L e 22 novembre en fin de matinée, quelques heures après l’invasion, l’ambassadeur extraordinaire de la république de Guinée auprès des Nations unies, M. El Hadj Abdoulaye Touré, remet au secrétaire général de l’organisation internationale, M. U Thant, un message « urgent » de son gouvernement. Dans celui-ci, le gouvernement guinéen réclame « l’intervention immédiate des troupes des Nations unies afin de prêter assistance aux forces guinéennes dans le combat qui les oppose aux unités de l’armée portugaise ». Au même moment, le représentant permanent du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) à Conakry, M. Roger Polgar, confirme à son supérieur hiérarchique à New York, Paul G. Hoffman (administrateur du PNUD), le « débarquement de forces extérieures ». Il ajoute : « Situation très sérieuse requiert votre considération personnelle. » Ce second message rejoint le premier sur la table de M. Thant qui, conformément à la procédure, saisit immédiatement l’organe suprême des Nations unies, le Conseil de sécurité. Dans l’après-midi du 22 novembre, le président du Conseil de sécurité reçoit une lettre contresignée par tous les Etats africains membres des Nations unies (exception faite du Malawi et de la République sud-africaine) dans laquelle les signataires réclament la convocation immédiate du Conseil de sécurité. Il reçoit également du secrétariat général les messages du gouvernement guinéen, du représentant du PNUD à Conakry, ainsi qu’une note du gouvernement portugais précisant que « les accusations portées par la Guinée sont dénuées de tout fondement ».
Le 23 novembre au matin, au second étage du building des Nations unies, dans la salle gris et bleu du Conseil de Securité, les membres du Conseil, après avoir été informés, votent à l’unanimité une résolution réclamant « l’arrêt immédiat de l’agression armée et le retrait de tous les éléments armés qui se sont introduits en Guinée ». Après une courte suspension de séance, le conseil décide l’envoi immédiat d’une mission d’information et d’observation. Un amendement, présenté par les Etats-Unis demandant que la composition de cette mission soit débattue au sein même du Conseil de sécurité, est rejeté, et il est décidé de laisser ce soin au président du Conseil de sécurité, l’ambassadeur syrien George J. Tomeh, et au secrétaire général, U Thant. Dans la soirée du 23 novembre, la composition de la mission est rendue publique ; celle-ci comprend cinq membres : MM. Bahadur Khatri (Népal), Espioosa (Colombie), Jakobson (Finlande), Kulaga (Pologne) et Mwaanga (Zambie). Son président est M. Bahadur Khatri, ambassadeur extraordinaire du Népal auprès des Nations unies.
Le 24 novembre au soir, les cinq membres de la mission, accompagnés par sept hauts fonctionnaires des Nations unies, quittent New York par le vol régulier de la compagnie américaine Pan Am à destination de Dakar. A son arrivée dans la capitale sénégalaise (le 25 novembre), le président de la mission se félicite que « quarante-huit heures après la décision du Conseil de sécurité, la mission soit déjà en terre africaine », et il ajoute : « Nous avons l’espoir de remplir notre mission dans le plus bref délai. »
Une heure après leur arrivée à Dakar, les membres de la mission s’envolent à bord de l’avion personnel du président Senghor à destination de Conakry où ils arrivent à 16 h 15 (GMT).
La mission est accueillie sur l’aéroport de Conakry par le ministre des Finances du gouvernement guinéen, Ismaël Touré, membre du bureau politique du PDG (Parti démocratique de Guinée). Deux heures plus tard, à 18 h 15, la mission est reçue en audience spéciale par le président de la République guinéenne, Ahmed Sékou Touré, qui déclare :
« Nous avons demandé aux Nations unies non pas une enquête, mais l’envoi immédiat d’une force armée internationale pour repousser l’agression. »
Une délégation du gouvernement guinéen composée de MM. Damatang Camara (secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères), Abdoulaye Touré (représentant de la Guinée aux Nations unies), Cheikh Omar M’Baye (directeur du département des Affaires économiques) et Mamady Condé (directeur du département du Commerce), est chargée par le gouvernement de Conakry « d’accueillir, d’assister les émissaires des Nations unies et de leur faciliter la tâche ».
Le 26 novembre, la mission des Nations unies commence son enquête. Celle-ci s’achève le samedi 28 novembre. Le même jour, à 16 h 45, les émissaires de l’ONU s’envolent pour New York. Dès leur retour. les membres de la mission mettent au point le rapport définitif qui sera soumis aux membres du Conseil de sécurité. Le 5 décembre, les conclusions tirées de ce rapport sont rendues publiques.
Il en ressort que « l’agression du 22 novembre
a été perpétrée par une force d’invasion de 350 à 400 hommes, amenés au large de Conakry par deux navires (transport de troupes) ainsi que par trois ou quatre patrouilleurs plus petits ».
Les hommes composant la force d’invasion étaient équipés d’armes d’infanterie, y compris des bazookas et des mortiers. et divisés en plusieurs groupes dont certains ont été affectés à des points stratégiques : camp de l’armée, aéroport, centrale électrique, d’autres attaquant le palais présidentiel, le siège du PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du cap Vert), libérant des prisonniers politiques, etc. »
En ce qui concerne l’origine des assaillants, les conclusions de la mission révèlent que « les navires utilisés pour transporter la force d’invasion étaient des navires portugais, l’équipage de ces navires était en majorité blanc et membre des forces armées portugaises » ; que, enfin, les assaillants (qui étaient commandés par des officiers portugais) étaient « des Guinéens dissidents et des troupes africaines de l’armée portugaise entraînés en Guinée-Bissau ».
Le 9 décembre, le Conseil de sécurité adopte le texte définitif d’une résolution dans laquelle il fait siennes les conclusions du rapport de la mission spéciale, condamne énergiquement le gouvernement portugais et demande à celui-ci d’appliquer sans plus attendre aux populations des territoires qui sont sous sa domination les principes de l’autodétermination et de l’indépendance, conformément aux nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale.
Jeune Afrique a pu se procurer le texte intégral du rapport à partir duquel la mission spéciale a tiré les conclusions qui ont permis au Conseil de sécurité de se prononcer. C’est un document absolument inédit qui contient tous les détails des travaux d’enquête menés à Conakry par la mission de l’ONU. Nous en donnons ici, en exclusivité mondiale, les principaux extraits.
La mission envoyée par le Conseil de sécurité de l’ONU pour enquêter sur l’intervention étrangère en Guinée a entamé ses travaux le 26 novembre à 10 heures par une entrevue au Palais du peuple Conakry avec la délégation guinéenne dirigée par M. Ismaël Touré.
« Je pense, dit-il, que le moment est venu pour nous de souligner que la commission d’enquête que vous représentez n’a aucune justification aux yeux du gouvernement guinéen. Elle n’était pas nécessaire, dans la mesure où ce qui s’est passé constitue un acte de guerre et indique clairement qu’il y a eu intervention d’une puissance étrangère sous la forme d’un acte d’agression.
Ce que nous avions demandé, ce qui était clairement exprimé dans la requête guinéenne, était une aide militaire afin de résister à une attaque militaire perpétrée de l’extérieur contre notre Etat.
Il y a un second point qui doit être clairement précisé : c’est le fait que le peuple guinéen pense qu’il porte au premier chef la responsabilité de la paix et de la sécurité au niveau national. Le gouvernement guinéen pense en conséquence qu’en aucun cas, quelque grave que puisse être la situation, nous ne saurions considérer qu’elle est du ressort d’une organisation ou d’une agence extérieure, plutôt que du gouvernement guinéen. »
M. Touré a qualifié de « dangereuse » et « contraire aux objectifs fondamentaux des Nations unies » l’attitude du Conseil de sécurité et déclaré que la ,résolution adoptée par le conseil, « en ne mentionnant pas le Portugal comme agresseur, manque d’objectivité » et constitue peutêtre « un signe de complicité avec les auteurs de l’agression».
Tout en assurant la commission d’enquête que tous les moyens seraient mis à sa disposition pour mener sa tâche à bien, M. Touré rappela que le gouvernement guinéen « s’opposerait systématiquement à une enquête qui durerait plus de vingt-quatre ou quarante-huit heures dans la mesure où, pour parler franchement, nous avons condamné à plusieurs reprises certaines méthodes des Nations unies, méthodes qui sont parfois exagérément bureaucratiques et qui, à diverses occasions, ont constitué une atteinte à la dignité de certains Etats membres ».
« Ces méthodes, a poursuivi le ministre guinéen, ne seront pas tolérées par la Guinée si elles font apparaître les Nations unies comme une sorte de comité de direction favorisant les grandes puissances, au détriment des petits pays membres.
Nous pensons, a également dit M. Ismaël Touré, que les Nations unies, en n’agissant pas avec la rapidité demandée par la république de Guinée et en n’envoyant aucune aide militaire, n’ont pas rempli l’objectif de la charte que constitue la promotion de la solidarité internationale. »
ONU : confidentiel
A ces propos, le président de la commission d’enquête de l’ONU répondit en ces termes :
« Vous savez parfaitement et vous comprenez que les Nations unies ne disposent pas d’une force de maintien de la paix. Même si les Nations unies avaient décidé d’envoyer des troupes aéroportées avec toute la promptitude possible, elles ne seraient pas encore arrivées aujourd’hui.
Moi-même, qui ai fait partie de ceux qui ont présenté la résolution nous mandatant ici, je puis assurer Votre Excellence et, à travers vous, votre gouvernement et votre peuple que tous les efforts ont été faits durant les six ou sept heures de délibérations et consultations pour que soit adoptée une résolution plus ferme. Mais, comme le savent parfaitement Votre Excellence et vos collègues, il s’agissait d’une course contre la montre, et c’est par tout un jeu de compromis que fonctionne l’organisation. Notre tâche est de convaincre les 121 membres qui se trouvent encore à New York. Ainsi, nous ferons tous les efforts en vue de clarifier l’affaire non en tant que membres de délégations particulières, mais en gardant à l’esprit l’existence des 121 autres membres. »
Après quoi, M. Ismaël Touré souligna que, pour le gouvernement guinéen, il ne faisait aucun doute que l’intervention du 22 novembre avait été perpétrée par le Portugal et qu’elle avait été menée par des « mercenaires ».
« Un des hommes faits prisonniers par l’armée guinéenne, a-t-il dit, a déjà déposé sans hésiter. Il a expliqué comment les deux groupes de 150 mercenaires chacun avaient été recrutés, et par qui. Il a indiqué le lieu où ils avaient reçu une formation intensive, en Guinée dite portugaise. »
« L’agression du 22 novembre a été décidée il y a quelques mois par le gouvernement de Lisbonne, a également dit M. Touré. La décision a été prise à la suite d’un voyage à Lisbonne du gouverneur de Guinée-Bissau sous domination portugaise. lequel pensait que le moment était venu de préparer et de perpétrer une agression sur une grande échelle contre la république de Guinée.
Un pays ami de la Guinée, par le canal de son ambassade à Conakry, a fait part de ce fait capital au gouvernement de Guinée, d’une façon confidentielle, mais officielle. L’ambassadeur de ce pays, qui se trouve actuellement à Conakry, nous a autorisés à vous faire part de cette information. »
Pour le gouvernement guinéen, d’autre part, « lorsque les premiers commandos sont arrivés, il était clair qu’ils avaient deux objectifs.
- Le premier visait les installations du PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert). Ils voulaient libérer les prisonniers portugais blancs et ils voulaient également éliminer Amilcar Cabral (leader du PAIGC).
- Leur second objectif était de liquider physiquement le chef de l’Etat guinéen, ce qui est démontré par le fsait que les premiers tirs effectués depuis le large ont été dirigés contre la résidence d’été de notre chef d’Etat. »
Au cours de la seconde séance de travail tenue par la commission d’enquête au Palais du peuple le 26 novembre à partir de 16 h 30, le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Damantang Camara, membre de la délégation guinéenne, avertit les membres de la commission en ces termes :
« Nous venons d’être informés que tous les prisonniers ont été évacués à Kindia, qui se trouve à 150 kilomètres de Conakry … Nous espérions pouvoir disposer des prisonniers ici cet après-midi, mais, en raison des difficultés, nous devons reporter la chose à demain, lorsque nous irons à Kindia et que nous interrogerons les prisonniers sur place. »
Ils étaient saouls
Ne pouvant interroger dès le premier jour les prisonniers faits par les forces guinéennes, la commission d’enquête s’est rendue au camp de Samory où, à partir de 16 h 45, elle a entendu le témoignage du capitaine Diarra Traoré. Le capitaine Traoré a rapporté que, peu après 2 h 30, le dimanche 22 novembre, alors qu’il venait de rentrer chez lui, il entendit des coups de feu dans la direction du port :
« Le commandant du camp avait déjà fait sonner l’alerte et tous les soldats se mirent en mouvement… A 3 h 05, deux camions de soldats se dirigeaient vers le port. Mais les Portugais, profitant du fait que tous les soldats avaient quitté le camp pour se rendre au port, sont entrés dans le camp et ont tué toutes les personnes qu’ ils ont rencontrées. Ils ont commencé par le poste de garde… A 16 h 30, grâce aux chars, aux mitrailleuses et aux renforts venus du Camp Alpha-Yaya, le Camp de Samory a été repris aux agresseurs … Les combats ont été très durs … Tous les bureaux ont été fouillés et détrùits … Notre dépôt de carburant a été incendié et nous avons trouvé dans le camp plus d’une trentaine de morts. Nous avons pu tuer dix-sept des agresseurs et en faire prisonniers treize. »
Le capitaine Traoré a également fait une déposition sur les combats au siège de la radio :
« L’attaque, a-t-il dit, a été très dure, car les assaillants avaient débarqué la plus grande partie de leurs forces. Ils voulaient à tout prix prendre notre station de radio … Nous les avons repoussés et nous avons fait quinze morts environ, dont trois Blancs. Mais, comme ils étaient venus par bateau — les envahisseurs étaient à bord des bateaux —, ces hommes sont morts à bord des bâteaux. Et dans l’eau nous avons vu trois hommes blancs qui avaient été abattus. »
Après avoir entendu le capitaine Traoré et visité le camp Samory, la commission de l’ONU s’est rendue au Camp Boiro Mamadou, où diverses personnes ont déposé à partir de 18 heures.
Le général Lansana Diané, ministre guinéen de la Défense, a rapporté qu’il avait été arrêté au camp vers 3 heures du matin le dimanche alors qu’il s’y rendait après avoir inspecté les environs du palais présidentiel, à la suite des premiers coups de feu. Le camp était déjà occupé par les envahisseurs :
« Ils voulaient savoir, a-t-il dit, où se trouvaient les passages souterrains où nous gardions les prisonniers politiques. Personne ne le savait, en vérité, et tout d’abord parce qu’ il n’y en a pas. Mais ils pensaient qu’il y en avait. Les seuls prisonniers que nous avions, ils les ont libérés … A un moment, ils ont appris que la résidence du président avait brûlé et que le président était mort. Celui qui me dit cela m’a raconté qu’il était contre Sékou Touré, car lui-même avait perdu toute sa famille en Guinée portugaise du fait des attaques de Cabral, et qu’il souhaitait se venger … Il parlait portugais. »
Le général Lansana Diané a également fait état d’ « un Portugais blanc » qui avait demandé à ses hommes de l’interroger. Bien que les agresseurs aient découvert qu’il était le ministre de la Défense, le général Diané raconte qu’il a pu s’échapper.
« Ils étaient saouls, a-t-il dit, car ils avaient tous des bouteilles de gin ou de whisky et ne faisaient que boire … C’est seulement par stupidité qu’ils ne m’ont pas tué, en vérité. Ils étaient saouls. »
Le commandant Mamadou Oularé rapporte qu’il a été arrêté au camp de Boiro-Mamadou à 2 h 30 du matin.
— L’un d’entre eux me demanda : “Etes-vous Oularé ?”
— Oui, dis-je, je suis Oularé.
Il passa derrière moi, me frappa de la crosse de son fusil et dit :
— Montrez-moi les cellules où se trouvent les prisonniers.
— Je dis : “Je n’ai pas les clefs.” L’un d’entre eux dit : “Si vous tenez à la vie, donnez-moi les clefs.” Je jurai que je n’avais pas les clefs.
— Je dis : “Les clefs sont à l’intérieur de la prison ; ce sont les gardiens qui les ont…”
— Il dit : “Nous allons quand même à la cellule.”
Ils me poussèrent et, lorsque nous arrivâmes devant la porte, ils dirent : “Faites ouvrir.”
Je tentai de les convaincre. Je dis :
— “Même si je donne des ordres, ils n’ouvriront pas. Je ne suis pas leur supérieur.”
Mais ils dirent :
— “Ordonnez-leur quand même.”
Je dis alors à mes camarades : “Je suis Oularé ; ouvrez !…”
Mes camarades ne voulaient pas ouvrir. »
Les prisonniers, rapporte le commandant Oularé, devaient néanmoins être libérés un peu plus tard. Il relate ainsi son évasion :
« Les prisonniers sortaient. Je me mêlai à eux et je pus sortir. Dès que je fus dehors, je me mis à courir. »
« Je n’ai pas de clef »
Au Camp Boiro-Mamadou, les enquêteurs ont également entendu le capitaine Mamoudou Condé qui a rapporté qu’il avait été réveillé vers 3 heures du matin par des coups de feu et s’était rendu au camp. « Sur mon chemin, a-t-il dit, j’avais entendu des cris : “Nous en avons assez du régime de Sékou Touré ! Nous sommes venus pour restaurer la liberté !” »
Le capitaine Condé rapporte que, au cours de la contre-attaque, « nous avons tué trois agresseurs au poste de garde. Les autres se sont enfuis en direction de la mer, où ils ont été poursuivis. Entre temps, j’ai été blessé à la cuisse par une balle et j’ai été hospitalisé. Mes camarades, qui ont poursuivi le combat, m’ont dit plus tard qu’au total quatorze ou quinze des agresseurs étaint restés sur le terrain. »
Autre témoin entendu par les enquêteurs au camp BoiroMamadou : le Togolais Lucien Mensah, qui rapporte qu’il se trouvait au camp « pour vérification d’identité » au moment de l’attaque.
Il rapporte qu’il a pu suivre à un moment des membres des forces d’intervention qui avaient occupé le camp :
« Nous les avons entendu demander à des gens :
— Savez-vous où se trouve la prison politique ?
Un gardien a répondu :
— Je ne sais pas.
Ils ont commencé à le malmener et il a dit :
— C’est par là, mais je n’ai pas la clef.
Alors ils lui ont dit :
— Défonce la porte ! ; et puis ils ont dit aux prisonniers :
—Sortez!
Mais ceux-ci ne voulaient pas sortir. Ils ont fini par sortir et, lorsque les autres leur ont demandé :
— Qui d’entre vous sait où se trouve la section spéciale pour les détenus? ”
L’un des prisonniers a dit :
— Je sais, je vais vous y conduire…
Après la visite au Camp Boiro-Mamadou, les enquêteurs de l’ONU se sont rendus au siège du PAIGC à Conakry où ils ont entendu M. Aristides Pereira, membre du bureau politique de l’organisation.
« Durant la nuit du 22 novembre, a dit M. Pereira (il serait plus précis de dire : vers deux ou trois heures du matin), il y avait un gardien, ici, au bureau, et il a été surpris par des groupes qui avaient débarqué sur la plage, qui se trouve plus bas … Par la suite, des combats se sont déroulés ici et au port… Nous n’avons pas eu de mort ici, seulement des blessés ; l’un d’entre eux est à l’hôpital ; un autre n’a été que légèrement blessé. Au port, nous avons eu trois morts. De l’autre côté, ils ont eu deux morts et, pensons-nous, une vingtaine de blessés … Nous avons pu saisir quelques armes ; le type d’armes qu’utilisent les Portugais sont des pistolets-mitrailleurs “G-3“ » …
Des gens maquillés
M. Pereira rapporte également que, grâce à un récepteur de radio, les membres du PAIGC ont pu capter « des communications en portugais entre les groupes qui se trouvaient à terre et les bateaux. Nous les avons enregistrées ». M. Pereira a ajouté :
« Nous connaissons la différence entre le portugais que l’on parle dans notre pays et le portugais que l’on parle à Lisbonne. C’était clairement du portugais de Lisbonne. »
Le dernier témoignage de la journée du 26 a été celui d’un professeur belge à l’Institut polytechnique de Conakry, M. Michel Lange, qui a rencontré la commission d’enquête à 20 heures à l’hôtel Gbessia de Conakry.
« Le dimanche matin à 3 h 30, a rapporté M. Lange, j’ai été réveillé par des coups de canon. Je me suis rapidement habillé et je me suis rendu au bar qui se trouve en face de la maison. Là, je rencontrai le gérant et le gardien de nuit. Nous nous posâmes mutue11ement des questions. Nous nous demandions ce qui se passait… Je quittai le bar et me dirigeai vers la plage. A quelque distance du bar, je pus voir que la villa Bellevue était en flammes …
« Sur la plage, a dit M. Lange, j’ai vu des ombres. Je me cachai, mais des militaires me capturèrent et me forcèrent à me coucher sur le sable … Ils me dirent qu’ils étaient des mercenaires qui préparaient un coup d’Etat en Guinée ; que le but de l’expédition était de tuer Cabral, mais ils m’ont dit qu’ils ne l’avaient pas trouvé. Par la suite, ils m’ont dit qu’ils avaient tué le président, qui dormait à la villa Bellevue. Ils ont dit que la tentative de coup d’Etat était menée pour le compte d’un général guinéen qui vivait en France. En ce qui concerne leur identité, ils m’ont dit qu’ils étaient des mercenaires : certains étaient italiens, d’autres espagnols et d’autres sénégalais. J’étais surpris de voir qu’ils étaient tous noirs. A ce moment, l’un d’eux se toucha le visage du doigt, puis mon bras, où il resta une marque noire. Je passai la main sur le bras d’un autre, mais cela ne laissa pas de trace. Je conclus qu’il devait certainement y avoir des Africains, ainsi que des gens maquillés. »
« Vers 5 h ou 5 h 30, a également rapporté M. Lange, j’ai vu un groupe de gens qui venaient de la direction de la villa Bellevue. Parmi ce groupe, j’ai vu des gens en maillots de bain ou en sous-vêtements ; je crus être victime d’une illusion … Mais, plus tard, j’appris que des prisonniers portugais s’étaient échappés de la prison Boiro. Ce groupe, fofmé d’hommes en sous-vêtements et de militaires, a embarqué sur des bateaux et a gagné le large. Il faisait sombre, mais je pense qu’il devait y avoir environ 50 ou 60 personnes dans le groupe. »
Quant à la nationalité des militaires rencontrés par le professeur belge, ce dernier a déclaré :
« De toute évidence, ils parlaient portugais. J’ai identifié leur langue par le chuintement que l’on trouve dans leur conversation et aussi à certains mots qu’ ils ont prononcés, comme “mercenarios”. A un moment, j’ai demandé une cigarette et ils ont dit : “Nao pode fumar”, ce qui veut dire, en portugais : il est interdit de fumer. »
M. Lange a également confié aux enquêteurs que les membres du commando avaient dit qu’ « ils appartenaient, au PAIGC, à la fraction opposée à Cabral ; en d’autres termes, des adversaires de Cabral… J’ai entendu parler du PAIGC, mais je n’ai jamais entendu dire qu’il y avait deux ou plusieurs factions. »
Par surprise
Le 27 novembre, la commission d’enquête de l’ONU a entendu les dépositions d’un certain nombre de diplomates et de personnalités au Palais du peuple de Conakry et notamment de MM. :
- Osman Ali Assai, ambassadeur de la République arabe unie
- Hasimbegovic Selmo, ambassadeur de Yougoslavie
- Boris Milev, ambassadeur de Bulgarie
- Oscar Oramos Oliva, ambassadeur de Cuba
- Sorsoh Conteh, ambassadeur de la Sierra Leone
- Gunther Fritsch, ambassadeur de la RDA Heiner Schmid, second secrétaire de l’ambassade de la RDA
- Ernest Schmid, chargé d’affaires suisse
- Peter Afolabie, ambassadeur du Nigeria
- Albert Sherer, ambassadeur des Etats-Unis
- Hans Christian Lankes, ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne
- Mme Juliette Abadjeva, médecin soviétique
- Mme Carmichael (Miriam Makeba), la chanteuse sud-africaine
son mari. M. Stokely Carmichael - Mateus Correira et Irenio Nascimento Lopes, membres du PAIGC
Dr Ledesma, Cubain
L’ambassadeur yougoslave, M. Selmo, a rapporté :
« A droite de ma résidence, à une distance de 300 ou 400 m, se trouve le camp militaire Boiro, où avait éclaté la fusillade. J’ai entendu des coups de feu au niveau du camp pendant toute la nuit. »
L’ambassadeur de la République arabe unie, M. Osman Ali Assai, a déclaré pour sa part :
« J’ai été réveillé par des coups de feu dans les premières heures de la matinée de dimanche. On tirait à droite, à gauche, partout… dans la matinée, je vis, le long de la côte, des membres de la milice populaire… je me mis à m’enquérir de la situation. Je posai des questions au gardien de l’ambassade, et aussi à des pêcheurs qui se trouvaient dans le secteur. Le gardien avait déjà interrogé des pêcheurs et il me dit : “Il y a un bateau qui tire sur le palais présidentiel.” »
L’ambassadeur d’Allemagne fédérale, M. Lankes, a également fait état de combats au Camp Boiro :
« En passant entre le Camp Mamadou-Boiro et l’hôpital de Donka, a-t-il dit, … je remarquai que le camp avait un aspect étrange : je vis des soldats, des hommes en uniforme, devant la porte grande ouverte, et qui, à mon avis, n’étaient pas des soldats guinéens.
Tout a commencé, comme vous le savez, le dimanche matin. Je pris conscience que la situation n’était pas normale vers 3 h 30. Une heure plus tard, on m’informait par téléphone qu’une famille allemande avait eu des blessés par ce qui était de toute évidence un obus de bazooka dans le quartier de la Minière-Bellevue. Un peu plus tard, on m’informait qu’un autre de mes compatriotes avait été trouvé grièvement blessé dans la rue, dans le même quartier …
Lorsque j’arrivai à la maison où avaient été recueillis tous ces gens que j’ai mentionnés, … l’homme qui avait été trouvé dans la rue était mort. »
M. Conteh, ambassadeur de la Sierra Leone, a rapporté que vers 7 h 30, le 22 novembre,
« des combats se déroulaient devant l’immeuble de Boulbinet, qui abrite la radio… J’ai vu de mes propres yeux des gens qui venaient de la mer et marchaient sur la station de radio. Ils étaient armés et ils tiraient. A mon avis, les envahisseurs ont pris les soldats guinéens par surprise. »
M. Milev, ambassadeur bulgare, rapporte :
« Durant la fusillade qui s’est déroulée près de notre ambassade, j’ai vu un homme blanc qui se cachait dans l’herbe devant l’ambassade. Il était armé d’une mitraillette … Le dimanche soir, il y a eu des fusillades nourries près du camp militaire Boiro· Mamadou, qui se trouve à deux ou trois cents mètres de notre ambassade. Dans le courant de l’après-midi, des combats s’y étaient déroulés pendant trois ou quatre heures. »
Trois ou quatre bateaux
Miriam Makeba a rapporté, de son côté, qu’en se rendant en voiture en compagnie de son mari Stokely Carmichael à la résidence de l’ambassadeur de Tanzanie, M. Salim Rachidi, « nous avons vu des hommes en uniformes militaires que nous avons pris pour des Guinéens, car la plupart étaient noirs. Mais quelque chose me frappa et je dis :
« Leurs uniformes semblent un peu différents. Ils nous ont tiré dessus au passage … Nous avons ralenti et fait signe de la main ; ils ont répondu et ils nous ont laissé partir en direction de la résidence de l’ambassadeur. C’est lorsque j’y étais que mon mari a parlé à quelqu’un au téléphone, qui lui a dit que, comme vous le savez, les mercenaires portaient des uniformes verts et des brassards verts. C’est a lors que nous comprîmes que les hommes en armes que nous a vions croisés sur la route n’étaient pas des soldats guinéens. »
M. Stokely Carmichael, pour sa part, devait déclarer :
« Ce que nous pouvons dire, c’est qu’il s’agit d’une invasion perpétrée par une puissance étrangère et que celle-ci était européenne. Nous pouvons le dire à coup sûr, parce que nous avons vu les bateaux. Ils étaient manoeuvrés par les Européens qui assuraient la navette. Nous ne savons pas s’il s’agissait d’une invasion portugaise, mais nous savons que c’était une invasion et qu’elle était d’origine européenne, avec des mercenaires africains. »
En ce qui concerne la force navale qui a participé à l’intervention, l’ambassadeur tanzanien, M. Rashidi, a déclaré qu’il avait « clairement vu quatre bateaux débarquant des troupes dans la ville ».
L’ambassadeur cubain Oliva affirme lui aussi :
« J’ai vu quatre bateaux, assez loin de l’entrée du port de Conakry. L’un d’eux était blanc, les trois autres gris. Nous ne pouvions voir ni leurs pavillons ni leurs numéros, mais c’étaient de toute évidence des navires de guerre. »
M. Sherer, ambassadeur des Etats-Unis, se trouvait dans les jardins de sa résidence à huit heures du matin :
« J’ai vu un bateau qui ressemblait à un “LST” (bateau de débarquement) de la Seconde Guerre mondiale. Il était flanqué de deux bateaux blancs… un troisième bateau blanc est venu par la suite se joindre à eux. »
M. Assai, ambassadeur de la RAU, a déclaré avoir vu quatre bateaux :
« Un grand bateau blanc, et deux autres, plus petits, de couleur sombre. Le quatrième était un bateau :le débarquement. »
Un palmier sur la mer
L’ambassadeur est-allemand Fritsch a ajouté de son côté :
« A 6 h 50 du matin, je remarquai deux navires de guerre et un autre bateau sur la mer, près de mon ambassade. Plus tard, un troisième bâtiment de guerre est venu se joindre aux trois navires qui se trouvaient sur place. Ils ont croisé dans ces eaux pendant plusieurs heures. Il y avait aussi de nombreux petits bateaux, peut-être des bateaux de caoutchouc, qui allaient d’un bâtiment à l’autre, des bâtiments à un point qui se trouve à droite de mon ambassade. »
L’ambassadeur yougoslave Selmo a vu à l’aube du dimanle « deux bateaux puis trois bateaux, à deux kilomètres au large. A première vue, c’étaient de grands bateaux. C’était clair que ce n’étaient pas des bateaux guinéens, car je les connais. J’en conclus que c’étaient des navires guerre étrangers utilisés pour le débarquement. Je pris mes jumelles et je pus confirmer mon impression qu’il s’agissait bien de navires de guerre étrangers. »
M. Selmo a également fait état « de bateaux qui emporent des affaires civiles, dont des archives qui venaient peut-être du Camp Boiro-Mamadou : lits, violons et guides. Il s’agissait manifestement d’un pillage ».
L’ambassadeur du Nigeria, M. Afolabie, renchérit :
« La vision la plus extraordinaire que j’aie eue a été la vision de quelque chose qui pourrait certainement se révéler être un sous-marin. Je le vis sur la corniche nord. Les palmiers ne poussent nulle part dans la mer et on aurait dit un sous-marin camouflé qui faisait surface en portant un palmier. II s’est arrêté pendant cinq minutes, peut-être pour prendre des photographies, puis a fait route vers la maison où vit le Dr Nkrumah, s’est arrêté, puis est reparti. »
Mme Abadjeva, médecin soviétique, se trouvait sur sa terrasse. Elle rapporte :
« Je regardais la mer et vis un bateau … II n’y avait rien, et soudain il y eut le bateau. » Mme Abadjeva ne peut toutefois affirmer qu’il se soit agi d’un sous-marin.
Le Dr Dimov, Bulgare, a vu un bateau disparaître sous les flots, mais, dit·il, « je ne puis affirmer qu’il s’agissait d’un sous-marin … je pensai tout d’abord qu’il s’agissait d’un bâtiment de commerce qui avait coulé, atteint par une bombe ».
Sur les combats qui se sont déroulés à la centrale électrique de Conakry, M. Reiner Schmid, second secrétaire à l’ambassade est-allemande, rapporte qu’il se trouvait près de la centrale peu après le début de l’offensive. Il tentait de joindre l’hôpital de Donka — quartier de la banlieue de Conakry — pour chercher de l’aide pour deux membres du personnel de l’ambassade qui avaient été blessés :
« Les assaillants nous ont forcés à entrer sur les terrains de la centrale, et quatre ou cinq mercenaires ont pointé leurs mitraillettes sur nous. Un bon nombre d’autres mercenaires se trouvaient à l’intérieur comme à l’extérieur de la centrale. »
M. Mateus Correira, membre du PAIGC, a déclaré pour sa part :
« Le 22 novembre, à 2 heures du matin, je me trouvais au port de Boulbinet et je vis débarquer un groupe de mercenaires. Un autre groupe de mercenaires est arrivé à 3 h 30. J’ai vu les bateaux qui les débarquaient ; un peu plus tard, les bateaux sont repartis … Je voulais tirer sur les envahisseurs, mais je décidai de ne pas le faire, car ils s’étaient mêlés aux pêcheurs qui se trouvaient là. »
Néanmoins, rapporte M. Correira, « nous sommes arrivés à faire quelques prisonniers. Nous avons pris trois hotnmes, et les autres ont réussi à s’échapper ».
Un autre membre du PAIGC, M. Lopes, se trouvait à bord d’un bateau appartenant à l’organisation dans le port de Conakry.
« Ce jour-là, dit-il, tôt le matin, il faisait chaud et je me trouvais sur le pont … Je vis trois bateaux dont les moteurs ne faisaient aucun bruit. Dans les bateaux, il y avait des soldats portant des uniformes vert olive … Je pensai qu’il s’agissait de troupes guinéennes, car les casques d’acier étaient les mêmes, ainsi que les armes et les uniformes. Ils ont commencé à monter à bord, sur le pont. Mais, lorsque je vis l’un d’eux sortir une baïonnette pour attaquer un camarade qui était allongé sur le pont, et quand je les entendis parler portugais, je me demandai : “D’où viennent ces hommes ?” Lorsque je me levai, l’un d’eux cria, en portugais : “Il y en a un par là !” et il tira dans ma direction. A ce moment, nous entendîmes des coups de feu. Le camarade qui était étendu sur le pont était le pilote, Alexandre. Il a été tué. Ensuite, a été tué le capitaine, Augusto Costa. Mais l’attaque n’a pas duré plus de dix minutes. »
« Savez-vous où nous allons ? »
Le 27 novembre, les enquêteurs de l’ONU se sont rendus au camp Kémé-Bouréma, à Kindia, où avaient été transférés les prisonniers. Ils ont pu recueillir les dépositions de six prisonniers.
Le sergent Joao Januario Lopes, prisonnier, rapporte qu’ il se trouvait à Fa Mandinga lorsqu’il reçut de ses supérieurs l’ordre de faire préparer ses hommes pour une expédition de dix ou quinze jours :
« C’était le vendredi, et nous sommes partis le lundi. Nous avons quitté Fa Mandinga pour Babadinca. Nous avons quitté Fa à 8 heures du matin. »
Le sergent Lopes, qui déclare être né le 5 décembre 1945 à Bissau et être citoyen portugais, poursuit :
« Ensuite, nous nous rendîmes à Chim, où nous dûmes attendre une demi-heure. Puis arriva un LDG, une vedette militaire. Après Chim, un bâtiment de transport nous a conduits dans l’île du nom de Suga. Le voyage a duré six ou sept heures. Certains disaient que nous allions à Como, d’autres au Cap Vert ; d’autres encore à Teixeira Pinto.
Un jour avant le départ prévu, poursuit le sergent Lopes, alors que nous étions en mer depuis quatre jours, nous reçûmes l’ordre de débarquer et de laisser nos armes et nos uniformes parce qu’on devait nous en donner de nouveaux. Je fus le premier à débarquer et je vis beaucoup de gens arriver. Je commençai à avoir des doutes. Je me demandais : “D’où viennent-ils ?…” Mais je rencontrai un jeune garçon qui me dit qu’ils étaient de Conakry et je demandai :
— Est-ce que nous allons les emmener là-bas ?
Il répondit :
— Oui, vous allez les y emmener et ils resteront là-bas.
De retour à bord, je racontai à mes camarades ce qui était arrivé, ce que j’avais découvert. Et de leur demander :
— Savez-vous où nous allons ?
Ils répondirent :
— Nous allons à Conakry; nous y conduisons ces gens. Es-tu d’accord ?
Je dis que non. Ils renchérirent tous :
— Nous non plus, nous ne sommes pas d’accord…
Même un major, qui se trouvait là, n’était pas d’accord. Ensuite arriva un commandant, le commandant Galvao, et il fit emprisonner le major pour insubordination et le fit réembarquer vers Bissau. »
« Ce sont les ordres »
Le sergent Lopes a décrit ainsi la force d’intervention :
« Les forces qui se disaient de la république de Guinée … comprenaient environ 150 hommes. C’étaient les gens que nous devions emmener là-bas. Ma compagnie comprenait également 150 hommes, et le détachement de commandos de marine environ 80 hommes. Ces forces étaient divisées en petits groupes. A chaque groupe était assigné un bateau. Il y avait six bateaux… Lorsque nous arrivâmes en vue des lumières de Conakry, il se passa cette chose étrange : beaucoup d’hommes ne savaient pas où nous allions. D’autres ne croyaient pas que nous allions là…
Le capitaine Morais vint me voir, il s’était peint la peau en noir. Il nous dit :
— Vous allez opérer un débarquement.
A quoi je répliquai :
— Que voulez~vous dire ? On nous avait dit que c’étaient les autres qui allaient débarquer.
Et il coupa :
— Nous ne pouvons pas faire autrement ; ce sont les ordres que nous avons reçus …
Lorsque nous arrivâmes sur la côte, nous débarquâmes et on nous dit que notre mission était d’attaquer l’aéroport et de détruire les “Mig”. On nous dit que le commandant Galvao devait détruire le siège du PAIGC. Un autre groupe devait attaquer la poste ; un autre, la station de radio; je ne connais pas les objectifs des autres groupes.
On nous laissa près d’un mur. Nous grimpâmes sur le mur et je vis l’aéroport. Je m’arrêtai et fis signe à mes hommes de s’arrêter. Le capitaine qui m’accompagnait nous devançait. Il n’avait pas remarqué que nous nous étions arrêtés et perdit le contact avec nous. Je dis aux soldats :
— Est-ce cela que nous devons détruire, ce que nous-mêmes avons bâti, ce que nos frères ont construit ? Je ne monte pas à l’assaut. Que tous ceux qui refusent de monter à l’assaut restent avec moi !
Il y avait vingt-quatre hommes avec moi et aucun ne voulait attaquer ; alors, ils sont restés avec moi. »
Le sergent Lopes rapporte ensuite comment il a attendu le matin pour se livrer avec ses hommes aux autorités guinéennes.
Jeune Afrique N° 520 — 22 décembre 1970
Note. — Le gouvernement guinéen refusa de considérer le comportement du sergent Lopes comme une circonstance atténuante. En conséquence il fut exécuté en janvier 1971.
Voir également :
– Patrick Chabal (1951-2014)
Amílcar Cabral : revolutionary leadership and people’s war.
Cambridge ; New York : Cambridge University Press, 1983
– Patrick Chabal, Toby Green (Editors). Guinea-Bissau : micro-state to ‘narco-state’
London : Hurst & Company, 2016. xxv, 290
— T.S. Bah
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