La Plaine des Morts. Le Tchad de Hissène Habré

A la mémoire de toutes les victimes du régime de Hissène Habré et à tous ceux qui œuvrent sans relâche pour la justice.

Rapport intégral de Human Rights Watch
Version PDF, 742 pages

Présentation

Le régime à parti unique de Hissène Habré fut marqué par des atrocités commises à grande échelle, en particulier par des vagues d’épuration ethnique, des arrestations massives et un usage systématique de la torture. A leur sortie de l’enfer, des survivants des geôles tchadiennes se jurèrent de tout faire pour que les anciens responsables répondent de leurs actes. Ils voulaient rendre justice aux victimes du régime, décédées ou disparues, comme ces centaines d’anonymes enterrés dans un immense charnier aux abords de N’Djamena : la « Plaine des morts ». Ils s’organisèrent pour rassembler les victimes et réunir des preuves en vue d’éventuelles poursuites pénales.
C’est dans la continuité de leur travail que dix ans plus tard, deux chercheurs de Human Rights Watch récuperèrent au Tchad les archives de la Direction de la Documentation et de la Securité (DDS), la police politique du regime qui constituait « l’œil et l’oreille du President », mettant ainsi la main sur la mémoire douloureuse des années sombres du Tchad. Grace à ces milliers de documents venus corroborer des centaines de témoignages de survivants, d’experts et de personnes travaillant pour l’administration, Human Rights Watch et ses partenaires ont pu retracer l’histoire de la repression.
Rien que ces archives révèlent les noms de 1 208 personnes executées ou décédées en détention et de 12 321 victimes de violations des droits humains.
Cet ouvrage, fruit de treize annees d’enquête, constitue l’une des premières approches scientifiques jamais écrites sur cette période. A travers les yeux des rescapés, La Plaine des Morts rend compte de l’ampleur des souffrances de ces huit années de répression et, grâce aux documents retrouvés et àla diversité des témoignages recueillis, s’attèle àdéconstruire les rouages d’un système autoritaire.

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Résumé

En 1985,  Sabadet Totodet, jeune étudiant tchadien, venait de recevoir une bourse pour étudier la médecine à l’étranger, décernée par l’Union nationale démocratique (UND), tendance politique d’opposition sous Hissène Habré. La veille de son départ, le 12 juillet 1985, Sabadet fut arrêté par un agent de la DDS, la Direction de la documentation et de la sécurité, la police politique du régime. Il fut accusé de préparer une rébellion armée contre Hissène Habré.
Sabadet resta un peu plus de deux semaines au siège de la DDS, dans une cellule extrêmement surpeuplée, les détenus ne pouvant pas réellement s’étendre ou dormir. Ils étaient contraints d’uriner et de déféquer dans la cellule qui était envahie de poux et d’insectes.
A la fin juillet, Sabadet fut transféré à la prison dite des « Locaux », une de ces nombreuses prisons qui formaient un véritable archipel de la mort dans la capitale tchadienne, où il resta en détention pendant presque quatre ans. Dans cette prison, il fut forcé d’exécuter de nombreux travaux : gestion du stock de nourriture en tant qu’adjoint-magasinier, préparation de la nourriture pour toutes les prisons de la DDS. Il fut aussi aide-infirmier et, à ce titre, soignait les détenus avec un peu de médicaments mis à sa disposition. Sabadet fut ensuite « fossoyeur ». Lui qui rêvait de devenir médecin fut contraint d’enterrer les corps de ses codétenus, victimes de la DDS, morts à cause de mauvaises conditions de détention, d’exécutions extra-judiciaires ou de tortures. Il fut forcé de creuser des dizaines de fosses communes et d’y jeter les morts sans forme de sépulture.

Chaque jour, il devait extraire des cellules les nombreux cadavres, les charger dans des véhicules de la DDS, puis creuser des charniers en dehors de N’Djamena dans ce lieu sinistre depuis surnommé la « Plaine des morts ».
Il fut libéré le 7 mars 1989, à la suite des accords entre le gouvernement de Hissène Habré et certains partis d’opposition et factions armées. Après sa mise en liberté, la DDS lui  proposa de retourner en prison comme « espion » des autres détenus, ce qu’il refusa. Il n’a jamais pu réaliser les études qu’il avait envisagées.
Après la chute de Hissène Habré en 1990, Sabadet s’engagea résolument dans la quête de justice pour les victimes du régime.
Il mourut en 2002 des suites de l’alcoolisme, dans lequel il était tombé au sortir de l’expérience traumatisante qu’il avait subie en détention, et de sa vie brisée par les années perdues en prison.
Un jour de sa détention, alors qu’il était en train de creuser une énième fosse commune en compagnie d’autres prisonniers à la Plaine des morts, il découvrit un bout de tissu qui dépassait de terre. Il reconnut tout de suite le pagne que portait une de leurs codétenus de la prison des « Locaux », une femme que nombreux dans la prison respectaient pour son courage et sa détermination : Rose Lokissim.
Rose Lokissim fut détenue en 1984 dans plusieurs cellules, dont la « cellule C » surnommée la « cellule de la mort » : d’après les  témoignages de rescapés de ce système carcéral, « on n’en ressortait pas vivant ». Ceux qui y étaient enfermés étaient « programmés » pour y mourir. La cellule comptait le plus grand nombre de prisonniers, principalement des hommes. Entre cinquante et soixante détenus étaient entassés sur une surface de 102m² environ, mais ce nombre pouvait être bien plus élevé, jusqu’à dépasser la centaine.
Malgré les risques encourus, Rose se donna pour mission de faire connaître le sort des prisonniers de la DDS au monde extérieur.
S’assurant de l’aide de certains geôliers, elle s’organisa pour transmettre des informations aux familles des détenus. Rose notait le nom des prisonniers, des morts et des disparus sur du papier à cigarette, rassemblant de nombreux détails pour que ces personnes ne tombent pas dans l’oubli. Son courage ne passa pas inaperçu et elle fut un jour dénoncée. Hawa Brahim Mardié, ancienne détenue aux « Locaux » se souvient :

« Un jour, ils ont fait la fouille chez elle et ils ont trouvé les papiers. Les militaires ont pris une pelle et une pioche et l’ont emmenée dans la voiture […] Après, nous avons appris qu’ils ont mis une corde autour de son cou et qu’ils ont tiré des deux côtés pour l’étrangler ».

Dans le procès-verbal d’interrogatoire de Rose du 15 mai 1986, récupéré par Human Rights Watch parmi des dizaines de milliers d’archives de l’ère Habré, les agents de la DDS y avaient retranscrit une de ses phrases, qui aujourd’hui prend tout son sens :

« Si je venais de [sic] mourir, c’est pour mon pays et mes parents et l’histoire parlera de moi et l’on me remerciera du service rendu à la nation tchadienne ».

Le 8 février 2013, les « Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990 » ont entamé leur travail. Le 2 juillet, les Chambres ont inculpé l’ancien dictateur tchadien pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture.
L’heure est enfin venue de rendre justice à Rose, à Sabadet et à toutes les victimes de l’ère Habré.

***

Les histoires de Sabadet et de Rose sont celles de milliers de Tchadiens, victimes d’un système de répression et d’élimination systématique des personnes que le régime considérait comme « ennemies » du régime. La DDS constituait « l’œil et l’oreille du Président de la République » et lui transmettait le moindre détail de la répression au moyen d’un système très élaboré de fiches et de rapports d’interrogatoire. L’histoire tragique de Rose a pu être retracée notamment grâce à la découverte de ces documents où tout était minutieusement noté. Sabadet, lui, a pu témoigner avant de mourir.
Entre 1982 et 1990, le régime de Hissène Habré fut responsable de milliers de cas d’assassinats politiques, de « disparitions », de tortures et de détentions arbitraires. Rien que dans les documents de la DDS récupérés par Human Rights Watch, se trouvent les noms de  1 208 personnes tuées ou décédées en captivité et de 12 321 victimes de tortures, de détention arbitraire et d’autres violations des droits humains.

Dès son arrivée au pouvoir, Habré mit en place un système
implacable de contrôle du pays, de ses institutions, de son
administration ainsi que de ses populations. Il mit sur pied un parti unique sur lequel il avait la haute main, l’Union nationale pour l’indépendance et la révolution (UNIR). Tous les autres partis furent totalement marginalisés.
La rédaction du présent ouvrage s’est avérée nécessaire pour proposer, plus de vingt ans plus tard, une vision d’ensemble des violations des droits humains commises sous ce régime.
Ce rapport est l’une des premières études scientifiques jamais écrites sur l’ère Habré. Il relate des faits et s’appuie  sur des preuves recueillies pendant 13 ans par les associations de victimes au Tchad et différentes organisations non gouvernementales.
Human Rights Watch et ses partenaires ont récolté tout au long de ces années des preuves multiples, des recensements exhaustifs de victimes, des témoignages accablants et documentés, ainsi que les archives de la police politique. Tous ces éléments constituent la base documentaire de ce  rapport.

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