Sékou Touré : l’assassinat d’Amilcar Cabral

 

Ceci est le 7ème chapitre de Sékou Touré, l’homme et son régime. Lettre ouverte au Président Mitterand. Paris : Editions Berger-Levrault. 1982, 106 pages, par feu Docteur-Professeur Charles Diané. L’auteur rejoint les rangs de ceux qui affirment que Sékou Toure fut le commanditaire de l’assassinat d’Amilcar Cabral, ingénieur agronome, fondateur et dirigeant charismatique du P.A.I.G.C.
Tierno S. Bah

Dr. Prof. Charles Diané

Du même auteur La FEANF et les grandes heures du mouvement syndical étudiant noir

Chapitres précédents :
• Sékou Touré et son régime
• Sékou Touré : Gouvernement par le Complot et le Crime
• Constitution de façade, violation des Droits de l’Homme et perversion de la démocratie
• Sékou Touré : pseudo-socialisme, faux anti-impérialisme

Amílcar Lopes da Costa Cabral (1924-1973), fondateur et secrétaire général du Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde, PAIGC.

Nationalisme et
politique anti-nationale africaine.
L’assassinat d’Amilcar Cabral

Monsieur le Président Mitterand,
Je voudrais en venir au nationaliste que Sékou Touré est prétendu être. Nous savons trop bien, nous autres Guinéens, ce qu’il en est. Dans ce monde où l’espoir et la demande pour un mieux être son des exigences croissantes et impératives, le nationalisme se définit surtout par le nombre et la qualité des opportunités offertes au peuple pour son bien-être. Le développement et l’éducation constituent l’essentiel de ces opportunités. Et l’indépendance n’a jamais été qu’un moyen que notre peuple a acquis pour atteindre ces objectifs fondamentaux. Nous avons vu que pour tout cela Sékou Touré a trompé toutes nos espérances. De plus, malgré toutes les impostures que cache, de nos jours, le mot nationalisme, il ne signifie pas chauvinisme. Il est le contraire d’autarcie. Il aspire au progrès.

La nationalisme est devenu malheureusement pour Sékou Touré l’arbre de ses ambitions cachant mal sa forêt d’incompétence, d’errements et d’obscurantisme, Son nationalisme n’est, à l’intérieur, que le reflet de sa prétention d’en remontrer à tous en Afrique. Hélas ! Le bilan de son action montre bien qu’il lui est plus facile de détruire les citoyens et le pays que de répondre véritablement aux exigences du nationalisme. Le gâchis dont il est responsable prouve qu’il lui est plus facile de vociférer des récriminations insensées contre un ennemi imaginaire que de satisfaire les aspirations élémentaires de notre peuple.

Commandant João Bernardo Vieira et Amilcar Cabral dans les territoires libérés par le PAIGC. Les deux hommes furent assassinés à 36 ans d’intervalle, en 2009 et en 1973 respectivement. (T.S. Bah)

En Guinée, il sévit, il tue. Il a institué un système policier qui demande à la femme de tuer le mari, au fils de cracher à la figure du père, au père de jeter l’anathème sur tous les siens. C’est la délation érigée en institution nationale. Tout cela au nom, dit-on, de son nationalisme. J’ai lu une lettre écrite par un éminent africaniste de l’Université d’Ife à une revue africaine. Cet homme, érudit dans sa matière, s’étonnait tout simplement qu’un journal africain puisse attaquer Sékou Touré ! Voilà l’imposture. Celle de pouvoir continuer à tromper l’intelligentsia africaine sur l’homme qu’il est, sur son action réelle qu’elle n’apprécie qu’à travers ses discours et les mensonges de ses émissaires. Alors que la réalité et les résultats de son action sont tout autres.

Monsieur le Président, notre échec à nous, Guinéens, c’est qu’il existe encore de par l’Afrique, des gens qui pensent que Sékou Touré représente aujourd’hui quoi que ce soit qui vaille. Des hommes qui croient encore qu’il est nationaliste. Je sais bien que nombre de ses amis qui savent pourtant bien le mal qu’il fait, ne voient en la Guinée qu’un champ d’application pour leurs idéologies stériles.

Ceux-là sont des idéalistes qui sont bien contents de trouver ailleurs que chez eux des incultes du genre de Sékou Touré pour torturer leur peuple et le conduire à la ruine et à la misère.

Les prétentions de Sékou Touré ne connaissent pas de bornes. Il croit encore pouvoir dicter sa loi à l’Afrique. Ses porte-paroles exaltés l’appelle le “Soleil de l’Afrique”. Quelle insulte ! Planqué derrière son micro, lui qui osait à peine sortir de Conakry, il s’arroge le droit et s’est fait le devoir de dénoncer la plupart de ses collègues de trahison. Alors que l’Afrique a décidé de le traiter avec le mépris et l’indifférence qu’il mérite.

Son nationalisme retranché dans sa vieille tannière branlante ose parler de paix et d’unité en Afrique. Chacun a compris qu’il s’agit de mettre l’Afrique entière sous sa botte meurtrière. Alors même qu’il distille chaque jour davantage les germes de la diversion et de la division ! Ses rapports en dents de scie avec chacun de ses voisins, ses insultes d’enfant mal élevé, ses cliquetis d’armes de va-t-en guerre croupion pour moraliser l’Afrique. Ses récriminations contre tous ses paires et ses accolades empressées avec chacun, y compris les militaires au pouvoir, qu’il a traité avec désinvolture et arrogance ; tout cela montre bien son ambition viscérale de potentat, son inconscience et sa tension permanente vers le seul pouvoir. Il n’a pas hésité, certainement au nom d’une certaine Unité Africaine, et d’un nationalisme exubérant, d’intervenir militairement chez ses voisins immédiats.

Au Libéria où il a envoyé sa troupe maintenir l’ordre et tenté de sauver le pouvoir de Tolbert

En Sierre Léone il a remis en selle l’actuel Président Siaka Stevens. Tout commença le 20 mars 1967, lorsque le Gouverneur général de Sierra Léone chargea Siaka Stevens, vainqueur des élections de former un nouveau gouvernement. Sir Albert Margaï contestait les élections. A la suite de troubles, le 21 mars, le Général David Lansana s’empara du pouvoir après avoir arrêté les deux rivaux. Suspecté de complicité avec Albert Margaï, il est à son tour renversé par un officier supérieur. A la suite de deux autres coups d’État et pendant que l’armée détient le pouvoir, Sékou Touré récupère Siaka Stevens et fait venir quatre cent cinquante Sierre-Léonais qu’il paie et qu’il entraine à grands frais pendant six mois à Conakry sous le contrôle de son armée. Ainsi, ce qu’il n’a pu faire pour Kwame N’Krumah, intervenir directement par la force dans les affaires intérieures d’un autre pays africain, il le fait pour Siaka Stevens. Cétait plus facile.

Malheureusement pour lui, au moment où ses mercenaires sont fin prêts pour aller à la guerre civile, installer son protégé à Freetown, deux officiers subalternes rétablissent la vie démocratique et parlementaire chère aux Sierre-Léonais et remettent le pouvoir à Siaka Stevens, sans qu’il lui en ait une reconnaissance éternelle.

Le 11 septembre 1971 , deux des Mig d’occasions offerts par ses amis Russes, et qu’il utilisait pour effrayer notre peuple et espionner à l’occasion les voisins se sont écrasés à Odienné, en Côte-d’Ivoire. Il paraît qu’ils allaient de Conakry à Kankan. Il a gardé le silence trois jours pour négocier dans les couloirs avec Houphouët-Boigny, qu’il insultait la veille. Et l’on a vu cette chose extraordinaire pour ceux qui ne le connaissent pas. Le procès radiophonique de nos compatriotes dans lequel la Côte-d’lvoire était tous les jours impliquée et bassement traitée, a été arrêté au quarante-septième jours pour faire les éloges du peuple frère et remercier chaleureusement le “grand frère” Houphouët, retransmettre longuement son discours fleuve de trois heures aux pauvres militaires ivoiriens venus accompagner les cendres de ses pilotes. Et il n’a même pas compris la leçon et la gifle magistrale de celui qu’il appelait férocement, le “valet des valets de l’impérialisme”. Oh tristesse ! Voilà comment il a entamé une autre réconciliation avec Houphouët sur les cadavres de deux malheureux soldats tombés lors d’un vol d’espionnage. L’occasion précédente, c’était par ballon de football. Des matches amicaux obtenus contre la Côte-d’Ivoire avaient permis à son féal Lansana Diané d’embrasser Houphouët au Congrès de Yamoussokro. Pas pour longtemps. Les embrassades de septembre 1971 avaient pour prix la peau de nos amis Guinéens d’Abidjan. Comme ses insanités contre Senghor, ses théories contre la négritude, ses tentatives de proposer des soulèvements au Sénégal ont pour unique raison le refus de Senghor de lui livrer nos amis Guinéens de Dakar.

A Monrovia, il joue carrément au banditisme et son ambassade n’est qu’une officine de racket. En avril 1979, il envoie à Monrovia même ses soldats pour réprimer les émeutes qui ont ébranlé le régime de Tolbert.

Monsieur le Président, les hauts faits de son “nationalisme” et beaucoup d’autres du même genre cadrent très mal avec l’idée que les Africains se font de l’Afrique et des relations inter-africaines. Sékou Touré n’a-t-il du reste pas annoncé publiquement que “chaque fois qu’il jugera que les intérêts de l’Afrique sont engagés à tort par un Chef de Gouvernement”, il interviendra. Ainsi serait-il seul à détenir la vérité africaine contre tous; contre tous les autres Chefs d’État ?

Cette attitude démontre, s’il en était besoin, les illusions que lui donnent les ovations télécommandées de ses foules fanatisées et surtout la sympathie dont il jouit encore auprès de nombreuses personnalités et pays pour qui importe peu le sort de notre peuple.

Monsieur le Président, vous me permettrez de vous rappeler un souvenir douloureux, mais c’est pour mieux cerner le “nationalisme” de Sékou Touré.

Le 20 janvier 1973, Amilcar Cabral a été assassiné à Conakry même. C’était le Secrétaire Général et fondateur du PAIGC (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap Vert). A la date du 22 janvier 1973, dans La Paille et le Grain vous écriviez :

« Cabral, à son tour. J’apprends sa mort. Sékou Touré accuse le Portugal. Caetano s’en défend. Je n’ai pas d’éléments pour juger. »

Amilcar Cabral était votre ami. Il avait eu l’occasion, en Guinée même, de vous “confier ses luttes, ses espoirs”. Il avait engagé la lutte de libération de son pays et son mouvement ; il contrôlait les deux-tiers du territoire de la Guinée Bissau. Comme vous le dites justement “le mouvement de libération disposait d’écoles de brousse, d’hôpitaux de campagne et de structures administratives”.

Comme vous même, Monsieur le Président, l’Assassinat d’Amilcar Cabral en plein Conakry, dans les conditions troubles que l’on sait, ont laissé plus d’un observateur sceptique.

Je vais vous apporter des éléments, dont certains vous sont connus, pour vous dire que de Caetano et de Sékou Touré, le plus coupable n’est pas celui que l’on a cru. La PIDE a été accusée à tort. Amilcar Cabral, que j’ai eu l’honneur de connaître, était un grand intellectuel. Vous avez écrit que le Portugal a perdu en lui “l’adversaire le plus sensible, le mieux formé à ses valeurs”.

Cétait un nationaliste vrai, un combattant de la liberté, les armes à la main; à qui son courage, son autorité, sa rigueur intellectuelle et sa culture avaient conféré un grand rayonnement et une très grande notoriété en Afrique et une envergure internationale.

Cétait là une première tare aux yeux de Sékou Touré, qui n’a jamais ni tiré un coup de feu ni armé qui que ce soit, pour ce faire, contre quelque colonialisme que ce soit. Vous êtts mieux placé que moi pour savoir qu’il s’accommodait fort bien du colonialisme français.

Amilcar Cabral était ingénieur agronome. Cétait là, je l’ai suffisamment montré, une autre tare aux yeux du dictateur de Conakry.

Amilcar Cabral avait autant de charisme mais beaucoup plus de relations et surtout de crédibilité que Sékou Touré.

Sékou Touré, certes, par la force des événements, a donné asile au PAIGC dès 1958. Quand les autres pays limitrophes sont devenus indépendants, Sékou Touré apparaissait déjà comme le “tuteur” du PAIGC et la Guinée comme la base des combattants de la liberté de la Guinée Bisseau. Personne n’attribuera en cela un mérite particulier à Sékou Touré. D’autres l’ont fait, la Tunisie et le Maroc pour l’Algérie, le Zaïre et le Congo pour l’Angola, le Gabon pour Sao Tomé et Principe, la Zambie pour le Mozambique, le Mozambique pour le Zimbabwe, l’Angola aujourd’hui pour la Namibie ; pour ne citer que quelques exemples en Afrique.

Aussi, Sékou Touré avait-il consenti à Cabral toutes les facilités pour l’aider dans sa lutte : détaxes de toute sorte, fréquence spéciale pour ses émissions à la radio nationale guinéenne, avantages diplomatiques et surtout deux camps militaires à Conakry réservés aux combattants du PAIGC.

Mais tout cela n’allait pas sans conflits. Sékou Touré recevait et gérait pratiquement tous les fonds envoyés de l’extérieur pour le PAIGC. Il contrôlait leurs mouvements et tentait de contrecarrer les relations qui ne lui plaisaient pas.

Ces conflits étaient de notoriété publique en Guinée. Ainsi, nul n’ignorait que Sékou Touré détournait, au bénéfice de ses milices, armes et munitions pour la défense de son pouvoir. Parfois, il s’appuyait directement sur certaines fractions des forces PAIGC stationnées à Conakry pour sa police intérieure et la répression.

Ainsi, tout opposait ces deux hommes sauf la géographie qui allait paradoxalement devenir la plus grande pomme de discorde.

Les deux Guinée Occidentales ont des problèmes de frontière que le PAIGC, alors engagé dans sa lutte de libération n’a pas voulu agiter lorsqu’en 1964 Sékou Touré publia un décret reprenant un accord passé en 1960 entre la France et le Portugal, et fixant unilatéralement les frontières maritimes des deux pays. Ce conflit éclata au grand jour en 1980 lorsque Sékou Touré accorda à la Compagnie pétrolière américaine Union Texas des droits de prospection en mer, précisément dans cette zone frontalière litigieuse. On se souvient de la déclaration sèche du Conseil Supérieur du PAIGC, publiée de Praia le 14 août 1980 et dans laquelle il est dit clairement que “toute initiative unilatérale allant dans le sens de l’exploitation des ressources naturelles des zones en litige est illégale et ne peut qu’envenimer et aggraver les relations entre les deux pays”. C’est dire à quel point ces relations étaient déjà tendues.

En plus des zones maritimes, la région frontalière sud de la Guinée-Bissau a toujours fait l’objet de convoitise de la part de Sékou Touré à cause de la bauxite déjà largement exploitée par les multi-nationales en Guinée.

Tout cela explique les appréhensions d’Amilcar Cabral qui ne manquait pas de s’en ouvrir à ses intimes. Sékou Touré avait ses hommes au sein du PAIGC qui attisaient les moindres contradictions, y compris les oppositions entre Cap-Verdiens et Guinéens, métis et noirs.

Bruno Crimi rapporte, dans le Continent du 26 mai 1981, ses dernières conversations avec Cabral, deux semaines avant son assassinat :

« Amilcar m’avait fait part de ses soucis. Son parti, disait-il, était secoué par de profondes divisions. Le conflit toujours latent entre Cap-Verdiens et Guinéens était devenu très aigu.
Nous aurons un jour l’indépendance. Cest sûr. Mais aujourd’hui, je ne peux pas dire que la Guinée et le Cap Vert resteront unis… Je ne sais pas non plus si je serai encore là pour assister à la proclamation de findépendance de mon pays. »

Quelles prophéties ! Oui Cabral fut tué quinze jours plus tard.

Aujourd’hur, Guinéens et Cap Verdiens sont séparés par quelque chose qu’Amilcar craignait le plus, le coup d’état militaire. L’on sait avec quelle précipitation et quels délices Sékou Touré s’est jeté dans les bras des militaires de Bissau, sacrifiant par là même le frère d’Amilcar, Luis Cabral, qui n’avait jamais pardonné à Sékou Touré le meurtre de son frère. Parce que Luis Cabral savait. Il savait que, depuis 1970, son frère s’était confié à des ministres de Sékou Touré sur la trahison de ce dernier. Cétait avant le débarquement de novembre 1970.

Il savait que, contrairement à ce que les services de propagande de Conakry et les différents bureaux du PAIG affirmaient, Amilcar Cabral avait été tué par des éléments guinéens du PAIGC, appuyés par le stratège de Conakry lui-même

Il savait que la fameuse police politique portugaise, la PIDE, n’était en rien mêlée à cet assassinat.

Il était au courant du conflit aigu qui avait opposé Amilcar à Sékou Touré avant le fameux débarquement du 22 novembre 1970, qui fut la meilleure aubaine pour ln remise en selle du régime de Conakry.

Les Portugais avaient en effet tenté sans succès de faire un échange de prisonniers avec le PAIGC, qui détenait dix-huit prisonniers, dont le fils du richissime Maire de Lisbonne, pilote d’hélicoptère, tombé entre les mains des forces de libération de Cabral. Ce dernier était prêt à miser au maximum pour récupérer son fils. Après le refus catégorique de Cabral, il mit Sékou Touré dans son jeu en y mettant le prix. Toute la classe politique guinéenne sait que le Ministre de l’Armée, Diané Lansana, a été chargé par Sékou Touré de prendre contact avec Amilcar Cabral pour l’amener à accepter l’échange de ce fils à papa.

Prisonniers de guerre portugais du PAIGC, détenus d’abord à Manou, puis transférés à Conakry par Sékou Touré, contre l’avis d’Amilcar Cabral

Devant l’intransigeance de Cabral, l’opération du 22 novembre vint à point, financée en partie par la PIDE et le Maire de Lisbonne.

On sait aujourd’hui que Sékou Touré était informé de l’opération “Enlèvement des prisonniers”. Il ne savait cependant pas, peut-être, qu’elle serait combinée avec celle de la tentative du renversement de son régime. Des faits précis étayent cette aflirmation.

Au début de l’année 1970, Sékou Touré avait décidé d’éliminer près de six cent cadres nationaux. Le congrès de son Parti, réuni en janvier 1970, avait pour thème l’épuration du Parti et de l’Etat. Pendant six mois, ce thème sera diffusé à travers tout le pays.

En juin 1970, Sékou Touré réquisitionne toute la toile bleue venue de Chine pour en faire des tenues de prisonniers. C’est cette toile qui servira effectivement au Camp Boiro et dans les différentes geôles du pays.

En juillet 1970, il commande mille menottes au directeur d’Unicomer M. Boris, qui sera arrêté par la suite.

Une édition du journal Le Monde de mai 1970 relate que Sékou Touré s’apprêtait à effectuer une épuration d’une ampleur sans précédent dans son pays.

Sékou Touré savait tout le bénéfice qu’il tirerait d’une opération portugaise pour “épurer” son parti, son état et asseoir dans la terreur un régime enfin élagué et “radicalisé”.

Prévenu vaguement de l’opération début novembre, il décide de transférer les prisonniers portugais. Jusque là, ces derniers étaient détenus à Mamou, sous la surveillance de Habas Diallo, à 350 kilomètres de la capitale.
Le PAIGC, contre l’avis de qui le transfert est décidé à Conakry, demande au moins leur garde dans l’un des camps de la capitale. Sékou Touré refuse. Il les met dans une villa privée, celle de M. Fodé Mangaba Camara, à un kilomètre de la plage. Sur l’insistance du PAIGC, il fait la concession de les laisser garder par seize soldats du PAIGC.

Ce transfert a été effectué le mercredi 9 novembre 1970. Les commandos portugais qui en furent informés, n’auront aucune peine à massacrer les seize malheureux gardes et libérer leurs compatriotes dans la nuit du 21 novembre.

Sékou Touré, qui ne s’attendait pas à une opération combinée visant ausi son régime prend peur, et se réfugie hors de son palais, chez une amie. Pour ce déplacement, il est déguisé en femme par celui-là même qui a pris en main la riposte, qui sera arrêté quelques mois après, le ministre Alassane Diop. Il ne sera relâché qu’après huit ans de détention.

Lire la version, plus fiable, par Alpha Abdoulaye Portos Diallo sur l’évacuation secrète de Sékou Touré cette nuit-là
— T.S. Bah

Le régime est une fois encore sauvé. Dans son cerveau machiavélique, Sékou Touré prépare la riposte … contre le peuple de Guinée.

Il met en oeuvre la résolution qu’il avait fait adopter par le congrès de son parti en janvier 1970, l’épuration du Parti et l’Etat. Il ressort sa liste de six cents cadres à liquider, les mille menottes et déclenche la répression par une machine mise en place depuis plus d’un an. Six mois plus tard ce sont près de 30.000 Guinéens, hommes, femmes et enfants de toutes conditions qui se retrouvent dans les prisons.

Monsieur le Président,
Dans les enquêtes de ce genre, on demande à qui profite le crime. L’amoncellement des faits désigne l’homme à qui l’assassinat de Cabral a profité. D’ailleurs, d’autres faits ne laissent aucun doute sur l’identité du commanditaire de l’odieuse opération.

On sait à Conakry que trente minutes après leur forfait les cinq assassins ont été reçus au palais de Sékou Touré qui les attendait seul dans son bureau.

Les meurtriers auraient donné comme seule raison de leur forfait le fait que le gouvernement, mis en place par Cabral, ne comportait que des Cap-Verdiens, pas de Guinéens.

Aristides Pereira, secrétaire général adjoint du PAIGC

L’enlèvement simultané d’Aristides Pereira, le numèro deux du PAIGC, n’aura été qu’une diversion. Après l’assassinat, Sékou Touré a refusé catégoriquement, dans un premier temps, de livrer les coupables au PAIGC, qui se proposait de les juger lui-même. Il ont été mis sous protection dans le fameux Camp Boiro après un semblant de procès radiophonique dont Sékou Touré a le secret.

Au dire de nombreux compagnons de détention, aujourd’hui libérés, les meurtriers d’Amilcar Cabral protestaient quotidiennement de leur détention par Sékou Touré, qui les avait engagés à commettre leur forfait.

Deux officier guinéens, arrêtés en même temps que l’ancien Secrétaire Général de l’OUA, Diallo Telli, ont déclaré avoir participé à cet assassinat, sur les instructions du “Guide Suprême”.

Selon de nombreux anciens détenus, le capitaine Lamine Kouyaté, ancien garde de corps de Sékou Touré, a en effet déclaré, au sixième jour de diète, quelques jours avant sa mort, qu’il a participé à l’assassinat de Cabral à la demande de Sékou Touré. Le commadant Ibrahima Sylla, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air de Sékou Touré a fait le même aveu. C’est ce qui aurait précipité son assassinat par diète noire un mois aprè son arrestation.

Monsieur le Président,
Ce sont là les motifs et les faits que j’apporte au dossier de ce crime contre l’Afrique et l’humanité. L’évolution de la situation dans la sous-région ne fait que corroborer
l’accusation. Après une succession de conflits de tous ordres, Luis Cabral a été écarté le 14 novembre 1980 par le Commandant Nino Vieira, que Sékou Touré a accueilli à bras ouverts.

Conakry vient encore d’envoyer des “coopérants” à Bissao. Nous savons que cette coopération est fortement entachée par l’ambition dominatrice de Sékou Touré, qui s’est toujours posé en champion d’un confédéralisme à sa dévotion.

Les métis et leur Cap-Vert sont écartés. Les conflits sont enterrés. Pourvu que notre renard n’attende pas trop longtemps le fromage du corbeau de Bissau.
Il serait capable d’ingérence surtout que de gros intérêts économiques (bauxite et pétrole) semblent sous-tendre son ambition annexionniste.

Concernant le Sahara Occidental et la RASD 1, Sékou Touré, après avoir longtemps nagé en eau trouble, a été obligé de dévoiler son jeu. Un jeu bien triste et qui ne le flatte guère, lui le prétendu chantre de l’unité et de l’indépendance africaine. Lui le nationaliste, à ce qu’on dit.

Après avoir claqué les portes de l’OUA du fait de l’admission de la RASD à Addis-Abeba fin février 1982, il s’est trouvé une nouvelle lubie en prônant l’intégration avec le Mali, en ameutant la Guinée-Bissau et le Sénégal autour de l’OMVS , alors que c’est son sectarisme qui a brisé l’OERS , en réchauffant la Mano River Project avec le Libéria et la Sierra Léone après avoir vilipendé ce même projet pendant plus d’une décennie, en fermant les yeux sur la CEAO qui se trouve à sa porte, pour prôner une CEDEAO plus lointaine.

Monsieur le Président,
Pendant ce quart de siècle qui l’a vu faire la pluie et le beau temps en Guinée, Sékou Touré n’a eu que mépris et n’a été qu’insolence pour ses voisins. Il s’est enflammé pour des grandes idées qu’il savait irréalisables. Il a guerroyé, heureusement sans succès, contre tous ses voisins et à travers la plupart d’entre eux, contre votre pays, la France. Il a combattu toutes les idées qu’imposaient l’histoire, la géographie, la culture, l’affectivité, la sensibilité et le destin de nos pays. Il a rompu les liens séculaires de notre pays et a brisé son âme contre le mur épais de ses rêveries y compris avec la France.

Maintenant, c’est net, c’est clair. Nous le voyons fuir le dialogue africain et tenter de tromper ses voisins.

L’unité qu’il recherche actuellement n’est que celle de la division car ses prétentions régionalistes ne sont que le pendant de sa volonté proclamée de détruire l’unité de l’Afrique. Il l’a dit et répété depuis février 1982. Il y aura deux OUA, s’il le faut. Il a dit et répété, à l’occasion de sa récente intronisation hâtive à la tête de l’État-Parti de Guinée, que ceux qui ont brisé l’Unité Africaine, ce sont ceux qui ont admis la RASD. Ce conflit n’est pour lui que l’occasion de sortir d’une OUA, où il ne fait pas la loi, pour créer un clan, un groupe à sa mesure.

Curieuse trajectoire, Monsieur le Président que celle de cet homme qui, au moment où tous ses voisins se battaient pour une véritable coopération régionale, clamait un panafricanisme démagogique et abstrait pour se soustraire à la confrontation, s’isoler et moraliser avec insolence ; et qui, au moment où l’Afrique cherche à se consolider dans l’Unité, la concentration et la négociation, crie au scandale et se rabat sur sa région.
Le masque est tombé. Sékou Touré, remis en selle pour un quatrième septennat, fort de sa nouvelle virginité conférée à la hâte par des élections sans signification, faussement rasséréné par un vote téléguidé, est en première ligne pour combattre le nationalisme africain à travers, entre autres, le Polisario.

Où se cache le nationalisme dont se targue notre dictateur ? Sékou Touré, une fois de plus, est indéfendable. C’est un homme qui foule aux pieds, au gré de intérêts de son pouvoir, le principe et le fondement même du nationalisme, qui arme le bras des Africains. Son nationalisme n’est qu’un tissu d’affirmations verbales gratuites.

Trop de sacrifice nobles ont été consenti pour l’autodétermination de nos peuples, pour leur liberté et leur indépendance. Il ne doivent pas être salis par l’assimilation d’un homme sans principes, qui renie aujourd’hui ce qu’il adulait hier, d’un opportuniste rivé à la survie de son pouvoir.

Non ! Monsieur le Président, le nationalisme africain ne s’accommode pas des revirements, des sarcasmes et des récriminations de cet homme inconséquent qui n’a jamais pris un fusil.

Notes
1. RASD : République Arabe Saharaoui Démocratique.
2. OMVS : Organisation pour la Mise en Valeur du Sénégal.
3. OERS : Organisation des Etats Riverains du Sénégal.

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Author: Tierno Siradiou Bah

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