position. Les deux candidats furent élus. Avec Barry Diawadou, ils formèrent la délégation parlementaire de la Guinée française à l’Assemblée Nationale Française à Paris. Sékou Touré se retrouva minoritaire —malgré lui — face à deux Peuls, dans la délégation parlementaire au Palais Bourbon.
Mais Sékou ne renonça pas pour autant à Lansana Béavogui. Au contraire, il en fit son compagnon inséparable et le nomma membre à vie du Bureau politique national et des gouvernements successifs du régime. Béa poussa le zèle au-delà du rationnel. Ainsi, précise Almamy Fodé Sylla dans L’Itinéraire sanglant, « si Sékou a, 30 ans durant, choisi, adopté et gardé Béavogui Lansana comme fidèle compagnon, c’est parce qu’il le sait capable d’accepter de jouer n’importe quel rôle dans son théâtre infernal. » Ainsi Sylla révèle comment Sékou et Béa contraignirent Elhadj Sidiki, le père de Lansana Béavogui, à  égorger une victime au cours d’une cérémonie de sacrifice humain à la Présidence.
Béa fit partiellement les frais de son compagnonage et de la co-gestion chaotique des affaires d’Etat. En effet, Béa fut successivement arrêté alors qu’il faisait escale à Accra (1966) et à Abidjan (1967). C’était là une violation flagrante de l’immunité diplomatique. Mais les gouvernements ghanéen et ivorien entendaient ainsi faire pression sur la Guinée pour obtenir :

  • le retour des officiels ghanéens résidant en Guinée avec Nkrumah — contre leur gré, avançait Accra
  • la libération de François Kamano, un haut-fonctionnaire ivorien emprisonné par Sékou Touré.

Dans les deux cas, l’arrestation de Béavogui provoqua un incident diplomatique et une brève crise bi- et multilatérale. On peut lire par exemple les souvenirs de John H. Morrow  dans First American Ambassador to Guinea

Réagissant impulsivement le 30 octobre 1966, Sékou Touré ordonna la mise en résidence surveillée de Robinson McIlvaine, l’ambassadeur des Etats-Unis nouvellement accrédité à Conakry …
En récompense pour son dévouement et ses mésaventures, Lansana Béavogui reçut carte blanche pour courir les femmes guinéennes. Il se constitua un harem. Son palmarès dans ce domaine ne le cède qu’à celui, encore plus chaud, de Sékou Touré. Béa poussa l’ardeur au-delà des limites. Le couple Nouhou Cissé-Mariama Sow en fit notamment les frais. Les ébats entre cette autre dame de Labé et le Premier ministre, avaient lieu en effet au domicile conjugal des Cissé, à Madina-cité, au su et a vu de tout Conakry. En retour, Nouhou Cissé fut nommé successivement à la tête d’une entreprise d’Etat (Guinéelec) et gouverneur de Forécariah, où je le trouvai en 1978, en ma qualité de délégué du ministère de l’Education pour la supervision du déroulement des épreuves du baccalauréat. Porteur des enveloppes scellées des sujets, j’étais secondé par Cheick Ahmadou Camara—ancien ministre des finances—, alors frais émoulu de l’Institut Polytechnique G.A. Nasser (l’actuelle ‘université’).

Deux poids, deux mesures

Lansana Béavogui fut un participant-témoin actif tous les faux complots inventés par le PDG.
Et le régime du père de Mariame Béavogui sévit particulièrement contre la famille maternelle de la ministre de la Santé. En effet sur la liste des victimes du Camp Boiro, on relève les deux oncles (Sow Mamadou Bobo dit Bob et Sow Mamadou Oury dit Jules), respectivement l’aîné (?) et le cadet de feue Kadidiatou Sow (la mère de la ministre) et Binta Sow, la tante cadette de Mariame Béavogui.

Directeur-adjoint de Syli-Cinéma était un encadreur de nos activités de membres du Cinéclub universitaire, de concert avec ses collègues cinéastes, Akin, Costadès, Gilbert Minot, Moussa Kémoko Diakité, Sékou Oumar Barry, Marlon Baldé, Abdoulaye Dabo, etc.  Je me rappelle notamment qu’il nous invita en 1969 à une séance de projection de Commando-52, un film documentaire que deux journalistes Est-Allemands —se faisant passer pour des Allemands de l’Ouest— avaient réalisé sur les derniers moments de Patrice Lumumba.
Bob Sow fut traitreusement assassiné le 24 novembre 1970 pendant qu’il filmait les dégâts matériels de l’attaque guinéo-portugaise au Camp Samori. Un soldat l’abattit à bout portant dans une rafale de balles explosives. Eviscéré par l’impact des projectiles, et dans un ultime réflexe de survie, Bob Sow prit ses boyaux dans ses mains avant de s’écrouler.
Nous l’enterrâmes le même jour au cimetière de Camayenne au crépuscule. Au moment de l’ensevelissement, Sow Jules détacha un morceau du linceul et le trempa dans ce qui restait de sang coagulé du cadavre recroquevillé de son aîné. Il plia soigneusement la relique et la mit en poche. Quelques mois plus tard, il fut arrêté et croupit pendant des années au Camp Boiro. Après sa libération il s’exila en France.

Mort de Lansana Béavogui

La ministre de la Santé affirme que « ce sont les contraintes politiques circonstancielles qui ont entraîné l’exécution de mon père, sans qu’il ne soit personnellement ciblé par le Général Lansana Conté.»
Correction. Lansana Béavogui ne fut pas exécuté. Il tomba malade et mourut au Camp Kemè Bouréma de Kindia. La radio officielle annonça le communiqué du décès de l’ancien médecin, tout en censurant son statut de dirigeant du PDG.  Cela dit, il est probable que le régime du CMRN ne considérait pas Lansana Béavogui comme un adversaire sérieux. L’ancien premier ministre avait été déjà rejeté par Andrée (pour son fils Mohamed) et Ismael Touré (à ses propres fins). Selon la rumeur publique, Ismael et Béa s’accrochèrent verbalement d’abord, avant d’en venir aux mains.

Dernier point et non le moindre

Nonobstant les précisions ci-dessus, je dois souligner que Mariame Béavogui est une ‘nièce’ au sens africain élargi du terme. Elle est la fille d’une sœur de mon voisinage de Ley-Saare, l’un des quartiers historiques de la ville de Labé ; les autres étant Dow-Saare, Tata, Daaka,Dombi,BoowunlokoDonhoraa,ParayaKonkoola,Kuroola, Puntyun

Feue Hadja Salamata, la grand-mère maternelle de Mariame, était une amie intime de ma mère. Madame la ministre devrait promouvoir donc autant son éducation labéenne, sa sensibilité Pullo et de sa lignée paternelle Loma. De façon impartiale et équitable.
Dans les années 1990, Mariame reprit le bâton et s’engagea sur le chemin de son père en créant un parti politique.
Elle mérite aujourd’hui les félicitations pour avoir abandonné ce chemin ingrat en faveur d’une inlassable quête du savoir.

Tierno S. Bah

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Author: Tierno Siradiou Bah

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