Une leçon à tirer de l’insurrection populaire qui a fait tomber le régime du président Blaise Compaoré, consiste dans le parallèle entre l’histoire de la Guinée et celle du Burkina Faso. Lire (a) La Guinée et le Burkina Faso, (b) Faso : saut en avant, bond en arrière
Mais les 48 heures écoulées ont annoncé un virage net dans le droit chemin et une série de bonnes nouvelles provenant du Burkina Faso. Ainsi, le Président et le Premier ministre de la Transition ont successivement :
- accepté la démission, sous pression, du ministre de la culture
- relevé Général Gilbert Diendéré de ses fonctions
Et aujourd’hui, les dirigeants de Ouagadougou ont lâché la bombe, d’espoir, en annonçant la possibilité de l’extradition de l’ex-président Compaoré du Maroc vers le Burkina. Dissipant pratiquement les doutes qui planaient sur lui, en tant qu’officier supérieur du dicateur déchu, Lieutenant-Colonel Isaac Zida vient de placer son pays sur le bon cap. En mettant l’accent sur “le rôle fondamental de la justice”, le chef du gouvernement redonne vraisemblament confiance et espoir à ses concitoyens. En signalant le début de la fin de l’impunité, il réhabilite, du coup, les victimes d’hier et de jadis.… Car la justice est la sève nourricière de la démocratie, qui, à son tour, constitue le socle et l’éperon du développement. Sans justice il n’y a pas de démocratie. En l’absence de la démocratie, il ne saurait y a voir de développement inclusif de la majorité des populations d’un pays.
Il faudra bien sûr passer de l’intention à l’acte, des paroles à la réalité. Et la transition sera jugée sur son bilan, non sur ses déclarations. Cela prendra du temps. Mais en attendant un bon et grand pas a été franchi sur la voie de la droiture, de l’équité et de l’intégrité. S’il entame et continue dans cette optique, le Burkina Faso pourra concrèrement et fièrement proclamer son nom de “pays des hommes intègres”.
Extradition et non-extradition ?
Ceci n’est pas la première demande d’extradition d’un président africain en exil . Les précédents sont, entre autres:
- Le Ghana fit la même démarche en 1966 contre Kwame Nkrumah réfugié à Conakry
- L’Ouganda, pareillement, à propos d’Idi Amine Dada, en Arabie Saoudite
- Le Cameroun, au sujet d’Ahmadou Ahidjo à Dakar
- Le Tchad, concernant Hissène Habré, vivant au Sénégal
Les autres pays acceptèrent le fait accompli du départ de leur ancien chef d’Etat, sans chercher à engager des poursuites judiciaires.
La leçon du Faso à la Guinée
La décision, hiere, des dirigeants du Burkina Faso prend une envergure africaine. Elle revêt aussi une dimension extra-territoriale.
- Au niveau multilatéral continental, elle rappelle à l’Afrique la primauté incontournable, la nécessité cardinale de la justice.
- Au plan bilatéral, l’officier supérieur —Premier ministre/chef du gouvernement —burkinaBHe donne une leçon au “professeur” et président de la Guinée. Il lui enseigne deux points fondamentaux :
- la quête de la justice est antérieure et supérieure à tout projet ou commission de “vérité et de réconciliation”
- le pays est au dessus des individus et des relations personnelles
Lire Pas de réconciliation sans justice
Ainsi, si hier Isaac Zida était un subordonné de Blaise Compaoré, aujourd’hui, en tant que Premier ministre, il donne la priorité au rétablissement de la justice. A commencer par la justiciabilité de son ancien patron.
En Guinée, par contre, Alpha Condé et ses alliés protègent l’ex-capitaine Moussa Dadis Camara, ancien chef d’Etat et maître de la junte meurtirère du CNDD.
Huit jours après leur investiture, de leur propre chef et sans intervention extérieure, les autorités du Burkina Faso affirment “le rôle fondamental de la justice.” Le Président et le Premier ministre s’apprêtent à rouvrir les dossiers Thomas Sankara et Norbert Zongo.
A Conakry, on continue d’ignorer les appels domestiques et internationaux à la justice pour le massacre du 28 septembre 2009.…
Majorité et opposition, dans le même sac
Alpha Condé n’est pas le seul à intérioriser et à reproduire l’idéologie de l’autocratie et de la dictature. Il n’est pas le premier à minimiser et à banaliser l’arrestation arbitraire, la torture, la mise à mort des Guinéens, le viol des femmes et la violation des domiciles par les forces de sécurité.
L’opposition le rejoint, plus ou moins, dans l’acceptation passive et suscpecte, l’appui tacite et déviant, la non-dénonciation et, dès lors, l’acquiescement, le consentement et la reconduction de la corruption, de la répression et de l’impunité.
Cette opposition-là présente, en conséquence, les mêmes fautes, défaillances et travers que la majorité. Par example, au lieu de s’abstenir d’étaler des condoléances politiciennes, elle rivalisa d’ardeur avec le pouvoir pour se présenter au premier rang des visiteurs suite à la mort du fils adoptif de Dadis au Canada, et de sa mère à Nzérékoré.… Sans considération aucune pour la mémoire des victimes de la tuerie du stade. Sans égard, non plus, pour les familles des morts, ou pour les blessés et les violées ayant survécu la barbarie.
Lire NZérékoré. On se lève tous pour Dadis
La semaine dernière, n’ayant rien à dire qu débiter des louanges à la mémoire du bourreau du Camp Boiro, un député de l’UFDG créa un brouhaha à l’Assemblée nationale, déclenché par ses propos sur la prétendue “fierté sous la Guinée Sékou Touré” !
Lire également Le Libéral chez le Putschiste
L’opposition s’agite inlassablement autour du calendrier électoral et des processus juridico-techniques des scrutins à venir. Cependant, il lui reste encore, à ma connaissance, à élaborer une stratégie de lutte contre l’impunité.
Les opposants sont, en général, muets ou tièdes face au passé criminel et au bilan calamiteux de l’Etat guinéen en matière des droits de l’homme, depuis Sékou Touré jusqu’à Alpha Condé, en passant par Lansana Conté, Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté.
Nul ne saurait raisonnablement faire reproche aux dirigeants de l’opposition d’avoir occupé la primature sous l’autocratie de Lansana Conté. Mais le bât blesse lorsqu’ils proclament leur fidélité au dictateur, six ans après sa mort. Ils devraient, au contraire, se démarquer du passé en publiant, par example, un programme de gouvernement dans lequel les trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) sont séparés et égaux, et mettant définitivement fin à la suprématie de la Présidence.
Faute d’un tel effort, que l’opposition sache que la dette de sang se paie toujours, tôt ou tard. A preuve, elle plane aujourd’hui sur la tête de Blaise Compaoré, pour l’assassinat de Sankara et de Zongo.
Multipliée par dizaines de milliers, la même dette pèse sur la Guinée depuis 1984. Elle réclame justice pour les victimes de la tyrannie post-coloniale, au Camp Boiro et après celui-ci. Tant que l’Etat persistera dans (a) la violation, endémique, des droits des citoyens, (b) la négation de ses propres crimes, (c) l’impunité, le pays continuera sa marche à reculons.
Tierno S. Bah
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De 1960 à nos jours, quatre phases et huit hommes ont marqué les relations entre la Guinée et le Burkina Faso (ancienne Haute-Volta) :
- 1960-1966 : Sékou Touré, F. Houphouët-Boigny, Maurice Yaméogo
- 1983-1984 : Sékou Touré et Thomas Sankara
- 1984-2008 : Lansana Conté
- 2008-2010 : Moussa Dadis Camara – CNDD et Blaise Compaoré
- 2010-2014 : Alpha Condé et Blaise Compaoré
Sékou Touré – Félix Houphouët-Boigny – Maurice Yaméogo (1960-1966). La complotite de Sékou Touré et le boomerang de l’insulte
Les présidents Sékou Touré et Félix Houphouët-Boigny eurent des rapports contradictoires et instables, mêlant attraction et répulsion, et évoluant en dents de scie. Les rapprochements spectaculaires et les visites officielles “grandioses” furent suivis de ruptures fracassantes et de confrontations verbales, et même de menaces d’invasion militaire (après la chute de Kwamé Nkrumah).
Maurice Yaméogo (1921-1993), premier président de la Haute-Volta (1960-1966)
Le creux de la crise se produisit le 18 juin 1965. Dans un article intitulé “Avec Houphouët et Senghor, un difficile ménage à trois”, le journaliste Sennen Andriamirado dépeint la dégradation — déshonorable pour tous les acteurs — des liens entre trois anciens dirigeants du RDA : Félix Houphouët-Boigny, Sékou Touré et Maurice Yaméogo.
Le 20 avril 1960, Sékou Touré dénonce un « monstrueux complot » dans lequel, accuse-t-il, la Côte d’Ivoire, la France et le Sénégal ont trempé. En particulier, ses deux voisins auraient ouvert des camps militaires à des comploteurs de part et d’autre du territoire guinéen. A Dakar, et à Bamako, les dirigeants de l’éphémère fédération du Mali (Sénégal et Soudan occidental) protestent. Le chef du gouvernement fédéral, Mamadou Dia, n’en ordonne pas moins l’ouverture d’une enquête. On découvre de fait — fût-ce a posteriori — l’étrange passage à Tambacounda (Sénégal oriental) d’un officier parachutiste français. Dans le cercle de Kédougou, trois dépôts d’armes sont découverts dans des villages frontaliers : Dinnde Fello, Bakaouka. Côté ivoirien, un collaborateur d’Yves Guéna, alors haut-commissaire à Abidjan, est suspecté d’avoir organisé une opération : réputé aventurier, Jacques Achard est chargé des renseignements généraux auprès de Guéna, qui le disculpera par la suite. Les enquêtes ordonnées par Houphouët font néanmoins état de fréquents séjours d’officiers et de sous-officiers français (des « paras »), ainsi que de la présence d’armes dans certains villages frontaliers de la Guinée.
Fin 1962, le chef de l’Etat ivoirien est invité en Guinée par son ancien lieutenant. Lequel, pour sa part, se rend au Sénégal.
C’est l’époque de deux complots contre Félix Houphouët-Boigny (1962-1963). Les relations s’étaient détériorées entre la Côte d’Ivoire et le Ghana. Plus tard, Houphouët déclarera solennellement : « Je crois en mon âme et conscience à une collusion entre MM. Sékou Touré et Kwame Nkrumah, dans leur tentative de masquer au regard des masses de leurs pays respectifs et du monde extérieur leur retentissante faillite dans le triple domaine politique, économique et humain. » Les pays de l’OCAM (Organisation commune africaine et malgache) — en tête desquels la Côte d’Ivoire — font alors campagne pour le boycottage du sommet de l’OUA (Organisation de l’unité africaine, née en mai 1963) que devrait accueillir le Ghana. Les invectives vont céder la place aux insultes sur les antennes des radios nationales de la région.
Sékou Touré qualifie de « commis voyageurs de la division » les chefs d’Etat et ministres qui parcourent l’Afrique pour expliquer l’objet de l’OCAM et dénoncer les activités subversives du Ghana. Personnellement pris à partie, Félix Houphouët-Boigny ne bronche pas : il ne peut pas « croire que son jeune frère Sékou Touré ait pu tenir de tels propos ».
Mais le chef d’Etat voltaïque, Maurice Yaméogo, répond le 2 juin 1965 :
« Un homme comme Houphouët, lorsqu’il est insulté, n’a pas le droit de répondre. Son audience constitue la meilleure réponse aux âneries de ceux qui veulent pourtant être comme lui… Ayez un peu plus de pudeur, car les Africains sont polis. »
La pudeur et la politesse ne sont hélas plus de rigueur. Sékou accuse nommément Houphouët d’utiliser « les armes du mal, le venin et le cynisme » pour entretenir « l’incompréhension entre la France et la Guinée ». Puis sont venues les calomnies, les basses allusions à la vie privée des uns et des autres. C’est encore Maurice Yaméogo qui, depuis Ouagadougou, réplique le 18 juin 1965. La vulgarité de cette réponse, de la part d’un chef d’Etat, mérite malheureusement que l’histoire la retienne. En voici des extraits :
« Mais qui est donc ce Sékou, alias Touré, qui désire tant qu’on parle de lui ? Un homme orgueilleux, menteur, jaloux, envieux, cruel, hypocrite, ingrat, intellectuellement malhonnête… Tu es le prototype de l’immoralité la plus intolérable… [NDLR : censure pour vulgarité.]
Tu n’es qu’un bâtard parmi les bâtards qui peuplent le monde. Voilà ce que tu es, Sékou, un bâtard des bâtards. Tu as honte de porter le nom de ton père. Certes, ta grand-mère maternelle est une fille de Samory Touré. Mais le père de ta mère n’était pas un Touré, mais un Fadiga… Par orgueil, tu te fais passer pour un Touré. Tu ne veux pas reconnaître ton vrai père. Tu es donc un bâtard.
A la prochaine, petit bâtard de Sékou, alias Touré. »
Même l’opposition guinéenne est essouflée d’avoir entendu un chef d’Etat africain parler de la sorte. Houphouët, lui, se tait toujours.Houphouët-Boigny (le parrain, 1905-1993) et Sékou Touré (le poulain, 1922-1984) au sein du Rassemblement démocratique africain, vers 1953.
Puis, le 8 novembre 1965, Conakry annonce la découverte d’un nouveau complot. Le 15, sur Radio Conakry, Sékou Touré accuse le chef d’Etat ivoirien d’avoir financé le complot en « achetant une femme en Guinée pour des millions de francs ». Le 17, Félix Houphouët-Boigny, invité à s’exprimer, répond enfin lors d’une conférence de presse à Abidjan :
« Non, M. Sékou Touré, le peuple de Guinée n’a besoin ni de notre soutien moral, ni de notre soutien financier — car nous sommes pauvres malgré tout ce que l’on avance à notre endroit — pour crier son mécontentement…
Vous êtes un frère, un mauvais frère, mais un frère quand même… En votre âme et conscience, qu’est-ce que la révolution toute verbale dont vous vous gargarisez à longueur de journée et que vous prétendez avoir faite, a pu apporter à votre pays ? …
Depuis l’indépendance, combien d’hommes n’avez-vous pas fait assassiner ?… Pourriez-vous l’avouer sans baisser la tête, si tant est qu’il vous reste encore une conscience ?
M. Sékou Touré, la haine née de la jalousie vous égare, altère votre raison. Elle risque de vous pousser au crime. Ressaisissez- vous ! Ce sont les conseils d’un homme qui se souvient que vous avez été à ses côtés dans la lutte émancipatrice. Avec votre nationalisme intransigeant, tempéré d’un peu de tolérance et d’humanisme, vous pouvez encore servir la cause de l’unité africaine. »
Lire le dossier complet Sékou Touré. Ce qu’il fut. Ce qu’il a fait. Ce qu’il faut défaire sur webGuinée.
L’accrochage Sékou Touré – Thomas Sankara
Sékou Touré accueillit avec sympathie la prise du pouvoir par les jeunes officiers de la Haute-Volta, dont ils changèrent le nom en Burkina Faso. Mais Thomas Sankara, le leader de la junte, avait une opinion moins favorable de Sékou Touré. Tout comme, du reste, les autres chefs d’Etat de gauche du continent —tous des militaires—, à savoir: Colonel Mathieu Kérékou (Bénin), Commandant Didier Ratsikraka (Madagascar), Mengistu Hailé Mariam.
Capitaine Thomas Sankara (1949-1987), premier président du Burkina Faso (1983-1987)
Peu après son arrivée au pouvoir, Thomas Sankara participe au Sommet franco-africain de Vittel, en 1983.
Témoin occulaire, l’ambassadeur André Lewin relate l’accrochage verbal, avant le début du sommet, entre Sékou Touré et Sankara ces termes :
Sankara était arrivé dans leur hôtel parisien en tenue de combat, bardé d’armes et de munitions ; Sékou l’avait critiqué en lui disant qu’il ne comprenait pas pourquoi le président du Burkina Faso se sentait tellement menacé à Paris et avait besoin d’un tel arsenal, en mettant cette attitude provocante sur le compte de la jeunesse et de l’inexpérience.
Sankara répliqua vertement, en disant à Sékou Touré :
— Au moins, moi, je ne serais jamais un révolutionnaire galvaudant peu à peu son idéal en vieillissant et en composant avec les réactionnaires.
Lansana Conté et le Burkina, 1984-2008, relations distantes et molles
Tenant compte du dialogue précédent, Thomas Sankara et ses proches ont dû réagir sans trop d’émotion à l’annonce de la mort de Sékou Touré, l’année suivante.
Colonel puis Général, Lansana Conté limita ses contacts avec les dirigeants du Burkina Faso. Il était peu enclin à fréquenter un Sankara qui s’en prenait ouvertement à ceux — comme Conté — qu’il considérait comme incompétents et/ou malhonnêtes.
La diplomatie bilatérale Guinée-Burkina Faso ne s’améliora pas non plus après l’assassinant de Thomas et l’accession du Capitaine Blaise Compaoré au pouvoir en 1987. Conté savait que Compaoré appartenait au giron d’Houphouët-Boigny. Or, remonant au 5 juillet 1985, un conflit personnel minait les rapports entre les présidents guinéen et ivoirien .
En effet, croyant prématurément en la victoire du Colonel Diarra Traoré au sommet de l’OUA à Lomé, Houphouët-Boigny exprima son appui à celui-ci. Il eut aussi des mots désobligeants à l’égard de Conté. Mais on sait que la tentative de coup d’Etat de l’ancien premier ministre échoua en quelques heures. Dans l’avion qui les ramenait du Togo, Conté ne se retint pas. Usant du langage le plus cru, it traita Houphouët-Boigny de tous les noms : vieux grigou, caïman, hypocrite, fourbe, menteur, sournois, etc. Ce dernier ne répondit pas à l’assaut peu diplomatique du Guinéen. Mais l’inimitié entre les deux hommes persista jusqu’à la mort d’Houphouët en 1993.
Capitaine Moussa Dadis Camara et Blaise Compaoré
En 2008, à la tête du Conseil national pour la démocratie et le développement, Capitaine Moussa Dadis Camara lance une campagne diplomatique tous azimuts : Côte d’Ivoire, Gabon, Sénégal, etc. Il n’hésitait pas à appeler le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, révérencieusement “Père”.
Blaise Compaoré et Capitaine Moussa Dadis Camara. Conakry, 2009
Faisant un virage de 180°, il sollicite et obtient notamment le rapprochement avec Président Blaise Compaoré. Il le reçoit à Conakry avec grand plaisir. Intéressée ou non, sa déférence vis-à-vis du chef d’Etat du Burkina Faso est indéniable. Jusqu’à l’attentat qui faillit lui coûter la vie. Ironie du sort, Ouagadougou est choisie comme son lieu d’exil. Compaoré ne fut même pas invité ou associé à la décision de mettre Général Sékouba Konaté à la tête de la transition guinéenne, durant l’année 2010. Ignorant tout des décisions le concernant, Dadis atterit et est bloqué à Ouaga contre son gré après son hospitalisation à Rabat. Il y séjourne toujours. Mais, désormais, avec la chute de son ancien pair et hôte, il doit se poser des questions sur son sort.
Opposition, Société civile et Transition guinéennes au Burkina Faso
Piloté par l’ancien numéro 3 du CNDD, le régime de la Transition s’étendit de février à novembre 2010. Durant ces mois, l’opposition, la société civile et Général Konaté portent leur choix sur Blaise Compaoré pour préparer l’élection présidentielle. Les va-et-vient officiels guinéens sont très fréquents entre les deux pays. Lire mes blogs :
- Médiation truquée, solution faussée (novembre 2009)
- Déclaration militaro-militaire ou diktat ! (janvier 2010)
- “République de Guinée, capitale Ouagadougou” (février 2010)
- Election. Alpha Condé ne se voit pas perdant (septembre 2010)
Confuse, désorganisée et guidée par l’appétit du pouvoir personnel, l’opposition est dorlotée et roulée par un “Médiateur” baisé et plein de parti-pris en la personne du président Blaise Compaoré.
Alpha Condé et Blaise Compaoré
Le second tour de l’élection présidentielle de 2010 fut précédé de violences électorales. Tenu de cinq mois après le premier, il fut entaché de tricheries et sanctionné par des complicités de toutes sortes.
Présidents Blaise Compaoré (Burkina Faso) et Alpha Condé (Guinée) à Conakry, 18 juillet 2014
Alpha Condé fut soutenu par Général Sékouba Konaté et le premier ministre Jean-Marie Doré, à l’intérieur, et par la France, la franc-maçonnerie et Blaise Comparé, à l’extérieur.
Le plan d’imposition d’Alpha Condé à la présidence bénéficia de la complicité de la Commission nationale électorale indépendante (CENI) dirigée par le général malien Toumany Siaka Sangaré. Peu après son forfait, Toumany Siaka Sangaré rejoignit le Mali, où il vit depuis lors du salaire de sa trahison. (Lire “Un général propose, un général dispose”)
Faisant preuve de démission collective la Cour suprême enfonça le clou en proclamant des résultats truqués en faveur du candidat du RPG.
Au cours de la campagne, Alpha Condé tissa outrancièrement la division ethnique, affirmant avoir le soutien de trois régions de la Guinée sur quatre. Le Fuuta-Jalon était l’exception. A supposer un instant que son déclaration était bien fondée, ses supporters constatent aujourd’hui l’incompétence de son régime et l’incapacité de M. Condé d’exercer une présidence qu’il a convoitée toute sa vie. Il se révèle inapte à en assumer la charge et les devoirs. Mais il ne manque pas, bien sûr, de profiter des avantages et des privilèges de la fonction.
Lors de son investiture il blâma Blaise Comparé, — son entraîneur et formateur — pour ses maladresses et sa gaucherie.
Depuis lors, il a rompu son alliance avec Sékouba Konaté, Lansana Kouyaté, Jean-Marie Doré, etc.
Le voilà désormais privé de l’appui de son compatriote burkinaɓe.
Que va-t-il faire ?
Tierno S. Bah
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Lorsqu’on n’a rien à dire, il vaut mieux se taire. Négligeant cet adage, un titre sensationnel de Jeune Afrique fait de la non-information sur l’enquête du massacre du 28 septembre 2009 et à propos d’un hypothétique et vague grill de Moussa Dadis Camara à Ouagadougou
En effet, l’article de JA ne cite aucune source, probable ou vérifiable. Ne se réfèrant même pas à des informateurs anonymes, Jeune Afrique se livre à des suppositions hâtives et à des prétentions infondées.
Les suppositions de JA
Au lieu d’indiquer la date et la durée du séjour des magistrats guinéens, JA se contente de dire prochainement. Depuis quand un adverbe entre dans le calendrier en matière de déontologie du journalisme ? Si la rédaction avait réfléchi un peu, elle aurait, par scrupule professionnel, fourni le jour, le mois et l’année de l’audition de l’ancien chef de la junte militaire du Comité national pour la démocratie et le développement (CNDD).
Ensuite, JA s’empresse d’annoncer l’audition d’anciens ministres à Conakry. Quand? Là également, la plume de JA reste silencieuse.
Enfin, comble de négligence, l’article souligne que “les juges souhaitent également entendre l’ex-président Sékouba Konaté, ministre de la Défense à l’époque des faits.” Mais il ne nomme pas les magistrats. JA ne dit pas non plus où et quand ces enquêteurs anonymes ont exprimé leur intention d’interroger le Général, “frère et ami” de l’ex-capitaine Dadis Camara.
Prétentions
JA affirme que le président Alpha Condé aurait téléphoné à son mentor et homologue du Burkina Faso pour “appuyer” la prétendue audition. Une fois de plus, aucune date n’est avancée pour cette communication, qui est peut-être imaginaire. Tant d’imprécision incite au scepticisme.
D’autant plus que ce n’est pas par téléphone seulement qu’on fait avancer un dossier juridique épineux, qui relève du crime contre l’humanité. Il est impératif en pareil cas de passer par la correspondance écrite, datée, publiée et vérifiée. C’est la meilleure manière de prouver le sérieux que l’on accorde à l’affaire.
Pareillement, si trois membres du gouvernement soutiennent le déblocage du processus judiciaire, JA aurait dû prendre contact avec le service de presse de leurs départements. En citant une éventuelle corroboration officielle l’article aurait eu une certaine crédibilité.
En somme, à cause de ses défaillances informationnelles et de sa médiocrité journalistique, l’article aggrave le suspens judiciaire autour du massacre en septembre 2009 au stade sportif de Conakry. Il ne l’atténue pas. Au contaire, il fait reculer la possibilité et la probabilité de voir, un jour, les perpétrateurs punis. Et d’obtenir justice pour les victimes.
Impunité
L’impunité en Guinée ne se limite pas à Moussa Dadis Camara. Datant de 1958, elle est devenue endémique. Acceptée, banalisée, normalisée, elle fait de l’Etat un violateur quotidien des droits des citoyens. Elle a dégradé un pays jadis promis et prometteur en une contrée pauvre à horizon incertain. Elle a détruit une société naguère policée et solidaire et l’a remplacée par une jungle. La loi de la force y règne. La force de la loi y est ignorée.
Ainsi, à propos des violences ethniques de Koulé et Nzérékoré, l’an dernier, une opinion que Le Monde a, au moins, pris soin d’identifier est catégorique :
“Aucune enquête sérieuse n’a été conduite à la suite des violences précédentes qui ont fait des dizaines de morts. Les populations ont donc le sentiment d’être oubliées par les autorités de Conakry et que les auteurs des violences agissent en toute impunité.” (Béatrice Abouya).
On se souvient que les cadavres étaient encore chauds, les blessures saignantes, et les lamentations vives le 23 juillet 2013, lorsque M. Condé choisit de s’envoler le même jour pour un sommet de la CEDEAO à Abuja, Nigeria. Aveuglé par la présidence, l’inconguité et la malséance de son voyage lui échappèrent. Premier magistrat de la république, il se déroba ainsi à ses obligations et afficha une indifférence — cynique et coupable — face aux violences secouant la Guinée Forestière.
Alpha Condé n’a cure pour son pays de naissance, la Guinée, ou pour celui de ses pères, le Burkina Faso. Son obsession, c’est le pouvoir en soi et pour soi, l’autorité nue et brute, l’autocratie vaine et détachée du sort des populations.
Tierno S. Bah
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L‘enquête sur le massacre du 28 septembre 2009 au stade de Conakry reprend. Des magistrats guinéens devraient prochainement interroger à nouveau, à Ouagadougou, l’ancien chef de la junte Moussa Dadis Camara.
Après avoir longtemps piétiné, l’enquête sur le massacre du 28 septembre 2009 en Guinée progresse enfin. Trois magistrats guinéens vont se rendre à Ouagadougou afin d’entendre de nouveau Moussa Dadis Camara, l’ancien chef de la junte déjà brièvement auditionné comme témoin, le 23 juillet (une audition qu’avait appuyée Alpha Condé en téléphonant à Blaise Compaoré, son homologue burkinabè).
Mais les juges espèrent tirer davantage de lui et peuvent compter sur le soutien de trois membres du gouvernement, en première ligne pour faire avancer l’enquête :
- le ministre de la Justice, Cheikh Sako
- le ministre des Affaires étrangères, Louncény Fall,
- le ministre aux Droits de l’homme, Khalifa Gassama Diaby
A Conakry, aussi, d’autres auditions vont avoir lieu, celles notamment de deux ex-ministres :
- Fodéba Isto Keira (Jeunesse et Sport)
- Claude Pivi Togba (Sécurité présidentielle)
Les juges souhaitent également entendre l’ex-président Sékouba Konaté, ministre de la Défense à l’époque des faits.
Anoter que la Cour pénale internationale (CPI) est censée évaluer tous les six mois les avancées de l’enquête. Mais que, lors de leur dernière visite à Conakry, en juin, les enquêteurs du bureau du procureur ont fait savoir que ce serait la dernière.
A cause du virus Ebola.
Jeuneafrique.com
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Collectif des Chefs de canton du Cercle de Labé, Guinée française, 1956.
A la fin de son article Victoire saignante du « débrouillardise » : l’« Arc » récolte ce que l’« Alliance » a semé ! paru le 20 septembre 2010 sur Guineepresse.info, Ibrahima Kylé Diallo écrit :
b) Sur la forme : Je m’excuse à l’avance car je sais que je vais choquer certains. Le fameux « pouto » (bonnet brodé) revêt une connotation trop peuhle. Mettez-vous à la place d’un Soussou, d’un Malinké ou d’un Forestier qui serait entouré d’une masse de militants portant ce « pouto » et ne s’exprimant qu’en peulh ! Nous sommes dans le cadre d’une élection nationale et non dans celui d’une confrérie maraboutique du Fouta central. Le « pouto » est beau mais je me rends compte que la beauté peut faire peur !
Par ailleurs, les sympathisants de Cellou ont manqué de finesse. Par leurs « troupeaux de motos », ils ont agacé par le bruit d’autres Guinéens qui n’ont vu en eux que des arrogants. Certains commerçants avaient qualifié Alpha Condé de « quinquéliba » et Cellou de « sucre », non par complémentarité mais par mépris. Aujourd’hui, ils ne consommeront pas de sucre même s’ils n’ont pas de diabète.
Sans être exhaustif, j’ai dit pourquoi l’ « Alliance » a perdu. Maintenant, il faut faire en sorte qu’elle ne soit pas perdue. Il appartient à l’Ufdg, qui est une formation à l’échelle nationale, de montrer qu’elle se situe au-dessus des clivages ethniques. A vouloir trop insister sur la « foulanité » de ce parti on rend service aux extrémistes de notre « jeune » président Condé.
Mes vues sont diamétralement opposées à l’opinion de M. Ibrahima Kylé Diallo. Et voici pourquoi.
Il écrit :
1. Je m’excuse à l’avance car je sais que je vais choquer certains. Le fameux « pouto » (bonnet brodé) revêt une connotation trop peuhle.
Il n’y a pas lieu de s’excuser. Je relève toutefois les failles et inanités de la dernière partie de l’article.
L’auteur cherche plutôt, sans succès, à séparer forme et fond, identité culturelle et “construction nationale”.
Cellou Dalen Diallo, en costume traditionnel
La mince couche francophone qui sert d’élite à l’etat postcolonial africain est l’incarnation même de l’ambiguïté, du déracinement et de l’aliénation culturels.
Depuis que la France est parvenue, à travers l’école, à laver le cerveau de ses colonisés — au Fuuta-Jalon et ailleurs en Afrique —, il fait bon ton de paraître occidental. En l’espèce, c’est l’implication du rejet du puuto en période électorale par M. Diallo et sa préférence de la tenue européenne (costume, cravate, chaussures) .
M. Diallo est conscient du fait qu’il va “choquer certains”. Je prends acte de la précaution stylistique. Mais lorsqu’il considère que le bonnet brodé du Fuuta-Jalon “revêt une connotation trop peuhle”, il franchit la limite de l’acceptable. Ce faisant, il rappelle cette réponse d’une fillette dans le film « Hôtel Rwanda ». Craignant pour sa vie, elle implore ses tourmenteurs Hutu, dans un sanglot apeuré et désespéré : “Je promets que je ne serai plus Tutsi.” Comme si appartenir à cette ethnie est un crime punissable de mort !
Lamarana Bah, ancien ministre des affaires étrangères, arborant le puuto durant une cérémonie officielle. Conakry, 2008. C’est l’un de mes anciens étudians et, peut-être, un promotionnaire d’Ibrahima Kylé Diallo.
Les arguments de mon objection à l’article sont nombreux. Je me limite aux éléments ci-après.
Sous le régime temps de la colonisation française, Yacine Diallo, pionnier de la politique en Guinée se convertit au Catholicisme pour être bien vu par les puissants du jour. Il accepta d’ajouter à son nom de baptême musulman le prénom chrétien Louis. Et dire qu’il fut un pupille de Tierno Aliou Bhuubha Ndiyan à Labé.
Il reçut tout de même l’appui de l’Almami alfaya de Mamou. Ce qui entraîna aussitôt l’opposition de l’Almami soriya de Dabola. Les deux cousins continuaient ainsi dans la Guinée coloniale, l’ancienne rivalité féodale entre les deux branches du lignage des Seediyaaɓe. Cette adversité datait de la mort de Karamoko Alfa mo Timbo en 1760.
Telli Diallo, premier secrétaire général de l’OUA, aujourd’hui Unon Africaine. Ici, en costume traditionnel pullo. Paris, 1950
Et pourtant, dans Ecailles du ciel, Tierno Monenembo rappelle, dans un tableau croustillant, la tension entre partisans et résistants à l’école française au Fuuta-Jalon après la défaite de Pooredaka en 1896.
Paul Marty fournit des détails précieux sur le système d’éducation au Fuuta-Jalon. théocratique. Au début du régime colonial, les parents étaient hostiles à l’idée d’inscire leurs fils à l’école française. Ils percevaient et rejetaient l’aliénation inhérente à l’enseignement colonial. Et ils redoutaient t l’assimilation culturelle résultant de la scolarisation française.
Utilisant tous les moyens, les autorités coloniales vinrent à bout de la résistance. En conséquence, vers la fin des années 1910, la langue française remplaça l’arable et le pular ajami dans l’enseignement, .
Papa Koly Kourouma, politicien, ministre-conseiller à la Présidence. Ici en costume traditionnel kpèlè (guerzé)
Et poutant, l’identité ethnoculturelle des Fulɓe ne plia pas.
Après la disparition de Gilbert Vieillard en 1940 sur le front de guerre. une Amicale culturelle prit son nom et entreprit de défendre et d’illustrer la culture autochtone. Sous l’impulsion d’hommes de culture tels que Tierno Chaikou Baldé, l’Amicale Gilbert Vieilard donna une nouvelle vigueur à la tradition fuutanienne. Les efforts de cette génération pionnière donna ses fruits avec les travaux et la carrière de grands intellectuels débarassés de complexes d’infériorité. Parmi eux, citons Ousmane Poréko Diallo, Boubacar Telli Diallo, Alfâ Ibrâhîm Sow. Ils étaient à l’aise aussi bien en costume européen qu’en habit traditionnel du Fuuta-Jalon. Au-delà de l’habit, ces fils du Fuuta étaient fiers de leur héritage culturel. Ainsi Telli Diallo nous rappelle :
« … il importe de ne pas perdre de vue que les Peuls sont, de tous les Africains de l’Ouest, les plus profondément islamisés.
Ils forment une communauté très homogène, fortement disciplinée, hiérarchisée et organisée en une féodalité théocratique. »
Introduisant son oeuvre de publiciste du Oogirde Malal de Tierno M. Samba Mombeya Alfâ Ibrâhîm Sow souligne :
« Si le Filon du bonheur éternel continue, cent cinquante ans après sa rédaction, à émouvoir les lecteurs de notre pays, c’est surtout à cause de la vocation littéraire qu’il assure au pular-fulfulde, à cause de sa versification juste, sûre et élégante, de sa langue saine, savante et subtile, de la volonté nationale d’affirmation culturelle qu’il incarne et du désir d’autonomie et de dignité linguistiques qu’il exprime. »
Sous la dictature de Sékou Touré, le PDG eut beau jeu de diaboliser la chefferie traditionnelle. Sans se rendre compte que les diplômés de l’école française et la chefferie de canton étaient tous des produits de la colonisation. Ironie, paradoxe, cynisme ! Comme le montre la photo, en tête d’affiche, du collectif des chefs de cantons du cercle de Labé (dont mon père, Tierno Saidou Kompanya) ces patriarches appliquaient le code vestimentaire traditionnel du Fuuta-Jalon :
Puuto + grand-boubou leppi ou blanc (avec pantalon et fokiya/foroku en-dessous) + sandales de cuir |
Le problème d’Ibrahima Kylé est simple. Au lieu de suivre, sans ambiguité, le chemin tracé par ses prédécesseurs (Telli Diallo, A.I. Sow, etc.) dans la promotion de la culture fuutanienne, il hésite entre l’admiration et la dénonciation de ce trésor pourtant universellement reconnu. Que l’on pense par exemple au jubaade, qui est l’équivalent féminin du puuto.
Femme portant le jubaade, 1931 | Jeune mère avec le jubaade, 1950 |
Jeune fille tressée du jubaade. Conakry, années 1960 | Miriam Makeba (1932-2008) portant le jubaade |
Professeur et critique d’art, Jacqueline Delange a une appréciation fine du jubaade. Dans une étude intitulée “L’art des Fulɓe” elle écrit :
« Au Fouta-Djallon, le jubaade fait penser à un mobile de Calder : les tresses et les coques sont prolongées en avant, parfois en arrière, par une sorte d’énorme papillon noir; les cheveux du dessus sont tressés en forme de cimier transparent tendu sur une lamelle de bambou arquée; des couronnes de fins anneaux et de pièces d’argent terminées par des pendants d’oreille torsadés ajoutent leur fragile éclat à cette étonnante architecture. »
Le puuto des Fulɓe est aussi culturellement iconique que le keffiyeh des Arabes, le yarmulke ou kipa des Juifs, le turban des Sikhs, etc. Et contrairement à M. Diallo, la plupart des Fulɓe — y compris les politiciens — ont compris que le salut réside dans le fait d’assumer son identité, pour soi et non contre l’autre. Même sous les dictatures successives de Sékou Touré et de Lansana Conté.
Par exemple, Abdourahmane “Vieux” Dalen Diallo — doyen du Bureau politique du Pdg et qui assurait l’intérim de la présidence de la république de 1959 à 1963 —, Saifoulaye Diallo, etc. nous ont tous laissé des portraits où ils sont habillés en boubou cotton teint à l’indigo et coiffés du puuto (non pas pouto).
Leurs cadets, les ministres Fulɓe de Lansana Conté, portaient fréquemment le même ensemble: Thierno Mamadou (grand) Cellou Dalen, (petit) Mamadou Cellou, Thierno Habib Diallo, etc. siégeaient en conseil de ministres ainsi parés. Conté finit par dire un jour en Conseil de ministre qu’ils aimaient se singulariser avec leur bonnet. A l’occasion, Cellou Dalen lui répondit que la coiffure, créée avant la période précoloniale, était avant un symbole culturel.
Ibrahima Kylé Diallo continue :
2. Mettez-vous à la place d’un Soussou, d’un Malinké ou d’un Forestier qui serait entouré d’une masse de militants portant ce « pouto » et ne s’exprimant qu’en peulh !
Une fois de plus l’orthographie pouto est francisée et ne se conforme pas à l’Alphabet Standard du Pular/Fulfulde. Dans la langue des Fulɓe, tout qui s’écrit se prononce. L’épellation correcte est donc puuto
Cela dit, pourquoi chercher à imiter les autres ? Pourquoi être timide voire avoir peur —encore moins honte — d’être Pullo ?
Pourquoi cesser d’être soi-même et faire le caméléon ? Pourquoi ce mimétisme ?
A Conakry., au Fuuta-Jalon, partout ailleurs en Guinée, les individus sont libres de s’habiller selon leur goût. En Forêt (Kpèlè, Kisi, Toma). les ministres Papa Koly Kourouma, Germain Doualamou, Gilbert Ifono, etc. arborent fréquemment avec élégance et fierté leur habit traditionnel. Personne ne le leur reproche. C’est un comportement normal et admirable, dont la valeur est de revigorer la tradition africaine menacée à travers le continent. Honni qui mal y voit !
3. Nous sommes dans le cadre d’une élection nationale et non dans celui d’une confrérie maraboutique du Fouta central.
A un journaliste qui lui demandait son opinion de la civilisation occidentale, Mahatma Gandhi répondit que ce serait une bonne idée… c’est-à-dire si elle existait…
Cette boutade s’applique aujourd’hui au concept de nation guinéenne, qui existe sur papier, dans les discours et les slogans, certes, mais dont la réalité a été affaiblie par Sékou Touré, lui-même. suivi par Lansana Conté, Moussa Dadis Camara, Sékouba Konaté et Alpha Condé.
L’habit ne fait pas le moine
Si l’on regarde les affiches électorales, on verra que Cellou a porté le puuto au premier tour. Il obtint 43% des votes
Il adopta le costume européen au second tour. Résultat: il fut vaincu, même si sa défaite fut le résultat d’un énorme trucage.
Son échec du 15 novembre ne s’explique pas par son comportement vestimentaire et son apparence. C’est son message qui aurait dû porter. Mais c’était sans compter avec la duplicité et la manipulation de la formidable coalition ethnique d’Alpha Condé, épaulée par la sournoiserie du premier ministre Jean-Marie Doré.
Aly Gilbert Iffono, ancien ministre de la culture. Ici, en costume traditionnel kissi
Je clos ce point en rappellant que le Fuuta-Jalon théocratique était un bastion du Sunnisme éclairé. C’était le Dar-al-Islam (Porte d’Islam) décrit par Gilbert Vieillard , caractérisé par une foi profonde, la quête du savoir, et une religion austère dénué de confréries “maraboutiques”.
4. Le « pouto » est beau mais je me rends compte que la beauté peut faire peur !
Cet argument est spécieux et irrecevable. Car bien que les canons de beauté soient à la fois spécifiques et universels, la beauté inspire l’admiration et non la peur. A travers l’espace-temps, et compte non tenu de son origine géographique ou de leurs racines ethniques, l’art (musique, sculpture, peinture, etc.) est la marque du génie humain. Il n’est pas à craindre. Il faut plutôt le céébrer.
Seules l’ignorance et la propagande politicienne peuvent jetter le discrédit sur la créativité artistique. Elles engendrent la xénophobie.
Soit ! Mais pour autant, aucun peuple au monde ne renoncera à son identité culturelle. Ce sont ces spécificités qui constituent l’humanité. Celle-là, dans son essence, est la somme totale de l’originalité et de la diversité de ses civilisations et de ses cultures.
5. Sans être exhaustif, j’ai dit pourquoi l’ « Alliance » a perdu.
Je doute fort qu’un article puisse, même de façon partielle, révéler pourquoi et comment Cellou Dalen et ses alliés ont été trichés. Il faudrait tout un livre, au moins. L’affirmation est donc une exaggération.
6. Il appartient à l’Ufdg, qui est une formation à l’échelle nationale, de montrer qu’elle se situe au-dessus des clivages ethniques.
Du fait de la persistance de la dictature, la Guinée n’as pas eu une expérience et une culture démocratiques. Depuis 1958 les potentats successifs ont chacun exploité la fibre ethnique. Ils ont vicié et le concept et la pratique de la démocratie.
Au point de paraître naïf et passif aux yeux de certains observateurs, Cellou Dalen a, partiellement, essayé d’inverser le réflexe autoritaire guinéen.
Mais, pour reprendre un dicton américain, il faut deux cavaliers pour danser le tango.
En violation flagrante de la loi électorale, quatre mois ont séparé les deux tours de l’élection présidentielle. Ce delai illégal fut mis à profit pour developer une stratégie ethnocentriste et ethnocratique.
Appuyés par les autorités de la Transition (présidence, primature, forces armées et de sécurité), le camp d’Alpha Condé monta une incroyable tricherie au niveau de la Ceni.
Cellou Dalen et son alliance formèrent une coalition ethniquement plus diverse que celle de leurs rivaux, Ils ont été politiquement battus. Mais aujourd’hui, ils n’ont rien à se reprocher.
7. Vouloir trop insister sur la « foulanité » de ce parti on rend service aux extrémistes de notre « jeune » président Condé.
La politique ne devrait nullement conduire à se détourner de traditions culturelles millénaire. Elle ne saurait se traduire par la dilution des identités ethniques et culturelles. Au contraire ! Tout candidat doit pouvoir assumer son ethnicité. De manière positive, sans entraves et sans complexes.
La “foulanité” de l’Ufdg et la “mandenité” du Rpg ne devraient pas être exploités comme des poisons ou des obstacles. Les deux peuples cohabitent et coopèrent depuis des siècles.
En soi, le facteur ethnique n’est pas un frein à la construction de l’état-nation. Mais il requiert la sincerité et l’humilité des leaders politiques
L’Ufdg fit de son mieux pour rassembler Fulɓe et non-Fulɓe dans ses rangs.
Mais Alpha Condé s’est souvenu du proverbe qui dit : “Celui qui veut noyer son chien l’accuse de rage”. Le voleur a donc crié le plus fort “Au voleur.”
Dans les années 1990, il avait qualifié de bâtard tout Maninka qui ne voterait pas pour lui.
Porteur d’un ethnocentrisme démagogique, “arrogant” et “haineux” Alpha Condé traite les commerçant de mafia. Un tel langage est typique d’un politicien aux visées funestes. Le mot mafia s’applique à la pègre italienne.
Alpha Condé fait écho aux diatribes vénimeuses de Sékou Touré contre les Fulɓe en 1976, ainsi qu’au fameux “Wo fatara” de Lansana Conté en 1985.
Partisans et opposants de la dictature se sont affrontés dans l’élection présidentielle. Deux camps ont rivalisé : d’une part, celui des destructeurs (Alpha Condé, Sékouba Konaté, Jean-Marie Doré, et cie.), et celui des bâtisseurs, d’autre part.
En définitive, M. Diallo n’est pas fautif de n’avoir pas triché. Par contre, M. Condé a tort d’avoir manigancé. L’issue du combat était prévisible. Car, dit-on
La victoire frauduleuse du Rpg illustre rappelle, une fois de plus, qu’il est plus facile de détruire que de construire. Elle signale aussi la perpétuation du malheur de la Guinée,
Par son interprétation superficielle et erronée de l’identité ethnique, du patrimoine culturel et de la tradition vestimentaire des Fulɓe du Fuuta-Jalon, le blog de Ibrahima Kylé Diallo passe nettement à côté du sujet.
Tierno S. Bah
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