Andrée Touré : impénitente et non-repentante

Mme Andrée et M. Sékou Touré, en 1959

L‘interview de Hadja Andrée, veuve de Sékou Touré par la Radio Télevision Guinéenne, expose une impénitence totale et une non-repentance absolue. De bout en bout, le discours prône l’adulation du défunt président. Mettant en oeuvre une mémoire sélective et réductrice, les réponses font l’apologie des crimes —humains, politiques, économiques— du “Responsable suprême de la révolution”.
Hadja Andrée émerge de l’entrevue comme l’incarnation même des idôlatres et comme le porte-étendard des nostalgiques d’un quart de siècle de tyrannie (1958-1984). A 82 ans, la première Première dame de la République de Guinée cherche à obtenir l’impossible, à savoir l’absolution et la disculpation du président Sékou Touré pour la débâcle de la Guinée et pour la déchéance des populations. Qu’on ne lui parle surtout pas de justice. Le mot et le concept lui sont inconnus  !

Aussi, jette-elle, d’une part, un regard morne et indifférent, subjectif et injuste sur le passé. Et, d’autre part, se fait-elle défensive et accusatrice. En paroles, elle professe l’humilité. Mais ses mots cachent mal une rancune tenace, des distorsions grossières et des déclarations mensongères sur la Guinée, brisée et ruinée par Sékou Touré.

Cela dit, le journaliste, Yamoussa Sidibé, appelle l’interview pompeusement Archive numéro 1. C’est trop dire. Délibérement ou pas, il confond son rôle de chroniqueur du présent avec celui de documentaliste du passé. Car son interview relève de l’actualité. Et c’est aux générations et aux décennies futures qu’il appartient la décision de traiter la vidéo comme archive. Ici, l’écart de langage n’est pas étonnant. Au contraire, il résulte de l’histoire du journalisme sous les dictatures successives du pays. Et des contraintes, difficultés et dilemmes pour des fonctionnaires — les journalistes — d’être à la fois laudateurs zélés, enquêteurs objectifs et critiques impartiaux de leur employeur, l’Etat. D’où le penchant des journalistes publics guinéens  —y compris les plus chevronnés— pour l’exagération, l’hyperbole, la redondance, et souvent l’obséquiosité envers les détenteurs (passés et présents) du pouvoir dans la Guinée post-coloniale. Exemple, le pénible dialogue “littéraire et historique” entre Mohamed Salifou Keita (l’animateur de l’émission TV Papier-Plume-Parole) et l’auteur Lamine ‘Kapi’ Kamara. J’y reviendrai.

En attendant je relève et réfute ici quelques unes des affirmations erronées de Hadja Andrée.

Réponses vagues, contenu plat

Si le but de l’interview était d’obtenir une autobiographie de Hadja Andrée, alors l’échec est presque total. Car Hadja ne livre que des bribes générales et  ambiguës sur les principales phases de sa vie : naissance, enfance, adolescence, mariage, rôle domestique, et son ascension à la tête d’un des plus puissants clans du régime de Sékou Touré.

C’est ainsi qu’elle passe à côté la première question, que Yamoussa Sidibé formule comme suit :
— Si je vous demande de parler de la Guinée, vous commencerez par quoi ?
Sans le savoir, Hadja s’enfonce par une réponse politique et politicienne, et — je le montre plus bas— pseudo-historique :
— Je commencerai par parler de l’indépendance de la Guinée. Comment l’indépendance a été acquise et ce que ça a apporté à la Guinée.
Le journaliste la rappelle courtoisement à l’ordre, en lui disant que le sujet Sékou Touré sera abordé après l’exposé de la biographie. Il lui dit :
— Nous allons parler de vous-même. Qui êtes-vous, Hadja ? D’où venez-vous ?…
Suit un petit laïus qui débouche mécaniquement sur Sékou Touré…
Et Yamoussa de la sermonner encore gentiment :
— Vous allez me ramenez encore vers le président Sékou Touré…
En réponse, Hadja émet un léger gloussement.
Elle accepte enfin de parler de ses parents et de sa famille d’origine. Mais on reste sur sa faim car les trous de mémoire sont nombreux et déplorables.
Exemples :

  • Cette métis Française-Maninka décline le nom du médecin militaire Paul-Marie Duplantier (son père). Mais elle passe sous silence celui de Kaissa Kourouma (sa mère) !!! Elle présente cette dernière vaguement comme une (simple) “fille de Macenta” !!! Elle ne mentionne non plus le nom d’aucun de ses frères et soeurs de lait !!! Et malheureusement le journaliste s’emballe et néglige  d’établir des données biographiques aussi élémentaires.
  • Elle déclare qu’au moment de retourner en France son père la confia à sa marraine Française. Cette affirmation est partiellement contestable. En vérité, Duplantier arrangea une union conjugale entre Kaissa et son assistant Thierno MadiouBah, de Pita (Fuuta-Jalon). De ce mariage une fille, Aissatou Bah, qui épousa Nfally Sangaré, ancien gouverneur de la Banque centrale, ex-ambassadeur à Bruxelles.
  • Un fonctionnaire de Kouroussa, feu Ibrahima Sori Keita, épousa  Kaissa Kourouma en troisièmes noces. Il est l’oncle de Mamadi Keita (membre du Bureau politique) et le père de Seydou Keita, ambassadeur, gouverneur de région, tous deux fusillés en 1985. Kaissa mit au monde six enfants à Kouroussa, dont Fatoumata, Mori (économiste), Lanciné et Lounceny (des jumeaux qui devinrent des officiers du service des renseignements attachés du Commandant Siaka Touré, le maître-assistant de Sékou Touré au Camp Boiro), et feue Sayon (récemment décédée).

Ce troisième mari de Kaissa épousa une femme originaire de Labé. Leur fils, Boubacar Keita, grandit — maninkaphone et halpular — chez sa grand-mère maternelle, dans mon quartier natal de Ley-Saare, Labé-ville.

Le chapitre 15 “18 juin 1953. Sékou Touré se marie” (Volume 1) de son oeuvre biographique, André Lewin fournit les détails suivants sur Kaissa Kourouma et sa fille, Andrée :

« Agée de 16 ans à peine, Kaissa Kourouma a été mariée en premières noces à ce médecin du Service de santé colonial français, affecté à Macenta au début des années 1930. Lors d’une fête nationale du 14 Juillet, Duplantier avait été séduit par cette jeune Guinéenne, qu’il avait ensuite demandée en mariage à sa famille. Très opposée à une telle union avec un blanc, celle-ci tenta de présenter une autre jeune fille au docteur, mais celui-ci étant fermement décidé, Fatouma Kourouma, la mère de Kaissa, s’enfuit avec celle-ci dans un village voisin. Menacé d’emprisonnement, l’oncle paternel de Kaissa, qui avait sa garde depuis le décès de son père, les obligea à revenir à Macenta, où le mariage eut finalement lieu. Le couple vivait dans le camp militaire de Macenta. Andrée est née en 1934, et a très probablement été reconnue par son père, encore que certains le contestent ; ainsi que c’était la coutume à l’époque pour la plupart des métis issus de “mariages coloniaux”, elle porta le nom de famille de sa mère, Kourouma. Au terme de son affectation en Guinée, en 1936, le Dr Duplantier confia l’éducation de sa toute petite fille à sa marraine Louise Rouvin, ainsi qu’à l’un de ses associés du nom de Thierno Madjou Bah, qui épousera alors Kaissa. De ce mariage naît Aissatou, dite Astouba, qui épousera le futur ministre Nfaly Sangaré. Après le décès de son second mari, Kaissa se marie en troisièmes noces avec Ibrahima Sory Keita, dont elle aura six enfants, dont Fatoumata, qui épousera le futur ministre Moussa Diakité. Le fils d’une précédente union d’Ibrahima Sory Keita est Seydou Keita, futur ambassadeur à Paris (frère cadet de Mamadi Keita, membre du Bureau politique national, ministre de l’éducation — T.S Bah). Le Dr Duplantier aurait perdu la vie pendant la deuxième guerre mondiale. Louise Rouvin est restée très proche de sa filleule Andrée. Elles se sont revues pour la dernière fois en 1982, lors de la visite officielle de Sékou Touré en France. Louise Rouvin est décédée en France en 1985 sans avoir eu le soulagement de voir sa filleule libérée de le prison de Kindia. La mère de Madame Andrée résidait régulièrement à Conakry, où elle logeait dans la partie familiale du Palais présidentiel, mais elle ne participait pas à la vie officielle du couple présidentiel et préférait se retirer fréquemment à Macenta. Agée de plus de 80 ans, Kaïssa Kourouma est décédée en septembre 1997 à Dakar, où elle avait été transportée depuis la Guinée pour y subir des soins. Son corps sera rapatrié peu après à Macenta, où eurent lieu des obsèques familiales. Le président guinéen Lansana Conté, qui avait publié un communiqué officiel annonçant le décès, recevra Madame Andrée en audience. En 2002, Madame Andrée viendra s’installer dans l’ancienne villa Syli de Coléah (celle-là même qu’avait occupée Nkrumah pendant son exil), les biens familiaux lui seront restitués, cependant que les autorités procèdent à une véritable réhabilitation de Sékou Touré, à qui une retraite d’ancien chef d’État est même allouée, dont la réversion bénéficie à sa veuve. »



Sékou Touré en 1951-53 : popularité prématurée et surfaite

Hadja Andrée déclare qu’en 1951-53 déjà Sékou Touré avait acquis la popularité. Là encore, elle prend un raccourci ave l’Histoire. Au début des années 1950, l’étoile et le destin de son futur mari sont loin de briller et de s’affirmer. Commis auxiliaire de l’Etat colonial ou employé subalterne dans le privé, l’ambition de Sékou ne fait pas le poids face aux ténors de la politique locale qu’étaient Fodé Mamoudou Touré, Yacine Diallo, Mamba Sano, Diawadou Barry, Karim Bangoura, Diafodé Kaba, etc. La biographie de Sékou Touré par André Lewin décrit ces temps difficiles, marquées par l’indifférence partielle des populations et l’hostilité des chefs traditionnels

Il y eut pire. Car, à mon avis, la décennie 1950 marqua le début de la criminalisation de la politique en Guinée française. Elle introduisit l’assassinat individuel comme méthode d’accès au pouvoir par Sékou Touré. En effet, coup sur coup, trois concurrents majeurs de Sékou Touré moururent subitement :

  • Niankoye Samoe (Samuel), commis aux PTT et ancien camarade syndicaliste de Sékou, en 1952
  • Camara Kaman, conseiller PDG-RDA de Beyla, en 1953
  • Yacine Diallo, député de la Guinée française à l’Assemblée nationale à Paris, 1954

Face à ces disparitions inopinées mon scepticisme reste entier. Car cette triple perte “facilita” la montée politique de Sékou Touré, qui s’engagea  sur le chemin  tortueux et sanglant de la conquête et de l’exercice du pouvoir. Par tous les moyens nécessaires : promesses, démagogie, duplicité, ruse, trahison, violence, destruction, férocité, etc. Trois ans après la mort suspecte de Yacine Diallo, le 14 avril 1954, Sékou devenait le vice-président du conseil de gouvernement de la Loi-cadre. La Guinée ne s’est pas encore relevée de l’ascension  fulgurante et fatidique d’un prétendu libérateur qui se révéla un tourmenteur dévastateur.

Tierno S. Bah

A suivre

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Author: Tierno Siradiou Bah

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